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Isabeau de Bavière, reine de France. La jeunesse, 1370-1405

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CHAPITRE V

LA REINE PRÉSIDENTE DU CONSEIL

Le 24 avril 1403, trois chevaucheurs quittaient l'hôtel Saint-Pol «envoiés hastivement toute nuit porter lettres de la royne» à Monseigneur de Bourgogne à Corbeil, à Jean de Berry à Montlhéry, au duc d'Orléans à Soisy en Othe[891]; quelque grand événement se préparait. Deux jours après, des lettres royales conféraient à Isabeau l'autorité suprême.

[891] Arch. Nat. KK 45 fº 164 rº.—Soisy, canton de Bray, arr. de Provins, dép. de Seine-et-Marne.

Ce coup d'État était l'œuvre de Philippe de Bourgogne[892]. Depuis quelque temps déjà l'exercice du pouvoir fatiguait le duc et les difficultés sans cesse renaissantes d'une guerre ouverte avec son neveu l'irritaient; or, fatalement un éclat devait se produire, si les deux Princes continuaient plus longtemps à partager la gestion des finances que Charles VI leur avait confiée de nouveau au mois de janvier. Dans le double but de parer à cette éventualité et de se décharger, au moins en partie, du soin des affaires, Philippe demanda au Roi et en obtint l'abrogation, au profit d'Isabeau, des ordonnances de 1392.

[892] G. Cousinot, chroniqueur dévoué au parti d'Orléans, remarque qu'Isabeau arrivait au pouvoir sous les auspices du duc de Bourgogne, Geste des Nobles, p. 109, et l'auteur de la Chronique d'Angoulême, résume bien la situation lorsqu'il dit «Enfin pour contenter l'un et l'autre de ces princes qui ne se disputoyent que pour le gouvernement, fust arreste au conseil, par les menées du duc de Bourgone, que la royne Yzabeau de Bavière présiderait au Conseil.»

Pendant les dernières années, il avait pu étudier de très près le caractère de la Reine, apprécier sa conduite et son attitude dans la situation, parfois si difficile, que lui créait la maladie du Roi; à la preste façon dont elle se dégageait des embarras qui lui étaient suscités, à sa tenace persévérance dans l'exécution de ses desseins, il la jugea douée de facultés politiques, et, après qu'il l'eut vue tenir son rôle d'arbitre avec la plus constante impartialité, il la reconnut pour son élève; aussi songea-t-il tout naturellement à elle pour le suppléer quand il fut las de gouverner. Il lui semblait que personne, à la cour de France, n'était plus qualifié que cette Reine, doublée d'une femme politique, pour présider aux séances du Conseil; de plus, il était assuré qu'elle ne rendrait que de bons offices à la Maison de Bourgogne. Mais il savait que dans les questions étrangères Isabeau, tout en suivant la même voie que lui, dépassait souvent le but, il surveillerait donc ses menées au dehors; celles-ci, du reste, se trouveraient contrariées par les manœuvres du duc d'Orléans qui se montrait invariablement opposé aux intérêts des Wittelsbach.

A vrai dire, Philippe de Bourgogne dut bientôt reconnaître qu'il s'était fait illusion sur l'esprit d'initiative de son élève, car on ne voit pas que la Reine ait imprimé une direction nouvelle à la politique intérieure, les choses continuèrent à aller comme devant et il semble bien que ce fut seulement dans ses affaires de famille, dans des questions de finances,—et toujours pour faire plus sûrement aboutir ses combinaisons égoïstes,—que la Présidente du Conseil usa de ses pleins pouvoirs.

C'était en effet la Présidence du Conseil que donnaient à Isabeau les lettres du 26 avril[893]. Le Roi y déclarait que le Royaume devait être gouverné «au gré et plaisir de Dieu, au bien et profit des sujets»; puis il affirmait sa pleine confiance en la Reine et les quatre ducs, et ordonnait que, pour le cas où il serait «absent ou empêché», la Reine gouvernât aidée par ses oncles et son beau-frère, (par ceux du moins qui seraient présents alors) et par le connétable d'Albret, le chancelier Arnaud de Corbie et les membres du Conseil, en tel nombre «comme il sera expédient».

[893] Arch. Nat. J 402, pièce 13.—Ordonnance des Rois, t. VIII, p. 577.

Les décisions devaient être prises à la majorité des voix, mais aucune des résolutions du Conseil ne pourrait être exécutée sans qu'au préalable le Roi en fût averti, sans qu'il en fût donné lettres patentes, scellées du grand sceau. Enfin, si le Roi revenait à la santé, il reprendrait la direction des affaires avec la présidence du Conseil et rien ne se ferait que par ses ordres.

En même temps furent annulées les dispositions prises au lendemain de la première attaque de folie de Charles VI pour la tutelle des Enfants de France et la régence du Royaume. Au mépris de l'ordonnance de Charles V qui fixait à quatorze ans la majorité des Rois, il fut décidé que si Charles VI mourait, son fils aîné, quel que fût son âge, serait sacré le plus tôt possible, que personne, «sous prétexte de bail ou de proximité de lignage», ne pourrait entreprendre la régence, que le Royaume serait gouverné par le jeune Roi et en son nom. La Reine-mère, assistée des quatre ducs, aurait non seulement la tutelle des Enfants de France, mais, avec le concours des Princes et des membres siégeant au Conseil lors du décès du Roi, elle supporterait «le faix du Royaume[894]».

[894] Ordonnances des Rois..., t. VIII, p. 581.

Isabeau aurait donc à la fois la Présidence du Conseil de famille et du Conseil royal, elle conserverait la toute-puissance; il n'y aurait pas de régence, et Louis d'Orléans, considéré jusqu'alors comme le régent désigné, se trouverait dépossédé.

Cependant il importait que tous les officiers s'engageassent à maintenir ces ordonnances et que le prestige du Roi ne fût pas atteint; aussi une troisième ordonnance exigeait-elle que «pour obvier à touz debaz et discussions», la Reine, les ducs et les membres du Conseil prêtassent serment de fidélité au Roi, jurant de n'obéir qu'à lui et à ses commis[895].

[895] Arch. Nat. P 2530, fº 239 vº et 241 vº et J. 355, pièce 1.—Bibl. Nat. f. fr. 3910, nº 81. fº 176.

Nous savons qu'en présence de Charles VI, les ducs et les conseillers engagèrent leur foi, que le connétable reçut le serment des membres du Parlement et des gens des Comptes[896], mais nous n'avons pas trouvé que la Reine ait été obligée à cette formalité.

[896] Arch. Nat. J 355, pièce 2, nº 3.


Relatons ceux des événements qui eurent lieu à la cour en 1403-1404 et qui paraissent avoir été dirigés par Isabeau.

Les ducs de Bourgogne et d'Orléans intriguaient depuis longtemps pour rapprocher leurs Maisons du trône par des mariages. Marguerite de Bourgogne, fille du comte Jean de Nevers, avait été promise au Dauphin Charles[897], mais la mort du jeune prince était venue rompre ce projet[898]; il avait été ensuite question d'un mariage entre Louis, le nouveau Dauphin, et une fille du duc d'Orléans. Nous avons rapporté les termes si pressants par lesquels l'Empereur Robert conseillait à Isabeau de s'opposer à cette union, et de choisir la petite-fille du duc de Bourgogne (mai 1401).

[897] Cf. le Père Anselme, Histoire Généalogique, t. I, p. 113.

[898] Dès le mois d'avril 1396, Marguerite de Nevers était appelée dans les Comptes de l'hôtel du duc Philippe de Bourgogne, «Madame la Dauphine»—et quand, à l'automne de 1400, le Dauphin Charles tomba malade, toute la famille de Bourgogne était depuis plusieurs mois à Paris, pour régler les apprêts du mariage. Le 9 juin 1400, Jean de Champdivers, maître d'hôtel de la duchesse de Bourgogne, avait été envoyé au devant de Madame de Savoie, de Philippe de Bourgogne et de Madame la Dauphine pour les accompagner de Châtillon à Paris «pour cause des nopces que l'on entendoit faire à Paris de Monseigneur le dauphin et de Madame la dauphine». E. Petit, Itinéraire des ducs de Bourgogne, p. 250 et 565.

La Reine s'employa à contrarier les plans de son beau-frère; pendant deux ans, aucune décision n'intervint, mais, dès qu'Isabeau eut obtenu le pouvoir, elle se hâta de conclure les mariages bourguignons.

Le 28 avril 1403, des lettres de Charles VI «en consideracion des services rendus au royaume par le duc Philippe, et des grands domaines que possédait ce prince», fiançaient le Dauphin Louis de Guyenne avec Marguerite de Nevers[899]. Dans un grand Conseil tenu chez le Roi, trois solennelles promesses de mariage furent échangées (5 mai.)

[899] Bibl. Nat. f. fr. 4628, fº 413 rº et vº.

Le duc de Guyenne fut fiancé à Marguerite de Nevers qui recevait avec deux cent mille francs de dot les châteaux de Villemaur et de Chaourse[900].

[900] Arch. Nat. J 408, pièce 7 et J 409, pièce 8.—Dom Plancher, Histoire de Bourgogne, t. III p. 197-198.—Chaourse, ch.-l. de cant., arr. de Bar-sur-Seine, dép. de l'Aube.—Villemaur, cant. d'Estissac, arr. de Troyes, dép. de l'Aube.

Michelle, quatrième fille de Charles VI était promise à Philippe, fils aîné du comte de Nevers. Les chiffres de la dot et du douaire devaient être fixés ultérieurement[901].

[901] Arch. Nat. J 258, pièce 16.

Enfin le Roi de France s'engageait à unir son fils Jean, comte de Touraine, avec une fille du comte de Nevers, qui n'était pas désignée[902].

[902] Arch. Nat. J 409, pièce 6 et 7.

Ce même jour, Charles VI avec la Reine et les ducs de Berry, d'Orléans et de Bourbon furent au festin que le duc de Bourgogne leur offrit au Louvre[903].

[903] Religieux de Saint-Denis, Chronique de Charles VI, t. III p. 77-79.

Mais deux jours après, le 7 mai, dans de nouvelles lettres, le Roi déclarait que jadis, il avait décidé le mariage du Dauphin avec une fille née ou à naître du duc d'Orléans; que depuis, il avait traité «aucuns mariages de plusieurs noz enfans avecques autres»; qu'il avait fait aussi des codicilles, testaments et ordonnances entre vifs qui violaient les droits que de raison et de coutume devaient appartenir au duc d'Orléans; et il mettait à néant les ordonnances qui donnaient à Isabeau la Présidence du Conseil, et rompait les projets de mariage avec la Maison de Bourgogne[904].

[904] Arch. Nat. J 468, pièce 12.

Un si brusque revirement pourrait être attribué à un retour de Charles VI à la santé, si l'on ne savait que le Roi était bien portant lorsqu'il avait présidé le Conseil du 5 mai. Peut-être le duc d'Orléans qui, seul des Princes, n'avait pas signé les ordonnances d'avril, profita-t-il d'une absence d'Isabeau et du duc de Bourgogne pour agir sur son frère, qui l'aimait beaucoup, et en obtenir la restitution de ses droits. Quoi qu'il en soit, quatre jours après, le 11 mai, dans des lettres données au Conseil, Charles VI se montrait très préoccupé de pourvoir à la sûreté de sa très chère et très aimée compagne la Reine, de son fils et de ses autres enfants; déclarait que les ordonnances d'avril leur étaient très profitables, que leur rupture serait au grand damne des dessus-dits, et, après avoir blâmé sévèrement la surprise faite à sa volonté, il annulait à l'avance toutes décisions contraires touchant Isabeau, les Enfants et le Royaume[905].

[905] Arch. Nat. J. 468, pièce 12.—Philippe de Bourgogne était le seul prince présent au conseil du 11 mai.

Les pouvoirs de la Reine se trouvaient donc formellement confirmés[906] et les vues du duc de Bourgogne ne rencontraient plus d'obstacles, aussi le 28 juin, Madame de Bourgogne s'engageait à exécuter les clauses du contrat de mariage du Dauphin Louis et de Marguerite[907], et, par trois ratifications successives, Isabeau acceptait le triple projet d'union[908]; la nouvelle Dauphine fut placée auprès de son futur époux dans la Maison de la Reine[909].

[906] Le 15 mai, Charles VI accrut encore les pouvoirs de la Reine en lui conférant le droit de s'opposer «à tous dons et aliénations du domaine». Arch. Nat. PP 117, fº 176 vº.—Ordonnances des Rois..., t. VIII, p. 586.

[907] Arch. Nat. J 409, pièce 9 et J. 249.

[908] Dom Plancher, Histoire de Bourgogne..., Preuves, t. III, p. 211-212 et 215-216.

[909] «Une aulne de cendal tiercelin et un quartier de drap de soye pour faire une chemise à heures pour Madame la Daulphine». Arch. Nat. KK 43, fº 15 rº.

L'avenir de toutes les filles de France était désormais assuré. En effet, par lettres, en date du 18 juin, le duc Louis de Bourbon et son fils Jean de Clermont avaient annoncé que le Roi et la Reine, «pour la bonne et vraye amour et entière affection que de leur grâce et humilité ils avaient toujours eu au comte et à la comtesse de Clermont», autorisaient le mariage de Charles de Bourbon, fils aîné de Jean de Clermont, avec la princesse Catherine, alors âgée de deux ans[910]. Les grands parents, le père et la mère avaient joint leur lettre de contrat, et, suivant la formule, «Madame la Royne avait donné sa parole de Royne». Cette union ne pouvait être célébrée que dans un temps éloigné; mais Isabeau avait voulu donner un témoignage d'amitié au duc de Bourbon, et Philippe de Bourgogne avait approuvé cet engagement qui enlevait à Louis d'Orléans l'espoir de marier ses enfants dans la famille royale.

[910] Arch. Nat. J 953, pièces 17 et 18.

Malgré le mécontentement que ces dispositions durent causer au frère de Charles VI, l'oncle et le neveu vécurent en bonne intelligence pendant la fin de l'année 1403 et les premiers mois de 1404. Du reste le duc d'Orléans reçut quelque compensation: don lui fut fait du château et de la châtellenie de Château-Thierry[911]; les duc de Bourgogne et de Berry se rangèrent à son avis pour la restitution d'obédience au pape d'Avignon Benoît XIII[912]; et le Conseil royal ferma les yeux sur ses intrigues diplomatiques[913].

[911] Arch. Nat. P 2530, fº 264-265.

[912] Religieux de Saint-Denis, Chronique..., t. III, p. 87.

[913] Jarry, Vie politique de Louis d'Orléans, p. 288-303.


La Reine passa les derniers mois de l'année à Paris, résidant tantôt à l'hôtel Saint-Pol, tantôt à sa maison de la Porte Barbette[914]. Comme témoignage de son activité politique nous n'avons que la liste de ses nombreux messages. Ses courriers vont trouver le duc de Bourgogne à Corbeil[915], à l'Abbaye du Barbeaux[916], à Melun[917]; et quand, en septembre, Philippe tombe malade dans cette ville, Isabeau lui envoie, à deux reprises, Maître Guillaume Cardonnel, «phisicien du duc de Guyenne». Lorsque Philippe aura regagné ses Etats, des lettres de la Reine lui parviendront encore à Arras et à Hesdin[918].

[914] Arch. Nat. KK 46, fº 6-17.

[915] «Jehan le Charron envoie hastivement toute nuit porter lettres de la royne devers monseigneur de Bourgogne à Corbeil ou illec environ, 20 juin 1403. Arch. Nat. KK 45, fº 164 vº.—Autres lettres du 12 juillet, KK 46, fº 8 vº.

[916] Lettres du 5 août. Arch. Nat. KK 46, fº 9 rº.—L'abbaye du Barbeaux était un monastère d'hommes de l'ordre de Citeaux, fondé par le roi Louis VII, dans la Brie, à deux lieues sud-est de Melun.

[917] Lettres du 21 août, 11 et 14 septembre, 11 et 13 octobre. Arch. Nat. KK 46, fº 9 à 10.

[918] Arch. Nat. KK 46, fº 10 vº.

Isabeau correspond aussi avec le duc d'Orléans[919], elle lui écrit à Senlis où il surveille les événements du Luxembourg, à Orléans, à Blois où il visite ses domaines, et au château de Coucy où il séjourne à son retour d'Avignon.

[919] Arch. Nat. KK 45, fº 164 et KK 46 fº 8-10, 50 et 51.

Lorsque le duc de Bretagne, son hôte, fut rentré dans sa province, Isabeau lui envoie son chevaucheur Jean le Charron. Le comte de Tancarville et Jean de Montagu reçoivent aussi des missives de la Reine, qui en expédie également, dans les environs de Paris, à ses gens[920].

[920] Arch. Nat. KK 45, fº 164 et KK 46, fº 8-10, 50, 51.

La plupart de ces messages ont trait aux affaires privées d'Isabeau: ce sont presque tous des décharges pour son Hôtel et son Argenterie dont les dépenses ont toujours été croissant. Celles-ci qui, pour l'Argenterie, n'étaient, en 1393, que de 10 000 livres tournois, s'élèvent, d'octobre 1403 à octobre 1404, à 41 947 livres 19 sous 4 deniers, et le chiffre des dettes, en cette seule année, est de 5 970 livres.

L'Hôtel de la Reine Jeanne de Bourbon ne coûtait annuellement au Trésor que 36 000 livres tournois; celui d'Isabeau mange près de 60 000 livres. Tout cet argent semble fondre entre les mains de la Reine qui, jugeant ses revenus ordinaires insuffisants, cherche à se constituer en quelque sorte une réserve par l'accroissement de son domaine foncier.

Charles VI avait précédemment acheté pour lui, sa femme et ses successeurs, les terres, villes, châteaux et châtellenies de Saint-Dizier en Barrois, et de Vignory au bailliage de Chaumont[921]. Le 3 mai 1403, Isabeau obtint du Roi, en récompense de l'amour qu'elle lui avait toujours témoigné, et «pour certaines autres justes causes», qu'il lui transportât la possession de ces villes importantes, sa vie durant, avec tous leurs revenus[922].

[921] Arch. Nat. P 2530, fº 262 vº et 263 rº et vº.—Saint-Dizier, ch.-l.-de-cant., arr. de Vassy, dép. de la Haute-Marne.—Vignory, ch.-l.-de-cant., arr. de Chaumont, dép. de la Haute-Marne.

[922] Arch. Nat. P 2530 fº 262 vº et 263 rº et vº.


Comme nous l'avons dit déjà, c'est surtout en matière de finances que la Reine usait de ses pouvoirs.

Le 11 juin, Charles VI, alors en bonne santé, avait suspendu l'office des Trésoriers de France[923]; il se proposait de réduire leur nombre «pour le bien et la prospérité de son domaine[924]», comme il avait déjà fait le 19 mai pour les Conseillers-généraux des Aides. Mais le Roi étant retombé dans son mal, la Reine et les Princes jugèrent que «aucunes nécessités étaient survenues de besogner au Trésor»; et Isabeau, assistée de ses oncles, tint personnellement un Conseil où, «en sa présence et à son plaisir», on décida que Raoul d'Auquetonville et Jean de la Cloche seraient réintégrés dans leurs offices et qu'on leur adjoindrait Gontier Col (août 1403)[925].

[923] Les trésoriers de France n'étaient, au XIIIe siècle, que les officiers préposés par le Roi à la garde de son trésor; au XIVe siècle, ils étaient devenus les chefs réels de l'administration des finances, avec le concours de la Chambre des Comptes et sous sa surveillance. «Ils avaient la direction supérieure de tout ce qui concernait le domaine de la couronne, qu'administraient sous leurs ordres les baillis, les sénéchaux et les prévôts, et celle des services de recette et de paiement.» A. Vuitry, Etudes sur le Régime financier de la France, nouvelle série (Paris, 1883, 2 vol. in-8º), t. I, 289-290 et t. II, p. 387.

[924] Arch. Nat. P 2530, fº 234.

[925] Ibid.

Peu après cette séance, les ducs se rendirent à Dourdan[926] où le 8, Isabeau dépêcha «hastivement de nuit Jean le Charron à Monseigneur de Berry[927]», et le 10, un autre message, non moins pressé, au duc de Bourgogne[928]. On a tout lieu de supposer que ces deux courriers portèrent aux Princes les observations de la Reine sur la mesure adoptée dans le dernier Conseil. Bientôt, Jean de Montagu, évêque de Chartres, président de la Chambre des Comptes, fut mandé à Dourdan et chargé par les Princes d'aller à Orléans pour obtenir l'adhésion du frère du Roi. Celui-ci approuva le choix des trois Trésoriers, mais demanda qu'on en adjoignît un quatrième, Audry du Moulin, ancien Trésorier des guerres. Isabeau et les ducs y consentirent volontiers[929].

[926] Dourdan, ch.-l. de cant., arr. de Rambouillet, dép. de Seine-et-Oise.

[927] Arch. Nat. KK 46, fº 9 rº.

[928] Ibid.

[929] Arch. Nat. P 2530, fº 254.

Le 18 août, Jean de Hangest, sire de Heuqueville vint, de la part de la Reine, inviter la Chambre des Comptes à enregistrer la nomination des nouveaux Trésoriers. Il ne cacha pas que tout délai mécontenterait la Reine et les Princes. Mais les gens des Comptes étaient hostiles à Isabeau et se méfiaient des créatures que son caprice pouvait élever aux grandes charges du Royaume. Ils refusèrent donc l'enregistrement; ils prétextèrent que les lettres de suspension avaient été passées «par le Roi en son Conseil», que les lettres de nomination, ne portant pas la même mention, n'étaient pas valables; qu'elles parlaient d'autres lettres dont la Chambre n'avait pas eu connaissance, et que celle-ci en exigeait la communication avant d'instituer les Trésoriers. Vainement Nicolas du Bosc, évêque de Bayeux, fit observer que la Reine et les Princes ne prendraient pas en patience un tel délai, les gens des Comptes ne cédèrent point; mais pour «desmouvoir la Royne de l'affection qu'elle avait à ce que les Trésoriers fussent reçus et excuser la Chambre du délai», ils chargèrent l'évêque de Bayeux de lui exposer la situation financière de la France[930].

[930] Arch. Nat. P 2530, fº 254-261.

Monsieur de Bayeux, en présence du duc de Bourbon, du chancelier et des autres membres du Conseil, dépeignit à Isabeau l'état du domaine et du Trésor du Roi: on devait aux receveurs de grosses sommes d'argent; les gens d'Église, les hôpitaux, les aumônes ne pouvaient être payés; les châteaux tombaient en ruines;—et il attribua la misère et le désordre du Royaume à la trop grande charge que les Trésoriers y avaient mise. Le prélat rappela ensuite que Charles VI avait déclaré qu'il n'y aurait à l'avenir que deux Trésoriers «bons, riches et sages qui ne fussent point obligez à compter au roy ne trop obligez à autrui»; que, par trois défenses successives, il avait résisté aux efforts tentés pour annuler les effets des lettres de suspension; et que maintenant, la Reine et les ducs voulaient nommer quatre nouveaux Trésoriers qui avaient offert de prêter et bailler deux mille cinq cents francs, «laquelle voye est bien contre raison d'acheter offices».

Les paroles de l'évêque de Bayeux furent sans effet. Le 21 août, trois chevaucheurs allaient trouver le duc de Bourgogne à Melun, le duc de Berry à Étampes, le duc d'Orléans à Blois, porteurs des avis d'Isabeau sur cette affaire[931], et le 23, le vidame d'Amiens, Guillaume le Bouteiller et Guillaume Laisné intimèrent aux gens des Comptes l'ordre «de par la Reine», d'instituer les Trésoriers[932].

[931] Arch. Nat. KK 46, fº 9 rº.

[932] Arch. Nat. P 2530, fº 254-261.

De guerre lasse, la Chambre allait s'incliner lorsque Hervey de Neauville, ancien Trésorier dont Isabeau avait obtenu le désistement en lui promettant une charge de Maître en la Chambre des Comptes, vint réclamer la place promise, menaçant, en cas de refus, de garder son office de Trésorier. La Chambre, qui ne cherchait qu'un prétexte à de nouveaux délais, déclara qu'elle n'était pas en nombre pour statuer et leva la séance.

Le 24, la cour vaquait, lorsque Guillaume Cousinot vint renouveler à l'évêque de Bayeux l'ordre de recevoir les Trésoriers; celui-ci objecta la vacance de la Chambre. Une seconde fois, le même jour, Isabeau fit exprimer sa volonté à l'évêque par le vidame d'Amiens Le Bouteiller «réformateur en la police», accompagné du Maréchal du Bourbonnais; la réponse du matin leur fut réitérée; ils intimèrent alors à Monsieur de Bayeux l'ordre de convoquer les Conseillers au Palais où le duc de Bourbon les recevrait. Quelques instants après, un sergent d'armes allait en la demeure de chaque conseiller lui porter commandement de se trouver au Palais. Une réunion de sept conseillers s'en suivit; elle était présidée par l'évêque de Bayeux, et le duc de Bourbon y assistait. Après que le vidame d'Amiens Le Bouteiller eut répété l'ordre de la Reine d'enregistrer les lettres de nomination des quatre nouveaux Trésoriers, les magistrats obéirent.

La chambre des Comptes se vengea de la violence que lui avait faite Isabeau en décidant qu'elle n'admettrait dans son sein ni Hervey de Neauville, ni aucun autre protégé d'ailleurs, «jusqu'à ce que Messieurs en eussent parlé personnellement au Roi et lui eussent remontré l'inconvénient de ces sortes de nominations[933]».

[933] Arch. Nat. P 2530, fº 261-262.


Au printemps de 1404, une épidémie s'abattit sur la France et les pays voisins[934]; elle frappa deux des Princes; le duc de Berry tomba malade à Vincennes[935], fut à toute extrémité, mais il guérit; le duc de Bourgogne, irrémédiablement atteint, succomba à Halle le 27 avril 1404[936].

[934] Religieux de Saint-Denis, Chronique de Charles VI, t. III. p. 143. «Tous ceux qui étaient atteints étaient en danger de mort, le mal débutait par de violentes douleurs de tête qui ôtaient l'appétit; et bientôt, réduit à un état effrayant de maigreur, le malade mourait de consomption.»

[935] Ibid. p. 149.

[936] Ibid., p. 145-149.—Monstrelet, Chronique..., t. I, p. 87-90—Halle, ville du Brabant méridional, Belgique.


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