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Jeanne d'Arc et l'Allemagne

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XII
« Évêque, je meurs par vous ! »

Au moment de parler des juges de Jeanne d’Arc, et afin de retarder encore un peu cette révoltante besogne, il paraît expédient de mentionner le fait assez peu connu que voici.

Après l’inique sentence de relapse qui livrait la sainte au bourreau séculier succédant aux bourreaux ecclésiastiques, et jusqu’à la dernière minute de la dernière heure, il fut possible de la sauver.

Il existait à Rouen un antique usage, privilège royal en des mains ecclésiastiques « vrayment admirable et unique en son espèce et qui, pour ceste cause, mérite d’être recognu de tous, mesmement en ceste France… » a dit l’historien Pasquier. « Je puis dire, et en pétille qui voudra, qu’en toute l’ancienneté, vous n’en trouverez un semblable. » C’était le célèbre privilège de saint Romain que les Anglais, en politiques habiles, avaient déclaré « vouloir maintenir et défendre en l’honneur et révérence du glorieux patron de la ville », privilège que le peuple avait en singulière dévotion et qui devait se perpétuer jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, malgré les droits du pouvoir royal et les susceptibilités des corps judiciaires.

En vertu de ce privilège de la fierte, le chapitre de la cathédrale déclarait, chaque année, à la fête de l’Ascension, un prisonnier libre et absous, dans une cérémonie à laquelle prenait part tout le clergé de la ville, escortant en grande pompe la châsse de saint Romain « levée » par le prisonnier, que l’Église venait de rendre à la vie et à la liberté.

En 1431, l’Ascension tomba le 10 mai. Qu’eût fait le gouvernement anglais, si le chapitre eût désigné Jeanne ? Et qu’eût fait le peuple de Rouen, si le gouvernement anglais eût refusé Jeanne au chapitre ? De précédents refus avaient ensanglanté la ville. Mais le courage manqua au chapitre et, cette année-là, par une ironie vraiment amère, au lieu de cette vierge innocente, le clergé désigna un prisonnier vulgaire, coupable de viol ! Le rapprochement avec Barabbas s’impose ici, formidablement.

La couardise générale déterminée par la férocité anglaise à l’égard de la Pucelle est un des traits les plus remarquables de l’histoire de la France au quinzième siècle. Il y a peu d’exemples d’une telle défaillance de tous les courages. Fallait-il que Jeanne fût un holocauste nécessaire ! Et combien dut être voulu de Dieu ce comble d’iniquité qui provoquait sa justice pour le châtiment de l’Angleterre, en même temps qu’elle procurait à sa victime la plus haute gloire ! L’exécrable guerre de Cent ans qui allait s’éteindre était un terrible compte à régler et le martyre de Jeanne d’Arc comblait la mesure.

On sait la fin misérable de ses juges les plus acharnés et celle de quelques-uns des puissants dont ils avaient été les serviteurs vêtus d’infamie. Nous y reviendrons. Mais la justice divine exigeait la tête et les entrailles de l’Angleterre, comme elle exigera demain la tête et les entrailles de l’Empire allemand. Henri VI, roi légitime d’Angleterre par la mort d’Henri V son père, et roi prétendu de France par la mort de son aïeul Charles VI, n’avait pas dix ans lorsque Bedfort son oncle et le cardinal de Winchester son grand-oncle, auteurs véritables de la condamnation de Jeanne d’Arc, le conduisirent à Rouen pour que cet enfant présidât nominativement au procès abominable et, dans l’espoir de lui gagner un royaume, ayant tenu à l’engager personnellement dans leur forfait.

Or, voici la sentence que, sans le savoir, prononcèrent les juges prévaricateurs. Henri VI ne perdrait pas seulement le royaume de France. Des deux couronnes qui avaient été placées sur son berceau, aucune, à sa mort, ne lui resterait. Après quarante années d’une guerre civile affreuse, la Rose blanche triompherait enfin, et ce triste monarque, depuis longtemps le jouet ou l’instrument des factions, mourrait à cinquante ans, dans la Tour de Londres, prisonnier et victime de Glocester, exemple fameux de la malédiction qui frappe les races royales après de grands crimes.

Quant à la nation anglaise, il lui faudrait, avant un siècle, expier hideusement par l’apostasie. Le Tudor théologien et paillard naîtrait bientôt et celui-là vengerait Jeanne d’Arc à sa manière, en prostituant son peuple à la vache aride tout en or. Cela se ferait en un clin d’œil, ad nutum regis, presque sans martyrs, pour la durée de combien de siècles ? Du matin au soir, un certain jour, tout ce royaume qui fut, autrefois, l’Ile des saints, serait hérétique par l’effet d’une obéissance ignoble…

« Je sais que les Anglais seront tous boutés hors de France », avait dit Jeanne à ses juges, « tous, excepté ceux qui y mourront. Je le sais par révélation aussi clairement que je vous vois… Écrivez-le, afin que quand ce sera advenu, on ait mémoire que je l’ai dit. » Hors de France ! Douze ans plus tard, après la bataille de Castillon et la mort du vieux Talbot, cette prédiction était visiblement accomplie. Mais, dans la bouche de Jeanne si injustement et si cruellement condamnée, une telle menace pouvait-elle signifier moins que l’expulsion du Royaume de Jésus-Christ, expulsion spirituelle, expulsion des âmes, dans le sens le plus étendu !

On est ou on pourrait être porté à croire que le procès de Jeanne d’Arc, assez ignoré de la multitude et connu seulement par quelques réponses fameuses de l’héroïne, est entaché de fraudes et d’irrégularités monstrueuses. Il n’en est rien. La minute du jugement a été conservée et il paraît que c’est une pièce tout à fait irréprochable. « Rédigée sous la haute direction de Cauchon », a écrit un magistrat éminent, « cette œuvre fait honneur à son patriotisme anglais, à sa science juridique et à ses talents littéraires. Il est difficile d’en trouver une autre aussi révoltante au fond et aussi habilement cachée sous des dehors hypocrites. Respect apparent des formes, observation scrupuleuse des droits de la défense (rendus illusoires, en fait, par le refus obstiné de tout défenseur), rien n’y manque. Mais que peuvent les formes où n’est pas l’esprit ? Qu’on imagine aujourd’hui tout un personnel judiciaire s’entendant pour accabler l’innocence : un procureur, un juge d’instruction, une chambre d’accusation, un procureur général, une cour d’assises, un jury. L’innocence pourrait être condamnée dans les règles. C’est le cas de Jeanne d’Arc. Quand le registre qui contenait la minute de l’instrument authentique, eut été achevé, il fallut s’occuper d’en faire des copies ou expéditions. Cauchon eût pu n’en demander qu’une, comme il arrive pour tant de procès. Et alors cette expédition perdue, ce procès, la grande gloire de Jeanne d’Arc, pouvait disparaître à jamais. Il n’en fut pas ainsi et ce fut l’évêque lui-même, circonstance étrange, qui prit les précautions nécessaires pour immortaliser sa propre infamie et la gloire de sa victime. Les greffiers eurent de lui l’ordre d’en dresser cinq expéditions. »

Ce serait une erreur de croire que Cauchon était une mitre quelconque. Pierre Cauchon, « révérend père en Christ, par la divine miséricorde, évêque de Beauvais », était, au contraire, un des plus célèbres docteurs de son temps, licencié en droit canon, maître ès arts, docteur en théologie, ancien recteur de l’Université de Paris et conservateur de ses privilèges ; grand praticien en matière de droit, ce que le procès qui a voué son nom à l’ignominie suffirait à établir, et l’un des universitaires les plus engagés dans la cause antinationale. Bombardé à l’épiscopat par la faction bourguignonne en récompense de son zèle à entreprendre la justification du crime de Jean sans Peur au concile de Constance, excommunié à Bâle, anathématisé plus tard par la cour de Rome, suspect d’hérésie et notoirement rebelle à l’autorité du Saint-Siège ; — où l’Angleterre des Lancastre et de la Rose rouge, apostate future et déjà pressentie, aurait-elle pu trouver un plus désirable serviteur ?

Jeanne d’Arc fut vouée à une mort certaine le jour où Bedfort et le cardinal d’Angleterre eurent décidé de la livrer à Cauchon. Ce qui suivit fut affaire de forme et de temps. Pour reprendre une hypothèse émise plus haut, qu’on imagine un procès capital où chacun des membres du jury aurait la certitude absolue de voir confisquer tout son bien et d’être lui-même écorché vif, au cas d’un verdict favorable à l’accusé ou seulement invocateur de circonstances atténuantes, on aura, dans toute son exactitude, la situation des juges ou assesseurs délibérants au nombre de plus de soixante, par qui Jeanne devait être condamnée. Cauchon était le premier homme du monde pour mener ainsi ce troupeau.

Il est hors de doute que tous ceux qui condamnèrent Jeanne d’Arc ou qui la laissèrent condamner étaient absolument sûrs de son innocence et que tous portèrent, jusqu’à la fin de leur vie, la honte et le remords d’avoir participé à cette forfaiture. Cent témoignages ultérieurs l’ont démontré surabondamment. Cette unanimité de bassesse ou de lâcheté est une sorte de prodige qui déconcerte. On a peine à concevoir cette multitude de prêtres, chacun d’eux célébrant, chaque jour, les saints Mystères — on le suppose du moins — et, la bouche pleine du Sang du Christ, consentant de propos délibéré, sciens et prudens, à porter, trois mois, l’énorme fardeau de cette effroyable complicité !

La plupart connaissaient assurément ce que Jeanne appelait le Livre de Poitiers, réclamé par elle tant de fois au cours de ses interrogatoires, c’est-à-dire le registre de la première enquête qui lui avait été si favorable à Poitiers et dont la production à Rouen l’eût si pleinement justifiée ! Ce document avait dû être criminellement anéanti à l’instigation de Regnauld de Chartres.

Quelques-uns, torturés sans doute par leur conscience, joignirent à leur adhésion cette réserve timide qui trahissait leur angoisse, en aggravant leur injustice : « A moins que les révélations de cette fille ne viennent de Dieu, ce qui n’est pas présumable. » D’autres qui font peur, en proie au vertige de la prévarication, devinrent enragés, tel ce chanoine de Rouen qui avait accablé la sainte et qui, témoin de son supplice, quelques jours après, disait en pleurant : « Plût à Dieu que mon âme fût où est son âme ! »

Parmi ces docteurs et maîtres « n’ayant devant les yeux que Dieu et la vérité de la foi », il serait injuste, à ce propos, de ne pas faire mention spéciale de Guillaume Évrard, théologien bourguignon et prédicateur vanté qui, ayant été choisi par l’évêque pour un sermon où il fallait anathématiser Jeanne, poussa le zèle de la couardise jusqu’à feindre contre elle, dans son discours, l’indignation la plus généreuse. Celui-là, aussi, dut verser des larmes devant le bûcher. Tous les crocodiles pleuraient, dit-on, et Cauchon lui-même, d’après un témoin.

Deux seulement, déjà convoqués et dans les griffes du démon de Beauvais, refusèrent de prendre part au procès. Le premier, Nicolas de Houppeville, vieux théologien de 65 ans, aima mieux se faire jeter en prison sans jugement par l’ordre de Cauchon qui faisait exactement tout ce qui lui plaisait. Le second, maître Jean Lohier, eut le rare bonheur de pouvoir fuir, le même Cauchon voulant qu’on le jetât dans la rivière. Le témoignage du greffier Manchon au sujet de ce personnage, vingt ans plus tard, éclaire singulièrement le ténébreux drame :

« Iceluy, maître Jean Lohier, quand il eut vu le procès — ce qui en étoit écrit déjà — il dit qu’il ne valoit rien pour plusieurs raisons. Premièrement, pour ce qu’il n’y avoit point forme de procès ordinaire. Item, pour ce qu’il étoit traité en lieu clos et fermé où les assistants n’étoient pas en pleine et pure liberté de dire leur pleine et pure volonté. Item, pour ce que l’on traitoit en icelle matière l’honneur du Roi de France duquel elle tenoit le parti, sans appeler le Roi ni aucun qui fût de par lui. Item, pour ce que libellé ni articles n’avoient point été baillés et si n’avoit quelque conseil icelle femme qui étoit une simple fille, pour répondre à tant de maîtres et de docteurs, et en grande matière, par espécial celles qui touchent ses révélations, comme elle disoit. Et pour tout ce, lui sembloit que le procès n’étoit valable. Desquelles choses monseigneur de Beauvais fut fort indigné contre ledit Lohier et il dit aux maîtres : « Voilà Lohier qui nous veut bailler belles interlocutoires en notre procès. Il veut tout calomnier et dit qu’il ne vaut rien. On voit bien de quel pied il cloche !… » Le lendemain, je parlai audit Lohier et lui demandai ce qu’il lui sembloit dudit procès et de ladite Jehanne. Il me répondit : « Vous voyez la manière dont ils procèdent. Ils la prendront, s’ils peuvent, par ses paroles. Il semble qu’ils procèdent plus par haine qu’autrement, et pour cette cause, je ne veux plus être ici. »

Mais tous ne pouvaient fuir et tous tremblaient, excepté ceux qui avaient condamné Jeanne avant qu’elle fût prise et qui, la tenant dans leurs mains, ambitionnaient de la brûler pour être agréables aux Anglais que cela seul pouvait satisfaire, et obtenir d’eux, par ce moyen, de fameuses récompenses.

Celui qui tremblait le plus, c’était précisément l’homme indispensable sans lequel Cauchon n’aurait pu rien faire, Jean Lemaître, inquisiteur commis au procès. Il refusa longtemps d’y prendre part, mais on lui fit entendre clairement que s’il continuait, il y avait pour lui danger de mort. Il ne se décida que sous la pression des Anglais et on le vit constamment en proie à une terreur extrême. « Je vois bien », disait le pauvre homme, « qu’il y va pour moi de la vie, si je ne me rends pas à leur volonté. »

En outre, et sans insister plus longtemps sur les couards ou les ambitieux de plus ou moins d’envergure, l’évêque de Beauvais avait à sa dévotion de très précieuses canailles et d’inestimables chenapans sacerdotaux. L’histoire a conservé le nom de messire Jean d’Estivet, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais, constitué promoteur ou procureur général de la cause, à raison de la « fidélité, probité, connaissance, suffisance et idonéité de sa vénérable et discrète personne », auteur de ce libelle ou réquisitoire, épouvantable d’imposture et d’hypocrisie, qui tua l’héroïne. On ignore quelle pouvait être l’ambition de cet admirable scélérat. Peut-être faisait-il le mal pour le mal, en artiste. Quoi qu’il en soit, on sait sa récompense qui ne se fit pas attendre. Quelques jours après le bûcher, on le trouva mort à l’une des portes de Rouen, étouffé dans un bourbier.

Il y eut aussi Loyseleur, le prêtre espion abusant du sacrement de pénitence pour trahir Jeanne dans sa prison, où l’évêque avait habilement dissimulé des écouteurs. Cet abominable individu, fuyant le lieu du crime comme un maudit, s’en alla crever à Bâle d’une apoplexie foudroyante.

Les autres qui soulèvent le cœur, même après ceux-là, reçurent des salaires analogues et leur mémoire ne vaut pas l’encre qui servirait à écrire leurs noms.

L’antique Université de Paris, vénérée dans le monde entier, ne manqua pas une si belle occasion de se déshonorer à jamais. Cette université tout anglaise par ses sentiments, avait fait cadeau à Cauchon d’une demi-douzaine de ses plus illustres docteurs. Ils furent, paraît-il, les plus acharnés et les plus retors. On se représente la situation d’une simple fille de la campagne, ignorante autant qu’il se peut des formes judiciaires et des captieuses manigances de la théologie, en présence de cette meute de savants haineux et perfides, privée de conseil et forcée de défendre, seule contre tous, son âme limpide !

Elle pouvait se souvenir de l’avertissement évangélique : « Ne préméditez pas vos réponses. Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront résister et qu’ils ne pourront contredire. » — « Très-doux Dieu », disait-elle, « en l’honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous m’aimez, que vous me révéliez comment je dois répondre à ces gens d’église. » On connaît ses admirables et candides réponses qui contraignirent la pieuse et docte synagogue à se dévêtir effrontément, effroyablement devant la postérité… « Jeanne », a dit un témoin, « n’aurait pu se défendre comme elle l’a fait, dans une cause si difficile, contre tant et de si grands docteurs, si elle n’eût été inspirée. »

Et quelle déchirante pitié cela devait être ! Chaque interrogatoire durait trois, quatre heures et même plus, préalable supplice infligé presque quotidiennement à une captive sans défenseur, exténuée de misère dans une prison infecte où veillaient sur elle, jour et nuit, des gardiens choisis parmi les plus horribles crapules de l’armée anglaise. Cela, par la volonté formelle du « Révérend Père en Christ » qui espérait sans doute, charitablement, la réduire par l’inanition et le désespoir. Il fut même question de la soumettre à la torture et on eut l’inqualifiable méchanceté de la placer en face des instruments, abomination qui fit horreur au bourreau lui-même. Les avis ayant été recueillis, on y renonça, l’un des opinants ayant fait observer qu’il ne fallait pas qu’un procès « aussi bien fait » pût donner prise à la calomnie.

« Le travail assidu de votre vigilance pastorale », écrivait à Cauchon l’Université de Paris, « paraît excité par la ferveur immense de votre très singulière charité ; votre sagesse éprouvée ne cesse d’être l’appui le plus fort de la foi sacrée ; votre expérience toujours en éveil vient en aide à votre pieux désir du salut public… Nous nous empressons d’adresser les plus larges actions de grâce à Votre Seigneurie dont le zèle ne sommeille pas un instant au cours de ce procès fameux, entrepris pour l’exaltation du Nom Divin, l’intégrité et la gloire de la foi orthodoxe et l’édification la plus salutaire de tout le peuple fidèle… Que le Prince des pasteurs, lorsqu’il se montrera à elle, daigne accorder à votre révérée sollicitude une couronne de gloire immarcessible. » !! !

Jeanne d’Arc, objet de cette sollicitude, se sentit perdue. Son innocence lumineuse pénétra du premier coup le cœur misérable de son juge. C’est à lui surtout que vont ses réponses, les autres ne pouvant être à ses yeux purs que les valets infiniment lamentables de son bourreau :

«  — Si vous étiez bien informé sur mon compte, vous devriez me vouloir hors de vos mains. — Prenez bien garde à ce que vous dites que vous êtes mon juge. Je vous le dis, vous prenez une grande responsabilité de me charger ainsi. — Je suis venue de par Dieu, je n’ai rien à faire ici. — Vous dites que vous êtes mon juge ; je ne sais si vous l’êtes ; mais avisez bien à ne pas mal juger, car, en vérité, je suis envoyée de par Dieu et vous vous mettriez en grand danger ; et je vous en avertis, afin que si Notre-Seigneur vous en châtie, j’aie fait mon devoir de vous le dire. — Je m’attends de tout à Dieu mon créateur. Je m’attends à mon Juge. C’est le roi du ciel et de la terre. — J’ai souvent, par mes Voix, nouvelles de vous, monseigneur de Beauvais. »

Si on considère que Cauchon savait mieux que personne la parfaite innocence de celle qui lui parlait ainsi, on est forcé de se demander en tremblant ce que pouvait être après cela le sommeil de Sa Seigneurie et de quel front il put accueillir le suprême adieu de sa victime, quand on la conduisait au bûcher : « Évêque, je meurs par vous ! J’en appelle de vous, devant Dieu ! »

D’ailleurs, tout le long de cet horrible procès de ténèbres et de damnation, à supposer que le maudit eût un reste de conscience et un cœur capable encore de palpiter, ne fût-ce qu’à la façon des cœurs des chiens affectueux, comment eût-il pu ne pas sentir un petit souffle d’angoisse, en écoutant les gémissements de cette brebis du Bon Pasteur qu’on égorgeait en sa présence et par son ordre :

— Voulez-vous donc que je parle contre moi-même ? — Seriez-vous content que je me parjurasse ? — Ah ! vous écrivez bien tout ce qui est contre moi et vous ne voulez pas qu’on écrive ce qui est pour moi !

Cette dernière plainte, à l’occasion de la défense faite par Cauchon au greffier d’enregistrer une déclaration qui pouvait lui être profitable. « Taisez-vous, au nom du diable ! » cria le pontife à quelqu’un qui tentait d’intervenir. Cela était si fort que, malgré la peur générale, il y eut un long murmure…

« Je m’en attends à Notre-Seigneur », disait-elle avec résignation lorsque, abusant de ses paroles, on cherchait à la mettre en contradiction avec elle-même. Il y eut des Anglais pour applaudir à son courage. « Vraiment, c’est une brave femme ! Que n’est-elle Anglaise ! » s’exclama l’un d’eux.

Le Révérend « Père en Christ » ne broncha pas quand, n’espérant plus rien en ce monde, elle demanda une sépulture chrétienne : « Si mon corps meurt en prison, je m’attends que vous le fassiez mettre en terre sainte. Si vous ne l’y faites mettre, je m’en attends à Dieu ! » Il savait si bien que le corps de la vierge merveilleuse n’aurait aucune sépulture.

Jeanne d’Arc, en effet, a eu ce privilège de ne pas subir la corruption du tombeau. Peut-être aussi n’y avait-il plus de terre sainte en un royaume où cet épouvantable prêtre avait marché !

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