La Guyane inconnue: Voyage à l'intérieur de la Guyane française
CHAPITRE X
TOUJOURS EN FORÊT. — PLACERS AURIFÈRES
Nous montons la berge : au-dessus, c’est une place de terre battue, assez large, terminée par des magasins et des carbets, un petit village. Nous allons trouver le chef magasinier : « N’avez-vous pas reçu des instructions du directeur du placer Saint-Léon pour nous recevoir ? — Non. — Vous ne nous attendiez pas ? — Non. — C’est pourtant vous qui nous avez envoyé un canot au dégrad Souvenir. — Ah ! c’est vous ! — Vraiment ! Il serait temps de vous en douter. » C’est ainsi que nous sommes reçus ; mais, ici, il ne faut désespérer de rien. On vide aussitôt un magasin pour faire place à nos hamacs, et nous commençons notre popote, car rien n’est préparé pour nous. Tout le monde ici a déjà dîné. D’ailleurs, il ne faudrait pas croire que la rencontre de ses semblables dans le bois en Guyane suffit pour procurer à manger. Ce serait plutôt le contraire ; le nouveau venu est censé le plus riche. Chacun pour soi ; donnant, donnant ; rien n’est dû. Chacun sait trop bien le prix de ses provisions et de sa vie pour les gaspiller.
Nous sommes, dans des conditions exceptionnelles, annoncés depuis deux mois aux directeurs des placers et à leurs employés, et pourtant, dès notre arrivée ici, si nous n’avions pas de quoi nous suffire, nous irions ce soir peut-être nous coucher à jeun. On n’en meurt pas, mais on est loin du confort moderne, le téléphone n’est pas près de raccourcir les distances dans la forêt vierge guyanaise.
L’établissement central du placer Saint-Léon ne se trouve guère qu’à une heure de marche du dégrad. Le sentier est bon, car il traverse des criques qui ont été très riches en or et ce chemin a été fréquenté. On s’en sert constamment.
Vers neuf heures, nous traversons les plantations de l’établissement, et après avoir franchi une passerelle près de laquelle des femmes lavent du linge en plein soleil, nous entrons dans la case directoriale ; elle est plus simple encore que celle du Central Souvenir, mais on va nous installer dans une autre, à peine achevée, où nous serons confortablement logés, car s’il n’y a que deux chambres et un hall central ouvert comme salle à manger, les dimensions sont largement conçues. Saint-Léon est peu favorisé au point de vue du ravitaillement, il lui arrive de passer quatre mois sans recevoir de provisions, aussi les plantations sont-elles particulièrement nécessaires ; pendant plusieurs mois, on vit de manioc, patates, bananes et canne à sucre, avec un peu de gibier.
Dès le jour de notre arrivée, nous allons visiter les chantiers en travail les plus voisins, et je vais en profiter pour exposer ici l’exploitation de l’or suivant la méthode guyanaise.
Je dirai d’abord qu’il y a des chantiers où l’on ne travaille pas, parce qu’il y a trop d’eau, depuis les pluies récentes. On a bien installé des pompes primitives dites pompes macaques, mais elles sont insuffisantes. Ces pompes macaques sont composées d’un balancier en bois porté par une forte perche, et supportant un seau d’eau d’un côté, tandis que de l’autre côté une pierre suspendue aide à élever le seau plein d’eau. Celui-ci est déversé au delà d’un petit barrage de façon que l’eau ne puisse redescendre dans le chantier en voie d’épuisement. La pompe chinoise, employée en Californie, est bien plus rapide.
Voici maintenant comment on fait l’exploitation et le lavage du gravier aurifère. Les rivières ou criques, en général étroites, parfois de moins de quatre mètres, dans la région que j’ai parcourue, renferment l’or, tantôt immédiatement dès la surface, tantôt au-dessous d’une certaine épaisseur de terre et de sable, variant de deux à quatre pieds, rarement cinq pieds.
On commence par déboiser la crique, c’est-à-dire le cours d’eau, en enlevant les arbres sur sept à huit mètres de largeur, dix mètres même, si la crique s’élargit. Ce travail est fait à la hache, et l’on abat les arbres par séries de huit ou dix, par rideaux, comme disent les créoles, profitant des lianes qui les relient et les entraînent tous ensemble. Ensuite on fait le dessouchement, c’est-à-dire qu’on taille et arrache tout ce qu’il est possible des troncs et des racines qui sont peu profondes ; en même temps on écarte les troncs écroulés sur les bords de la crique.
Le travail suivant consiste à enlever la terre et le sable stérile jusqu’à la couche de sable aurifère qui est le plus souvent quartzeux. Ce travail se fait à la pelle, et le stérile est rejeté sur les bords. En même temps on fait un barrage de la rivière en amont, et une canalisation pour écarter l’eau des travaux et conduire au sluice, dont nous allons parler, l’eau qui sera nécessaire pour le lavage.
La couche ou le sable aurifère va être débarrassée de son or dans le sluice. Le sluice guyanais est le plus simple possible. Il est portatif, placé au milieu du chantier d’exploitation, et déplacé d’aval en amont, à mesure que l’exploitation avance. Ce sluice est composé de canaux en planches, que les créoles appellent dalles, emboîtés l’un dans l’autre. Ils ont 4 mètres de longueur, 0m,30 de largeur et il y a en général cinq dalles, toutes portées sur des piquets où elles sont suspendues par des crochets qui servent à régler leur hauteur. La dalle inférieure porte des rifles ou obstacles en bois et une plaque perforée maintenue par un rifle en fonte, pour recueillir l’or fin au-dessous. On verse un peu de mercure sur les dalles.
Deux mineurs prennent à la pelle le sable aurifère et le versent dans le sluice près du sommet où arrive le courant d’eau. Le sable étant souvent argileux, il y a une ou deux femmes occupées à débourber les pelotes d’argile qui retiennent l’or et l’entraîneraient sans ce débourbage. L’or étant près de dix fois plus lourd que le sable, reste contre les rifles et sous la plaque perforée, tandis que le sable est entraîné par l’eau. Un ouvrier rejette ce sable contre les bords pour qu’il ne gêne pas la circulation d’eau. Il n’y a donc que sept ou huit hommes occupés, au stérile, au sable aurifère, au sluice et à l’enlèvement des sables. Les uns ou les autres chantent, ce qui donne de la gaieté au chantier. Ce travail, peu fatigant par lui-même, le devient sous le soleil ou la pluie, car on a déboisé. Le chef de chantier prospecte constamment pour contrôler le rendement du sluice.
Le soir, à quatre heures, le chef vient retirer l’or du sluice. Il chasse d’abord le sable qui le recouvre, enlève peu à peu les rifles, et la plaque perforée, ne laissant que le rifle en fonte. Tout le temps cependant il maintient une batée, grand plat creux en bois au bout du sluice. A la fin, il enlève le rifle de fonte, l’or amalgamé au mercure tombe dans la batée, et il ne reste plus qu’à laver celle-ci. Cette opération demande un peu d’habitude pour éviter toute perte, mais elle est facile.
L’amalgame d’or obtenu est serré dans un morceau de toile, placé dans une boîte en fer à cadenas, dont le directeur du placer a la clef. Le cadenas à ressort est fermé en présence des ouvriers et porté à l’établissement. Vers cinq ou six heures, le directeur du placer prend toutes les boîtes des chantiers, les ouvre devant les chefs de chantier et les ouvriers présents librement admis, et les pèse. On passe ensuite toutes les boules d’amalgame sur le feu, le mercure se volatilise et la boule jaunit : on la pèse à nouveau et on enferme l’or dans un coffre de fer. Au bout du mois, le coffret est expédié à Cayenne par canot. Il est muni d’une corde et d’une bouée de sauvetage, pour parer au naufrage du canot.
Je pense que ces explications suffiront à faire comprendre le travail si simple des placers. Chaque établissement que je visite a une dizaine de chantiers, ce qui signifie quatre-vingts à cent hommes occupés au travail des criques. Mais, en route, il y a les charroyeurs, les canotiers, les ouvriers occupés aux dégrads, aux magasins, aux sentiers. Il faut compter un bon tiers du nombre d’homme en sus des mineurs. Il y a enfin les malades ou soi-disant tels, ceux qui sont plus ou moins fatigués et veulent prendre quelques jours de repos. En somme, pour six chantiers, il faut compter un personnel de cent cinquante hommes environ.
La paye se fait par bons sur le propriétaire du placer à Cayenne. Les ouvriers sont nourris aux frais du propriétaire : celui-ci peut en prendre à son aise, surtout s’il est, comme c’est le cas le plus fréquent, épicier lui-même. Mais la meilleure politique est de bien nourrir ses ouvriers ; le rendement est bien supérieur, et les hommes intelligents de Cayenne s’en rendent compte. Bonne nourriture et bonne surveillance, c’est la golden rule, la règle d’or.
Je donnerai plus loin des détails sur l’historique et la production de l’or en Guyane. Pour ne pas interrompre mon récit en ce moment, je le reprends à mon second jour au placer Saint-Léon, c’est-à-dire au 1er mars.
Ce qui me frappe le plus ici, comme à Souvenir, en visitant les chantiers d’exploitation dans les criques, c’est leur étroitesse et la rapidité avec laquelle on les épuise de leur or. On avance, en effet, à raison de six à huit cents mètres par an, en ne donnant il est vrai, qu’un seul coup de sluice. Or, c’est le principal défaut de la méthode guyanaise. On veut aller trop vite, et en croyant prendre le meilleur, il arrive qu’on le laisse : il faudrait souvent enlever les deux côtés de la crique, car rien ne dit que la petite zone riche n’y passe pas aussi bien qu’au milieu.
En outre, en allant vite, on laisse de l’or dans le fond de la crique, car les hommes le piétinent et il s’enfonce profondément dans le bed-rock. Ou bien ils jettent violemment en l’air la pelletée de gravier riche (ils appellent cela le coup de canne-major), et le sable, au lieu de retomber dans le sluice, s’éparpille en l’air, et l’or va retomber en partie dans la crique en arrière de l’exploitation, où il est perdu. Je ne veux pas entrer ici dans des détails techniques, mais seulement faire ressortir quelques imperfections de la méthode, qui, d’ailleurs, si elle est bien appliquée, est la mieux adaptée au genre de travail à faire, et fait honneur à l’esprit d’activité pratique des créoles : nous verrons aussi le soin qu’ils mettent à préparer le travail d’avenir.
Les imperfections sont surtout apparentes dans le travail des maraudeurs, qui souvent saccagent les criques : c’est ainsi qu’ils ont rapidement épuisé les criques si riches de l’Inini, où il y aurait pourtant à faire encore. J’en parlerai plus loin, ainsi que du fameux Carsewène. En ces deux endroits, il est vrai, l’or était en grosses pépites, et les criques n’étaient riches que par placers, ce qui arrive fatalement avec l’or gros, tandis que dans les placers que je visite sur la Mana, l’or est très fin et assez régulièrement disséminé sur de grandes longueurs de criques. L’avantage est très grand, car on peut alors prévoir et préparer l’avenir en faisant des fouilles de prospection : les directeurs créoles des placers que j’ai vus témoignent d’une grande prévoyance et de beaucoup de soin, en faisant faire de très nombreuses fouilles de prospection.
Ce sont ces fouilles de prospection qui m’intéressent le plus, et je n’ai malheureusement pas le temps d’en vérifier beaucoup. Je suis obligé de me fier souvent à la parole des directeurs des placers. Il ne serait pas suffisant de faire une fouille çà et là et au hasard dans une crique pour connaître la richesse et l’allure de l’or dans cette crique. Pour cela, il faut faire tout un système de fouilles méthodiquement placées tous les cinq mètres par exemple ; c’est ce que l’on a fait pour certaines des criques prospectées, mais la vérification de toutes ces criques durerait beaucoup trop longtemps pour moi ; elles sont pleines d’eau sur trois à cinq pieds de profondeur et deux à trois mètres de largeur. Ce travail serait plus facile dans la saison sèche, et c’est alors surtout qu’on entreprend les fouilles. Quand elles sont faites méthodiquement, les mineurs guyanais peuvent dire avec assez de certitude quel est le degré de richesse de la crique ; ils se trompent rarement. Quand l’or est gros, ils disent que la crique est pochée, c’est-à-dire irrégulière : l’or est en poches, et dans ce cas on est exposé à des surprises tantôt agréables, tantôt désagréables. C’est le cas général des filons de quartz, avec la difficulté supplémentaire de ne pouvoir prospecter souterrainement sans d’énormes dépenses.
Nos repas, dans la salle à manger ouverte à tous les vents, sont, pour moi, des surprises toujours agréables ; nous avons de l’agami, du toucan, du martin-pêcheur, que les créoles appellent ici honoré ; il y a aussi de l’acouchi, et un tout petit daim tacheté qu’on appelle le caïacou ; c’est le meilleur de tous les gibiers. Cependant pour quelques jours je lui préfère encore le tapir, surtout préparé avec des lentilles ; est-ce l’effet du manque de bœuf, le fait est que ce tapir reste un de mes meilleurs souvenirs. Il y a aussi du tamanoir, mais la peau seule a de la valeur, et Sully la met à part pour l’emporter. Le soir nous avons du thé indigène cueilli sur place à des touffes de citronnelle, de mélisse ou de diapana : je ne regrette pas le thé de Chine. Le directeur de Saint-Léon, M. Janvier, tient un peu plus à sa cuisine que M. Beaujoie, de Souvenir, et je suis d’avis qu’il a pourtant raison.
La forêt ici est en majeure partie formée de bois de wacapou, un bois de première dureté, un des plus beaux de la Guyane. Il y en avait également beaucoup au Grand-Canory ; c’est un bois qui se conserve indéfiniment et durcit même en vieillissant. Outre le wacapou, il y a ici le bois-de-lettres, ainsi nommé parce qu’il est si dur qu’on s’en est servi pour faire des caractères d’imprimerie ; il est moucheté noir sur rouge, ou rubané rouge foncé et noir, et remarquable par son miroitement à la lumière ; on en fait des meubles magnifiques, et il est destiné à être de plus en plus apprécié. Il y a aussi le bois-serpent, de couleur jaune, zébré d’ondulations noires, qui ferait un superbe bois d’ornementation, pour la carrosserie par exemple. L’Admiral fait couper plusieurs madriers de ces divers bois, dans l’intention de les emporter en France.
Notre grande case, toute neuve, en wacapou et acajou, a quatorze mètres de longueur et une véranda en fait le tour. Il y a de tels amas d’herbe sèche sur les planchers des lits que je ne regrette plus mon hamac : la lampe qui reste allumée toute la nuit dans le hall central suffit à éloigner les désagréables vampires.
Sur ce placer, il y a, en certains endroits, de nombreux galets de quartz granulé avec des parties zonées de bleu à traînées d’or libre très fin : ce sont de très beaux spécimens. D’autres fragments de quartz soyeux et semi-cristallin n’ont pas d’or, mais indiquent le voisinage de filons quartzeux, d’autant plus qu’on trouve aussi des fragments de limonite appartenant évidemment à ce qu’on appelle le chapeau de fer des filons.
Il semble y avoir de l’or dans les terres même de la colline où se trouve l’établissement : on appelle cela les terres de montagne ; elles sont moins faciles à laver que les alluvions des criques, parce qu’il faut aller chercher l’eau au pied des pentes. Parfois pourtant on en a retiré beaucoup d’or. A Saint-Elie, par exemple, l’exploitation des terres de montagne a produit plus de cent kilogrammes d’or, avec un beau profit ; on descendait ces terres dans la crique pour les laver, car il était impossible de canaliser l’eau pour l’amener au niveau de ces terres.
Nous allons partir comblés de cadeaux : pagaras en fibres d’arouman, huile d’arouman, servant de cosmétique aux Indiens, graines de rocou pour faire de la teinture rouge (pour tatouages, sans doute), peaux de tamanoirs, becs de toucan, plumes d’agamis et d’honorés, bois-de-lettres et bois-serpent ; il ne manque qu’une peau de crocodile pour nous faire un chargement digne de sauvages usuriers ou de vieux explorateurs. Pourtant, il n’y a rien là de ridicule, et ces produits feront un jour la fortune de la Guyane, plus probablement que tout l’or qu’elle produit, car nous verrons que les mines d’or ne servent de rien à la colonie, même qu’elles lui causent du préjudice pour le moment.
Un matin, nous quittons l’établissement central de Saint-Léon pour aller visiter le placer Triomphe, qui lui est contigu au nord. Ce ne sera qu’une promenade d’une heure et demie. Cependant le trajet sera plus long pour nous, car nous voulons visiter en passant le petit placer Union, que les Guyanais citent volontiers comme un des plus riches de ces dernières années.
Aussi nous quittons l’ombre des bois pour suivre une crique en plein soleil. C’est que cette crique a été déjà exploitée, donc déboisée, et nous arrivons précisément aux endroits qui ont donné tant d’or. Sur une centaine de mètres, on a retiré ici cent kilos d’or. Bien que la découverte ne date que de deux à trois ans, les criques sont déjà épuisées ; on a fait même des repassages en plusieurs endroits, c’est-à-dire qu’on a repassé au lavage les sables déjà lavés, pour exploiter les côtés. Il ne reste qu’un chantier en terrain vierge, et nous l’atteignons bientôt. Il y a une dizaine d’ouvriers, dont deux femmes. Tout heureux de rencontrer nos boys, ils causent un instant, nous montrent ce qu’ils font, et nous indiquent un chemin plus court pour arriver à l’établissement Triomphe.
Les criques de Saint-Léon et de Triomphe ont eu, elles aussi, des parties très riches, et comme elles sont très longues, elles peuvent en avoir d’autres. Nous allons voir le directeur du placer. Au sommet d’une rue droite, entre des cases alignées, se dessine une sorte de jardin, formé de légumes empotés sur des piquets et d’ananas en pleine terre. Au fond, c’est la case du directeur. Elle a des stores verts le long de la véranda. Le confort semble augmenter avec chaque placer que nous visitons. Cependant c’est toujours le même genre de case, avec des modifications suivant le goût de l’occupant. Dans celle-ci, on flaire l’ingénieur : tout est géométrique et de niveau, longueurs rigoureusement égales, plafonds et planchers d’acajou bien égalisé. Luxe particulier, il y a une chaise pliante. Luxe plus grand, il y a à déjeuner un gâteau de Savoie. On nous attendait, il est vrai ; néanmoins, ce mets suppose une cuisinière peu ordinaire : elle mérite des compliments, qu’elle accepte avec force gesticulations et bavardage auxquels je ne comprends rien. La langue créole est vraiment bien difficile.
Le directeur, M. Vertun, a été longtemps employé aux mines de Saint-Elie, et cette expérience lui donne une supériorité sur un directeur ordinaire de placers. Il a étudié le sien méthodiquement. De forte santé et de tempérament sec, excellent pour la vie des bois, il ne néglige ni son intérieur ni sa nourriture, et grâce à cela, il peut résister longtemps sans être obligé d’aller refaire sa santé à Cayenne.
Il serait fastidieux de décrire en détail des criques aurifères, et des courses à travers bois. Je ne ferai que citer les particularités qui me frappent. Les blocs de quartz, par exemple, forment à Triomphe des alignements plus réguliers qu’à Saint-Léon, mais les fouilles ne trouvent au-dessous d’eux que la roche décomposée. Il est sensible que le filon a été désagrégé et le quartz éparpillé ; la recherche du filon devient difficile, surtout si la roche est décomposée jusqu’à quarante mètres de profondeur et plus comme on l’a appris par expérience sur certains placers. Cependant, dans les criques mêmes, la profondeur décomposée devrait être moins grande, puisque le bedrock est resté blanc, tandis que les terres de décomposition sont rouges.
On trouve parfois dans le gravier des haches de pierre polie ; mais il ne faudrait pas croire qu’elles datent de l’âge de pierre. C’étaient et ce sont encore les armes des Indiens, ou Peaux-Rouges de l’intérieur. Ces roches sont en silex, en quartzite ou en pierre meulière, et portent une entaille pour les fixer à un manche par une corde ou plutôt par une liane, suivant la coutume indienne.
En dehors de l’établissement central, on exploite un détaché, appelé Hasard. Mais là le village n’est composé que de quatre ou cinq huttes dans le lit même de la crique. Cela rappelle tout à fait, dit Sully, les camps de prospection. L’eau y vient de partout, du sol et du ciel. Mais pour prospecter, on ne peut déboiser un vaste espace ; ce serait peine perdue si la crique était mauvaise. Ici la crique est bonne, on va construire une meilleure installation.