La Guyane inconnue: Voyage à l'intérieur de la Guyane française
CHAPITRE XVII
LES RICHESSES DU SOUS-SOL. — LES PLACERS
La constitution géologique de la Guyane française n’a pas encore pu être bien étudiée, parce que le pays lui-même est mal connu, et aussi à cause d’une raison spéciale à toute cette région sud-américaine. Le sol est formé jusqu’à une grande profondeur, non seulement et d’abord de terre végétale, mais ensuite des débris d’une roche décomposée de couleur jaunâtre et rougeâtre. Il n’y a pas de montagnes élevées et les affleurements de roche en place sont excessivement rares : il faut donc des travaux de mine véritables pour connaître le sous-sol ; or, les mines guyanaises, en dehors des placers, n’ont encore que des travaux sans profondeur véritable. Nous aurons l’occasion de parler de la seule mine qui ait atteint une profondeur appréciable.
Cependant, aux environs mêmes de Cayenne, et sur le littoral, il y a quelques affleurements de roches, et de même, dans les rivières, on en rencontre à toutes les petites chutes ou sauts qu’il faut traverser. Comme on passe souvent ces sauts à pied pour décharger les canots, on a pu sans peine examiner quelques roches.
Les roches reconnues jusqu’à présent en Guyane sont les suivantes, la plupart cristallines ou précambriennes, en tous cas, toutes sans fossiles :
Les gneiss, granitoïdes, amphiboliques, etc., et les micaschistes ;
Le granite à mica noir, la diorite et la diabase ;
Les schistes micacés, talqueux, argileux ;
Les quartzites, les grès à grain très fin, les filons de quartz ;
La limonite et la roche à ravets, probablement elle aussi une variété de limonite ; c’est une roche caverneuse très ferrugineuse.
Comme je l’ai dit plus haut, tout le pays est recouvert et jusqu’à une profondeur atteignant 40 et 60 mètres, d’une roche décomposée, mêlée parfois de blocs de quartz, qui provient sans doute de la roche sous-jacente, et sur laquelle nous aurons occasion de revenir en détail en décrivant les placers aurifères.
Les sauts de rivières sont des filons de quartz ou des dykes granitiques : ils sont presque toujours orientés dans la même direction, ce qui permet de supposer que les assises du sous-sol sont plutôt régulières.
Les minéraux qu’on a découverts dans ces roches sont les suivants :
L’or, dans des filons de quartz et dans des quartz éparpillés au milieu des terres rouges et limonites de la surface : mines Adieu-Vat, Saint-Elie, etc. ;
L’argent, sous forme d’argyrose, à la montagne d’Argent (près de l’embouchure de l’Oyapok) : les Hollandais l’ont un peu exploité de 1652 à 1658 ;
Le cuivre et le plomb, signalés dans quelques travaux de recherche ;
L’étain au Maroni, près des monts Tumuc-Humac ;
Le mercure, le fer et le manganèse, signalés sans aucune vérification bien sérieuse, comme d’ailleurs l’étain ;
La houille, qu’on prétend avoir découverte à Cayenne, à Roura, au Maroni.
Je ne parle pas des diamants, parce que, bien qu’ils existent au Brésil et en Guyane anglaise, ils ne sont encore qu’une possibilité en Guyane française.
Je ne dirai ici que quelques mots sur l’or d’alluvions, parce que j’y reviendrai en détail plus loin. Il a été découvert pour la première fois en 1852 par Paolino, un réfugié brésilien, sur l’Arataïe, un affluent du Haut-Approuague : on l’a trouvé ensuite à l’Orapu et au Cirubé, enfin au Sinnamary (Saint-Elie, etc.), à la Mana, etc., et dans la plupart des rivières guyanaises. En cinquante ans, la production doit atteindre 70,000 kilogrammes valant plus de 200 millions ; car le total des droits de douane atteint une vingtaine de millions (ces droits sont de 8 pour 100). L’or sorti en fraude doit atteindre au moins le quart du chiffre précédent, et peut-être davantage. La zone de richesse maxima est dirigée à peu près est-ouest, comme les filons de quartz, du moins grossièrement ; elle commence à une distance de 50 à 100 kilomètres des côtes, et sa largeur est de 30 à 40 kilomètres.
Les placers aurifères.
I. Historique. — Nous venons de voir que l’or en paillettes a été découvert pour la première fois en 1852, sur l’Arataïe. Etait-ce un écho des fameuses découvertes d’or de la Californie, en 1848 ? Les années suivantes, il fut découvert sur les rivières Orapu, Cirubé, etc.
De 1873, date la découverte des placers du Sinnamary : Saint-Elie, Dieu-Merci, Adieu-Vat, Couriège, etc., qui ont produit environ 40 millions, du moins officiellement. Les petites exploitations indigènes ne sont pas comprises dans ce total, non plus que l’or qui a échappé à la douane.
En 1878 fut découvert le groupe des placers de la Mana inférieure : Enfin, Elysée, Pas-Trop-Tôt, etc., qui ont produit plus de 20 millions, et, comme ceux de Saint-Elie, sont encore en exploitation.
En 1888, on découvrit les placers de l’Awa, sur la frontière entre les Guyanes française et hollandaise, et sur le Maroni. Ils passent pour avoir produit environ 60 millions.
En 1893 eut lieu la découverte du fameux Carsewène, au contesté franco-brésilien, actuellement brésilien sans conteste. Il a dû produire une centaine de millions, dans une zone très restreinte, longue de 12 kilomètres et large de 3 kilomètres à peine.
En 1901, l’Inini attira plus de six mille personnes. Mais il était très irrégulier. Il a dû produire environ 20 millions, peut-être 25 à 30, dont les trois quarts en 1902-1903 ; il y avait un alignement de placers dirigés du nord au sud, allant des criques d’Artagnan et L’Admiral aux criques Saint-Cyr, etc.
Enfin, de 1902 date la découverte des placers de la Haute-Mana, ayant produit, jusqu’à fin 1904, 8 à 9 millions d’or ; ce sont ces derniers que j’ai visités.
Je vais décrire l’un ou l’autre de ces placers, en ajoutant quelques mots sur ceux qui séparent la Mana de l’Inini, parce qu’ils présentent de grandes chances de richesse, et seront mis prochainement en exploitation.
II. Description de l’alluvion aurifère. — La couche aurifère forme la partie inférieure du lit de nombreux cours d’eau et de certaines rivières où se jettent ces cours d’eau ; les uns et les autres portent le nom de criques (du mot anglais creek, cours d’eau), et ce mot désigne l’ensemble du cours d’eau et de ses alluvions. Ces criques sont enfermées entre des collines peu élevées, mais dont la pente est escarpée, surtout à la base. Leur largeur est variable : à la Mana, elle est faible, variant de quelques mètres à 10 mètres en moyenne, atteignant rarement 20 à 25 mètres. Ces criques sont très sinueuses, parce que leur pente est très faible en général. La présence de l’or est souvent régulière sur 4 à 5 kilomètres de longueur, parfois sur 10 kilomètres.
La quantité d’eau est très variable d’une crique à l’autre, et dans une même crique, suivant la saison. Les petites criques ont un débit variant de quelques litres par seconde à plusieurs centaines de litres ; les grandes criques ont parfois plusieurs mètres cubes. On distingue les criques d’été (l’été est la saison sèche) et les criques d’hiver (saison des pluies), suivant que leur quantité d’eau permet de les exploiter l’été ou l’hiver. En général, les grandes criques, qui ont beaucoup d’eau, s’exploitent l’été, et les petites criques, l’hiver : elles sont souvent à sec en été. Les pentes des unes et des autres sont extrêmement faibles, ce qui empêche l’exploitation hydraulique.
L’alluvion est divisée en deux couches superposées : le déblai ou stérile, formé de terre entremêlée de troncs d’arbres et de racines, et l’alluvion ou couche riche, formée, en majeure partie, de sable quartzeux et d’argile blanche feldspathique.
La teneur en or et la forme de l’or sont variables, suivant la région : la teneur exploitable varie aussi, suivant la facilité d’accès ; mais on conçoit aisément que la destruction de filons de quartz aurifère sur de longs parcours et sur 40 à 60 mètres de hauteur, a dû enrichir sur de grandes longueurs des criques de si faible largeur, où l’alluvion est concentrée sur quelques pieds d’épaisseur : la richesse se maintient, en effet, parfois sur 10 à 12 kilomètres de longueur.
La forme de l’or est généralement anguleuse, ce qui prouve bien que le gîte filonien de l’or se trouve dans le voisinage immédiat : plus on s’en éloigne, plus l’or prend la forme de paillettes aplaties. Les pépites sont rares dans la région que j’ai parcourue, sauf à Souvenir (établissements Kilomètre et Principal), où il y a assez souvent des pépites de 100 à 200 grammes. Sur les placers du Haut-Mana, l’or est très fin, parfois extrêmement fin, mais en petits grains plutôt qu’en paillettes.
Dans les criques, l’alluvion aurifère est surmontée d’une couche meuble tellement enchevêtrée de troncs et de racines que son enlèvement constitue une des difficultés principales de l’exploitation : l’épaisseur de cette couche varie de zéro à trois et quatre pieds, parfois six à sept pieds ; dans les grandes criques, elle atteint douze à treize pieds. L’or se trouve quelquefois sous de gros troncs, ou de gros boulders, accumulés à tel point que la dépense serait plus forte que l’or à retirer, et qu’on l’abandonne. Cette difficulté et l’étroitesse des criques rendent ici le dragage impossible.
Le bedrock sous-jacent est à l’état de glaise blanche, de plusieurs mètres d’épaisseur, compacte, ondulée et bosselée : cet état est dû à la décomposition de la roche formant le sous-sol, en général roche granitique, ou bien micaschiste. Je n’ai vu nulle part cette roche affleurer en place, sauf dans les sauts ou rapides des grosses rivières, mais j’en ai vu de nombreux débris ou éboulis, blocs et boulders, sur les placers.
Les collines séparant les criques sont formées de terres rouges, provenant de la décomposition de roches plus ou moins ferrugineuses. En certains points, on remarque des blocs de quartz pur éparpillés ; parfois cependant ils forment des alignements assez étendus, mais des fouilles faites au-dessous ne rencontrent que la terre rouge : ce sont les restes de filons de quartz dont la roche encaissante a été désagrégée. Ailleurs, ce sont des blocs, plus ou moins arrondis, de roches granitiques (syénite, granulite, granite rouge), souvent riches en éléments ferrugineux (hornblende, tourmaline, etc.). L’épaisseur de la terre rouge paraît atteindre au moins 15 à 20 mètres, parfois même 40 à 60 mètres.
L’or des criques provient sans doute des filons de quartz qui ont laissé comme témoins ces blocs isolés parsemant les terres rouges, et qui doivent se prolonger dans la roche sous-jacente, mais leur recherche peut présenter de sérieuses difficultés. L’or des rivières (ou grandes criques) n’est le plus souvent que l’apport fait par les petites criques qui s’y jettent ; aussi ces rivières ont une teneur plus irrégulière.
En outre de la décomposition des roches du sous-sol, il semble qu’il y a eu transport par l’action des eaux, ce qui a contribué à déplacer les galets de quartz. Il y a eu une double décomposition : la première a agi jusqu’à une grande profondeur (40 à 60 mètres) ; elle a transformé la pyrite de fer en oxyde rouge qui a suffi, avec les silicates de fer, à colorer tout l’ensemble des résidus en rouge : en profondeur, la pyrite restant intacte, la roche, granite ou autre, est demeurée blanche ; d’où le bedrock blanc sous l’alluvion aurifère. La seconde décomposition est due au régime des eaux actuelles qui ont traversé facilement les terres rouges, déplacé les blocs de quartz et de roche, jusqu’à la roche blanche plus dure, qui est devenue la glaise blanche du bedrock, ondulée comme était autrefois la surface dure granitique, et encore pyriteuse.
Il me paraît inutile de chercher ailleurs une explication pénible des terres rouges et des blocs de quartz isolés.
Voici quelques particularités sur les diverses zones de placers guyanais, en dehors de la Mana, pour ne pas nous restreindre à ce groupe.
A l’Awa, l’or est fin, comme à la Mana ; la Compagnie des Mines d’or de la Guyane hollandaise a produit de 1893 à 1903, soit en neuf ans, 1,800 kilogrammes d’or, valant environ 5 millions et demi, sur une dizaine de criques.
Au Carsewène, la grande crique, de 12 kilomètres de longueur, était riche par taches irrégulières ; les petites criques tributaires étaient pauvres. La Compagnie des Mines d’or du Carsewène, venue trop tard, n’a fait que quelques kilogrammes d’or, dont une moitié provenant des criques, l’autre des débris de terre et de roche extraits d’un tunnel. Cette Compagnie avait construit pour la relier à la mer un chemin de fer monorail, long d’une centaine de kilomètres, actuellement presque enfoui sous la vase.
L’Inini a été célèbre par ses nombreuses pépites, beaucoup pesant de 1 à 3 kilogrammes, plusieurs 5 à 6 kilogrammes, même 7 kilogrammes. On trouva en outre beaucoup de fragments de quartz pleins d’or, ce qui indiquait évidemment la destruction d’un riche filon de quartz, origine ou rhyzode des alluvions. L’alignement des criques les plus riches est probablement l’indication de la direction du filon détruit.
A Saint-Elie et Adieu-Vat, l’or des criques était assez régulier sur 4 à 5 kilomètres de longueur. La grande crique Céide, longue de 12 kilomètres, enrichie par cinq tributaires de sa rive droite, semble devoir être mise en exploitation fructueuse, malgré sa faible teneur, à cause de sa régularité. Les galets et l’or de ces criques sont anguleux, peu roulés, ce qui prouve le voisinage de leur origine.
Les terres rouges des collines, ou terres de montagne, ont rendu en un certain point, sur Saint-Elie, 150 kilogrammes d’or. Ces terres paraissent dues à l’érosion sur place de filons entièrement décomposés.
III. Description détaillée d’un type de placers, entre la Mana et l’Inini. — Ces placers ont de grandes étendues, 10 à 20 kilomètres de longueur sur 5 à 10 de largeur.
Les alluvions aurifères, dans des criques distantes de 5 à 15 kilomètres, séparées par des collines plus ou moins hautes, sont groupées autour de plusieurs établissements, soit six, un central, et cinq détachés, pour centraliser les groupes d’exploitations ou chantiers. C’est ainsi qu’on épuise peu à peu un placer.
A mesure qu’on exploite une partie d’un placer, on prospecte les autres criques. Voyons d’abord les criques en exploitation.
L’exploitation est concentrée sur une crique principale et ses affluents : ces criques sont séparées par des collines hautes de 60 à 100 mètres au-dessus du thalweg, et composées de terre rouge avec des blocs et boulders de syénite et de granite rouge, parfois de limonite et de fer pisolithique. Ces criques sont exploitées chacune par un chantier occupant huit ou neuf ouvriers et un chef de chantier. Le travail se fait d’aval en amont, et avec un simple sluice transportable. Naturellement, la production journalière varie avec les chantiers : les plus riches, à la Mana, font 300 à 400 grammes d’or par jour ; d’autres font 60 à 100 grammes, récoltés chaque soir dans le sluice par le chef de chantier, et déposés dans une boîte en fer à cadenas remise ensuite au directeur de l’établissement. Je n’entre pas ici dans les détails de la surveillance.
Parfois, l’exploitation des criques se trouve barrée sur 200 mètres et plus de longueur, par des boulders énormes, trop coûteux à déplacer ou à faire disparaître.
L’alluvion aurifère est tantôt composée de petits galets de quartz cristallin provenant de granite décomposé, anguleux, et de sable quartzeux d’un blanc éblouissant au soleil ; tantôt de sable argileux jaunâtre ou rougeâtre, suivant en cela la nature de la roche du sous-sol, trop profondément décomposée pour être visible. De même, l’or est tantôt fin, granulé, assez régulièrement disséminé ; tantôt en larges paillettes, en pépites, et alors irrégulier.
Les criques dites d’été sont pourtant quelquefois inondées, même en été, par des séries d’averses torrentielles. Il faut alors en épuiser l’eau pour pouvoir les exploiter. Dans ce but, les Guyanais font usage de pompes du pays, en bois, qu’ils appellent des pompes macaques. C’est un balancier en bois, portant d’un côté une pierre comme contrepoids, de l’autre, un seau ; l’eau est déversée en aval d’un petit barrage, de façon à ne pouvoir revenir dans le chantier. Ce moyen primitif est parfois insuffisant.
J’ai vu des criques déjà épuisées sur 1,800 mètres de longueur, et 600 mètres dans les petits cours d’eau tributaires. Sur cette longueur, et une largeur moyenne de 5 à 6 mètres, on avait retiré 180 kilogrammes d’or, soit environ 80 kilogrammes d’or par kilomètre ; ce qui, pour des petites criques, est un excellent résultat.
Sur 13 kilomètres de longueur de criques exploitées dans un placer, on avait retiré 1,013 kilogrammes d’or, soit 77 kilogrammes par kilomètre. Chaque chantier avance de 3 à 4 mètres par jour de travail, ou environ un kilomètre par an s’il n’y a aucune interruption. Avec quatre chantiers, il a suffi de trois ans et demi pour épuiser les 13 kilomètres ci-dessus. Seulement, pour aller plus vite, on a souvent négligé bien des parties des criques, notamment les côtés ; dès qu’elles s’élargissent un peu, il reste un second coup de sluice à donner, parfois même un second et un troisième coup de sluice ; mais ces nouveaux coups de sluice ne sont généralement pas aussi fructueux que le premier qui a été tenu, autant qu’on a cru le faire, dans la veine la plus riche de l’alluvion. Il est vrai qu’on peut s’être trompé : l’or n’est pas toujours concentré au milieu d’une crique ; il est souvent sur les côtés : il est capricieux.
Le chef d’un établissement doit être assez prudent pour avoir en réserve des criques prospectées représentant plusieurs kilomètres d’exploitation à venir, dans des conditions fructueuses ; et, sur la Mana, cette règle est scrupuleusement observée : une année d’avenir avec un seul chantier représente 1 à 2 kilomètres de criques prospectées ; avec trois ou quatre chantiers, elle représente 3 à 4 kilomètres, suivant d’ailleurs la largeur des criques ; car deux coups de sluice parallèles représentent deux chantiers dans la même crique. Dans les criques en prospection, il importe de tenir compte de l’épaisseur du déblai stérile à enlever, de celle de la couche aurifère, de la quantité d’eau, de la difficulté du déboisement, etc. Les prospections sont des fouilles de 2 à 3 mètres de longueur sur 0m,50 de largeur, distantes d’une dizaine de mètres le long d’une crique : il est toujours facile de les vérifier à volonté.
Lorsqu’on commence l’exploitation d’une crique nouvelle, reconnue comme riche, les huttes des mineurs sont souvent construites au milieu même de l’alluvion, en attendant le déboisement d’un vaste espace sur la pente des collines à l’endroit le plus favorable. Un pareil village ou établissement, recevant l’eau du sol et l’eau du ciel, n’est pas des plus sains, mais les prospecteurs ne s’en inquiètent pas ; leur seul souci est de savoir s’il y a de l’or partout en quantités payantes.
La pente des collines au voisinage de certains chantiers d’exploitation est parsemée de blocs de quartz, dont quelques-uns ont plusieurs mètres cubes. Ces blocs paraissent suivre un alignement très oblique par rapport à la crique aurifère. Au confluent du petit cours d’eau qui descend de la colline, on a trouvé de nombreux galets de quartz très riches en or. Sur la colline, au point où le quartz est le plus abondant, j’ai fait creuser une fouille de 4 mètres de largeur et 2m,50 de profondeur : elle n’a rencontré que de la terre rouge provenant de la roche sous-jacente décomposée, avec quelques fragments de quartz. Le quartz ne forme donc pas ici un filon en place. Ce filon doit se trouver à peu de distance, mais sa situation exacte ne peut être déterminée que par des travaux méthodiques, en tunnel ou en carrière, d’après l’expérience acquise en d’autres points de la Guyane : Adieu-Vat, Saint-Elie, Elysée, etc., où la terre rouge descend à 20, 40 et même 60 mètres de profondeur. Il y a parfois, sur la pente des collines, des blocs de granite de plus de 100 tonnes, de couleur rougeâtre, ce qui est dû à la décomposition de la pyrite.
Sur un autre point, j’ai remarqué encore des galets de quartz disséminés dans la terre rouge ; mais le quartz n’est plus blanc et laiteux, avec des paillettes et de petites pépites : il est granulé, avec des bandes bleues extrêmement riches en or visible très fin. Ce sont de magnifiques spécimens. Ailleurs encore, le quartz est soyeux, blanc et semi-cristallin, avec ou sans or visible, et, dans ce cas, très fin.
La limonite pure ou la roche caverneuse riche en fer, dite roche à ravets, accompagne ces blocs de quartz, de sorte qu’à mon idée, elle peut être simplement le chapeau de fer des filons de quartz, désagrégé et éparpillé comme le filon.
Comme je l’ai dit, la roche encaissante, d’après les fragments trouvés dans les criques exploitées, est tantôt le granite, tantôt les schistes micacés argileux ; mais j’ai remarqué aussi des quartzites, des grès blancs, et de véritables pierres meulières dont quelques-unes, travaillées et polies, ont servi de haches de pierre aux Indiens de la région. Non seulement la pierre est taillée en forme de hache, mais elle porte une rainure pour être fixée à un manche en bois au moyen d’une liane. Si l’on ne savait que les Indiens s’en servent encore, on croirait à des haches de l’âge de pierre.
Dans une crique où les roches granitiques étaient plus abondantes, j’ai fait avec un tamis, sur les sables rejetés par le sluice, un essai de criblage pour déceler, si possible, la présence du diamant. Je n’ai découvert ni rutile, ni topaze, ni grenats, mais seulement du quartz, du feldspath bleu et rose, de la chlorite, du mica, de la tourmaline, de l’amphibole hornblende, tous éléments habituels du granite.
Un prospecteur en diamants de la Guyane anglaise (pays qui produit chaque année pour deux à trois cent mille francs de diamants) avait passé sur ce placer peu de temps avant moi, et n’avait trouvé aussi que du quartz. Mais il faudrait des expériences beaucoup plus importantes pour découvrir des diamants de rivière ; la teneur moyenne aux mines de Kimberley ne dépasse par un carat, soit 20 centigrammes, par tonne de roche lavée. En rivière, la teneur est parfois plus grande, mais, par contre, très irrégulière. Il reste donc possible qu’on découvre des diamants dans les criques de la Guyane française.
Le titre de l’or au placer Souvenir, situé à cheval entre le Maroni et la Mana, est compris entre 980 et 984 millimètres. Sur les autres placers de la Mana, il varie entre 930 et 940 millièmes de fin.
Pour parer au risque de manquer d’approvisionnements, on a fait autour des établissements des plantations de manioc, patates, canne à sucre, bananes, et même maïs et légumes ; ceux-ci doivent être particulièrement protégés contre les insectes. J’ai remarqué que, sur la Mana, on s’attache à bien nourrir les ouvriers pour leur rendre le séjour aux placers plus sain et plus agréable. Les conserves de morue et de bœuf, les sacs de haricots, de lentilles, etc., sont d’excellente qualité et tenus à l’abri de toute altération.
Approvisionnements. — Les approvisionnements sont une question capitale en Guyane, à la Mana surtout. Chaque homme consommant un et demi à 2 kilogrammes par jour, soit 600 à 700 kilogrammes par an, lorsqu’on a cent cinquante hommes sur un placer, il faut 100 à 150 tonnes de vivres par an. Le transport se fait en canots le long des rivières, puis à dos d’hommes ; les frais par la rivière Mana se montaient, jusqu’au placer Souvenir, à 100 francs par baril de 100 kilogrammes. On a découvert tout récemment une nouvelle voie de transport par l’Approuague, coûtant seulement 60 francs par tonne, ce qui a produit une économie considérable. Il y a des magasins intermédiaires, au saut Canory, sur l’Approuague, où il faut décharger les canots et les traîner à bras, et au débarcadère ou dégrad, où commence le portage à dos d’hommes. La durée du transport est de quinze jours depuis l’embouchure de l’Approuague ; elle était d’un mois en moyenne par la Mana.
On pourrait améliorer un peu ces transports par l’emploi de chaloupes à vapeur jusqu’au premier saut de l’Approuague ou de la Mana ; en régularisant et balisant les premiers sauts, on remonterait même peut-être bien plus haut, au moins durant la saison des hautes eaux, qui dure trois à quatre mois de l’année. On aurait, en outre, l’avantage de se mettre à l’abri du mauvais vouloir éventuel des canotiers qui, étant maîtres du trafic, imposent à leur gré leurs conditions. D’ailleurs, il arrive que ces canotiers ne sont que trop enclins à voler les marchandises qui leur sont confiées, sous prétexte d’accidents dans les rapides et les sauts. Ils ne se gênent pas non plus pour perdre en route des journées, même des semaines, à la chasse. En descendant la Mana, j’ai vu des pagayeurs qui en étaient à leur soixantième jour de canotage depuis Mana, tandis que d’autres, partis à la même date, étaient montés en vingt-deux jours. A force de retards, les crues de la rivière avaient augmenté, et le courant, de plus en plus fort, avait fini par rendre l’avancement impossible.
Les questions du ravitaillement et du recrutement des ouvriers dépendent de l’administration des compagnies à Cayenne, des agents à l’embouchure des rivières Mana et Approuague, et de la manière dont les ouvriers sont traités aux placers ; car ils sont de caractère indépendant, et volontiers travaillent pour leur compte ou font du maraudage. Nous reviendrons sur le maraudage, après avoir exposé le rendement des placers, le prix de revient, et le personnel occupé.
Personnel. — Le personnel d’un grand placer de la Mana était le suivant, lors de mon passage :
| Neuf chantiers, occupant chacun huit ouvriers en moyenne. | 72 |
hommes. |
| Charroyeurs (vivres, etc.) | 35 |
— |
| Ouvrages temporaires, sentiers en forêts, réparations | 11 |
— |
| Aux magasins des dégrads (débarcadères de rivière) | 8 |
— |
| Canotiers | 4 |
— |
| Malades ou non travaillants | 20 |
— |
Total |
150 |
hommes. |
Dans ce personnel, il y a quinze à vingt femmes, une ou deux à chaque chantier, pour le débourbage dans le sluice.
Il faudrait compter, en outre, le personnel occupé, d’un côté aux magasins dans la partie basse des rivières, près de la côte, soit une dizaine d’hommes, et enfin les canotiers qui font les transports en rivière. Mais ceux-ci sont payés à tant par tonne, et ne font pas partie du personnel régulier des placers.
La feuille de paye mensuelle, au placer, atteint environ 12,000 francs ; mais le total des dépenses arrive au double et même dépasse 30,000 francs, quelquefois davantage, au moment où l’on règle le transport des vivres. Avec une bonne administration et de la prévoyance, on peut augmenter le rendement sans augmenter le personnel, car la proportion des malades ou soi-disant tels, que l’on paye tout de même, dépend du soin que l’on prend des ouvriers, de la régularité et de la qualité des approvisionnements. Les crues des rivières et des criques augmentent les difficultés du travail ; c’est aussi un cas à prévoir de la part de la direction.
Le prix de revient varie naturellement avec la situation du placer, indépendamment des efforts de la direction. A Souvenir, le placer le plus élevé de la Mana, il est en moyenne de 12 fr. 50 par homme au chantier et par jour, en admettant que les deux tiers des hommes travaillent au chantier, c’est-à-dire produisent de l’or. Avec 100 hommes aux chantiers et vingt-cinq jours de travail, on arrive à 31,250 francs, et c’est la moyenne pour un personnel total de 150 hommes. Il faut donc produire au moins 10 kilogrammes d’or par mois pour faire équilibre aux dépenses.
Sur les placers Triomphe, Saint-Léon, Dagobert, situés un peu plus en aval sur la Mana, le prix de revient est estimé à 10 francs par homme au chantier et par jour, soit 25,000 francs par mois, ou 8 kilogrammes d’or, avec 150 hommes.
Rendements. — Je donnerai ici un aperçu des brillants rendements du placer Souvenir. Sur une longueur totale de 12 à 13 kilomètres de criques exploitées (mais non épuisées), il a produit :
| En | 1898 | (six mois de travail) | 72k,527 |
| 1899 | — |
183k,484 | |
| 1900 | — |
138k,247 | |
| 1901 | — |
127k,935 | |
| 1902 | — |
120k,170 | |
| 1903 | — |
319k,571 | |
Total |
961k,934 | ||
Si l’année 1904 a continué aussi brillamment qu’elle commençait les quatre premiers mois, elle a dû dépasser aussi 300 kilogrammes d’or, et la production totale doit approcher de 1,300 kilogrammes d’or, valant 4 millions ; car le titre de l’or de Souvenir, 980 à 984 millièmes, est très élevé.
La baisse du rendement, d’août 1900 à 1903, était due à l’exode en masse des mineurs vers l’Inini, où l’on faisait de riches découvertes.
Je dirai enfin que ce placer Souvenir a été prospecté avec une rare prévoyance, en vue de l’avenir : il y a, en effet, 14 à 15 kilomètres de criques prospectées, dont plusieurs grandes criques qui demanderont deux et trois coups de sluice. L’avancement moyen annuel, tenant compte des interruptions dues à l’eau, de l’épaisseur du déblai stérile, des boulders à déplacer, des racines et troncs d’arbres très lourds, etc., ne doit pas être calculé à plus de 500 mètres par an ; mais toute crique prospectée n’est pas exploitable.
Sur ce placer, l’or n’est pas concentré autour d’un centre d’où partent des criques rayonnantes, comme à Saint-Elie ; mais il y a de nombreuses taches aurifères, sans lien apparent, peut-être reliées par des filons de quartz désagrégés, d’une teneur en or très irrégulière, mais parfois très riches. Il en reste d’ailleurs, comme nous l’avons vu, des témoins dans les terres rouges des collines.
Par comparaison avec le placer Saint-Elie, le plus ancien de la Guyane, la richesse des criques de la Mana a présenté jusqu’ici une régularité presque aussi grande. A Saint-Elie, pendant neuf ans (1879-1888), les rendements ont peu varié : 350 à 600 kilogrammes d’or par an. Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont baissé. Ils se sont cependant maintenus encore, pendant les dix années suivantes (1889-1899), entre 150 et 200 kilogrammes par an. On a exploité sur Saint-Elie 40 à 50 kilomètres de criques, et, avec les doubles coups de sluice, cela représente 80 à 100 kilomètres de longueur de chantiers. Sur la Mana, à cause de l’irrégularité des taches aurifères, on n’aura pas autant en un point donné, évidemment ; mais avec l’immense étendue des placers exploités, chacun de 200 kilomètres carrés en moyenne, l’ensemble des criques aurifères peut bien arriver à la longue au même total.
La production moyenne, par kilomètre de criques, sur les quatre grands placers de la Mana, a varié de 50 à 80 kilogrammes d’or. Sur Saint-Elie, pour une production totale de 6,000 kilogrammes d’or, elle a été de 60 kilogrammes par kilomètre, à raison de 100 kilomètres de longueur de chantiers.
La teneur minima exploitable en ce moment est de 5 grammes d’or par homme au chantier et par jour, pour le placer Souvenir ; et de 4 grammes aux autres placers de la Mana, Saint-Léon, Triomphe et Dagobert. Il y a 8 à 10 hommes par chantier ; cela fait donc 40 à 50 grammes par chantier à Souvenir, 32 à 40 grammes aux autres placers.
L’avancement est de 2 à 4 mètres par journée de travail ; mais, avec les chômages et les réparations, il ne faut pas compter faire plus de 2 mètres par jour, soit 50 mètres par mois, ou 600 mètres par an. Donc, 2 mètres d’avancement doivent donner 40 à 50 grammes d’or par jour d’un côté, 32 à 40 grammes de l’autre.
Or, le rendement moyen actuel est beaucoup plus élevé, comme le montre le tableau suivant des quatre principaux placers :
Mois de février 1904. |
Souvenir. |
St-Léon. |
Triomphe. |
Dagobert. |
| Production du mois (25 jours) | 27k,156 |
9k,880 |
11k,940 |
23k,400 |
| Production par jour | 1k,086 |
385 |
477 |
936 |
| Nombre de chantiers | 9 |
6 |
7 |
10 |
| Production par chantier | 120½gr |
64gr |
68gr |
93½gr |
| Dépenses admises | 50 |
40 |
40 |
40 |
| Profit par chantier | 70½ |
24 |
28 |
53½ |
On voit que ce profit est bien plus grand à Souvenir et à Dagobert : et encore, il faudrait tenir compte d’un supplément de dépenses à Saint-Léon et à Triomphe, provenant du surcroît de malades ou non-travaillants (résultat accidentel).
La largeur moyenne d’une crique est de 4 à 5 mètres, et l’épaisseur moyenne de la couche aurifère est de 30 centimètres. On enlève donc par jour :
2 × 4½ × 0,30 = 2 m3,700 d’alluvion riche.
Soit 5 à 6 tonnes.
La teneur varie donc de 10 à 20 grammes par tonne d’alluvion riche. Mais si l’on tient compte du déblai stérile dont l’épaisseur varie de 3 à 6 pieds, en moyenne 4 pieds, on voit que la teneur par tonne d’alluvion totale est égale aux chiffres précédents, divisés par 4 à 7, en moyenne par 5, c’est-à-dire qu’elle varie d’un et demi à 5 grammes, en moyenne 2 grammes et demi. Cela signifie, d’après les chiffres précédents, que la dépense est encore moitié moindre, c’est-à-dire qu’elle n’est que d’environ un gramme et demi, chiffre remarquable, avec la simplicité de moyens dont dispose le mineur guyanais, les difficultés du déboisement, etc.
Améliorations. — J’ai fait, à divers chantiers, quelques essais d’or des résidus des sluices, et je n’ai constaté que des pertes insignifiantes, ce qui n’a rien d’étonnant, vu la faible quantité de sables lavés chaque jour et le nettoyage journalier du sluice. Il n’y a donc rien à changer au sluice guyanais, seul adapté à l’avancement très rapide de l’exploitation. Les pertes en or, nécessitant assez souvent le repassage des criques, proviennent d’abord du nettoyage insuffisant de la glaise du bedrock, piétinée par les mineurs, et où l’on retrouve parfois même des pépites de 100 à 200 grammes, et ensuite du jet de pelle (dit canne-major) qui lance des paillettes d’or en dehors du sluice.
Le sluice guyanais, tout à fait mobile, répond parfaitement à la nécessité d’un déplacement presque quotidien. Il ne servirait à rien de mettre des machines puissantes là où un très petit nombre d’ouvriers, sept à huit, suffit à la tâche. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, la limite inférieure d’exploitabilité en Haute-Mana n’est pas si différente de celle des placers d’autres pays : nous avons vu qu’elle descend à moins de 5 francs par tonne, soit 2 francs par mètre cube. Et il faut compter ici le déboisage, et l’enlèvement des troncs et racines enfouis et encastrés dans le déblai et même l’alluvion. En outre, l’accès très difficile de la région est cause que le transport des marchandises y revient à 1,200 francs la tonne par la Mana, 800 francs par l’Approuague. Il y a peu d’endroits, même en Sibérie, où ces chiffres soient dépassés (voir mes études sur la Sibérie et la Californie). Seules, les dragues, si elles étaient possibles, abaisseraient le prix de revient.
Les seules améliorations que je crois possibles seraient, d’une part, pour les criques larges, demandant plusieurs coups de sluice, l’emploi de brouettes pour enlever d’un seul coup tout le stérile, et éviter ainsi la fausse manœuvre de déplacer plusieurs fois le même cube de terre ; d’autre part, au cas d’excès d’eau en hiver dans les petites criques, le relèvement et l’allongement du sluice, ce qui éviterait les pertes d’or par entraînement de l’eau, et l’inondation du chantier (on est obligé de les assécher par les pompes dites macaques dont j’ai parlé plus haut). Il est vrai qu’un chantier bien conduit ne devrait pas être exposé à cette inondation, il suffirait de commencer l’exploitation de la crique par les côtés, laissant le thalweg pour l’écoulement de l’eau ; mais les Guyanais sont pressés d’enlever dans les criques le sable le plus riche (ou qu’ils croient le plus riche) en premier lieu.
Dans les grandes criques, on pourrait peut-être, en cas de besoin, avoir recours à l’une ou l’autre des méthodes californiennes en rivière : digues, dites wingdams, avec pompes chinoises ; aqueducs ou flumings, etc. Ce sera peut-être aussi le cas d’employer le sluice à secousses, type François, et les pompes centrifuges, pour évacuer les résidus.
Je considère comme hors de question l’introduction de dragues dans les placers que j’ai visités, pour beaucoup de raisons, sans même parler du coût énorme des transports par rivières :
Insuffisance d’eau fréquente ;
Enchevêtrement de troncs et de racines dans le déblai ;
Inutilité de laver du stérile ;
Faible largeur et faible épaisseur de l’alluvion aurifère ;
Passages de boulders infranchissables aux dragues, etc., etc.
Une drague, coûtant très cher, doit avoir devant elle un très grand champ d’activité ; ce qui n’est guère le cas des criques étroites du Haut-Mana. En admettant même qu’elle puisse fonctionner, avec la faible largeur (quelques mètres) des alluvions, elle ne payerait pas ses dépenses. Si la drague eût convenu en Guyane, on l’y eût inventée. Chaque pays invente sa méthode spécialement adaptée à ses besoins.
Je ne dis rien de la méthode hydraulique, inapplicable en Guyane, à cause du manque de pente, soit pour les déblais, soit pour l’eau, au cas d’élévateurs hydrauliques.
Maraudage. — Pour terminer la description des placers, il me reste à parler des maraudeurs et de leurs découvertes. Les maraudeurs ne sont pas autre chose que les chercheurs d’or en rivière, non munis de permis de recherche.
Pour avoir le droit d’exploiter en Guyane, il faut non seulement le permis de recherche, mais il faut que le service d’arpentage ait fixé les limites de la zone concédée, et confirmé ainsi le titre de possession. On conçoit combien ces opérations sont difficiles dans des régions inhabitées situées à trente jours de la mer, et davantage, en canot. Sur un des placers de la Mana que j’ai visités, il avait fallu, peu de temps avant mon passage, expulser à main armée deux cent cinquante ou trois cents maraudeurs venus par le Maroni. Le propriétaire du placer avait dû organiser, à ses frais, une véritable expédition militaire avec une centaine de soldats, leurs officiers et sous-officiers, un docteur, etc. Cette expédition, fort compliquée, avait d’ailleurs, accompli sa mission avec plein succès, sans avoir un seul malade, ni un seul noyé dans les cataractes et les sauts de la Mana.
Dans ce cas de la Mana, les maraudeurs étaient arrivés après la découverte de l’or, et rien ne justifiait leur présence : or, en sept mois, ils avaient eu le temps de saccager 4 à 5 kilomètres de criques, dont il ne restait à faire que les repassages.
Il y a des régions réputées comme bonnes sur certains placers légitimement possédés, et il importe de pouvoir les protéger contre les invasions de maraudeurs. Il semblerait qu’ils ont quelque droit de saccager les criques à leur guise, à titre d’inventeurs ; mais souvent ils ne découvrent rien, ils se contentent d’arriver à la première nouvelle d’une découverte. Les prospections sont organisées de Cayenne et coûtent cher, pour ne donner souvent aucun résultat. Il est donc juste de se protéger contre les maraudeurs. Ceux-ci ne font œuvre utile que sur les régions non prospectées qu’ils arrivent parfois, m’a-t-on dit, à épuiser assez complètement : de la sorte, leur travail contribue à faire vivre le commerce des vivres sur la côte, et ils vendent leur or à divers marchands qui ne possèdent guère de titres de propriété de placers que pour avoir le droit d’acheter de l’or et de l’expédier en France. On sait trop les tracasseries de la douane guyanaise au sujet de l’or, dont la colonie vit cependant, pour que j’insiste sur ce sujet : on ne saurait plus habilement exciter à la fraude ceux qui y sont le moins portés.
Les maraudeurs sont à craindre seulement sur les placers de l’Inini au sud, et dans la région ouest de la Mana. Pour éviter leur retour, le meilleur moyen est de mettre en exploitation la région où on les craint, de façon à les expulser plus facilement, et surtout à exploiter avant eux les criques riches : mais ces régions sont justement celles qui sont les plus écartées, et où le ravitaillement est le plus difficile. L’accès par le Maroni facilite la fuite de l’or en Guyane hollandaise.
On pourrait également former, par exemple, une sorte de brigade d’ouvriers assermentés pouvant faire l’office de gardes (opinion préconisée par M. Leblond), et qui ferait de temps à autre une visite des points menacés par les maraudeurs : on saisirait leurs vivres, de façon à les obliger à partir. Cette mesure, accompagnée d’une action énergique menée à Cayenne au point de vue judiciaire pour faire respecter la propriété minière, ferait certainement beaucoup d’effet.
Je répète cependant que les maraudeurs ont leurs droits et leur utilité, et je dirai ici quelques mots sur leurs exploits et leurs découvertes.
Les maraudeurs recherchent les régions de nationalité incertaine, car ils ne risquent pas d’y être dérangés dans leur travail ; il n’y a ni formalités à remplir, ni droits d’exploitation, ni droits de douane. C’est l’histoire des chercheurs d’or de Californie et de l’Alaska, qui est la même sous toutes les latitudes : ils font eux-mêmes leurs lois et leur police.
C’est ainsi que les maraudeurs, au nombre de cinq à six mille, découvrirent les placers de l’Awa, sur le Maroni, entre les Guyanes française et hollandaise, puis le Carsewène dans le contesté franco-brésilien, enfin l’Inini, sur le haut Maroni.
A l’Inini, parmi les premiers heureux chercheurs d’or, on cite un pâtissier de Cayenne, nommé Léon, qui fit 42 kilogrammes d’or en trois mois ; Jadfard, qui fit 27 kilogrammes en vingt-deux jours ; Mérange, 100 kilogrammes en quatre à cinq mois, mais pour le compte de plusieurs associés.
Au Carsewène et à l’Awa, il s’est fait des fortunes qui se dépensent à Cayenne, et il s’en fait en ce moment d’autres encore sur la Mana.
Cependant, il semble que bientôt l’ère des riches découvertes de placers doit se clore, sauf peut-être du côté des monts Tumuc-Humac, tout à fait dans l’intérieur. C’est le tour des quartz aurifères de produire, et nous allons dire ce qu’ils ont donné jusqu’à présent. Le voisinage des riches quartz du Venezuela (Mines du Callao, etc.) semble présager aussi de riches découvertes en Guyane française.
Les quartz aurifères.
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai rencontré des galets et des blocs isolés de quartz plus ou moins aurifères sur divers placers du Haut-Mana ; mais je n’ai observé d’alignement assez bien défini de ces quartz de surface qu’en deux endroits, et sur une étendue peu considérable ; les fouilles exécutées ont démontré qu’il ne s’agit là nullement d’un affleurement véritable. Ce ne sont point là des filons de quartz en place, mais seulement des débris de quartz provenant de l’éparpillement d’un filon dont la roche encaissante a été désagrégée et même décomposée. Comme la profondeur de roche décomposée atteint 20 à 40 mètres, parfois 60 mètres, comme on l’a reconnu au placer Elysée, on conçoit que la recherche d’un filon est une opération très coûteuse, car il n’y a aucun affleurement visible, sauf dans un cas que je citerai plus loin. Il y a en outre interruption complète entre les quartz disséminés de la surface et le filon en place ; lorsqu’on a trouvé celui-ci, comme à Elysée, on a mis des années pour y parvenir. Ces quartz de surface ne sont pas spéciaux à la Mana ; on les a trouvés à Elysée, à Saint-Elie, à Adieu-Vat, et, sur ces placers, on les a même exploités, comme nous allons le voir.
Le seul filon de quartz aurifère en place que l’on ait réellement reconnu, développé et tenté d’exploiter, est celui d’Adieu-Vat. Partout ailleurs, à Saint-Elie, Elysée, etc., il s’agit de quartz provenant de têtes de filons décomposés, et dont les débris ont été éparpillés dans les terres rouges de la surface par des effets d’érosion très intenses, dus peut-être à l’action de l’océan.
A Saint-Elie, ces quartz, exploités en carrière et broyés au moyen de deux bocards, chacun de trois pilons légers, ont rendu :
- En 1901-1902, pour 653½t, 36kg,223 d’or, soit 54gr par tonne.
- En 1902-1903, pour 876½t, 36kg,083 d’or, soit 41gr par tonne.
La valeur de cette dernière production était de 111,895 francs.
M. Rémeau, qui avait été directeur d’El Callao au Venezuela, qui possédait une expérience de vingt-cinq ans de Guyane et du Venezuela, et qui avait été l’initiateur de l’exploitation en carrière des quartz de Saint-Elie, a fait à Adieu-Vat un grand découvert de 200 mètres de long sur 50 de large à travers une colline ; il en a fait sortir environ 12,000 tonnes de quartz, dont la moitié est encore sur le carreau : le reste a passé au broyage. Les terres rouges étaient riches en or, comme cela se passe toujours lorsque ces terres renferment des quartz aurifères.
En outre, à Adieu-Vat, à force de faire des recherches dans un sol très difficile, à cause de la végétation exubérante qui le recouvre, on a découvert l’affleurement d’un filon de quartz. Ce filon a été développé ensuite par M. Rémeau sur 200 mètres de longueur et 60 mètres de profondeur, c’est-à-dire jusqu’à 25 mètres au-dessous du niveau de la rivière Sinnamary.
Ce filon est encaissé dans une roche dioritique, tantôt verdâtre, tantôt noirâtre : il est constitué par une fente d’un mètre de puissance, mais dont le quart seulement est du minerai. Le filon est incliné à 70 degrés : au premier niveau, il donne de la pyrite ; au second niveau, l’or est associé au tellure et au sulfure de bismuth. Le quartz est gras, parfois un peu bleuté ; la diorite n’est pas aurifère. Le tellure et le bismuth obligeront sans doute à recourir aux méthodes de traitement de Coolgardie, dans l’Ouest-Australien.
En 1903, avec une batterie de trois pilons légers, on a broyé 419 tonnes du quartz du niveau supérieur, dont le rendement a été de 61 kil. 450, soit 145 grammes par tonne. Cette production valait 182,376 fr. 35, soit près de 3 francs le gramme, ou 430 francs par tonne.
Ce filon d’Adieu-Vat est donc le seul vrai filon actuel de la Guyane française, et il est encore peu développé en longueur et en profondeur. Mais sa richesse, dans une région rappelant celle du Callao, permet de croire à sa valeur. On doit en trouver d’autres, mais je répète qu’il y a une vraie difficulté à les croiser à travers cet énorme manteau de terres rouges qui recouvre tout le pays. On peut, en attendant, d’ailleurs, exploiter les quartz disséminés et les terres rouges.
Les alignements de ces quartz sont un précieux indice.
Mais même les alignements de criques riches sont un indice de la direction et de la position probable des filons. Il y a, par exemple, à l’Inini, un fait curieux : toutes les criques riches se trouvent sur une ligne nord-sud qui suit parallèlement la chaîne principale de montagnes : il y a donc probablement un riche filon de quartz parallèle à cette ligne. Ces criques ont produit plusieurs milliers de kilogrammes d’or, avec de nombreuses pépites et des quartz très riches.
Il en est de même dans le Haut-Mana, et l’on peut s’attendre raisonnablement à ce que la Guyane française possède un jour des filons de quartz en exploitation : on se mettra sérieusement à leur recherche lorsque les placers, encore maintenant si riches, approcheront de leur épuisement.