Le thé chez Miranda
BABIOLES
Regardez, écoutez mes babioles, ce sont des papiers peints, ce sont des violes:
I
LE MASQUE JAPONAIS
Yédo. L'on dirait. Tant elle est de potiches trapues et de stores bariolés pleine la chambre. La chambre aux rideaux bleus où fleurissaient les yeux de l'absente, plus bleus que les fleurs bleues s'étiolant dans des vases bleus. Et les grands éventails palpitent cloués sur les panneaux comme des papillons, les grands éventails où des papillons sont peints, les grands éventails diaprés comme des perruches, les grands éventails où des perruches sont peintes.
Et le petit masque japonais, don de l'absente, rêve sur le mur blanc juste en face du lit, du grand lit froid comme un catafalque, où sur les taies fleurant les parfums aimés de l'absente, tristement accoudé, il songe. Il songe que les nuits veuves s'entassent, que l'hallali des désirs sonne dans ses nerfs exaspérés; il songe au cabaret grouillant là-bas sous la flambée du gaz, il songe à la petite brune, fine et futée jusques au bout de l'orteil, à la grande rousse, grasse comme une oie, et bête donc! Et cependant que la roue du fiacre attardé chante sur la chaussée, il regarde ses bas de soie rouge traînant sur le tapis, ses bas de soie rouge qui le fixent de leurs prunelles rouges avec un air de viens-nous-en. Et sa fidélité sombre, sombre comme la carène prise dans un ressac, et la tunique de lin des chères remembrances va être souillée.
Et, ses yeux tombent sur le masque japonais, don de l'absente, pâle sur le mur blanc, juste en face du lit. Et le pauvre petit masque le regarde si tristement, si tristement que l'hallali des désirs ne sonne plus dans ses nerfs exaspérés, si tristement qu'il ne songe plus à la petite brune, fine et futée jusques au bout de l'orteil, qu'il ne songe plus à la grande rousse, grasse comme une oie, et bête donc! Si tristement que la tunique de lin des chères remembrances ne sera pas souillée—encore.
II
AUBE
Les maisons sont tristes comme des bêtes.
A leurs vitres glacées le jour indistinct indistinctement se réverbère; en les buées leurs vitres obscures s'emboivent.
Les maisons sont tristes comme des bêtes.
Deuil et modes, Liquidateur judiciaire, Docteur-médecin… Implacable Destinée! Les enseignes, les implacables enseignes marquent leur flanc suranné, tels des stigmates de lys sur l'épaule des prostituées. Deuil et modes, Liquidateur judiciaire, Docteur-médecin…
Les maisons sont tristes comme des bêtes.
Leurs portes s'entrebâillent; aux tintamarres des timbres par les couloirs leurs portes s'entrebâillent; au labeur superflu, à la débauche superflue, à la superflue et irrémédiable Vie, leurs portes s'entrebâillent.
Les maisons sont tristes comme des bêtes.
Et elles regardent résignées dans la rue pleine de boue et sur la place morne où le vent siffle; elles regardent vers le square au bassin plein de feuilles mortes, vers le lamentable square plein de feuilles mortes, elles regardent résignées.
Les maisons sont tristes comme des bêtes.
III
ROMANCE
Les subtils, les très vagues parfums des mouchoirs qu'on retrouve au fond des malles poussiéreuses rappellent les serments emportés aux jours,—telles des fleurs aux bises hiémales,—les serments de nos amourettes d'autrefois.
Doucement surgissent les anciennes souvenances, souvenances de bonheur et de tourment; doucement du fond poussiéreux des malles, douces et dépouillées,—telles des ramures aux bises hiémales,—elles surgissent les anciennes souvenances.
Et mélancoliquement se plaignent les souvenances délaissées, souvenances de bonheur et de tourment; mélancoliquement du fond poussiéreux des malles, mélancoliques,—telles parmi les ramures les bises hiémales,—des replis des anciens mouchoirs aux surannés parfums, elles se plaignent les souvenances délaissées.
IV
MALÉFICE
Ils avaient bu toute la nuit, Styx le poète désolé et Laas le poète calme, ils avaient bu à la coupe d'or de la fée Eaudevie, cette compatissante qui change les cailloux en pierreries,
comme a dit un autre poète, leur aîné.
Adoncques, à l'heure où, sous le clignotement de la dernière lanterne, le dernier ribleur rase les murs suintants, ils passèrent la rivière Sequane sur le Pont-au-Double, en face le parvis de la Cathédrale.
Les pieds dans la boue et le front dans les étoiles—absentes,—ils allèrent d'aguet, par la ruelle torte aux pavés disjoints, chez les Villotières adextres à tenir amoureuses lysses, où l'on a sadinet cy pris, cy mis.
Muets, à la lueur blafarde de la chandelle chassieuse, ils grimpèrent les marches vermoulues de l'escalier branlant, jusques à la haute chambre aux poutres enfumées, aux escabeaux cul-de-jatte, où les maléfiques Circés du bas mestier étalaient leurs reins monstrueux et leurs torses lubriques sous les courtines de percale des lits craquetants.
Là, bientôt énervés par les caresses savantes des filles, les deux poètes voulurent chanter Priape. Mais lorsqu'ils ouvrirent leur bouche idoine à lancer l'ample alexandrin aux sonorités de cuivre,—ils grognèrent comme des pourceaux.