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Jeanne d'Arc et l'Allemagne

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XI
Les Larmes.

Il n’y a que cela ! Tout est vain, excepté les larmes. L’histoire est comme un songe puisqu’elle est bâtie sur le temps qui est une illusion souvent douloureuse et toujours insaisissable, mais certainement une illusion qu’il est impossible de fixer. Chacune des parcelles infinitésimes dont l’ensemble constitue ce que nous appelons la durée, se précipite au gouffre du passé avec une rapidité foudroyante, et l’histoire n’est autre chose que ce fourmillement d’éclairs enregistré dans des pupilles de tortues.

A mesure que l’histoire se déroule, elle devient aussitôt le secret de Dieu, et l’authenticité, même la plus forte, aux yeux du penseur, n’est qu’une opinion probable. Quelque documenté que puisse être un historien, le fait qu’il a devant lui, l’ayant si péniblement ramené, comme une épave, du fond des ténèbres, il sait bien qu’il ne le voit pas. Sa forme essentielle, divine, lui échappe nécessairement. On a des preuves certaines, indiscutables, d’un grand nombre d’événements historiques à des époques bien déterminées ; mais ces preuves, au fond, n’ont pas d’autre consistance que la nécessité absolue de ces événements et de ces époques. Il FALLAIT cela et pas autre chose. Critérium unique.

Jeanne d’Arc aurait pu être délivrée ou rachetée par le roi, — la mort de Jeanne d’Arc n’était pas une conséquence nécessaire de sa captivité, a-t-on dit. Sans doute, mais le contraire est arrivé, parce que ces injustices énormes étaient indispensables à la réalisation d’un plan énormément mystérieux que nous ne pouvons pas connaître.

Voici quelques lignes fortes du capitaine Paul Marin que je ne me lasse pas de citer :

« L’histoire telle que les hommes l’écrivent ! comment la qualifier ? C’est une ébauche de vérité, au prix de l’histoire telle que notre esprit conçoit que Dieu la fera lire au dernier jour, quand se déroulera le livre illustrant en traits de feu les milliards d’images animées, photographiées à chacune des minutes vécues par l’humanité ; livre impartial où chacune des voix personnifiant les milliards d’acteurs des drames passés, répétera, mot pour mot, les paroles d’autrefois ; livre dont le mécanisme défie les enfantillages des parleurs et des microphones ! Ce grand livre d’histoire, le jour où il sera ouvert, permettra de juger, de comparer, de placer Jeanne d’Arc à son rang. Après cette apparition, l’histoire écrite par les historiens,… que sera-t-elle ? Hélas ! moins qu’une torche fumeuse au prix des flots de lumière que verse le soleil, quand il émerge radieux de son Orient. »

Alors, encore une fois, il n’y a que les larmes, quand on est assez aimé de Dieu pour en avoir : Beati qui lugent. Les larmes, il est vrai, brouillent la vue déjà si incertaine, mais la clairvoyance du cœur peut la remplacer avec avantage, et une divination magnifique peut illuminer le pauvre historien. Et puis, à une certaine profondeur déterminée par le gisement des grands morts, on est bien forcé de rencontrer la Solidarité universelle qui nous est cachée par le mensonge social et que dénonce avec tant d’éloquence leur poussière ! C’est cela surtout qui fait pleurer !

On se sent de plain-pied dans cette excessive misère de tous les hommes. L’éblouissement de l’Héroïsme ou de la Beauté a disparu. Qu’il s’agisse de Charlemagne, de Napoléon ou de Jeanne d’Arc, on ne voit en eux que des proches, de très humbles frères dans l’immense troupeau des cohéritiers de l’Expulsion. Les chants de gloire, les cris d’enthousiasme, les acclamations populaires n’existent plus, n’existèrent jamais que dans un rêve qui s’est dissipé. Il n’y a plus que des larmes de pénitence, de compassion, d’amour ou de désespoir, fleuves lumineux ou sombres qui vont aux golfes inconnus.

Jeanne pleura de pitié sur la France que dévastaient les Anglais. En quelque lieu que soit son âme, ne pleure-t-elle pas maintenant d’une compassion plus grande sur la même France immolée par de plus féroces barbares ?

En 1846, il y eut les Larmes prophétiques de la Mère de Douleur qui pleurait sur sa Montagne, en suppliant son peuple d’avoir pitié de lui-même, et ces Larmes saintes, qui devaient être si criminellement dédaignées, ne purent tomber jusqu’à terre. Les Témoins ont dit qu’elles remontaient vers le ciel. Il faut donc aujourd’hui les larmes de plusieurs millions de mères ou de veuves pour les remplacer, et c’est probablement tout ce qui restera de notre histoire contemporaine qui paraît déjà le plus effrayant des songes !

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