Jeanne d'Arc et l'Allemagne
IV
« Dii estis ».
Ame joyeuse, adolescente, magnifique ! La surprise et l’épouvante anglaises furent indicibles. On avait jugé la France caduque, sinon tout à fait défunte, et voici qu’elle apparaissait, éblouissante de jeunesse.
Aucune nation n’avait été vue ainsi dans aucun temps. L’Angleterre elle-même qui prétendait la dominer, ne se souvenait pas d’avoir été jeune, étant une bâtarde issue de très vieux peuples dont elle avait porté, en naissant, la décrépitude. Mais celle-ci ne semblait presque pas de ce monde et on pouvait la croire « sans père ni mère, sans généalogie, sans commencement ni fin de ses jours », comme le mystérieux roi de Salem que saint Paul « assimilait au Fils de Dieu ».
Apparition vraiment surnaturelle que cette bergère de Domremy qui incarnait la France et qui ne devait pas vieillir ! « Il n’est pas possible », disaient les Anglais, « que cette fille appartienne à l’humanité ! C’est une créature du Diable ! c’est une sorcière ! » Et ils s’obstinèrent dans cette pensée, refusant de croire qu’on pût être si jeune et si invincible.
Telle est, aujourd’hui, la déception mortelle de l’Allemagne, trop sénile et trop balourde, cependant, pour croire aux démons qui la possèdent manifestement. La renégate meurtrière s’étonne de trouver adolescente et redoutable une France qu’elle présumait cassée de vieillesse. Il y a là quelque chose qu’elle ne parvient pas à démêler, mais la rage barbare qui l’a poussée à détruire la ville de Reims trahit la plus significative inquiétude.
Instinctivement, sans savoir et sans comprendre, — comme les animaux du désert sentent de très loin une source vive qu’ils vont piétiner — les brutes allemandes se sont précipitées vers la Basilique merveilleuse qui fut un jour le cœur de la France, lorsque Jeanne d’Arc y faisait sacrer son roi. Sans doute, il y a cinq cents ans de cela et Jeanne d’Arc a changé de lieu, à l’instar du « passereau qui transmigre dans la montagne ». Il n’y a pas de roi non plus. Les rois se sont dissipés eux-mêmes en descendant au niveau des foules. N’importe, il y avait peut-être là, pour les bisons dévastateurs, quelque reste précieux de cet élixir de longue vie et de jeunesse éternelle qui étonna les Anglais. Il fallait que cela n’existât plus et que Jeanne fût tuée de nouveau, tuée par le feu, si c’était possible encore.
Mais la Pucelle, c’est la passiflore immarcessible et elle ne passera pas plus que la Parole de Dieu. Les barbares finiront peut-être par le comprendre, lorsque le feu dont ils auront abusé si cruellement se retournera contre eux, éclairant leurs faces atroces et l’impérissable figure de la vierge qu’ils insultaient.
Ce privilège exclusif de la France est un mystère. Quels que soient ses infidélités ou ses crimes, elle est rédivive sous le couteau du châtiment… Regardez donc et songez donc ! Dieu n’a que la France ! Si elle périssait, la Foi subsisterait peut-être encore quelque part, fût-ce dans un coin du pôle, avec la frileuse Charité, mais il n’y aurait plus d’Espérance !…
Le temps est une imposture de l’Ennemi du genre humain que désespère la pérennité des âmes. Nous sommes toujours au quinzième siècle, comme au dixième, comme à l’heure centrale de l’Immolation du Calvaire, comme avant la venue du Christ. Nous sommes réellement dans chacun des plis du tablier multicolore de l’antique Histoire. Malgré la mort, nous sommes éternels, en une manière, étant des Dieux, ainsi qu’il est affirmé : Ego dixi : Dii estis. Si on ne pense pas à la France, que signifie cette Parole de l’Esprit-Saint ? L’Humanité n’est explicable et plausible que par la France. Arbor de fructu suo cognoscitur. Elle est le fruit de l’arbre des nations. Tout a été fait pour elle, afin qu’un jour tout soit fait par elle.
La Race juive qui fut autrefois le Peuple de Dieu et qui l’est encore au sens mystique, étant, par nature, sacerdotale et inhérente à la Sainteté, comme l’accident à la substance ; la Race juive, devenue pénitente mondiale, étonne la terre depuis vingt siècles par sa persistante et vermineuse paralysie, en attendant l’heure où son Premier-Né lui commandera de se lever et d’emporter son « grabat » dans sa maison. Mais la France est une adoptive secrètement préférée depuis toujours et qui n’aura jamais besoin de grabat, devant ignorer la paralysie.
Elle a partout ses profondes racines : dans l’ancienne Asie, dans les hypogées de l’Égypte, dans les antres de la Thessalie, dans les Catacombes de Rome, probablement même au cœur de l’Atlantide engloutie et sous les massifs impénétrables de l’Éden perdu. Elle se souvient d’avoir adoré et brisé toutes ses idoles, y compris sa propre image, étant à la fois indocile et spirituelle, mutinée et repentante, comme ces enfants de l’amour qu’il est difficile de punir.
Elle a été punie, cependant, durement punie quelquefois. Elle l’est aujourd’hui, elle le sera demain, très probablement, et le Bras qui tombera sur elle sera plus lourd que le bras atrophié de l’empereur allemand. N’importe, il lui sera tout pardonné à la fin, parce qu’elle a beaucoup plus aimé qu’aucune autre et que sa radieuse jeunesse est irrésistible autant que son courage.
Que voulez-vous que puisse contre une nation qui a enfanté Jeanne d’Arc la horde crapuleuse éclose avant-hier sur le fumier luthérien et qui, dans quelques jours, ne sera plus qu’une chaîne de montagnes de charognes ? Un pire danger la menace et le plus grand miracle ne sera pas trop pour l’en préserver. Il le faut absolument, vous le savez bien, ô Christ glorieux ! l’amnistie plénière de cette Madeleine du Jardin de la Résurrection étant aussi nécessaire à votre magnificence que l’équilibre du firmament !