La Ville au Bois dormant : $b De Saïgon à Ang-Kor en automobile
DANS LES RIZIÈRES
CHAPITRE XV
RÉVOLTE DE BUFFLES — L’ESSENCE
ARRIVÉE A KOMPONG-CHAM — EMBARQUEMENT
PNOM-PENH — RETOUR A SAÏGON
23 avril 1908.
Nous quittons Poungro à huit heures du matin.
Devant le moteur (impuissant hélas) trois paires de buffles balancent leurs grosses têtes ornées de cornes monumentales… j’ai beau me raisonner, je ne puis m’habituer à cet attelage incohérent et anachronique !
Le départ est plutôt de mauvais augure… Dès les premiers pas de nos buffles, nous nous embourbons dans une rizière et il faut le concours de tous les indigènes qui unissent leurs efforts à ceux des six nobles bêtes à cornes pour nous faire avancer péniblement, car les roues sont enfoncées dans la vase jusqu’au moyeu…
Enfin, après des efforts dérisoires, nous atteignons un terrain plus résistant. Désormais nous allons pouvoir rouler à la vitesse de trois kilomètres à l’heure.
LA ROUTE INONDÉE
Le soleil fait « une rentrée » éclatante !… mais, comme les grands premiers rôles, il charge trop ses « effets » ! Vraiment il abuse. Nous en sommes presque à regretter la pluie et nous ruisselons tout autant qu’hier.
Les buffles eux-mêmes sont incommodés de la chaleur et leur gêne se traduit par des signes de rébellion manifeste. Sans doute ils rêvent d’une sieste sous l’ombrage… Et nous donc !
A midi nous rencontrons un arbre qui se dresse fort à propos dans la plaine. Il paraît souffrir de sa solitude. Autant pour le distraire que pour déjeuner, nous nous arrêtons à l’ombre de ses branches. Cependant, bêtes et gens vont prendre un repos bien nécessaire, car la chaleur est devenue intolérable.
A deux heures on attelle à nouveau les buffles et nous repartons sans qu’il me soit possible d’obtenir des renseignements précis sur l’endroit où nous ferons l’étape. Cette incertitude ne contribue pas à nous égayer…
DERNIER DÉJEUNER DANS LA BROUSSE
Pour varier les plaisirs, voilà que, vers deux heures et demie, les deux buffles d’arrière, tenant à manifester leur volonté de ne plus rien savoir, se mettent à ruer dans leurs traits, brisent un phare et finalement se détellent.
La chaleur aidant, je commence à bouillir et je donne des ordres au petit soldat envoyé par M. Chambert, afin qu’il fasse mettre un homme de chaque côté de ces « bovidés » rebelles que Guérin traite dédaigneusement « de moteurs à bouse » !
Tout l’attelage étant ainsi encadré, nous repartons.
Mais le même incident se renouvelle un peu plus loin, car les conducteurs craignent tellement les bêtes qu’ils n’osent les frapper et n’ont donc aucun argument valable pour les faire rentrer à leur place.
… La même cérémonie recommence toutes les dix minutes. Je finis par prendre la mouche et tant bien que mal, mais d’un accent dont la véhémence se passe de traduction, je fais comprendre au soldat que, si les conducteurs ne font pas avancer leurs buffles et ne les empêchent pas de se sauver à tout bout de champ, je prends ma plus grosse carabine et je tire dans le tas.
Cette tartarinade porte à merveille. Ma menace (que je n’ai, comme bien l’on pense, nulle envie de mettre à exécution !) est à peine formulée que les buffles, harcelés de coups de bâton et d’injures gutturales, partent au grand trot, sans montrer la moindre velléité de résistance. Nous sommes secoués comme dans un panier à salade, mais, enfin, nous avançons et nous faisons ainsi un bout de chemin.
… Tout à coup, de ce même ton enthousiaste dont les éclaireurs des Dix Mille saluèrent jadis l’apparition de la mer, Bernis s’écrie :
— Une charrette ! Une charrette et une lettre ! l’essence ! l’essence !
A ce mot magique, l’attelage, qui sans doute n’attendait que cela, s’arrête instantanément… Tout le monde saute à bas de l’auto par toutes les ouvertures et se précipite en une folle débandade à la rencontre de la charrette… Je crains un instant que nous ne courrions à une suprême désillusion. Mais non ! c’est bien l’essence !… notre provision tant désirée que les Messageries Fluviales avaient adressée par erreur à Kompong-Cham au lieu de Kompong-Thom… et que M. Beaudoin, sur la dépêche de M. Chambert, a l’obligeance de nous renvoyer.
Notre joie ne peut se décrire… Fini l’auto-buffles !
Enfin nous allons donc pouvoir rouler et faire de la vitesse !
Guérin exécute un cavalier seul, nous poussons des vivats en l’honneur des deux aimables résidents… puis, tels des pirates à l’abordage, nous nous ruons en brandissant nos haches pour éventrer l’emballage des bidons.
Le paisible Tiam nous croit atteints de folie subite… Ses yeux bridés se plissent d’inquiétude, il s’approche avec méfiance. Mais nous lui faisons comprendre que « c’est même chose Chum-Chum pour faire marcher dragon ! » Notre ivresse de pétrole le gagne à son tour. Les réservoirs sont remplis en un clin d’œil et les buffles (qui n’en reviennent pas !) dételés en un tour de main.
Mais une dernière question se pose :
— Après tant de chocs, tant de cahots, tant de bains, le moteur voudra-t-il fonctionner ? Ne va-t-il pas, lui aussi, faire le buffle ? Cruelle énigme !
Guérin, un peu pâle, se met à la manivelle et commence à moudre un café illusoire.
Un tour, deux tours !
Le moteur ronfle comme au sortir de l’usine… Son joyeux et puissant ronronnement accompagne les éclats bruyants de notre joie.
Vite, nous prenons la caisse d’huile attachée sur le marchepied et sans regarder, nous versons à flots le liquide dans le réservoir, tandis que Guérin remplit de graisse les diverses boîtes.
Tout est paré !… et nous ne demandons qu’à nous en aller.
A tour de bras nous payons les conducteurs de buffles, les coolies, la charrette qui vient pour ainsi dire de nous sauver.
Je me mets à la direction ! Guérin prend place à ma gauche, sur le marchepied s’installe le fidèle Compagnon qui ne craint ni les secousses, ni les douches (car il va nous falloir encore rouler dans l’eau). Dans le fond de la voiture se prélassent Tiam… et Bernis qui vient de mettre en marche. Et nous démarrons !…
La sirène épouvante les bêtes et les gens… mais son bruit strident résonne à nos oreilles comme une musique exquise…
Il me semble bien que le moteur pétarade un peu trop… peut-être tient-il aussi à exprimer sa joie de repartir… dans quelques instants il se calmera.
Il se calme en effet, dès que j’embraye en seconde vitesse. Il se calme même si bien qu’il n’a plus la force de nous faire avancer. Ce brusque arrêt fait tomber toute notre joie !
Qu’est-ce encore ?… Une soupape encrassée ? un inflammateur déréglé ? Nous sommes si habitués à prévoir le pire !
Guérin descend, inspecte et se redresse en riant. Ce n’est que le décompresseur, que dans la hâte de repartir, Bernis a tout simplement oublié de rentrer.
Il peut se vanter de nous avoir fait une belle peur !
Nous repartons magnifiquement !
Le moteur tourne à merveille et tire de toute sa puissance dans les flaques d’eau que nous traversons. Nous filons parmi les éclaboussures, sans même nous en apercevoir.
Mais soudain, Guérin me dit d’arrêter !… Quoi !… Ce n’est pas fini ! Oh ! ce Guérin, je le tuerais !… C’est égal : auparavant mieux vaut stopper quand même : selon sa détestable habitude, notre prudent mécanicien doit avoir encore raison !
Allons bon !… cette fois-ci, c’est de l’eau dans le graisseur. En effet, le bidon à demi plein fixé sur le marchepied, ayant perdu son bouchon (l’imbécile !), s’est rempli d’eau pendant les pluies et tout à l’heure, en versant trop précipitamment, nous ne nous sommes pas avisés de ce détail.
ON PATAUGE
Il est écrit vraiment que nous épuiserons toute la liste des pannes ! Nous n’avons qu’à démonter et à vider entièrement le graisseur pour le remplir d’huile pure… Et en route !
Maintenant, nous roulons à toute vitesse dans une véritable trombe d’eau et de boue. On se croirait sur un torpilleur par grosse mer ! Mais notre brave machine semble vouloir rattraper le temps perdu. Elle marche comme elle n’a jamais marché.
Bientôt nous prenons la chaussée qui conduit à Kompong-Cham. Nous roulons presque constamment en quatrième vitesse : nous sommes couverts d’une eau jaune qui nous rend méconnaissables, mais qu’importe !… C’est un bain de couleur locale !
Par moments des secousses terribles nous font craindre de voir la carrosserie se briser ou les ressorts céder… Mais non ! les voyageurs en sont quittes pour rouler et tanguer ferme, c’est tout… rien ne casse ; et à cinq heures du soir, nous nous arrêtons devant la résidence, un peu fatigués sans doute et sales à faire peur, mais tout joyeux d’avoir si bien marché.
Malheureusement M. Beaudoin est absent et nous en éprouvons une grosse déception.
C’est M. Dessenlis qui vient nous recevoir. A notre vue il s’arrête interdit ; il ne nous attendait pas si tôt.
Après nous avoir comblés de félicitations étonnées et qui nous sont d’autant plus précieuses, il nous fait les honneurs de la résidence. Nous procédons à une toilette minutieuse… non sans besoin, et nous sommes tout juste prêts pour nous mettre à table.
Nous trouvons à dîner plusieurs invités, entre autres l’administrateur de Swaikléang, M. Voitel, qui avec amabilité nous invite à venir chasser chez lui.
Et nous nous retirons de bonne heure, car nous sommes tous un peu fourbus.
24 avril 1908.
La voiture est aujourd’hui livrée aux prisonniers ; ils lui font une toilette en règle… qu’elle a bien gagnée elle aussi.
Guérin, qui préside à ces ablutions, me dit dans son rapport que pas un seul boulon n’a bougé, j’en reste émerveillé !
L’après-midi se passe à chasser sur l’étang.
Plusieurs canards et poules sultanes au tableau.
25 avril 1908.
Une dernière déception nous attendait, qui va gâter notre retour. Ces pluies continuelles ayant amené une crue considérable des eaux, il nous devient naturellement impossible de revenir, comme nous le désirions tant, par le chemin de Kreck-Tay-Ninh.
Et la triste conséquence de cette hostilité des éléments, c’est qu’il va falloir nous séparer de notre bonne voiture et l’embarquer pour Pnom-Penh sur une chaloupe des Messageries Fluviales.
Nous irons nous-même par eau… puisque les bateaux sont maintenant les seuls moyens de transport possibles.
Ainsi, notre voyage va s’achever de la façon la plus monotone et la plus aquatique !… Desinit in piscem !…
… Dès ce matin, Guérin est allé reconnaître le chemin que devra suivre la voiture pour descendre sur la berge du Mékong jusqu’à la chaloupe. Comme cette berge est à pic, cela nous ménage encore quelques émotions.
A DIEU VAT !
Même jour, six heures.
Enfin… c’est fait… et malgré de terribles difficultés, sans accrocs ni dommage, grâce à la parfaite amabilité de M. Dessenlis et de tous les Européens présents que je tiens à remercier ici de leur concours si bienveillant et si gracieux.
Pour descendre la berge escarpée du fleuve, il a fallu retenir la voiture par une chaîne à l’arrière, caler les roues de devant avec des madriers… et laisser glisser lentement l’énorme masse jusqu’à la chaloupe. La moindre imprudence pouvait avoir les suites les plus néfastes. Enfin, tout s’est bien passé.
Guérin, que rien ne saurait décider à quitter sa voiture, vient de s’embarquer sur la même chaloupe. Il nous attendra à Pnom-Penh.
28 avril 1908.
M. Voreau, inspecteur des douanes, a l’amabilité de mettre à notre disposition sa chaloupe qui va nous conduire à Pnom-Penh (à la Capitale, comme on dit ici, tout naturellement d’ailleurs !). Ainsi, nous serons comme chez nous et confortablement installés.
Et nous liquidons !… C’est-à-dire que, dans l’après-midi, je paie et renvoie les trois charrettes qui nous ont suivis (et au besoin précédés, dirait M. Joseph Prudhomme !) depuis Tay-Ninh.
Le brave Nam-Ay et ses deux camarades avaient les larmes aux yeux en nous quittant. Je les regrette vivement, car ce sont trois fidèles et sûrs compagnons qui nous ont rendu bien des services pendant ce pénible voyage.
Après le dîner, au moment où nous embarquons, M. Dessenlis nous comble de joie en nous donnant plusieurs splendides trophées de buffles et de cerfs qui, joints à ceux que M. Chambert a eu la bonté de nous offrir, seront, pour des chasseurs impénitents comme nous, le plus agréable souvenir de notre séjour au Cambodge.
A dix heures, nous partons après un dernier adieu à Kompong-Cham et à notre charmant hôte.
… N’oublions pas pourtant, en quittant cette ville, de consacrer une mention peu honorable à notre ex-boy-interprète-guide-cuisinier, le fâcheux Brin-d’Amour qui, toujours en prison, continue de méditer sur les bienfaits de l’automobile et les méfaits de l’horlogerie européenne.
27 avril 1908.
Après une nuit paisible sur le grand fleuve, une de ces nuits où le sommeil bercé par le chant monotone des sampaniers que l’on croise devient une véritable volupté, nous débarquons à six heures du matin et nous nous rendons au Grand-Hôtel où nous devons descendre pendant notre séjour à Pnom-Penh. Guérin, arrivé d’hier au soir, a mis la voiture au meilleur garage de la ville (c’est d’ailleurs le seul !).
A l’œil du chauffeur, la capitale du Cambodge est fort en retard sur celle de la Cochinchine où l’automobilisme est déjà populaire.
Ici, on ne rencontre que quelques rares tacots, bruyante et malodorante quincaillerie, dont les rues sont empoisonnées. On peut bien penser si notre belle Lorraine a fait son petit effet, surtout après les exploits qu’elle vient d’accomplir et qui lui valent déjà une renommée indo-chinoise… Je crois même pouvoir insinuer que les ronflements sonores et réguliers de son moteur ne sont pas sans faire naître quelque jalousie ! Car pour être chauffeur on n’en est pas moins homme !
28 avril 1908.
Nous allons consacrer cette journée et celle de demain à visiter la ville et les environs. Les quartiers indigènes, avec leurs boutiques et leurs bazars hétéroclites et bizarres et leurs théâtres bruyants, font de Pnom-Penh une capitale grouillante et joyeuse, et des monuments comme le Palais d’Argent et le pont des Nagas lui donnent une physionomie originale et rare.
29 avril 1908.
Encore un désappointement !… Il y a quelques chances pour que ce soit le dernier, mais nous n’en restons pas moins furieux !… Une dépêche de Mayréna m’annonce que la crue des eaux et le manque de ponts rendent absolument impraticable la route de Mytho à Saïgon… Ainsi nous voilà forcés de revenir jusqu’à Saïgon avec le bateau, au lieu de faire par nos propres moyens cette rentrée triomphale qui eût consacré le progrès de l’automobilisme en Indo-Chine… Jusqu’au bout de notre voyage l’eau sera donc notre continuelle ennemie.
Dans l’après-midi, puisqu’il faut renoncer aux joies du retour en auto, nous embarquons la voiture sur l’Atalo des Messageries Fluviales… Je viens de la voir solidement amarrée sur le pont, dont elle occupe toute la largeur. Demain nous prendrons le même bateau et nous accompagnerons tous jusqu’à Saïgon notre solide et vaillante compagne.
30 avril 1908.
A dix heures du matin, nous occupons nos trois cabines. Elles nous paraissent bien étroites et nous y étouffons… Aussi nous empressons-nous de monter sur le pont. Mais il est encombré de Chinois, d’Annamites, de bagages, de cages à poules, à tel point que, ne sachant où nous mettre pour trouver un peu d’air et de tranquillité, nous prenons le parti de nous installer sur les sièges de la voiture. Cela nous rappelle nos longues journées d’auto buffles… Et nous restons là tout le jour, causant et devisant, tandis que les berges du grand fleuve se déroulent lentement sous nos yeux.
1er mai 1908.
Saïgon !
Ainsi, malgré la fortune adverse et tant de pannes et tant de déboires, nous sommes rentrés en quinze jours.
On accoste à onze heures du matin. Mayréna prévenu par dépêche est là, dominant toute la foule de sa haute taille, il nous félicite vivement de cette belle randonnée qu’il a suivie passionnément, à mesure que nous avancions vers Ang-Kor. Notre bonne voiture est roulée sur une large passerelle jusqu’à la terre ferme.
Nous y prenons tous place, un tour de manivelle et l’on part… jusqu’à l’Hôtel Continental : ce n’est pas la plus longue de nos étapes ! mais c’est sûrement la plus agréable.
Comment dire notre joie de nous retrouver dans cette belle et bonne ville de Saïgon, après avoir mené à bien une entreprise qui nous paraissait, ainsi qu’à bien d’autres, irréalisable et folle !
Mayréna nous apprend que, d’un commun accord, tous les automobilistes de la capitale avaient formé le projet de venir à notre rencontre sur la route avec des drapeaux et de la musique pour nous faire une réception enthousiaste.
Nous maudissons une fois de plus cette eau hostile et perfide qui nous prive encore d’un accueil dont l’idée seule nous flatte et nous émeut.
Et maintenant, il ne me reste plus qu’un devoir bien doux à remplir, celui de remercier les trois fidèles compagnons à qui j’offre ces notes en souvenir reconnaissant des heures (pas toujours gaies) que nous avons passées ensemble. Jamais, aux pires instants de découragement, leur endurance n’a faibli ; jamais leur amitié ne m’a fait défaut.
C’est à Guérin surtout que je dois la réussite de ce voyage. Et je ne saurais trop louer son intelligence, son courage et son activité. J’admire surtout cette inaltérable bonne humeur, qu’il conservait même lorsqu’il lui fallait se coucher dans le sable brûlant pour examiner les dessous de sa voiture. Malgré la blessure qui le faisait terriblement souffrir, il ne prenait de repos que lorsqu’il avait tout vérifié, jusqu’au plus petit boulon, jusqu’au dernier ressort. Et jamais il n’a murmuré contre tant de mésaventures : cette gaîté-là, si alerte et si française, c’est la parure du courage. Grâce à Guérin, la voiture a pu accomplir les véritables prodiges qu’exigeaient les chocs ménagés par les sentiers, les plaines, les rizières et les ponts qu’il nous a fallu traverser pendant cette expédition sans route.
Je voudrais dire aussi toute la reconnaissance que je garde au charmant Compagnon qui n’a point hésité, malgré son goût pour le confortable et la paix du chez soi, à me suivre dans une aventure qui ne pouvait guère passer pour une partie de plaisir. La bonne grâce, l’enjouement, la gaîté spirituelle du « Compagnon » ne se sont jamais démentis « aux plus mauvais jours de notre histoire ! » Son aimable sourire fut la clarté et la joie de ce voyage, et je lui sais gré de ce qu’il a su mettre de gentillesse dans son dévouement.
Et je n’ai pas besoin d’ajouter que je remercie de tout cœur le bon et fidèle Hervé de Bernis. Je le connais de longue date : il sait toute l’affection que je lui porte, et qu’il mérite si pleinement par la droiture de son caractère, et par toutes les qualités chevaleresques qui sont inséparables de sa race et de son nom.
Un dernier mot encore pour les constructeurs de Lunéville et en particulier pour M. le Baron Adrien de Turckheim, qui s’est lui-même si gracieusement intéressé à fournir une machine capable de supporter jusqu’au bout, sans jamais manifester la moindre fatigue, ce long voyage plein d’incidents imprévus. Lorsqu’au retour, notre voiture a été entièrement démontée, on a constaté que pas une pièce n’avait pris de jeu et qu’aucun engrenage ne laissait voir la moindre trace d’usure. Pendant un mois encore, je m’en suis servi journellement sur les excellentes routes de la Cochinchine et à mon départ je la renvoyais intacte à Paris.
Quant aux pneus Michelin, ils ont bu l’obstacle !
… Le raid Saïgon-Ang-Kor est terminé et c’est avec une profonde reconnaissance que je vous redis :
Merci, chers compagnons ! Merci !
Puissions-nous avoir, au sens propre du mot, montré la route, cette route d’Ang-Kor qui serait si nécessaire au développement de notre belle colonie. Puissions-nous ainsi avoir servi, dans la mesure de nos moyens, la cause de la plus grande France !