La Guyane inconnue: Voyage à l'intérieur de la Guyane française
CHAPITRE XVI
LES RESSOURCES DE LA GUYANE FRANÇAISE
Pour ne pas interrompre la relation de mon voyage, j’ai préféré réunir à part les renseignements pratiques sur les richesses de la Guyane au point de vue végétal et minéral, et même animal. M. Bassières, de Cayenne, qui dirige le jardin botanique de Baduel et la colonie de Mont-Joly, ne m’en voudra pas si, dans ces notes, je mets fortement à contribution ses renseignements et sa notice sur la Guyane, publiée pour l’Exposition de 1900.
Avant de parler de ces richesses, il n’est pas inutile de dire quelques mots du climat et de la population.
Le climat résulte de la latitude, du voisinage de la mer, de l’immense végétation forestière qui couvre le sol et de l’altitude peu élevée de ce sol. Aussi ce qui caractérise le climat de la Guyane, c’est l’humidité ; elle tempère la chaleur qui n’est jamais excessive. Il y a une saison sèche qui est l’été, et une saison des pluies qui est l’hiver. Mais il pleut également en été où la température moyenne est de 27 degrés : août et septembre sont les mois les plus chauds. En hiver, la température moyenne est de 25 degrés : janvier et février sont les mois les plus frais : en mars il y a presque toujours deux à trois semaines de sécheresse, qu’on appelle le petit été. En somme la Guyane est favorisée d’un climat marin très doux, humide surtout, à cause des forêts et de la mer.
Sur les côtes, il souffle fréquemment une forte brise venant du large, et très saine à respirer. Il n’y a pas ici de zones côtières malsaines comme à la Côte d’Or et à la Côte d’Ivoire, en Afrique. Un des hommes éminents de la Guyane, M. Théodule Leblond l’a écrit en toute connaissance de cause : « Les centres de colonisation doivent être installés sur le littoral, là où l’air de la mer circule librement, car pendant huit mois de l’année, la direction générale des vents régnants oscille entre l’est-nord-est et l’est-sud-est. »
Vers l’intérieur, l’énorme exubérance de la végétation, et surtout certaines régions marécageuses au bord des grands fleuves rendent le climat moins bon : la fièvre paludéenne pourtant est la seule à craindre. La fièvre jaune n’est apparue en Guyane que sur les côtes, à l’improviste, et très rarement : elle disparaît très vite et ne s’attaque, du moins gravement, qu’aux blancs. Les noirs et les mulâtres même ne la redoutent que médiocrement. Quant à la fièvre ordinaire, ou paludisme, il faut la combattre par une nourriture abondante et des exercices physiques qui font transpirer, comme la marche : la sueur élimine les principes morbides. Sans cela, à la longue, la fièvre produit l’anémie, et chez les noirs, le béribéri, ou enflure, auquel les blancs sont très peu sujets. On peut dire qu’avec quelques précautions, le climat, même à l’intérieur de la Guyane, n’est pas malsain, et la seule cause des indispositions réside dans l’humidité de l’air et du sol : la chute de pluie est en moyenne de 3 mètres à 4m,50 par an, elle est donc très forte. Quant aux orages, aux ouragans, ils sont très rares, tandis que dans les Antilles ils sont assez fréquents. Aux Antilles par contre, il y a des montagnes assez élevées, 1,500 mètres, où le climat est sain et tempéré ; tandis qu’en Guyane, même à 200 kilomètres des côtes, les montagnes n’atteignent que 300 à 400 mètres de hauteur ; le climat y est un peu plus frais seulement que dans les savanes.
On a observé qu’en somme la salubrité est très grande en Guyane. Le taux de la mortalité n’est que de 2,53 pour 100, tandis qu’il est de 6,17 pour 100 au Sénégal et de 8 à 9 pour 100 à la Guadeloupe et à la Martinique : on a donc beaucoup exagéré l’insalubrité prétendue de la Guyane.
La population totale est estimée entre 30 et 35,000 personnes des deux sexes : il y a en moyenne 12 hommes pour 10 femmes, mais en tenant compte des forçats. Cayenne seule a 12,000 habitants, et les bourgades de la côte, Mana, etc., en ont 11,000.
Il y a 600 militaires ; la garnison de Cayenne a été très diminuée. Cette ville, fondée en 1635, a été longtemps un poste militaire avec un fort. Notre principal centre fortifié est maintenant Fort-de-France, dont la rade est incomparablement supérieure à celle de Cayenne : celle-ci, en effet, est inaccessible aux navires à fort tirant d’eau, à cause d’une barre qu’on ne franchit qu’à marée basse.
La plus grande partie de la population est métisse, croisée de blancs et de noirs, ce qui a produit une race très intelligente, capable d’exagérer tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, les qualités physiques ou morales de ses ascendants. En moyenne, elle m’a paru bien douée, et solidement constituée.
Comme noirs connus, on en compte environ 2,000, y compris quelques centaines d’Indiens connus. Mais il y a en outre 6 à 8,000 inconnus dans l’intérieur des terres ; ce sont surtout des Indiens de race rouge : Emerillons, Galibis, etc. Il y a quelques Hindous et Chinois, mais très peu.
Le nombre total des relégués et transportés varie de 5,000 à 6,000 : il doit même aller en augmentant puisqu’on ramène en Guyane les déportés de la Nouvelle-Calédonie. Leurs centres de colonisation sont Saint-Laurent et Saint-Jean, sur le Maroni, et les îles du Salut. J’ai exposé au cours de mon voyage le peu de travail utile qu’ils ont fait au point de vue de la mise en valeur de la Guyane, ce qu’on attribue au manque de plan de colonisation, de la part du gouvernement et de l’administration pénitentiaire.
La population augmente par l’afflux des créoles des Antilles française et anglaise, à la poursuite de l’or. Mais on observe un excès des décès sur les naissances : cet excès est dû à l’existence des placers aurifères riches, qui attirent les jeunes gens, et comme ces placers sont à grande distance des côtes, la vie pénible et le manque de soins les déciment. Il faut tenir compte aussi pour l’excès des décès sur les naissances, du grand nombre de forçats improductifs, et enfin de la faible matrimonialité. L’union libre est volontiers pratiquée, ainsi que la polygamie : d’un côté, il n’y a point d’enfants, de l’autre il y en a trop, mais le père ne s’en occupe pas, et mal soignés, ils sont décimés.
Quant à la situation économique en général, elle est mauvaise en ce moment : il n’y a presque ni agriculture, ni industrie, ni commerce. Tout est importé, alors que la Guyane pourrait tout produire. On a abandonné presque toutes les plantations de canne à sucre, cacao, etc., pour les mines d’or. Celles-ci, par contre, qui datent de cinquante ans environ, sont très prospères. La production va même en augmentant. Nous en parlerons plus loin, ainsi que de la colonisation de la Guyane.
Après les hommes, dans une description, il convient de s’occuper des animaux. Ceux-ci sont fort nombreux et variés en Guyane : la forêt vierge est un refuge assuré pour toutes les espèces possibles, et le climat tiède et humide est merveilleusement favorable à leur développement. Il faudrait un volume entier pour les décrire, mais comme on peut trouver leur description dans un ouvrage d’histoire naturelle, je me bornerai à une brève énumération. Il est curieux de faire remarquer que le grand ouvrage de Buffon les décrit déjà avec une très grande exactitude ; il cite même les animaux spéciaux à la Guyane, car Louis XIV avait chargé une mission de s’en occuper.
Parmi les mammifères, les plus curieux sont la sarigue, l’opossum, le tamanoir, le tatou, le paresseux, le tapir, le pécari, l’agouti, l’acouchi, le cabiai, qui est un rongeur de grande taille, il a quatre pieds de long ; le porc-épic, le cougouar, le jaguar, le chat-tigre, peu redoutables pour l’homme. Le seul lion est le puma qui également redoute l’homme. Il y a toute espèce de singes : l’ouistiti, le macaque, le sagouin, le coatta, etc. Beaucoup de ces animaux ont des particularités curieuses : la sarigue et l’opossum sont remarquables par le pénis bifide du mâle, la poche marsupiale et la double vulve de la femelle. Le cabiai a les pattes à demi palmées et plonge aussi bien qu’un canard. Le tapir ou maïpouri, gros comme un petit cheval, a une trompe comme l’éléphant, mais plus courte. Le tatou a près de cent dents. Le porc-épic peut à volonté détacher ses piquants. Le vampire est connu pour sucer le sang des autres animaux. Le singe rouge a un appareil vocal double, lui permettant d’émettre aussi bien des sons aigus que des sons graves.
Les seuls animaux redoutables pour l’homme sont certains reptiles : le serpent-corail, le serpent à sonnettes, le serpent chasseur, le serpent agouti, et les grages, tous venimeux. Le boa constrictor ou grande couleuvre, comme on l’appelle en Guyane, n’est pas venimeux, mais il est capable d’étouffer un homme comme il étouffe les autres animaux, et de même le devin. Les autres serpents : le jacquot qui est vert, le rouleau, le réseau, le serpent à deux têtes ou maman-fourmis, qu’on trouve souvent au fond du nid des fourmis-manioc, etc., ne sont pas dangereux.
Les sauriens présentent des individus remarquables : un caméléon, l’agama ; l’iguane vert, dont la chair blanche est fine et recherchée, ainsi que les œufs ; puis le caïman également mangeable quand il est jeune ; il est peureux et n’attaque pas l’homme comme l’alligator du Brésil ; il y a toute espèce de tortues ; l’une d’elles passe à tort pour venimeuse, mais sa morsure est très douloureuse.
Il faudrait citer d’autres êtres désagréables : les fourmis qui ont tant de variétés, dont quelques-unes dangereuses pour l’homme ; les moustiques, les tiques, les chiques qui pullulent en certains endroits et peuvent, si l’on ne s’en débarrasse pas, atrophier le pied auquel elles s’attaquent. Enfin les araignées avec la gigantesque araignée-crabe qui est venimeuse.
Mais il faut en venir aux oiseaux qui sont le grand charme du bois sauvage ; ce sont les plus beaux du monde : on en avait fait une splendide collection qui fut enlevée en 1809 lors de l’invasion anglo-portugaise, elle figure maintenant au British Museum, à Londres. Je citerai le pélican, la frégate, le phaéton, le goéland, le bec-en-ciseaux ; puis la bécasse, le héron, la grue, le râle, le jacana, le serpentaire, le kamichi dont les ailes sont armées d’un ergot, l’agami, l’aigrette, l’ibis. J’ai cité dans mon voyage les hoccos, si délicieux à manger, ils ont un panache et de belles plumes frisées ; puis les marayes, les perdrix, les cailles, etc. ; les torcols, les mésanges, les grives, les rossignols, les alouettes, les papes, les cardinaux, les évêques, tous aux couleurs éclatantes ; les colibris et enfin les toucans, couroucous, aracaris, etc. Parmi les oiseaux rapaces, l’urubu pullule à Cayenne ; dans la forêt, il y a le grand aigle, le condor, l’effraye, la harpie, etc. J’allais oublier l’immense variété des oiseaux chanteurs aux couleurs voyantes : perroquets, aras, perruches, bleus, verts et rouge écarlate qui jettent leurs cris aigus dans le bois, sur les fleuves, en tranchant de leurs teintes vives sur le vert des arbres.
Après les animaux, l’homme s’intéresse surtout aux fruits parmi les végétaux. Il faudrait donc les énumérer d’abord, mais ils sont innombrables : les Guyanais eux-mêmes ne les connaissent pas tous. Je citerai les plus fameux : ce sont la noix de coco, et les amandes des divers palmiers qui donnent en outre le chou palmiste ; l’igname, l’ananas, la banane, la vanille, la pomme cannelle, la barbadille, le mari-tambour, et d’autres variétés, l’avoca, la mangue, le mombin, la pomme de Cythère, l’anis, le sapotille, la poire de Guyane, la prune de Guyane, la cerise de Guyane, la goyave, le parépou. Les fruits ne se décrivent pas, ils se goûtent ; le plus fameux, selon moi, est la mangue, qui mériterait des efforts pour être transportée en Europe. Je citerai aussi le café, les piments, le melon d’eau, la calebasse, puis la patate, le manioc, l’igname, etc., qui sont des racines ; puis le gingembre, le poivre, la muscade, le cacao ; puis le calou ou gombo, qui est un légume ; enfin la canne à sucre que tous les indigènes sucent et qui pousse à l’état sauvage. Presque tous ces fruits ont l’avantage de se manger tels qu’ils sont sur l’arbre, sauf pourtant les racines.
Avant de décrire les ressources forestières de la Guyane, nous dirons quelques mots des cultures qui ont été entreprises, et qui ont été plus ou moins abandonnées.
Sur 12 millions d’hectares, à peine 3,500 sont-ils mis en culture, formant 1,500 exploitations, qui occupent 6,000 travailleurs ; leur but unique, ou presque, est la culture vivrière : il n’est pas question ici de la colonie pénitentiaire.
La canne à sucre est tombée de 1,571 hectares en 1836 à 15 hectares en 1885. La production, qui était de 3,000 tonnes, est tombée à 52 tonnes. La production de rhum, en 1897, n’était que de 24,000 litres, et le centre principal est Mana, où les plantations et la fabrication du rhum sont l’œuvre d’une communauté religieuse de femmes. Le rhum de Mana est le meilleur des Antilles.
Le cacao, qui rendait 40,000 kilos en 1832, n’en rendait plus qu’une vingtaine de mille il y a quelques années. Il est en reprise depuis que le gouvernement offre une prime d’un franc par pied de cacao replanté.
Le café rendait 46,000 kilos en 1835, et seulement 17,000 en 1885. Depuis, il ne cesse de baisser encore.
On cultivait en 1879 près de 1,000 hectares de rocouyer, et à peine 300 en 1890. La baisse ne fait que continuer.
Les cultures vivrières : bananes, manioc, igname, sont stationnaires ; par contre, les fourrages verts sont en bonne croissance, et réussissent bien.
Comme débouchés, la Guyane a d’abord la France pour le cacao, le café, le thé, la vanille, le coton qu’elle a malheureusement abandonné ; puis le caoutchouc, le balata depuis quelques années, les peaux, les plumes, les bois de teinture et de construction, le bois de rose, etc., comme nous le verrons.
Pour les animaux de boucherie et les bois, la Guyane aurait les Antilles ; et enfin pour tous les articles de consommation vivrière, la Guyane pourrait se fournir elle-même au lieu d’en importer chaque année pour deux millions de francs : conserves, légumes, etc.
Ce ne sont pas les terrains favorables qui manquent ; ils sont au contraire en grande abondance, et pour toute espèce de culture, les uns pour de riches et vastes pâturages, les autres pour les arbustes à épices, le cacao, le café, etc., et enfin pour les arbres fruitiers.
La Guyane possède un terrain très fertile, produisant sans engrais et sans labours profonds. La seule difficulté, et elle est assez grande, c’est le défrichement de ces arbres immenses sur un sol humide ; on les abat assez bien, car ils ont peu de racines, mais il est très difficile d’y mettre le feu.
Nous allons examiner avec plus de détail les productions naturelles du sol, en les classant, suivant leurs propriétés.
1o Plantes féculentes. — La principale est le manioc, susceptible de produire en quinze mois : il donne comme produits le couac très goûté des créoles ; la cassave, qui est une galette ; et le tapioca, très employé en Europe.
La patate blanche, ou rouge, peut donner des produits en trois mois.
L’igname produit en dix mois.
L’arrow-root à l’état sauvage, produit en douze mois.
Le riz produit en cinq mois, deux fois par an.
Le maïs donne trois récoltes par an.
Le bananier, avec ses nombreuses variétés, peut produire 24,000 kilogrammes de fruits par hectare, donnant 5,800 kilogrammes de farine. Un régime de bananes peut atteindre le poids de 25 à 30 kilogrammes.
Le topinambour, la citrouille, le châtaignier de Guyane réussissent. L’arbre à pain, qui n’a pas de gluten, est impropre à faire du pain.
2o Plantes aromatiques et condimentaires. — La première est la vanille : c’est une orchidée qui, à l’état sauvage, donne le vanillon, valant déjà 25 à 30 francs le kilogramme. On la cultive sous trois variétés : la grosse vanille, la petite et la longue, également parfumées. Le fruit a la forme d’une baie charnue à trois côtes remplie d’une fine semence brune. En deux ou trois ans, un hectare produit de 200 à 500 kilogrammes de gousses marchandes, valant 30 à 70 francs le kilogramme, suivant la qualité et la longueur. Il est étonnant, dit M. Bassières, que cette culture, qui n’exige ni main-d’œuvre considérable, ni grands capitaux, ne soit pas pratiquée en grand à la Guyane.
Les cannelliers donnent des produits supérieurs, qui ont contribué beaucoup autrefois à la prospérité agricole de la Guyane.
Le poivrier, le giroflier, le muscadier, le gingembre sont très estimés, ce dernier surtout, par les Anglais, qui en mettent dans tous leurs aliments et même dans leurs boissons. Il faut citer aussi le safran, le vétiver, le bois d’Inde, l’oranger, le citronnier, l’herbe appelée citronnelle, qui a un goût prononcé de citron sans être acide, et passe pour un fébrifuge ; enfin, le bergamotier, le diapana, le mandarinier, le cerisier de Cayenne, etc.
Parmi les plantes aromatiques seulement, il y a une série de bois dont le principal est le bois de rose : son essence est jaune, a le parfum de rose et vaut 25 francs le litre. La Guyane exporte en France à la fois l’essence et le bois. Les autres plantes aromatiques guyanaises sont le sassafras, le gaïac, dont l’amande parfumée est très recherchée, le couchiri, la maniguette, la liane-ail, l’ambrette, le couguericou, etc.
3o Plantes tinctoriales. — La principale est le rocouyer, qui produit la bixine, matière colorante jaune rougeâtre. L’indigotier pousse sans culture et abonde en certains endroits. Le safran contient une résine jaune employée en cuisine et en médecine, sans parler de la chimie et de la teinturerie ; il abonde en Guyane.
Parmi les essences forestières, il y a le bois de campêche, le bois de grignon servant pour le tannage, le bois du Brésil, l’aréquier, le palétuvier, la gomme-gutte qui donne une couleur jaune.
Le caraguérou donne une couleur rouge. Le bougouani donne une couleur foncée, tirant sur le noir. Le simira donne un rouge vif. Le balourou donne le pourpre. Enfin, le bois violet est déjà par lui-même d’une magnifique couleur violet sombre. Il faudrait citer encore le goyavier, le génipa, le mincoart, etc., etc.
4o Plantes oléagineuses. — L’arachide, si cultivée en Afrique et dans l’Amérique du Nord, est naturelle en Guyane ; or, la France importe annuellement plus de cent mille tonnes d’arachides, valant 200 francs la tonne.
Le cocotier donne l’huile de coco, le coprah, et le beurre de coco.
Le ricin pousse abondamment en Guyane.
Le cacaoyer et le muscadier donnent les beurres de cacao et de muscade.
On tire aussi des huiles du médicinier, du sésame. Le palmier aoura donne l’huile de palme. L’acajou donne l’huile des Caraïbes. Le carapa, le coupi, le yayamadou, le palmier maripa, l’ouabé, le patawa donnent des huiles, des graisses, de la cire. L’huile de pekea peut rivaliser pour la cuisine avec l’huile d’olives.
Il faut citer aussi le cirier d’Amérique, le pinot, le comou, le palmiste, le carnaübe, le conana, qui sont des palmiers ; enfin, le savonnier, le sablier, le touka, l’arouman, le lilas du Japon, etc., donnant tous des substances grasses. On compte beaucoup les utiliser pour les fabrications du savon et des bougies.
5o Plantes textiles. — Le coton de Guyane, dit coton longue soie, que produisait autrefois la colonie, était très estimé. Il a été abandonné. Cependant, cette culture pourrait être reprise avec fruit, quand on songe que la France est tributaire des Etats-Unis pour cette plante. Elle produit surtout entre trois et cinq ans, mais peut durer dix ans en donnant deux récoltes par an, soit 300 kilogrammes de coton marchand par hectare et par an.
La ramie, qui a de très belles fibres ayant la longueur exceptionnelle de 1m,85, a aussi un très bel avenir. La France en consomme annuellement pour 300 millions de francs, dit M. Bassières.
L’agave a des feuilles très longues, de 1m,50 à 2 mètres, qu’on coupe au moment de la floraison : elles donnent une filasse blanche et brillante dont on fait des cordages, des filets et des objets de luxe : tapis, bourses, etc.
Les feuilles du voaquois servent à fabriquer des nattes, des sacs d’emballage, des chapeaux créoles, etc. Le voaquois a été introduit en Guyane, et avec succès.
L’ananas a des fibres très fines, mais difficiles à isoler. L’yucca également.
On fait également de la filasse avec le moucou-moucou, l’ouadé-ouadé, le rose de Chine, le calou ou gombo (okra en Californie), et avec des fibres de grands arbres comme le maho, le balourou, le canari macaque.
Les larges feuilles en éventail de l’arouman donnent avec leurs côtes des lanières dont on fait en Guyane toute espèce d’objets en vannerie et en sparterie, d’une solidité à toute épreuve. Les indigènes les teignent en rouge par le rocou, ou en noir par le génipa, et, en entremêlant les couleurs, font des dessins pittoresques. On pourrait en faire des chaises de paille, etc.
Le fromager a ses graines enveloppées d’un duvet cotonneux, long, de couleur brune, appelé soie du fromager. Aux Antilles on en fait des matelas et des oreillers. Aux Etats-Unis, on en fait des chapeaux de soie.
Je citerai encore, comme textiles, le kérété, le piaçaba, le bambou, la feuille à polir, le cocotier, l’aouara, les bâches, beaucoup d’autres palmiers très nombreux en Guyane, et enfin toute espèce de lianes, dont on fait des cordes, des liens grossiers, même des manches de fouet.
6o Plantes médicinales. — L’ipéca est fourni par beaucoup de plantes, rubiacées, violacées, ménispermées, etc.
Le bois piquant jaune, usité comme vulnéraire, diurétique, odontalgique, est, paraît-il, d’un usage courant aux Etats-Unis.
Le coachi remplace, paraît-il, le houblon dans la fabrication de la bière ; il sert en infusion (bois et racines) contre les fièvres intermittentes. C’est aussi un tonique et un apéritif énergique. Il a été étudié à Marseille par le Dr Heckel. Le simarouba a des propriétés analogues.
Les racines du pareira sont un vomitif, et sont employées aussi contre la morsure des serpents.
7o Gommes et résines. — Il y a en ce moment en Guyane un arbre qui prend une grande importance industrielle : c’est le balata. Il donne, outre un bois de construction hors ligne, une gomme tout à fait analogue à la gutta-percha de la Malaisie. On la préfère même à la gutta-percha, car elle se prête mieux encore à l’industrie électrique, à la galvanoplastie, aux câbles sous-marins, aux instruments de chirurgie. Un arbre produit chaque année 5 à 6 kilogrammes de gomme, au maximum, et un kilogramme au moins. La valeur du balata est de 5 francs le kilogramme à Cayenne : on l’exploite déjà sur la rivière Mana, et ailleurs, avec succès.
Le caoutchouc guyanais est équivalent à tout autre caoutchouc. L’arbre est en plein rendement à seize ans. Il donne par an 2 kilogrammes en moyenne. A Cayenne, le caoutchouc vaut 4 francs. Au Havre, il en vaut 10 et plus.
Le copahu donne un baume odorant, qui a le parfum d’aloès, tandis que le copahu du Brésil et celui de Colombie ont une odeur désagréable.
L’encens de Guyane donne un liquide épais et blanchâtre qui se prend en grains très odorants ; la flamme est rouge, et la fumée très parfumée. Un arbre donne un demi à 2 kilogrammes par an. On s’en sert dans les églises de Cayenne et des Antilles pour remplacer l’encens. Cet arbre abonde dans les forêts.
La résine de l’antiar sert aux indigènes pour empoisonner leurs flèches, mais c’est plutôt le suc qu’on en extrait qui est vénéneux.
L’houmiri ou bois rouge produit une sorte de colophane.
La résine de mani sert aux indigènes à calfater leurs pirogues et à fixer le fer de leurs flèches : elle est noire et ressemble au goudron.
L’anacardier donne une gomme rougeâtre dont les propriétés sont analogues à celles de la gomme arabique, si exploitée sur la côte de Guinée.
Le mancenillier ou figuier sauvage, dont le fruit est un poison violent, donne une résine extensible qui rappelle la gutta-percha.
On tire aussi des gommes et résines du poirier de Guyane, du mapa, du satiné-rubané, du fromager, du grignon, du jacquier, du manguier, du wapa, du coumaté, etc. ; mais leurs usages ne sont pas encore bien définis, soit comme colle, comme vernis, comme mordant, etc.
Avant de parler des bois de construction, je dois dire quelques mots des quelques cultures entreprises en Guyane, et plus ou moins délaissées : la canne à sucre, le cacao, le café et le tabac.
La grande cause de l’abandon de la canne à sucre, aussi bien en Guyane que dans d’autres colonies, a été l’essor de l’industrie sucrière en Europe, et en France surtout. En 1836, la Guyane exportait 2,120 tonnes de sucre ; aujourd’hui, elle n’en exporte plus. Par contre, on fait du rhum à Mana, et on en faisait sur l’Approuague ; mais cette industrie tend encore à décroître, alors qu’en Guyane hollandaise et anglaise, et aux Antilles anglaises, les rhums et les tafias se fabriquent en grand, et écartent la concurrence de la Guyane par leur prix, sans parler du droit de douane exorbitant que paye le rhum guyanais, pour entrer en France, depuis la loi des bouilleurs de cru.
Le cacao est fait avec les graines du fruit ou cabosse du cacaoyer. Un arbre produit par an un à 2 kilogrammes de cacao sec, valant un franc à 2 fr. 50 le kilogramme. La Guyane pourrait en fournir toute la France qui en consomme 14,000 tonnes par an, et l’on a récemment encouragé cette plantation en donnant un franc par pied replanté. L’arbre, étant indigène en Guyane, ne donne pas de frais de culture.
Il y a trois espèces de café en Guyane ; l’espèce dite guyanensis donne de petits grains ; un pied de caféier donne en moyenne un demi-kilogramme de café par an ; c’est une culture à encourager.
Le tabac indigène de Guyane a été estimé par la régie assimilable aux meilleures sortes de France ; or, la France en consomme 16 à 20 millions de kilogrammes par an, et la Guyane seule près de 100,000 kilogrammes qu’elle importe, car elle ne cultive plus le tabac. Ce serait donc une culture rémunératrice.
M. Bassières, dans son ouvrage, entre dans de nombreux détails très intéressants sur l’industrie pastorale et l’élevage en Guyane ; la Guyane n’a pas de races d’animaux domestiques, et on n’y fait pas d’élevage ; cependant, les quelques expériences faites démontrent que le succès serait facile, car il existe des savanes et des pâturages ; mais il faut peut-être attendre qu’ils soient accessibles, car la forêt vierge me paraît encore trop envahissante. En attendant que la Guyane ait des chemins de fer et des troupeaux, le gibier est encore trop abondant et de trop bonne qualité pour que l’absence de viande de bœuf ou de mouton se fasse trop violemment sentir, du moins quand on vit dans la forêt. A Cayenne, c’est autre chose, mais il est vrai que Cayenne, à lui seul, mériterait d’être à proximité d’une exploitation agricole, au lieu de recevoir sa viande de boucherie des Guyanes voisines et même du Venezuela et des Antilles.
8o Bois de construction. — L’exploitation des bois paraît devoir être la véritable industrie future de la Guyane, car les bois d’œuvre sont de qualité supérieure et très abondants. Alors qu’il semblerait que, dans un climat si humide et si tiède, les bois devraient être spongieux et légers, ils sont, au contraire, d’une dureté qui défie tout autre bois, et d’un poids tel qu’ils s’accumulent au fond des rivières, ayant souvent une densité bien supérieure à l’eau, atteignant 1,30. Je dois répéter ici ce qu’en dit M. Bassières qui les a étudiés spécialement, car la description des forêts forme la plus grande partie de sa notice sur la Guyane.
« Pour les bois d’œuvre, des expériences faites comparativement avec quelques essences guyanaises et les meilleurs bois d’Europe ont montré la supériorité incontestable des premières, au point de vue de la durée autant que de la résistance à la rupture. Des pièces d’angélique, par exemple, employées à côté de semblables pièces de chêne, dans le corps de plusieurs navires de guerre français, ont été retrouvées, à la visite, plusieurs années après, absolument intactes, alors que le chêne était complètement pourri. Quant à la résistance, elle a été reconnue, pour le balata entre autres, plus de trois fois supérieure à celle du chêne, et près de deux fois supérieure à celle du teck de première qualité. L’élasticité du courbaril est quatre fois plus grande que celle du chêne, et deux fois supérieure à celle du teck. Les essences guyanaises qui paraissent les plus durables sont : le coupi, le bois violet, le wacapou et l’angélique. »
Il y a en Guyane, outre les bois utiles, toute une variété sans pareille de bois de travail, magnifiques pour la menuiserie et l’ébénisterie de luxe. Citons ici les expressions de M. Jules Gros : « Les bois précieux de Guyane sont un des chefs-d’œuvre de la création. Quelques-uns offrent un parfum plus délicat que les plus suaves aromes, les autres des couleurs plus belles que celles des plus beaux marbres. Blanc de lait, noir de jais, rouge, rouge de sang, veiné, marbré, satiné, moucheté (le bois dit satiné-rubané), jaune sombre, jaune clair (le bois-serpent est rayé jaune et noir), bleu de cobalt, bleu d’azur, violet, vert tendre, toutes les couleurs ont été mises à contribution par la nature. Un hectare de bois de la Guyane française pourrait fournir les éléments de la plus admirable mosaïque que l’on ait encore jamais vue. »
J’ajoute que le musée de Cayenne a commencé cette mosaïque. La carrosserie de luxe, les automobiles, les meubles modern-style trouveraient aisément de quoi réaliser leurs rêves originaux avec les bois guyanais.
Je vais décrire les principaux de ces bois en suivant la classification de M. Bassières, relative à leurs qualités de dureté et à leurs couleurs.
1o Bois incorruptibles et de première dureté. — Le wacapou est le premier ; il se conserve indéfiniment, il durcit en vieillissant. Il est assez rare sur le littoral ; il faut aller au delà des premiers sauts des rivières pour le trouver. En Guyane hollandaise, on l’appelle bruin-hart. Les fibres sont droites.
Le cœur-dehors est plus rare que le wacapou ; les fibres sont croisées et ondulées, de sorte qu’il se fend mal. Mais il est incorruptible.
Le gaïac vaut le wacapou, mais il est plus dur à travailler. Sa densité est de 1,153 à l’état sec ; il est donc très lourd et ne flotte pas. Ses fibres sont croisées et flexueuses. Il est très abondant en Guyane. En Europe, on l’importe du Brésil.
Le mora excelsa est très bon pour les constructions navales.
Le balata, bullet-tree ou bully, en anglais, est très employé à Cayenne.
L’ébène verte a les fibres serrées et très régulières : on l’emploie pour les tables d’harmonie des pianos. Sa densité est de 1,21 à l’état sec.
L’ébène soufrée est identique à l’ébène verte, mais saupoudrée de taches jaunes auxquelles elle doit son nom.
Le bois violet durcit beaucoup en vieillissant : sa densité est de 0,72. Il est commun dans l’intérieur de la Guyane.
Le wapa est un bois rouge foncé, un peu moins dur et un peu moins lourd que les précédents. Il est très commun en Guyane. C’est une légumineuse, comme plusieurs des précédents et des suivants.
L’angélique est relativement léger ; sa densité est 0,746 à l’état sec. Il s’emploie peu, bien qu’il soit abondant, parce qu’on prétend qu’il fait rouiller les clous. C’est cependant, comme nous l’avons vu, un des meilleurs bois pour les navires, à cause de sa conservation dans l’eau de mer. C’est un grand arbre qui porte une cime et des branches très recourbées, favorisant certains emplois. Le bois est rouge pâle, avec une variété plus claire et une variété plus foncée. Il est difficile à scier.
Le courbaril présente aussi de belles courbes à sa cime : le tronc atteint un grand diamètre ; le bois est brun rougeâtre, de couleur plus vive au cœur. Il brunit en vieillissant. Sa dureté est assez grande.
Le rose mâle est de couleur jaune pâle, un peu odorant : son grain est serré et compact ; c’est un excellent bois.
Le bagasse est employé pour faire les coques de pirogues, et aussi pour les lames de parquet.
Le chawari a les fibres entre-croisées et flexueuses ; il est employé pour faire des chars et des roues, étant d’une dureté et d’un poids modérés.
Le parcouri, à grain fin, n’est plus très dur ; il a les fibres régulières, avec une variété noire et une variété jaune.
Le langoussi est très employé pour les coques de pirogue.
Le bois de fer est extrêmement dur et résistant, mais il se conserve mal.
Le canari-macaque est dur, de couleur gris clair ou gris brun.
Les bois macaques sont résistants, mais peu employés en Guyane, parce que l’humidité les altère. En d’autres climats, ils seraient excellents, de même que le coupi et les bois rouges tisanes.
2o Parmi les bois de sciage ordinaires, le premier est le grignon, un grand arbre au tronc très droit, homogène. Le bois est rouge très pâle, un peu moins dur que le chêne d’Europe, bien résistant à l’humidité. On l’emploie en Guyane hollandaise pour faire des mâts de navire.
Le grignon-fou ou couaï est inférieur au grignon, mais, comme il est grand et droit, il donne aussi de très beaux mâts.
Il y a en Guyane toute une variété de cèdres (laurinées). Le cèdre jaune est le plus estimé ; le bois se conserve bien. Le cèdre noir est brun foncé et se travaille facilement. Le cèdre gris est plus mou. Le cèdre blanc ou cèdre bagasse est mou également.
Le sassafras ou rose femelle est l’arbre qui contient l’essence de rose. Le bois est jaune ; on l’emploie pour les coques de pirogue.
Le taoub, bois léger, est très estimé au Brésil.
L’acajou est tendre, mais se conserve bien, grâce à un principe amer dont il est imprégné et qui détruit les insectes. Aussi, on l’emploie beaucoup en Guyane pour les meubles, parce que les termites et autres insectes ne l’attaquent pas. Ce n’est pas l’acajou du commerce, qui provient des Antilles et du Honduras et qui est plus dur et plus coloré. L’acajou de Cayenne est employé en Europe pour les boîtes de cigares. L’arbre est grand, et plutôt disséminé dans la forêt guyanaise : son prix est élevé à Cayenne, où l’humidité a vite fait de ronger toute autre espèce de bois ordinaire.
Le carapa a les qualités de l’acajou, et résiste aux insectes.
Citons encore le mouchico, le simarouba, le yayamadou, qui sont supérieurs aux bois blancs d’Europe.
3o Nous arrivons maintenant aux bois colorés d’ébénisterie.
Les bois-de-lettres sont extrêmement durs, lourds et compacts : ils peuvent prendre un très beau poli, mais ils sont pleins de nœuds et de crevasses. Leur nom vient de ce qu’on les employait autrefois pour sculpter les lettres d’imprimerie. Il y en a deux espèces : le lettre rouge ou rubané, rougeâtre avec des veines noirâtres fortement accusées dans le cœur ; l’aubier est plus pâle. Le lettre moucheté est rougeâtre foncé, tout moucheté de noir ; il est fort beau. La densité de ce bois varie de 1,045 à 1,175.
Le satiné ou bois de féroles a aussi deux variétés : le satiné rouge, qui est uni et rouge brun, et le satiné-rubané, qui est veiné et miroitant. On fait avec ces bois des meubles magnifiques, car ils sont durs, sains, se polissent très bien et font très peu de déchets. A Paris, s’ils étaient connus, ils seraient très recherchés.
De même le bois-serpent, jaune veiné de noir. Les veines noires sont ondulées comme des serpents, d’où le nom du bois.
Le boco est jaune, comme le buis, avec le cœur brun très foncé. On s’en sert pour la lutherie, la sculpture sur bois, les travaux au tour (cannes, etc.).
Le bagot a l’aubier blanc et le cœur pourpre magnifique ; il est lourd.
Le bois violet est d’un violet très franc d’abord, puis s’assombrit, et devient presque noir avec le temps. C’est le palissandre.
Le moutouchi est veiné de longues lignes brun clair, blanc et violet pâle ; il est assez lourd et facile à travailler.
Le panacoco a l’aubier blanc et le cœur noir, mais d’un noir trouble. Le bois est très compact et très résistant. L’arbre est très gros.
Le patawa, déjà cité, avec ses veines noires et blanches, comme l’ébène verte, le courbaril et l’acajou, sont aussi de beaux bois d’ébénisterie, avec leurs belles teintes, pour les meubles à incrustations, les cannes, etc.
Autrefois, la Guyane exportait des bois, mais, depuis cinquante ans, ce commerce est abandonné ; pourtant, la France en importe de plus en plus : de 15,000 tonnes en 1886, elle a passé à 31,000 en 1896.
Le commerce des bois en Guyane est une entreprise dont le succès est certain, mais qui présente cependant certaines difficultés, et qui ne peut être accomplie que dans certaines conditions. Les essences, d’abord, sont tout à fait dispersées dans la forêt vierge et mélangées les unes avec les autres. Ce n’est pas comparable à l’exploitation d’une forêt de pins d’Orégon, comme il s’en présente aux Etats-Unis ou en Californie, où tous les arbres sont semblables : on peut alors exploiter en grand, en un point donné ; tandis qu’en Guyane, il y a bien en certains points davantage d’arbres de telle essence que de telle autre, mais, en somme, le mélange est partout. Il est vrai que, la plupart des essences étant utilisables, on peut les classer après abatage. Il n’en reste pas moins que le travail, surtout au point de vue des expéditions et des débouchés, est beaucoup plus considérable que lorsqu’il s’agit d’une seule essence.
On prétend aussi que certaines essences, après abatage, se déjettent et se gercent ; mais on peut employer un moyen de conservation approprié, comme l’immersion dans certains liquides, les refentes, etc.
La dureté des essences guyanaises, si elle constitue une difficulté, n’est pas moins une qualité précieuse, et on trouve toujours des outils capables de venir à bout de la plus grande dureté.
On voit pourtant que ces difficultés nécessitent d’abord la présence d’un homme capable à la tête d’une exploitation de bois en Guyane, et ensuite de forts capitaux ; car il faut pouvoir exploiter en grand et sur une grande étendue de terrain. En outre, le simple transport de bois lourds à la côte est une entreprise ardue et coûteuse. Enfin, le transport de ces mêmes bois en Europe, et en grande quantité demande des navires assez grands, spécialement aménagés, et par suite très coûteux. Si des conditions de ce genre sont remplies, les bois de Guyane seront recherchés partout et constitueront une entreprise certainement très avantageuse.
Après avoir décrit les productions naturelles du sol guyanais, nous entrerons dans quelques détails sur l’état actuel de l’industrie et du commerce dans la colonie. Nous laisserons pour un autre chapitre la question des mines d’or et des richesses du sous-sol.
L’industrie est à peu près nulle en Guyane, en dehors de l’or, bien entendu. Il n’y a que quelques distilleries de rhum, qui sont en baisse continue, comme je l’ai exposé à propos de la canne à sucre. On peut dire qu’il se produit à peine en Guyane la quantité de rhum et de tafia consommée par la colonie.
La distillation du bois de rose se fait avec succès aux portes mêmes de Cayenne.
L’industrie des conserves de fruits ne fait que commencer. Entre des mains capables, on ne peut que lui prédire un brillant avenir, avec la quantité et la qualité supérieure des fruits qu’on récolte en Guyane.
Le commerce de la Guyane présente bien une augmentation, depuis le milieu du dix-neuvième siècle, sur l’ensemble des importations et des exportations. De 4 millions et demi, il a passé à 20 millions, dont les trois quarts avec la France et les Antilles, et le reste avec l’étranger. Il faut noter que c’est l’or qui forme la principale partie de ce commerce, et que, pour le reste, c’est avec l’étranger qu’il y a augmentation. Or, le tarif douanier de 1892 était loin d’avoir ce but en vue, de sorte qu’il faut en conclure que ce tarif est mal fait, puisque c’est l’étranger qui gagne le plus avec la Guyane : il importe pour 3 à 4 millions de marchandises, et la Guyane ne lui exporte que pour quelques centaines de mille francs. Presque tout l’or, du moins officiellement, va bien en France, mais la France le paye, et la Guyane n’en retire rien, car ceux qui le gagnent vont dépenser leur bénéfice en France et ailleurs : la Guyane ne dépense que les marchandises d’alimentation pour exploiter ses placers aurifères, marchandises qu’elle produit ou fait venir des pays voisins. Il y a bien le bénéfice des douanes sur la production aurifère, mais ce bénéfice, au lieu d’être dépensé en travaux utiles en Guyane, sert surtout à faire des gratifications !
Les importations sont : les boissons, provenant de France presque uniquement : vins, alcools, vermouth, bière, absinthe, etc. Le genièvre vient d’Allemagne.
Les farineux alimentaires proviennent de France pour la moitié ou un peu plus : la farine de froment vient surtout des Etats-Unis. Le maïs, le riz et les pommes de terre viennent du dehors, par moitié de la France et de l’étranger.
Les viandes salées, employées aux placers, viennent des Etats-Unis, ainsi que le lait concentré et le beurre salé.
Les animaux vivants : chevaux, bœufs, etc., viennent presque uniquement des Antilles, des Guyanes anglaise et hollandaise et du Venezuela.
Les tissus en confections viennent de France en très grande partie.
Les sucres et mélasses viennent de la Trinité anglaise.
Le tabac provient surtout des Etats-Unis.
Le café, le chocolat, etc., sont importés de France et des Antilles.
Les bijoux, montres, etc., viennent presque uniquement des Etats-Unis.
Le poisson salé, morue, etc., vient surtout des Etats-Unis.
Les savons, les bougies, chandelles, etc., viennent de Marseille, ainsi que les huiles et les peaux ; mais les bois et les ouvrages en bois viennent surtout des Etats-Unis et de l’étranger.
Nous allons de même faire une courte revue des exportations.
La principale exportation c’est l’or en poudre, paillettes et pépites. Il va à Paris, où il est vendu 3 fr. 10 à 3 fr. 15 le gramme. La production officielle est en augmentation constante : elle a été de 5,000 kilogrammes en 1894, mais de 2,300 en 1897. Actuellement, elle varie de 3,500 à 4,500 kilogrammes par an. Nous l’étudierons plus en détail au chapitre des produits du sous-sol.
Une compagnie étrangère exploite des phosphorites dans l’île du Grand-Connétable, au taux de 4 à 5,000 tonnes par an, moyennant une redevance insignifiante à la Guyane. Ces phosphorites, valant 40 francs la tonne à Cayenne, vont pour les trois quarts aux Etats-Unis et pour le reste en Angleterre. Dans ces pays, on en tire du phosphate de chaux et on s’en sert pour l’extraction de l’aluminium.
L’essence de rose est un produit en augmentation constante : la Guyane en exporte en France 2,500 à 3,000 kilogrammes et plus par an, valant 50 à 60 francs en France. Les exportations de bois d’ébénisterie sont pour le moment très peu importantes.
Le caoutchouc et le balata, ce dernier surtout, ont une véritable importance en Guyane. La France importe annuellement 6 à 700 tonnes de gutta-percha, et l’Angleterre 2,500 tonnes. Or, nous avons vu que la gomme de balata peut remplacer avantageusement la gutta de Malaisie, qui, d’ailleurs, tend à disparaître. Pour le caoutchouc, la France en importe 2,000 tonnes par an, parfois 5,000 tonnes, provenant des pays étrangers, presque en totalité. Or, la Guyane n’en exporte que quelques tonnes ; il est vrai que l’arbre est bien moins abondant que le balata.
Le poivre, la girofle, la muscade, la cannelle, autrefois florissants, ne sont plus exportés qu’en quantités insignifiantes.
Le coton est également abandonné, malgré sa belle qualité. Il n’y a aucune main-d’œuvre pour s’occuper des produits ; l’or accapare tous les jeunes gens.
Pour le rocou, la Guyane a pu, vers 1878, fournir presque toute la quantité consommable dans le monde, 4 à 500 tonnes ; aujourd’hui, elle n’en exporte que quelques tonnes. Le rocou sert à teindre les bois, les vernis, la soie, la laine, le coton, etc., en rouge amarante, jaune-orange, vert-bleu, etc. Il donne aussi du brillant à des teintures plus tenaces, et paraît rendre les bois imputrescibles.
Le café de Guyane est excellent ; sa culture est pourtant presque abandonnée.
Le cacao, qui était en décadence, reprend un peu. On l’exportait aux Etats-Unis, on l’exporte maintenant en France.
La Guyane exporte encore en France des plumes de parure (aigrette blanche, ibis rouge, honoré, rapapa, etc.), des peaux et cornes de bœufs, etc., et des vessies natatoires de poissons, servant à faire la colle de poisson, la colle, etc., etc.
Le grand régulateur du commerce d’un pays étant les droits de douane, il est nécessaire d’en donner ici un aperçu. C’est la France qui administre la Guyane, et il faut bien reconnaître que ses droits de douane sont absurdes. Voici, en effet, les principaux de ces droits :
Le sucre paye 60 francs les 100 kilogrammes ;
Le cacao, 52 francs ;
Le chocolat, 75 francs ;
Le café, de 78 à 104 francs, suivant sa qualité ;
Les épices, 104 francs ;
La vanille, 208 francs.
Le rhum payait un franc le kilogramme ; il paye 3 francs depuis la nouvelle loi sur les alcools (c’est-à-dire 4 francs par litre d’alcool à 100 degrés, pour l’entrée en France, et, en outre, 2 francs dans la colonie ; étant à 50 degrés, il paye en tout 3 francs).
L’or paye 216 francs le kilogramme pour sortir et 10 francs pour entrer dans le port de Cayenne, aussi bien celui qui vient des placers guyanais que de l’étranger.
Le tabac paye 50 à 250 francs les 100 kilogrammes, etc., etc.
C’est la loi du 11 janvier 1892 qui a substitué la protection au libre échange, enlevant aux conseils généraux l’initiative en matière de tarifs douaniers. Son résultat est de faire payer très cher aux consommateurs des articles que la France ne peut leur fournir, comme tous ceux que nous avons cités plus haut, car la France ne les produit pas.
Aussi la vie est-elle très chère à Cayenne. Les colons payent à la fois, pour leurs productions naturelles et pour ce qui vient de France : meubles, conserves, etc., des droits très élevés. La France elle-même aurait avantage à voir introduire en franchise le cacao, la vanille, le café, etc., qu’elle ne produit pas. On a taxé le sucre colonial pour protéger la betterave que la France produit ; mais elle ne produit ni cacao, ni vanille, ni café, et devrait au moins favoriser de quelque avantage ses colonies qui en produisent.
Les droits vis-à-vis des Etats-Unis ne sont presque pas supérieurs à ceux du commerce avec la France.
Les commerces d’importation et d’exportation se font par l’intermédiaire de commissionnaires, qui sont des commerçants, le plus souvent, au taux de 3 à 5 pour 100 pour les importations, d’un quart pour 100 sur l’or, 3 pour 100 sur le bois de rose, etc. Les monnaies sont celles de France, sauf le sou marqué, valant deux sous, datant de Louis-Philippe, encore en usage, mais qu’on ne frappe plus.
La Banque de la Guyane, au capital de 600,000 fr., sous la surveillance du gouvernement, émet des billets de 500, 100 et 25 francs. C’est une banque de prêts et d’escompte ; elle prospère, grâce surtout au commerce de l’or.
Le seul port de la Guyane est Cayenne, et ce n’est pas une baie naturelle : c’est une embouchure de rivière. Mais ce port est sûr et vaste, bien abrité des vents d’ouest ; par contre, il est peu profond : il n’a que 5 à 6 mètres de profondeur. L’estuaire a 2,500 mètres de largeur sur 4,000 de longueur. Des bancs de vase mobile le séparent de l’océan, formant des barres, mais aussi une protection contre les lames du large. Ces bancs de vase molle, charriés par les fleuves, sont entraînés par le courant équatorial longeant la côte à peu de distance ; ils viennent tour à tour barrer les diverses embouchures de fleuves, environ tous les quinze ans.
Les grands navires à fort tirant d’eau n’ont qu’un port : celui des îles du Salut, qui est le seul port profond des trois Guyanes. C’est là une position maritime unique que possède la France. Les îles du Salut ne sont guère qu’à deux heures de Cayenne.
Il ne nous reste à donner que quelques détails sur la colonisation en Guyane et les diverses tentatives qui en ont été faites. Je dirai d’abord que la Guyane ne paraît pas un pays où l’on puisse engager les agriculteurs à se rendre : le climat s’oppose à un travail pénible pour un homme habitué aux climats tempérés. Par contre, la terre rend beaucoup plus qu’en Europe ; nous l’avons exposé précédemment. Le travail le plus pénible est le défrichement. A voir le peu qu’en ont accompli les colonies pénitentiaires de la Guyane, on conclut forcément que l’Européen n’est pas constitué pour accomplir ce travail dans un climat chaud et humide. Mais il est fort possible qu’un travail modéré comme celui de la terre ne soit pas épuisant : les blancs ont fort bien vécu en Guyane dans bien des cas, et pendant de longues années.
Une raison d’un autre genre paraît peu favorable à un peuplement d’Européens : c’est la position prise par la population de couleur indigène : il n’y a pas antipathie entre elle et les blancs ou Européens, mais il n’y a pas non plus de sympathie. Les mulâtres sont dans une situation délicate, non encore acceptés complètement sur un pied d’égalité par les Européens, et en même temps répudiant eux-mêmes la population noire qui leur préfère manifestement les Européens. C’est une situation un peu fausse ; mais, comme la très grande majorité des Guyanais est dans cette situation, c’est elle qui fait la loi, qui accepte et qui repousse qui elle veut. L’avenir résoudra sans doute cette question.
Pour le moment, un fait est certain : c’est que la main-d’œuvre est insuffisante aux besoins et à l’avenir de la Guyane : tout le monde s’en va aux mines d’or, aux placers où l’on paye 5 à 6 francs par jour, tandis que les exploitations agricoles ne payent que 1 fr. 50 à 2 fr. 50. Il faudrait faire venir des noirs, car les Hindous et les Chinois ne peuvent vivre en Guyane. Les Sénégalais donnent de très bons résultats. Les Antillais sont tout désignés pour écouler en Guyane le surplus de leur population ; d’ailleurs, ils ne s’en font pas faute dès maintenant. Si la Guyane avait à sa disposition des capitaux et des hommes capables, la main-d’œuvre se trouverait bien toute seule.
Quant à la main-d’œuvre pénitentiaire, d’abord, on n’autorise pas de la céder aux particuliers, sauf dans des cas bien exceptionnels ; ensuite, elle n’a pas donné, au point de vue pratique, de bons résultats. La main-d’œuvre, pour être productive, doit être libre. Or, dans le cas même des forçats libérés, on a été obligé de constater que le fameux relèvement moral par le travail est resté en Guyane à l’état d’utopie, sauf dans des cas bien rares. Les convicts d’Australie ont bien donné une preuve du contraire, à ce qu’il semble ; mais, en Guyane, il n’en est pas de même ; peut-être le voisinage des forçats et la vue du bien-être, des soins dont les entoure l’administration, comme du peu de travail qu’elle leur impose, expliqueraient-ils cette différence. En Australie, il en était autrement ; ce voisinage n’existait pas, et il fallait se tirer d’affaire, librement, mais il fallait. On s’en est tiré !
Quel que soit le plan de colonisation qu’on ait en vue, il faut qu’il soit poursuivi avec ténacité et même et surtout en profitant de ses erreurs. D’ailleurs, la Guyane ne manque pas d’hommes compétents ; pour n’en citer qu’un, dont j’ai déjà parlé, M. Théodule Leblond a proposé un plan très rationnel de mise en valeur de la Guyane. Un ministre, M. Etienne, a proposé aussi un plan très sensé d’utilisation de la main-d’œuvre pénitentiaire ; mais, en somme, avec beaucoup de bonnes idées, on n’a encore rien fait.
Attendons que la nécessité arrive, et l’on fera quelque chose ; on fera même beaucoup, car la terre guyanaise n’est que trop riche !
La mauvaise réputation de la Guyane date d’anciennes expériences de colonisation, qui ont eu des échecs retentissants. En 1763, on avait amené plusieurs navires d’émigrants ; il arriva jusqu’à douze mille apprentis colons, de toutes les classes de la société, qu’on débarqua sur la plage, sans abri, avec des vivres corrompus, et des eaux saumâtres pour toute boisson. La plupart en moururent ; les survivants fondèrent la colonie de Kourou, sur le Sinnamary, qui subsiste encore. Mais ce fut la catastrophe de Kourou.
De deux autres échecs, en 1768 et en 1780, sortirent encore les colonies de Tonnégrande et de Guizambourg ; mais, comme il y eut beaucoup de morts, ce fut encore regardé comme des catastrophes. Depuis lors se fondèrent les colonies de Macouria, en 1822 ; de Mana, en 1830, par des religieuses de Cluny, etc., autant de preuves du succès possible. Mais l’émancipation mal comprise retarda l’essor de la Guyane, et actuellement les mines d’or gênent le développement agricole de la colonie. Ces deux causes, lorsqu’elles auront disparu, laisseront la Guyane dans l’obligation de se tirer d’affaire, et nul doute, comme je le disais plus haut, qu’elle ne s’en tire brillamment.