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Isabeau de Bavière, reine de France. La jeunesse, 1370-1405

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CHAPITRE II

L'ENFANCE

Nous n'avons trouvé aucun texte fixant la date exacte et le lieu précis de la naissance d'Elisabeth; nous avançons qu'elle naquit très probablement dans l'un des premiers mois de 1370, nous appuyant sur deux témoignages que l'on n'a aucune raison de suspecter: la parole de Frédéric de Bavière qui, interrogé en septembre 1383 sur l'âge de sa nièce, répondit «qu'elle avait entre treize et quatorze ans[31],» et l'affirmation d'un véridique chroniqueur belge qui, en juillet 1385, écrivit «qu'elle n'avait pour lors que seize ans[32]

[31] Jean Froissart, Chroniques... liv. II, ch. CCXXVII, éd. Buchon, dans la Collection des Chroniques françaises, in-8º, t. IX, p. 95.

[32] Istore et Croniques de Flandres, publ. par Kervyn de Lettenhove, dans la Coll. des Chron. Belges, (Bruxelles, 1879-1880, 2 vol. in-4º), t. II, p. 351.

Tout porte à croire que la fille d'Etienne le Jeune et de Thadée, vit le jour à Munich, résidence de son grand-père où se trouvait groupée la cour de Bavière[33], car, si toute autre ville eût été le lieu de la naissance et du baptême d'Elisabeth, elle figurerait certainement dans la liste des donations testamentaires de cette princesse—qui avait au plus haut point le culte de la famille et du passé. Or, en Allemagne, Munich et quelques sanctuaires vénérés furent seuls gratifiés de ses souvenirs. Dans son testament de 1407, on lit en tête de ses legs à la Bavière: «Item donnons et laissons à l'église Nostre-Dame de Munich vint francs pour faire en icelle un service solennel pour nous après nostre trepassement.» Et plus bas, ce sont vingt autres francs donnés aux Frères Mineurs de Munich pour que chacun des dits frères «dise une messe pour le repos de son âme[34]

[33] Ch. Haeutle, Die Furstlichen Wohnsitze der Wittelsbacher in München, I. Die Residenz (München, 1892, in-8º), p. 2.

[34] Bibl. Nat. f. fr. 6544, pièce 7.

Etienne le Jeune donna à sa fille le nom d'Elisabeth, voulant ainsi la mettre sous la protection de la grande sainte de Hongrie qui avait été la gloire d'une famille à laquelle les ancêtres des Wittelsbach s'étaient alliés par plusieurs mariages. D'ailleurs, ce nom, cher à la Maison de Bavière, avait été porté par une fille de l'empereur Louis V et par la première femme d'Etienne le Vieux. La sœur d'Etienne le Jeune, femme du duc Othon d'Autriche[35], et la fille de Frédéric de Bavière, mariée à Marco Visconti, s'appelaient aussi Elisabeth; on peut supposer que c'est l'une de ces princesses qui présenta l'enfant à la bénédiction de l'évêque de Freisingen dans le baptistère de Notre-Dame de Munich.

[35] Riezler..., t. III, Zweite Beilage II.

Les chroniqueurs bavarois ont passé sous silence les quinze premières années de la vie d'Elisabeth; pour ces moines bénédictins, qui écrivaient leurs Annales dans un couvent d'Augsbourg ou de Ratisbonne, le nom de cette enfant ne pouvait être qu'un mince détail généalogique, tout au plus digne d'une brève mention; il faudra que la jeune fille se trouve placée en pleine lumière par son mariage pour qu'ils s'occupent d'elle; alors, ils lui prêteront les plus rares qualités du corps et de l'esprit, sans rechercher quels soins avaient formé et cultivé «sa vertu parfaite, sa beauté remarquable, la grâce de ses manières, l'élégance de ses mœurs[36]». Pourtant, l'Histoire que ces mêmes annalistes nous ont laissée des ducs de Bavière de 1370 à 1385 nous permet d'imaginer la vie calme et tout unie que mena le plus souvent Elisabeth enfant et adolescente.

[36] Johannes Adlzreiter, Annalium Boicae gentis..., 2e partie, liv. VI, col. 114.

La fille d'Etienne le jeune fut élevée au Ludwisburg[37], château de Munich, bâti en 1255 par le duc Louis le Sévère; dans cette forteresse les yeux de l'enfant rencontraient surtout d'antiques armures, trophées des preux Wittelsbach; dans quelques salles seulement, ils étaient récréés par les nouveautés que Thadée avait fait apporter d'Italie. Les vieux usages étaient toujours en vigueur à la cour de Bavière et le souvenir de l'empereur Louis V semblait encore remplir le château et inspirer ses habitants; les lieds populaires, que l'on chantait à la petite princesse, célébraient les hauts faits de son grand aïeul et sa tendre imagination confondait certainement ces exploits avec les aventures de Parsifal et des autres héros d'épopée dont sa nourrice lui contait les merveilleuses histoires.

[37] Ch. Haeutle, Die Residenz.., p. 2. Le Ludwigsburg, quoiqu'agrandi par l'empereur Louis V, était devenu trop étroit pour contenir tous les services nécessaires à ses nombreux hôtes princiers; et, vers 1375, il fallut transférer dans des hôtels de la Burgstrasse les écuries et la meute des ducs.

Elisabeth grandissait entourée de nombreuses affections, car dans l'antique château vivaient avec Etienne II et Thadée Visconti, Anne de Neuffen, femme de Frédéric, et le duc Jean avec sa jeune femme Catherine de Görz[38]; à de longs intervalles, entre une Croisade en Prusse et une campagne sur les bords du Danube, arrivaient à Munich le duc Frédéric et le duc Etienne[39], et le séjour de celui-ci était toujours marqué par quelque fête.

[38] Le mariage de Jean II de Bavière avec Catherine, fille du comte Mainhard de Görz avait eu lieu en 1372. Riezler, Geschichte Baierns, t. III, Zweite Beilage II.

[39] Riezler..., t. III, p. 95-97.

Elisabeth, «ayant naturellement du sens, fut pourvue de doctrine[40]», c'est-à-dire que des maîtres l'instruisirent avec soin; elle apprit, en effet, assez de latin pour lire les livres d'heures, les Vies des Saints et, dans les chroniques, les Gestes de ses ancêtres; mais ses lectures favorites étaient les poèmes épiques en langue bavaroise, fort en honneur à la cour ducale et dont le plus récent, «la Chasse», œuvre d'Hadamar de Labar, exaltait les vertus de la femme[41]. Dans les fêtes données par son père, elle entendit les premiers des Minsinger, ces jongleurs de l'Allemagne.—Ses distractions préférées étaient les pieuses cérémonies, célébrées avec pompe à Notre-Dame et à Saint-Michel de Munich, et les pèlerinages à l'abbaye de Ramsdorf[42], à l'évêché de Freisingen, et au sanctuaire de Nordlingen auxquels dans l'un de ses testaments, (1407) elle assignera des donations[43]. Les loisirs de la jeune fille étaient consacrés à l'élevage des oiseaux et à la culture des fleurs, ses plus chers passe-temps, sans doute, puisque, devenue reine, elle se fera construire une ferme modèle pour essayer d'y revivre les plus doux moments de son enfance. Le compagnon ordinaire de ses jeux était son frère Louis, plus âgé qu'elle de trois ans environ[44]. Les deux enfants s'aimaient beaucoup; on verra plus tard quel profit l'aîné saura tirer du tendre attachement que sa sœur lui avait voué.

[40] Froissart, Chroniques..., liv. II, ch. CCXXVI, t. IX, p. 98.

[41] Le chevalier Hadamar III de Labar avait été l'un des compagnons de l'empereur Louis V. Son poème «la Chasse» écrit dans une langue noble et aux images saisissantes, est une excellente étude de la nature et du cœur. Riezler..... t. II, p. 553.

[42] Aujourd'hui Ramersdorf, faubourg de Munich.

[43] Bibl. Nat. f. fr. 6 544, pièce 7.

[44] Louis de Bavière était certainement l'aîné d'Elisabeth de quelques années. M. Haeutle dans sa Genéalogie des... Hauses Wittelsbach, (München, 1870) p. 124, donne comme date de la naissance du duc Louis le 20 décembre 1365, d'après J. L. Wünsch, Genealogie Cronologica augustæ Carolino-Palatino-Boicæ gentis.... nativitatem, matrimonium et mortem indicans, (Mannheim, 1773). Mais cette date ne saurait être acceptée puisque le mariage d'Etienne et de Thadée n'eut lieu qu'en 1366.

En 1375, Etienne II mourut[45]; quelque grave que parût d'abord l'événement, la situation de la cour de Bavière n'en fut pas modifiée. Lorsqu'ils eurent déposé le cercueil de leur père dans le caveau de Notre-Dame de Munich, Étienne III, Frédéric et Jean s'entendirent pour maintenir le duché indivis; ils s'en partagèrent seulement l'administration, et comme la Haute Bavière échut à Etienne et à Jean[46], Élisabeth continua de demeurer à Munich. Les six années qui suivirent furent, disent les chroniqueurs, les plus heureuses de la Bavière au XIVe siècle[47]. La fille d'Etienne le Jeune entendait donc vanter cette prospérité due à la sagesse et au bon accord des princes; et, si éloignée qu'elle fût tenue des bruits du dehors, l'écho lui parvenait des merveilleuses chevauchées de son père qui, à la tête de deux cents chevaliers, courait d'Alsace en Hongrie, puis descendait en Italie où des villes se livraient à lui, où les princes lui offraient des fêtes splendides[48]; à mesure qu'elle avançait en âge, elle comprenait mieux les éloges décernés à la bravoure, et à la générosité du duc Etienne[49] surnommé, par ses sujets, tantôt le libéral, tantôt le magnifique[50]. Mais en 1380, Anne de Neuffen, femme de Frédéric, mourut et dès lors la famille de Bavière éprouva des deuils et des malheurs successifs. Le 28 septembre 1381, Étienne le Jeune perdait sa femme. Le corps de Thadée fut déposé dans le caveau des Wittelsbach à Notre-Dame de Munich près de l'autel que l'empereur Louis V avait élevé pour la célébration d'une messe perpétuelle en l'honneur de la Vierge et de la Sainte-Croix[51]. Élisabeth gardera pieusement le souvenir de sa mère et, devenue reine de France, elle fondera un obit annuel pour Madame Thadée.

[45] Etienne II mourut le 19 mars.—Marguerite de Nurenberg lui survécut deux ans (le 19 septembre 1377).

[46] Riezler, Geschichte Baierns, t. III, Zweite Beilage II.

[47] J. Adlzreiter, Annalium Boicæ gentis..., 2e partie, liv. VI, col. 107.—J. Turmair. Annalium Boiorum..., liv. VII, ch. XXI, p. 760.

[48] Riezler, Geschichte Baierns..., t. III, p. 119.

[49] André de Ratisbonne, Chronicon de Ducibus Davariæ... p. 96.

[50] Les Bavarois appelaient Etienne le Jeune «der gütige Herzog» ou «der Kneissel». Riezler..., t. III, p. 105.

[51] Alterthümer und Kunstdenkmale der Bayerischen Herrscher Hauses, (Munich, 1871. in-f.) notice.

L'année suivante la nouvelle parvenait à Munich qu'Élisabeth, fille du duc Frédéric, n'avait survécu que quinze jours à son mari Marco Visconti[52]. Les liens qui unissaient la Maison de Bavière au duc de Milan se trouvaient ainsi rompus; mais Frédéric les renoua en épousant en secondes noces, Madeleine Visconti, sœur de Thadée[53]. Les fêtes de ce mariage ne furent qu'une courte diversion aux graves préoccupations politiques des Wittelsbach; maintenant la jeune Élisabeth ne voyait plus autour d'elle que des visages contristés ou irrités; elle n'entendait plus que des menaces ou des plaintes. L'insurrection des villes souabes contre l'Empereur et les princes avait gagné la Bavière; Ratisbonne se soulevait, Frédéric et Etienne partaient pour en faire le siège. Des prodiges inouïs éclataient[54]; l'apparition d'une comète à longue crinière effrayait toute la contrée; on massacrait les Juifs. Un moment Élisabeth put croire que de terribles calamités allaient fondre sur les siens. En 1384 Frédéric et Etienne se brouillèrent avec leur frère Jean, à propos du règlement de leurs pouvoirs respectifs[55]; la querelle fut de courte durée, mais Munich, qui avait embrassé le parti de Jean, faillit payer chèrement sa préférence: dans le but de la châtier, Etienne et Frédéric avaient déjà rassemblé une armée, lorsque les bourgeois de la ville leur envoyèrent des députés pour capituler. Les ducs firent grâce, mais à des conditions humiliantes. Élisabeth put voir son père et son oncle reçus aux portes de Munich par tous les habitants contraints de les acclamer tandis que, à genoux, les principaux leur présentaient les clés[56]. Alors, au Ludwisburg, la vie reprit un cours paisible.

[52] Corio, Storia di Milano, t. II, p. 295.

[53] Corio, ibid.—Riezler..., t. III, p. 130.—Bibl. Nat. f. fr. 20 780, fº. 351.—Le contrat fut signé le 25 avril 1382; Madeleine Visconti apportait à Frédéric une dot de 100.000 ducats.

[54] Johannes Adlzreiter, Annalium Boicæ gentis..., 2e partie, liv. VI, col. 111-114.

[55] Riezler.... t. III, p. 130.

[56] Riezler..., t. III, p. 131.


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