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La terre du passé

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IV
EN VANNES

CHEZ LES GRÉSILLONS

I

Savez-vous un nom plus charmant que celui de Groix, en Breton Groach', qui veut dire fée?… Au soleil de midi, sous un clair ciel d'août, nous nous embarquions à Lorient pour rendre visite à l'île. Sitôt le vapeur en marche, un admirable panorama de mer s'ouvrit devant nos yeux. L'immense estuaire étincelait, baignant à droite et à gauche des grèves aux sables éclatants, des promontoires finement découpés, des îles blondes, comme alanguies par la sieste sous les panaches immobiles de leurs pins.

Partout des villas, des villages, des grappes de maisons riantes aux noms sonores, Larmor, Kerroman, Penn-Mané. Brizeux avait raison: cette langue vannetaise a de mélodieux arrangements de syllabes, d'une douceur hellénique… Port-Louis, vers le sud, semblait une bourgade de légende, bâtie sur les eaux.

Nous venions à peine de franchir la passe et déjà, derrière nous, la terre avait fui, noyée dans une buée lointaine. Devant nous, en revanche, une autre terre surgissait peu à peu, flottante d'abord, imprécise, entrevue comme dans un mirage, mais qui bientôt s'accentuait en une espèce de haute fresque de pierre, semée çà et là de gazons fauves et nuancée des tons les plus délicats, de gris rose, de lilas tendre. Une houle plus ample balançait maintenant le vapeur. Nous traversions les Coureaux, dont il était aisé de suivre les méandres, à des teintes plus claires moirant la surface de l'Océan. C'est dans ces parages que se célèbre, chaque année, la cérémonie tant de fois décrite de la «Bénédiction de la mer»… Quelques minutes plus tard, nous jetions l'ancre dans le port de Groix, placé sous l'invocation d'un des plus grands thaumaturges de l'émigration bretonne, saint Tudy.

Et qu'il est coquet ce port, avec ses môles de granit bleu, sa tour de guet blanchie à la chaux, ses barques aux formes harmonieuses, peintes de couleurs vives, ainsi que des felouques barbaresques ou des tartanes du Levant! Sur la marine, un joli groupe d'îliennes, les mains croisées sous leurs tabliers de cotonnade à fleurs dont les grands bavolets se viennent épingler jusque sur les épaules, nous regardent passer avec un rire silencieux, une curiosité quelque peu narquoise. Dans leurs yeux, aux paupières longues, il semble que l'on voie luire toute la mer.

II

Nous nous acheminons cependant, par une route étroite et montante, vers l'école de pêche, située dans la partie haute de l'île, au centre d'un large plateau dénudé où alternent les brousses rases, les pâtis et les chaumes. Sur le seuil de l'humble logis scolaire, nous attend le directeur de l'établissement, celui que les nombreuses générations d'élèves, sorties de ses mains, appellent avec une vénération reconnaissante le «Père Guillard». Peu d'hommes ont mieux mérité, non seulement de leur pays, mais de l'humanité. Ce ne fut pourtant, au début, qu'un modeste instituteur de campagne. Sa vie s'est passée tout entière parmi les clans marins du littoral morbihannais. Et il a eu longtemps, comme ses pareils, l'existence la plus obscure, la plus monotone; seulement il s'est ingénié à la rendre féconde.

Des enfants qu'il était chargé d'instruire, la plupart étaient des fils de pêcheurs. Tout en les initiant aux mystères de l'alphabet et de l'orthographe, M. Guillard fut amené de bonne heure à se demander s'il n'y avait pas à faire pour eux quelque chose de plus efficace peut-être, sinon de plus pressant. Il pensa, non sans raison, que sa qualité d'éducateur de futurs marins lui créait des devoirs spéciaux. Et, d'ailleurs, il avait lui-même l'âme d'un homme de la mer. Tout ce qui touche à l'océan, à la vie du large, lui était un sujet de méditations passionnées. Et, lorsque, vers leurs treize ans, ses écoliers quittaient les bancs de la classe pour ceux de la barque paternelle, ce lui était un navrement de songer qu'on les laissait aller sans armes, en quelque sorte, au plus aventureux, au plus meurtrier des combats.

—Parbleu! disaient autour de lui les pères, hommes rudes, tannés, au moral comme au physique, par l'embrun,—ils feront ce que nous avons fait.

Une antique routine, en effet, transmise d'âge en âge, présidait seule, jusqu'en ces derniers temps, aux destinées des pêcheurs de nos côtes. C'était l'opinion courante, que, pour le plus difficile et le plus dangereux des arts, il n'était besoin d'aucun rudiment. Il y fallait uniquement de la race, une expérience péniblement acquise et le souverain mépris de la mort. M. Guillard ne craignit pas d'entrer en lutte avec le préjugé. Il commença par démontrer aux marins parmi lesquels il vivait qu'ils ignoraient de leur métier les préceptes les plus essentiels et, sans se laisser décourager par leurs sourires, leurs haussements d'épaules, il se mêla de les leur apprendre.

L'humble maître d'école s'était rendu compte que des temps nouveaux exigeaient des méthodes nouvelles. Ce ne sont pas seulement les conditions du travail terrestre qui ont changé dans le cours de ce siècle. La pêche elle-même a subi la loi commune et des modifications se sont produites dans son régime, que des populations qui ne subsistent que d'elle n'ont plus le droit de méconnaître.

Un exemple, entre vingt autres. Jadis, les migrations de la sardine se faisaient à des époques régulières et par des chemins qui ne variaient jamais. Le poisson abondait au même moment, dans les mêmes parages, comme une manne bénie. On savait la semaine, le jour et presque l'instant. Quelque ancien de la tribu, une sorte de voyant de la mer, grimpait, la veille, par des sentiers abrupts, au sommet du promontoire le plus avancé. De ses yeux d'aigle, habitués à plonger dans les lointains, il fouillait l'immensité, à peine éclairée des premières lueurs de l'aube. Et, dès qu'il avait surpris au large une tache violâtre marbrant le gris azuré des eaux, vite il courait annoncer aux barques déjà sous voiles la route suivie par le «banc».

Cet usage n'est point aboli; mais les vieux d'aujourd'hui ont beau interroger la mer, ils n'en reçoivent que de décevantes réponses. La sardine traquée a adopté d'autres saisons et d'autres voies. Et, de la plupart des espèces de poissons, il en est de même: poursuivis avec une âpreté qui va croissant, à mesure que se perfectionnent les engins, ils se dérobent comme ils peuvent, en se réfugiant dans des fonds inconnus, et la topographie des lieux de pêche en est toute bouleversée. Force est d'abandonner la routine, idole impuissante, et de s'adresser à de plus grands dieux.

En outre, la mer n'est plus l'être bizarre et mystérieux, le monstre semi-bête, semi-femme, aux fantaisies tour à tour indulgentes et hostiles, que nos marins se sont plu longtemps à se figurer, d'après d'inconscientes réminiscences des antiques cosmogonies. On sait désormais que, comme toutes les apparences mobiles de l'univers, elle obéit, elle aussi, à des décrets immuables. La science a pénétré quelques-unes de ses lois: on a déterminé la marche des courants, et les vents eux-mêmes ont livré le secret de leurs caprices. Peu à peu s'est édifiée toute une théorie de la mer, que ceux-là seuls continuaient d'ignorer qui avaient le plus intérêt à la connaître. Rien de pratique n'avait été tenté jusqu'à ce jour pour arracher les pêcheurs à leurs vieux errements. Les notions les plus élémentaires de la navigation au large restaient pour eux lettre close. De là tant de sinistres, tant de barques françaises jetées aux côtes d'Angleterre et d'Espagne ou coupées en deux, stupidement, sur les lignes de passage des paquebots. Il y avait une œuvre de salut à entreprendre, des milliers, des vingtaines de milliers d'hommes à éclairer, à guider, à prémunir contre leur propre vanité et contre la plus effroyable des morts. Cette œuvre, M. Guillard s'y est attelé avec une ardeur d'apôtre, et il l'a menée à bonne fin.

Il a commencé par prêcher d'exemple, devant des auditoires restreints. Bientôt, grâce à ses efforts, grâce aussi au concours de quelques personnalités dévouées, il se créait sur le littoral des sociétés locales d'enseignement professionnel pour les marins côtiers. Informés de cette initiative, le gouvernement, le président de la République l'encouragèrent. Une école de pêche fut fondée à Groix, avec M. Guillard pour directeur.

III

Nous y pénétrons à la suite du maître. C'est l'intérieur d'une classe quelconque: des bancs grossiers, des tables tachées d'encre et de goudron; çà et là, des cartes, des instruments de marine, appendus aux parois: au fond de la salle, une inscription, une seule, tracée en lettres noires sur la chaux de la muraille: «L'alcoolisme, voilà l'ennemi!» Une trentaine d'écoliers sont là, les uns, moussaillons imberbes encore frais et roses comme des filles, les autres, déjà des hommes faits avec des toisons hérissées, des mains énormes, et des yeux aigus de pirates.

Nous tombons à merveille: c'est jour de distribution des prix. Quelques livres, offerts par la Société bretonne de géographie, sont empilés dans un angle. Debout dans la chaire,—un pauvre bureau vermoulu,—M. Guillard commence la lecture du palmarès. Oh! il n'est pas long. Dix ou douze noms échelonnés au verso d'un bout de papier, c'est toute la liste. Voici s'avancer, en «louvoyant,» la procession des lauréats. Ils sont rayonnants et piteux tout ensemble. Ils tournent machinalement leurs bérets de laine rousse entre leurs doigts. Leur démarche a quelque chose de l'allure dégingandée des oiseaux de falaises lorsqu'ils cheminent à terre, les ailes pendantes. Parfois, il arrive que l'élève désigné ne réponde pas à l'appel de son nom.

Une voix, alors, jette dans le silence:

—Il est en mer!

Et ces mots si simples: «en mer!» communiquent soudain à nos âmes je ne sais quel frisson. L'humble classe s'est comme transfigurée: il semble que nous y respirions toute la poésie aventureuse, toute l'héroïque ivresse du large. Le large! mais il est là, tout proche. Nous en pouvons, par les fenêtres ouvertes, suivre au loin l'immense courbe dorée. Des cotres grésillons passent dans le champ de notre vue, toutes voiles au vent, leurs tangons de pêche pointés comme deux antennes. Tout ce grandiose du dehors emplit la misérable pièce où nous sommes venus nous asseoir pour une heure, lui prête une majesté singulière, en fait comme le vestibule de l'infini…

La cérémonie close, M. Guillard nous donne, pour nous piloter dans l'île, un de ses jeunes apprentis-pêcheurs. C'est un garçonnet d'une quinzaine d'années à peine, mais qui n'en compte pas moins à son actif quatre «campagnes de thon». Il nous dit, chemin faisant, les joies et les angoisses du métier, les longues navigations errantes, pendant des semaines, des mois même, à des cent et des deux cents lieues, souvent jusque dans les parages inhospitaliers de la côte de Biscaye. Il nous dit les grosses lignes qui traînent, fixées aux tangons et appâtées avec de la peau d'anguille, quand ce n'est pas avec une feuille de maïs ou, moins encore, avec un simple chiffon.

—A l'extrémité de chaque tangon, monsieur, il y a une clochette qui avertit, dès que le poisson a mordu; car en se débattant, il la fait tinter. On laisse le thon danser un instant, jusqu'à ce qu'il soit à bout de forces, puis on l'amène. Une fois qu'il est hissé, on l'éventre. C'est une bête singulière. Elle a plus de sang qu'un homme. J'ai vu des moments où le pont n'était qu'une mare rouge qui, à moi, me montait aux chevilles. On se fût cru dans une bataille pour de vrai!…

Sa voix vibre d'une exaltation contenue, en évoquant ces grands carnages atlantiques. Et, par une association d'idées bien bretonne:

—Vous a-t-on jamais conté, nous demande-t-il, comment les femmes de chez nous mirent un jour les Anglais en fuite?

«Voilà. C'était il y a très longtemps. L'amiral des «Saozons» croisait avec toute sa flotte dans les eaux de Groix. Les chaloupes grésillonnes avaient appareillé pour la pêche les jours d'avant; donc, pas un homme valide à terre, hormis le curé. L'amiral jugea l'occasion propice de tenter un débarquement. Déjà ses vaisseaux s'avançaient en ligne, cependant que les îliennes, consternées, se réfugiaient à l'église de paroisse. Elles y trouvèrent le «recteur», Dom l'Uzel, debout sur les marches du chœur. Si pressant que fût le péril, son visage ne manifestait aucun trouble. Les îliennes pleuraient et se lamentaient: il les calma du geste.

»—Femmes, prononça-t-il d'un ton aussi paisible que s'il se fût agi du prône habituel à la messe du dimanche,—nous allons, d'abord, réciter un pater et prier saint Tudy qu'il nous soit en aide.

»L'oraison dite, il se tourna de nouveau vers l'assistance:

»—Maintenant, vous allez, s'il vous plaît, m'obéir de point en point. Vieilles et jeunes, que chacune de vous rentre en son logis, qu'elle dépouille coiffe, cotte, jupons, et revête des habits d'homme. Avant un quart d'heure, il faut que vous ayez, toutes, les braies aux jambes et le suroît en tête.

»Les femmes s'entre-regardaient, se demandant si le bon prêtre n'avait pas la cervelle chavirée.

»—Cela fait, continua-t-il, vous prendrez vos barattes à beurre, vos ribots, et vous les irez disposer en hâte sur les sommets culminants de l'île, à Quilhuit, à Kerloret, à Kernédan, au Moustéro. Quand vous les aurez braquées, face aux Anglais, tenez-vous massées derrière et ne vous inquiétez plus de rien. Dieu fera le reste.

»Ce que Dom l'Uzel avait prévu se produisit. L'amiral des Saozons tomba dans le piège. Il prit les ribots pour des canons et, persuadé qu'une artillerie nombreuse s'apprêtait à lui faire accueil, il donna l'ordre de virer de bord. Les Grésillonnes, depuis ce temps, n'ont jamais eu de ses nouvelles.»

IV

Ainsi bavarde gaiement notre guide. Nous faisons halte, un instant, sous les vieux ormes ébouriffés qui ombragent la place du bourg. C'est la seule oasis de cette grande terre chauve. Des vieilles tricotent, assises sur des tabourets bas; des fillettes jouent aux osselets sous le porche de l'église; un douanier flâne, les mains au dos, avec cet air de héron pensif que donnent aux gens de sa profession les mélancoliques stations nocturnes, le long des côtes. Autour de nous sont les maisons du village, trapues, cossues, avenantes. Des jardinets les précèdent, où poussent, à ciel ouvert, des plantes exotiques, des phycoïdes, des bégonias, des figuiers de Barbarie, des lauriers-tins. Toutes ces demeures blanches, silencieuses, respirent une paix coquette et comme une élégance fleurie.

De minces ruelles vont s'étoilant dans toutes les directions. Celle où nous nous engageons mène vers le sud. Nous voici dans la région des cultures. Sans cesse nous croisons des groupes de femmes occupées à ramasser des patates dans le creux de leur tablier. C'est à elles qu'incombent, ici, comme dans toutes les îles bretonnes, les soins de la terre. Elles y vaquent, d'ailleurs, avec une singulière beauté de gestes et d'attitudes, et, ni la sveltesse de leur taille, ni la finesse nerveuse de leurs mains n'en paraissent déformées. Une d'elles, qui chantonnait d'une voix merveilleusement pure et profonde, se tait à notre approche, et, comme nous la prions de poursuivre:

—Holà! répond-elle avec une moue hautaine, ma chanson n'est pas pour les passants.

—Non. Elle est pour Pierre Lopez! riposte notre guide.

Et il se sauve en riant, tandis que la jeune fille, riant aussi, lui lance une pomme de terre qui fait partir un vol d'alouettes marines des chaumes d'un sillon voisin.

Des bornes minuscules marquent la limite de chaque propriété, réduite le plus souvent à quelques acres. Rien ne rompt l'uniformité de la vaste plaine nue, si ce n'est, de place en place, la silhouette d'un calvaire, veillant, comme l'hermès antique, sur les labours confiés à sa garde. Elles sont légion, ces croix; elles peuplent l'étendue. L'îlienne invoque, le matin, leur bénédiction sur sa tâche et se signe devant elles, le soir, dès que l'Angélus crépusculaire a tinté pour le repos.

A la lisière de la zone arable, nous entrons dans le pâtis communal. Des vieux, retraités de l'Océan, y font paître, au bout d'une longe, des vaches qu'à l'exiguïté de leurs proportions, comme aux fantaisies de leur humeur, on prendrait plus volontiers pour des chèvres. L'homme et la bête ruminent côte à côte: tandis que l'une remâche son herbe, l'autre remâche ses souvenirs. Un de ces vétérans de la mer se plaint à nous de sa déchéance:

—C'est triste, allez, après avoir manœuvré l'écoute de la grand'voile, de n'être plus bon qu'à tenir un licol!

Par delà le cercle miroitant des eaux, ses yeux où le regard achève de s'éteindre remontent vers ses navigations anciennes, vers les grandes houles bleues qu'argente le sillage des thoniers et que ses prunelles, à lui, ne contempleront jamais plus.

C'est notre dernière rencontre. Nous sommes, à présent, hors de toute humanité, en pleine steppe vierge. De courts ajoncs embroussaillent le sol maigre, s'y cramponnent de toute la vigueur obstinée de leurs sarments, s'efforcent péniblement de fleurir. Puis, ce sont des touffes de plantes barbelées, puis la précaire végétation des roches, les romarins, les lichens, les saxifrages. Après, plus rien. On plane sur le vide; on se sent devenir impondérable; on est comme la fumée de ce vapeur qui passe: on flotte, dissous dans le vent, dans le soleil, dans la mer. D'une faille, à nos pieds, s'exhalent des sanglots immenses, comme si quelque Titan agonisait là, écrasé sous la masse du promontoire.

—Le trou de l'Enfer! nous dit le garçonnet.

On les compte par centaines, au long des côtes bretonnes, ces «enfers». Celui-ci ne retentit point des hurlements désespérés que font entendre, à Plogoff, les damnés du Raz, mais il ne laisse pas d'être d'une belle horreur. Pendant que nous nous penchons pour sonder l'abîme, notre guide a subitement disparu. Et voici que des profondeurs du gouffre une voix s'élève, entonnant la célèbre complainte des Trois matelots de Groix

Il vente!…
C'est le vent de la mer qui nous tourmente.

Nous écoutons frémissants, la poitrine oppressée d'une indicible angoisse. Élargie, amplifiée, décuplée par un écho fantastique, la voix n'est plus une voix mais tout un chœur, l'infini lamento des Ames vouées à toutes les détresses du vent, de la mer et de la mort.

C'est avec une impression de soulagement que nous quittons ces lieux redoutables. Un vallon sauvage fait brèche dans le rempart des falaises. L'herbe y est d'une douceur de velours; un filet d'eau courante glisse parmi les menthes et les sauges amères, avec un chuchotement discret. La pente aboutit à une crique de sable multicolore au fond d'un fiord enchanté. Il semble que l'Atlantique se soit plu à sculpter cet abri pour quelque Océanide éprise de silence et de repos. La solitude y est éternelle. Les goélands eux-mêmes respectent l'inviolabilité de ces parages. Chateaubriand dirait que le Génie du calme en a fait sa demeure. Les Grésillons désignent cette retraite sous le vocable de Port-Saint-Nicolas, mais pour rien au monde ils n'y aventureraient leurs barques. Une sorte de prohibition mystérieuse les en tient éloignés. Une fée, croient-ils, habite là, celle-là même, je pense, qui a donné son nom à leur île et dont on voit encore, les nuits de lune, onduler le beau corps souple au bercement des houles endormies.

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