Isabeau de Bavière, reine de France. La jeunesse, 1370-1405
LES VITTELSBACH—LES VISCONTI
Au milieu du XIVe siècle, le duché de Bavière[1] occupait un des premiers rangs de la hiérarchie du Saint Empire romain germanique[2], et, dans une chronique du temps, il était proclamé «la plus puissante et la plus florissante des provinces de la haute Allemagne[3]».
[1] Le duché de Bavière s'étendait des Alpes tyroliennes au Danube, des bords du Lech, à ceux de l'Inn.
[2] Cf. 1º Vit, prieur de l'abbaye bénédictine d'Ebersberg, (Haute-Bavière) Chronica Bavorum ab origine gentis ad annum MDIIII, dans Oefele, Rerum Boicarum scriptores, (Augsbourg, 1763, 2 vol. in-fº) t. II, p. 707.—2º Ange Rumpler, abbé bénédictin de Formbach, (diocèse de Passau, Basse-Bavière) Gestorum in Bavaria libri VI, dans Oefele.., t. I, p. 99.—Cf. aussi Johannes Turmair (dit Aventin), Annalium Boiorum libri VII, (Leipsig, 1710, in-fº).—Le Blanc, Histoire de Bavière, jusqu'au règne de Maximilien, (Paris, 1680, 4 vol. in-12) t. I.—S. Riezler, Geschichte Baierns, (Gotha, 1878, t. I... III in-8º) t. I.
[3] Vit, Chronica Bavorum.., chap. 1, dans Oefele, t. II, p. 707.
Ni son sol, ni le génie de son peuple n'eussent suffi à lui mériter cet honneur et cette réputation; il les devait surtout à la dynastie des Wittelsbach qui avait fait sa grandeur en même temps que son unité[4].
[4] Dans l'empire d'Allemagne, tel qu'il est actuellement constitué, le royaume de Bavière, le premier des États Secondaires, garde son originalité. «La nation bavaroise est dans l'Allemagne unie celle qui a conservé le plus son patriotisme distinct. Les mœurs, les coutumes, les traditions politiques et religieuses l'ont maintenue longtemps dans un certain isolement par rapport au reste de l'Allemagne, et c'est toujours là que se trouve le principal foyer de résistance au nouvel ordre de choses». E. Reclus, Nouvelle Géographie Universelle, t. III, l'Europe Centrale, p. 638.
Le pays, en effet, plateau pierreux et aride sous sa mince couche d'humus, quelquefois pittoresque en ses aspects sauvages, le plus souvent coupé de marais et de tourbières, n'offrait qu'aux bords du Danube une plaine fertile en céréales. Quant au peuple, depuis l'homme des hautes terres aux cheveux blonds, aux yeux bleus, timide et lourd, jusqu'à l'habitant des vallées et de la plaine, noir et trapu, à l'esprit un peu lent aussi, mais capable d'application[5], il possédait certaines qualités de fond dont l'ensemble lui composait une physionomie simplement intéressante[6]: du courage dans les combats, une grande patience au travail, une piété profonde[7].
[5] Ces différences de type et de mœurs sensibles encore maintenant, s'affirmèrent plusieurs fois au moyen âge dans la géographie politique par la division de la Bavière en deux provinces: Ober Baiern (Haute-Bavière) et Nieder Baiern (Basse-Bavière).
[6] Comme tous les peuples de la Germanie, les Bavarois étaient très fiers de l'ancienneté de leur race.
[7] Le Bavarois était épris des choses saintes «Geistlich», dévot aux statues et aux reliques, il se plaisait aux belles cérémonies du culte et aux mystères; les routes qui conduisaient aux sanctuaires vénérés étaient plus souvent sillonnées par les pèlerins bavarois que par les autres Germains. Toutefois cette religion un peu idolâtre n'était pas le trait caractéristique de toute la population; accentué chez les habitants de la Haute-Bavière, il apparaissait aussi, mais atténué, chez ceux du centre qui se signalaient plutôt par leur habileté au travail et même, le goût de ces bons ouvriers s'affinant, le sentiment des choses de l'art leur vint, de sorte qu'au XVe siècle, la Bavière fut un des centres de la Renaissance allemande.
Dans cette contrée qui, originellement, ne paraissait pas prédestinée à un avenir très prospère, la Maison de Wittelsbach avait fait circuler comme un courant de bravoure, d'intelligence, de volonté, et aussi d'ambitions: depuis un siècle et demi qu'elle régnait sur le duché de Bavière, toutes les ressources du pays avaient été exploitées; un grand nombre de marais, desséchés; les rives des cours d'eau navigables s'étaient couvertes de villages[8]; les anciens bourgs avaient été agrandis et fortifiés[9]; Salzbourg, Passau étaient devenus fameux par leurs églises aux merveilleuses sculptures, aux riches décorations; les quatre évêchés de la Bavière, fondés ou organisés par saint Boniface[10], comptaient parmi les principaux de l'Allemagne; Munich était une grande et belle ville, la capitale du duché[11]; la Bavière s'était assainie, policée, ornée. Les chroniqueurs du temps célèbrent cette transformation en termes pompeux: ils chantent les cités magnifiques, les splendeurs incomparables qu'elles renferment et les imposantes forteresses qui les défendent[12].
[8] Ange Rumpler vante le réseau fluvial de la Bavière: le Danube, le fleuve principal, l'Inn presque aussi important, l'Isar navigable dans tout son cours... et d'autres rivières «non ignobiles». Gestorum in Bavaria, dans Oefele.., t. I, p. 100.
[9] Landshut, très vieille ville, construite en briques, s'agrandit et s'embellit sans perdre son cachet d'originale simplicité. «Si te delectat jocus habebis in promptu, sin frugalitas, non deerit». Ange Rumpler, Gestorum in Bavaria.., dans Oefele.., t. I, p. 101—Burckhausen, «où l'on gardait les trésors des anciens princes», Ingolstadt, position importante sur le Danube, se peuplèrent et s'enrichirent par le commerce, ibid.
[10] Les évêchés établis en Bavière par saint Boniface étaient ceux de Passau, Freisingen, Ratisbonne et Salzbourg.
[11] Munich n'était en 1102 qu'une cella du couvent bénédictin de Tegernsee; le duc Henri le Lion, de la dynastie guelfe, en fit une Monnaie et un dépôt de sel. Les premiers ducs Wittelsbach bâtirent la ville; Louis II le Sévère en fit sa résidence et la capitale du duché (1255); l'empereur Louis V la reconstruisit en partie, après l'incendie de 1327.
[12] Vit, prieur d'Ebersberg, Chronica Bavorum.., dans Oefele.. t. II, p. 707.—Ange Rumpler, ibid, p. 101.
Certes, les résultats obtenus pouvaient paraître très beaux, mais surtout le mérite des Wittelsbach était grand d'avoir poursuivi et mené à bien cette œuvre de civilisation à travers les grandes difficultés que leur suscitaient la turbulence de vassaux rebelles, et les tentatives d'affranchissement de quelques villes enhardies par leur naissante prospérité. Aussi, vers 1350, la renommée des ducs de Bavière dépassait-elle les limites de leur duché; des princes allemands, des rois étrangers sollicitaient leur alliance et s'unissaient à eux par des mariages; toutefois, ces hommages s'adressaient moins à leur puissance politique qu'à la haute antiquité de leur race.
En effet, aucune autre famille de l'Europe chrétienne ne pouvait se prévaloir d'une plus lointaine, d'une plus glorieuse origine[13]. Arnoul, que les Bavarois avaient élu duc à la mort du dernier roi carolingien de Germanie (911), descendait, par son père le Margrave Luitpold, du mérovingien Dagobert II; par sa mère, de Louis le Germanique, petit-fils de Charlemagne. Quand Arnoul mourut, son fils aîné Eberhard, lui succéda, et le cadet, Arnoul, déjà investi du comté de Scheyern[14], dut se contenter du titre honorifique de comte palatin de Bavière; mais, tandis qu'à la seconde génération la branche ducale s'éteignait et que la Bavière passait successivement à plusieurs dynasties étrangères, la descendance de la branche cadette se perpétuait. Le cinquième héritier d'Arnoul de Scheyern, Othon III, voulant donner un témoignage signalé de la traditionnelle affection de sa famille pour l'ordre de Saint-Benoît, installa les moines bénédictins dans le château de Scheyern, et, sur les bords de la Paar, à quelque distance d'Augsbourg, bâtit la forteresse de Wittelsbach qu'il habita et dont sa dynastie porta désormais le nom[15].
[13] Voyez pour la généalogie des Wittelsbach et l'histoire des premiers seigneurs de cette maison: Dynastæ de Scheurn eorumque stemma atque genus, dans Johannes Turmair, Annalium Boiorum.., liv. VII, p. 620.—Bibl. Nat. f. fr. 20 780, fº 308.—Art de vérifier les dates, (Paris, 1787, 3 vol. in-fº.) t. III, p. 336-403.—Riezler, Geschichte Baierns, t. I. (des origines à 1180) etc...
[14] Scheyern, bailliage de Mühldorf, arrondt. de Traunstein, prov. de Haute-Bavière.
[15] Dynastæ de Scheurn.., dans J. Turmair, Annalium Boiorum libri VII, p. 620.—Bibl. Nat. f. fr. 20780, fº 308.
Un siècle après que cet Othon fut mort à la première croisade, les Wittelsbach n'étaient encore que des seigneurs féodaux sans puissance et sans richesse, lorsqu'en 1180 l'empereur Frédéric Ier Barberousse, pour récompenser les services de son grand maître du palais, le comte palatin Othon de Wittelsbach, lui donna le duché de Bavière[16]. Dès lors, et pendant plus de cent cinquante ans, en Allemagne dans les luttes féodales, en Italie contre la Papauté, à la Croisade, on trouve les Wittelsbach aux côtés des Empereurs, les étonnant par leur bravoure, les inquiétant par leur orgueil[17]. Et, en 1273, quand les princes germaniques, las de vingt années de discordes, voulurent mettre fin au grand Interrègne[18], c'est du duc de Bavière, Louis le Sévère, qu'ils prirent conseil comme du plus sage et du plus puissant des Électeurs; ils suivirent ses avis, et Rodolphe de Habsbourg reçut la couronne impériale. Enfin, en 1314, lorsqu'il s'agit de nommer un successeur à Henri VII de Luxembourg, la majorité des Electeurs jugea que des trois familles qui briguaient le trône: Habsbourg, Luxembourg, Wittelsbach, la dernière avait le plus concouru à la grandeur de l'Empire, et le deuxième fils de Louis le Sévère devint l'empereur Louis V.
[16] Voy., pour l'histoire des ducs de Bavière de la famille de Wittelsbach de 1180 à 1375, Riezler, Geschichte Baierns, t. II (de 1180 à 1347) t. III, p. 1-106.
[17] Othon II (le troisième duc) se montrait sans doute trop orgueilleux de la fortune rapide de sa Maison, car l'empereur Frédéric II en prit ombrage, et lui rappelant ses origines lui écrivit: «Avez-vous oublié que mon aïeul et moi nous vous avons tirés vous et votre grand'père de la poussière pour vous élever au faîte de la grandeur!»
[18] L'interrègne durait depuis la mort de Frédéric II, 1250.
Ce prince n'eut pas un règne heureux; sans cesse il dut lutter contre des compétiteurs, et, à sa mort, l'un d'eux, Charles de Luxembourg, fut appelé au trône sous le nom de Charles IV (1347).
Louis V, dans le but d'assurer à ses descendants de plus grandes chances à l'Empire, avait ajouté aux domaines des Wittelsbach, le Tyrol avec la Carinthie, le Brandebourg, le Hainaut, la Hollande avec la Zélande et la Frise. Prévoyant qu'une œuvre aussi hâtive pouvait être fragile, il avait, par un pacte, imposé à ses fils l'obligation de maintenir ses possessions indivises. Mais ses héritiers ne respectèrent ses volontés que pendant deux ans; en 1349, il y eut partage; la Bavière fut morcelée et son unité eût été pour toujours compromise, si Etienne II, deuxième fils de Louis V, ne fût parvenu, après quinze années de luttes et de négociations, à réunir sous sa seule autorité les duchés de Haute et de Basse-Bavière (1363).
Prince sage, Etienne II[19] renonça à la politique d'agrandissement; il s'occupa de réparer les maux causés par les récentes guerres, abandonnant la conduite des expéditions lointaines à ses trois fils, Étienne, Frédéric et Jean[20].
[19] Etienne II, appelé par ses contemporains Etienne le Vieux, pour le distinguer de son fils aîné, a été surnommé par les chroniqueurs du XVIe siècle Etienne l'Agraffé ou à l'Agraffe, sans doute à cause d'un portrait où son manteau était attaché par une boucle remarquable. Riezler, Geschichte Baierns.., t. III, p. 105.
[20] Ces trois princes étaient nés du mariage d'Etienne II avec Elisabeth de Sicile, fille du roi de Sicile Frédéric II. La duchesse étant morte en 1349, Etienne II s'était remarié en 1359 avec Marguerite fille de Jean, Burgrave de Nurenberg.
Ceux-ci étaient de caractères très différents[21]. Tandis que Jean, d'humeur pacifique, préférait aux aventures le soin des affaires publiques et n'était passionné que pour la chasse, que Frédéric, très brave, mais prudent, sensé, équitable, passait en Bavière pour le type du prince juste, Étienne, leur aîné, extrême en ses défauts comme en ses qualités, rappelait, beaucoup plus que ses frères, les vieux Wittelsbach.—Il était le plus vaillant et le plus brillant seigneur du duché; le corps toujours alerte, l'esprit toujours en éveil, il rachetait par son agilité, l'exiguité relative de sa taille[22]; partout où il y avait une guerre à soutenir, ou un allié à défendre, il y courait; quand la paix le contraignait au repos, il escortait les grands princes dans leurs voyages, rompant des lances dans tous les tournois. Il se montrait bon envers tous; sa générosité parfois allait jusqu'à la prodigalité; son faste, la magnificence de ses costumes étaient célèbres; chevalier accompli, il adorait les femmes. Sûr de l'affection des Bavarois, il avait en eux toute confiance: un jour que le duc de Milan faisait devant lui étalage de ses richesses, il se vanta de posséder un trésor que tout cet or et cet argent n'égalaient pas: la fidélité de ses sujets; il n'en était pas un chez lequel il n'eût pu dormir en toute sécurité.
[21] Cf. André de Ratisbonne, Chronicon de Ducibus Bavariæ.., (Amberg, 1602, in-4º) p. 96.—Jean Ebran de Wildenberg, Chronicon Bavariæ.., dans Oefele.., t. I, p. 308-312.—Ladislas Sunthemius, Familia ducum ex comitibus de Scheiern, dans Oefele... t. II, p. 568.—Johannes Turmair (Aventin), Annalium Boiorum.., liv. VII, ch. XXI, p. 762.—Johannes Adlzreiter, Annalium Boicæ gentis partes III (Francfort, 1710, in-fº) 2e partie, liv. VI, col. 113.—Le Blanc, Histoire de Bavière.., t. III. p. 253.
[22] «Stephanus parvæ sed procerrimæ fuit quantitatis». André de Ratisbonne, Chronicon de ducibus Bavariæ, p. 96.
Cependant Etienne ne méprisait ni ne dédaignait l'argent; ses ressources étant trop faibles pour satisfaire à ses dispendieuses fantaisies, il avait contracté de grosses dettes, c'est pourquoi, dans les négociations avec les princes ses voisins, il préférait souvent des indemnités pécuniaires à des cessions de villes ou de châteaux, et l'on peut affirmer qu'il accueillit avec un très vif empressement les offres de mariage que fit aux Wittelsbach, en 1365, une opulente famille d'Italie.
Bernabo Visconti, tyran de Milan, qui gouvernait alors, conjointement avec son frère Galéas, les cités de la Lombardie, ambitionnait de soumettre à sa suzeraineté tout le nord de la Péninsule. Ennemi de l'Empereur, en lutte avec le Pape, en guerre avec Florence et Venise, il cherchait des alliances qui pussent à la fois favoriser ses desseins politiques et procurer des établissements à ses enfants. C'est dans l'espoir d'atteindre ce double but qu'en 1365, il portait ses vues sur l'antique Maison de Bavière.
Famille de noblesse urbaine que les hasards des discordes civiles et l'amitié des empereurs d'Allemagne avaient investie du pouvoir, les Visconti n'étaient les maîtres dans Milan que depuis un demi-siècle environ[23]. L'empereur Louis V, en 1327, traitait encore l'un d'eux, Galéas Ier, comme un vassal et le punissait d'un acte de rébellion par l'emprisonnement dans les fours de Monza «où l'on ne pouvait se tenir ni debout ni couché.» Mais depuis, les Visconti avaient amassé des biens considérables; devenus puissamment riches, ils souhaitèrent de s'unir aux anciennes familles princières et ils y réussirent très vite: le roi de France, Jean II, pour payer sa rançon aux Anglais, (1361) consentit «à vendre sa chair» aux tyrans de Milan en donnant sa fille au fils de Galéas II, Jean Galéas, et, en 1364, Albert de Habsbourg, duc d'Autriche, demanda pour son fils Léopold la main de Virida, fille aînée de Bernabo[24].
[23] Sur les Visconti, cf. Art de vérifier les dates.., t. III, p. 642-48.—Bernardino Corio, Storia di Milano.., (Milan, 1855-1857, 3 vol. in-8º), t. II, p. 3-220.
[24] Bibl. Nat. f. fr. 20 780, fº 350 vº.
Les Wittelsbach, plus riches de gloire que de florins, suivirent ces illustres exemples; le 12 août 1365, de doubles fiançailles furent célébrées à Milan: Elisabeth, fille de Frédéric de Bavière et de Anne de Neuffen était promise à Marco Visconti, fils aîné du duc Bernabo;—la fiancée recevait en dot 45 000 florins d'or. En même temps, Thadée Visconti, fille du même Bernabo, était promise à Étienne le Jeune;—la dot de la jeune fille était de 100 000 ducats d'or[25].
[25] Corio, Storia di Milano, t. II, p. 220.—Bibl. Nat. f. fr. 20.7080, fº 350 rº.—J. Turmair Annalium Boiorum, liv. VII, ch. XXI, p. 762.—100 000 florins—ducats d'or équivalaient à 96.250 francs de l'époque, valeur intrinsèque.
Plus d'un an s'écoula entre ces fiançailles et la célébration des mariages[26]. Les noces d'Étienne et de Thadée eurent lieu à la fin de 1366 ou au commencement de 1367; la date est incertaine[27]; nous avons seulement trouvé que le 10 avril 1367, procuration fut donnée par Etienne II pour toucher la dot de sa belle-fille Thadée[28].
[26] Procuration d'Etienne l'Aîné, Etienne le Jeune et Frédéric pour contracter mariage entre le dit Etienne le Jeune et Thaddée Visconti, Burckhausen, 7 octobre 1366.—Procuration de Bernabon et de Marco, son fils, pour le mariage de Thaddée, fille de Bernabon avec Etienne le Jeune duc en Bavière, et de Marco, fils de Bernabon, avec Elisabeth fille de Frédéric, vendredi, 17 novembre 1366. Bibl. Nat. f. fr. 20780, fº 351 rº.
[27] Le mariage d'Élisabeth de Bavière et de Marco Visconti avait certainement été célébré avant le 14 janvier 1367, puisqu'à cette date Bernabo et Marco donnèrent procuration pour recevoir la dot de la jeune fille. Bibl. Nat. f. fr. 20780, fº 351. Les noces d'Étienne le Jeune et de Thadée eurent lieu sans doute quelques mois plus tard, puisque c'est en avril seulement que les princes bavarois demandèrent le paiement de la dot.
[28] Bibl. Nat. f. fr. 20780, fº 351.
Les chroniqueurs bavarois qui signalent le riche mariage d'Étienne le Jeune, ne donnent de détails ni sur le physique, ni sur le caractère de la jeune femme, mais nous savons de quelle race et de quel sang elle était héritière. Les Visconti s'étaient presque tous montrés cupides, fourbes et inhumains. Azzo, chez qui la bravoure s'alliait à la noblesse du cœur était une exception; les autres n'avaient guère triomphé que par la cruauté, comme ce Luchino qui faisait garder la porte de sa chambre par deux énormes molosses auxquels il désignait d'un geste les victimes à dévorer. Mathieu et Galéas, les deux oncles de Thadée, semblaient tourmentés par toutes sortes de passions et Bernabo, son père, le plus emporté et le plus avide des trois, était dévoré d'ambitions inouïes, insatiable de débauches et capable des actes les plus criminels pour entasser des trésors dans ses palais. Il se proclamait pape, empereur et roi sur son territoire et déclarait que «Dieu lui-même serait impuissant à faire quelque chose qu'il ne voudrait pas[29].»
[29] J. Zeller, Histoire d'Italie, (Paris, 1886.) p. 264.
Seulement ces tyrans italiens, féroces et dissolus, goûtaient les jouissances de l'esprit; ils comprenaient et encourageaient les arts; leur luxe était élégant; depuis longtemps, en effet, ils avaient su attirer poètes et savants; ils honoraient la mémoire de Dante, Pétrarque était leur protégé; pour orner leurs palais, ils recherchaient les meilleures œuvres des peintres et des sculpteurs. En vérité, cette suite de seigneurs milanais et la lignée des preux Wittelsbach faisaient contraste. Toutefois, Étienne le Jeune, par son extraordinaire amour du luxe, était digne de Thadée qui ne pouvait comprendre la noblesse sans la magnificence. De leur union vont naître un fils et une fille qui offriront plusieurs des traits du caractère des Visconti allié à celui des Wittelsbach; très accusés chez Louis de Bavière, vrai type du condottiere en Allemagne, ces traits apparaîtront avec un relief moindre dans le personnage si complexe d'Isabeau[30].
[30] Etienne le Jeune avait un fils naturel Jean, dit de Moosburg, qui se rendit fameux par ses prodigalités. Devenu en 1384 évêque de Ratisbonne, il dissipa les trésors de son église, vendit ou engagea ses citadelles pour soutenir l'éclat de sa cour épiscopale. Il mourut en 1409.—Cf. J. Adlzreiter, Annalium Boicæ gentis..., 2e partie, liv. VI, col. 114.—André de Ratisbonne, Chronicon de ducibus Bavariæ, p. 89 et 90.—B. Gams, Series Episcoporum, (Ratisbonne, 1873, in 4º) p. 305.