Isabeau de Bavière, reine de France. La jeunesse, 1370-1405
L'histoire vraie et complète d'Isabeau de Bavière n'a jamais été écrite. En dehors des courtes études que lui ont consacrées Vallet de Viriville et Le Roux de Lincy, l'on n'a, pour se renseigner sur cette reine de France, que les récits fantaisistes de conteurs ou de romanciers qui ne citent point leurs sources, et pour cause. Dans Michelet, dans Henri Martin, Isabeau, il est vrai, apparaît de temps en temps au cours des longues années du règne de Charles VI, mais presque toujours, elle ne fait que traverser la scène comme un personnage épisodique, de sorte que la vie de cette femme reste inconnue alors que son nom est légendaire. Tout le monde sait, en gros, qu'à partir de sa trente-cinquième année, la «Reine Isabeau» devint un monstre de perversité: elle joua un rôle néfaste dans les luttes des Armagnacs et des Bourguignons, elle pressa la conclusion du traité de Troyes qui livrait la couronne de France au roi d'Angleterre Henri V; elle déshérita et renia son fils Charles VII;—le dérèglement de ses mœurs aussi est fameux: celles-ci, paraît-il, étaient à la fois galantes et cruelles; mais la physionomie et le caractère de la princesse bavaroise qui, en épousant Charles VI, fit un beau rêve si vite évanoui, ont été à peine esquissés.
Il nous a semblé qu'il pouvait être utile et intéressant de combler cette lacune et nous nous sommes proposé de dégager la figure d'Isabeau des documents authentiques. Pour accomplir cette tâche, avec quelque chance de succès, nous nous sommes inspiré de la méthode critique enseignée à l'Ecole des Chartes; nous avons, en quelque sorte, fait table rase de nos connaissances superficielles sur la question, et, tout en nous appuyant sur les travaux des historiens qui ont traité des XIVe et XVe siècles, nous avons puisé aux sources originales, étudiant à fond les chroniques françaises et étrangères, les vérifiant l'une par l'autre, les contrôlant, pour ainsi dire, par un examen comparé; nous avons compulsé une grande quantité de documents d'archives presque tous inédits; les écrits littéraires composés à cette époque (œuvres poétiques et satiriques) nous ont été aussi de quelque utilité.
Lorsque nous entreprîmes cet essai, nous n'ignorions, évidemment, aucune des controverses dont le personnage d'Isabeau a été le sujet; mais nous nous sommes tout de suite fait une règle absolue de l'impartialité la plus entière. On trouvera sans doute que, dans notre récit, la part de l'imagination est trop restreinte; on nous reprochera, peut-être, de n'avoir reconstitué qu'incomplètement le cadre où vivait Isabeau: nous répondrons qu'à maintes reprises les documents nous ont fait défaut tout à coup, et nous ne cacherons pas que ces fréquentes solutions de continuité ont rendu souvent très difficile notre travail de biographe; mais, fidèle à notre principe de ne recourir qu'à des textes du temps, nous ne nous sommes jamais permis d'y suppléer par des inventions quand ils manquaient: tous nos efforts ont tendu à ne rapporter et à ne décrire que la réalité. Si donc nous apprenons que le lecteur, en parcourant ce volume, a parfois éprouvé l'impression du vrai historique, nous nous considérerons comme largement récompensé de notre peine et nous continuerons, non seulement avec plus de courage, mais aussi avec quelque confiance, la mise en œuvre des matériaux que nous avons réunis pour une étude «sur le rôle politique et la vie privée d'Isabeau de Bavière régente, puis reine douairière».
Paris, le 24 décembre 1902.