Jeanne d'Arc et l'Allemagne
Conclusion.
La Croix de bois
et
la Croix de fer.
Lorsque Jeanne d’Arc fut conduite au bêcher, elle demanda une croix pour la contempler dans ses derniers moments. Un Anglais en fit une avec deux morceaux de bois et la lui présenta.
Cet Anglais, moins méchant que les autres, qui représentait alors toute l’Angleterre catholique encore, malgré tout, aurait pu dire à la martyre, comme le prêtre s’adressant au peuple, le Vendredi Saint, à l’Adoration de la Croix : Ecce Lignum Crucis : « Voici le Bois de la Croix où est pendu le salut du monde. »
A ce moment la Pucelle comprit ce que les Saintes lui avaient annoncé de sa délivrance et de sa suprême victoire, et elle cria du milieu des flammes que ses Voix ne l’avaient pas trompée. Cette illuminative croix de bois fabriquée par un goujat compatissant était la récompense terrestre de ses exploits et de ses vertus. Elle lui suffisait pour mourir.
Le Goujat haineux et cruel qui est empereur de l’hérétique Allemagne offre aujourd’hui la Croix de fer aux assassins et aux incendiaires pour les récompenser de leurs crimes et il la leur donne devant le brasier des villes en feu, les pieds dans le sang des populations égorgées. Ce symbole des Hohenzollern, cette apostate croix de fer est un prestige sûr pour exalter jusqu’à la démence la férocité naturelle de ses soldats. Au lieu du salut du monde, c’est la ruine et le désespoir qui sont attachés à ce signe d’où tombent les ténèbres. Et quelles ténèbres !
C’est le chef-d’œuvre de Luther, cent ans après que la Fleur du Moyen Age avait été suffoquée dans les flammes horribles d’un bûcher, d’avoir substitué à la douce Croix de bois qui avait consolé les peuples et fortifié les Martyrs, cette croix de fer implacable dont le monde est épouvanté. Ce que les démons du Nord ont voulu nommer la culture allemande est, à quatre siècles de distance, la maturité complète, obtenue enfin, du fruit de l’arbre maudit où se pendit le mauvais apôtre. C’est l’épanouissement définitif et suprême du luthéranisme.
Luther enseigne, par exemple, que les clercs concubinaires se réformeront en faisant de leur désordre même la règle générale. Méthode de réforme particulièrement adaptée au génie germanique, ainsi que l’a fait remarquer avec profondeur, dans ses conférences sur la philosophie allemande, Jacques Maritain, l’adversaire victorieux et déjà célèbre de Bergson.
« Le mal existe ? Nous le déclarons légitime et nécessaire par lui-même. Nous placerons même son premier fondement en Dieu, comme faisait Jacob Bœhme. Voici le moi allemand avec ses instincts de nature ? Nous le proclamons, avec Fichte, le type humain par excellence, auquel tout doit céder. Voici la guerre qui réveille toujours, en fait, des impulsions barbares ? Nous ferons de la barbarie la règle même de la guerre qui sera d’autant meilleure qu’elle sera plus barbare. »
Au résumé : « Révolte de l’Allemagne contre la chrétienté, voilà tout le fond de la Réforme… Ce qui était rebut et déchéance pour le catholicisme est devenu norme et fondement dans le protestantisme et, par lui, dans le monde et la pensée moderne… L’exercice de la haine et de la cruauté regardé en lui-même comme un office de religion, accompli au nom du Christ et de l’Évangile. Dieu avec nous, Gott mit uns !… Telle est l’Allemagne de Luther, l’Allemagne que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui, pour laquelle suivre les instincts de convoitise, de mensonge, de haine et de luxure, c’est être avec Dieu. »
Telle fut l’œuvre de Luther qui trouva une Allemagne si bien préparée à recevoir sa doctrine qu’aussitôt après le début de son apostolat, entre 1525 et 1530, il put en constater lui-même les effets. Voici les propres paroles de ce patriarche de la culture allemande : « Aujourd’hui, les nôtres sont sept fois plus mauvais qu’ils ne l’avaient jamais été auparavant. Nous volons, nous mentons, nous trompons, nous mangeons et buvons avec excès et nous nous adonnons à tous les vices… Nous autres Allemands, nous sommes devenus la risée et la honte de tous les peuples ; ils nous tiennent pour des pourceaux ignominieux et obscènes… Si l’on voulait maintenant peindre l’Allemagne, il faudrait la représenter sous les traits d’une truie. » Et le même Luther qu’on croit entendre parler en 1915, du fond de son gouffre, déplore, sans aucune sincérité d’ailleurs, « d’être né Allemand, d’avoir parlé et écrit en allemand, et il désire mourir pour ne pas assister au châtiment divin prêt à tomber sur l’Allemagne ».
On remplirait un volume de ces témoignages de Luther qui ne connut jamais le repentir, mais qui espérait peut-être sauvegarder ainsi sa mémoire, en même temps qu’il se réjouissait comme un démon de l’avilissement épouvantable dont il avait été l’artisan. Pour une nation de brutes cultivées en tant que brutes, il s’agissait donc uniquement de devenir la plus forte matériellement et de mériter la Croix de fer qui est le signe de la force matérielle. C’est l’Allemagne contemporaine contre laquelle doivent s’armer aujourd’hui toutes les puissances de la terre.
Les horreurs actuelles ont un aspect d’apocalypse qui se précisera davantage encore, on peut le prévoir. Mais la Croix de fer sera vaincue à la fin par la Croix de bois, parce que celle-ci est le choix de Dieu et le signe de sa dilection. Il se peut, au cours des événements inimaginables dont la présente guerre paraît être seulement le prélude, que la France monte à son tour sur le bûcher de l’Héroïne, condamnée comme elle par ses prêtres apostats qui ont renié la Mère de Dieu lorsqu’elle pleurait sur la Montagne de la Salette, en les accusant. Oui, la France, responsable toujours de ses chefs spirituels, pourrait bien être condamnée, par leur infidélité criminelle, à périr dans d’horribles flammes. Il lui resterait alors la pauvre Croix de bois de Jeanne d’Arc dont elle ne veut pas en ce moment, mais qui la sauverait miraculeusement à la dernière heure pour que le genre humain ne fût pas perdu.
La Croix des indigents et des vagabonds, la douce Croix des vieux chemins dans les campagnes, l’accueillante Croix des miséreux, des courbatus, des pieds en sang, des cœurs en larmes, de ceux qui ont été mordus par les serpents du désert et qui guérissent de leurs blessures en la regardant, la Croix de misère et de gloire !
Bourg-la-Reine, 6 février 1915.