← Retour

Le thé chez Miranda

16px
100%

LE CAS DE MONSIEUR DE LORN

I

Ah! mais! C'est qu'il n'était pas du tout rassuré, le beau Fernand de Lorn, en entrant pour la première fois dans la chambre nuptiale. Pensez donc! Effeuiller une couronne d'oranger! ce n'est pas si commode, surtout pour un viveur de trente-six ans, à qui la patte d'oie arrive, escortée d'une longue séquelle de vilaines choses. Il faisait encore vaillamment ses preuves chez la grosse Tata, ou chez la maigre Toto; mais là, c'était autre chose: vins généreux, écrevisses diantrement poivrées et propos plus poivrés encore. Et puis on avait l'habitude, cette sacrée habitude si précieuse. Et l'on pouvait se mettre à son aise avec Tata, et avec Toto, donc; cette petite friponne de Toto, savante à vous émoustiller le plus vanné des académiciens. Mais allez donc vous faire comprendre par une jeune fille de dix-neuf ans, élevée sous les jupes roides de sa maman, et la première nuit de vos noces encore!

C'est à toutes ces bêtises qu'il pensait avec inquiétude, Fernand de Lorn, correct et pâle dans son habit noir sous la douce lueur de la veilleuse, tandis que la mariée faisait semblant de s'occuper de sa traîne pour cacher son embarras.

Il regarda sa femme à la dérobée. Pour gentille, elle l'était, Madame Blanche de Lorn. Gentille et très gentille, avec son corsage frêle et pas maigre, avec ses grands yeux de pervenche mouillée.

Fernand résolut d'être brave. Il invita sa femme à s'asseoir à ses côtés sur la chaise longue, puis il se mit à l'embrasser doucement sur la bouche.

Elle fermait voluptueusement, en rougissant un peu, ses yeux aux cils frangés. Il la délaça méthodiquement. Après avoir fait tomber un à un tous les voiles importuns, il la prit dans ses bras et la porta au lit. Hélas! une fois sous les draps fins parfumés d'iris de Florence, il eut de nouveau le trac, comme un acteur à une première:

—Commencer par un four, se disait-il, c'est dangereux pour l'avenir.

Il parla de choses indifférentes, puis fixant sur sa femme des regards qui voulaient paraître langoureux, il dit:

—Vous devez être bien fatiguée, mon amie…

Elle répondit simplement:

—Non.

Et cacha sa tête blonde dans les dentelles des taies d'oreillers.

Alors il commença des caresses prudentes, en lui murmurant les banalités exquises des amoureux. Il parla avec passion de l'avenir, de la tendresse qu'il lui avait vouée.

Elle l'écoutait, visiblement désappointée. La veilleuse se mourait, et les premières lueurs de l'aube filtraient déjà à travers les lourds rideaux des hautes fenêtres.

Blanche s'assoupit légèrement.

Fernand de Lorn poussa un soupir de soulagement.

Hélas! la pauvre couronne d'oranger n'avait pas perdu un seul pétale.

II

Deux nuits suivirent dans un calme aussi plat. La troisième il résolut d'être plus hardi:

—Après tout, se disait-il, pourquoi avoir de telles appréhensions? C'est absurde.

Il perdit la bataille, et l'honneur aussi.

Pendant plusieurs semaines des tentatives fréquemment renouvelées furent absolument désastreuses. La situation devenait tendue. Les époux commençaient à échanger des paroles aigres-douces. Ils s'en voulaient mutuellement. Fernand retourna au cercle, où les plaisanteries banales de ses amis, à propos de son bonheur conjugal, lui entraient au cœur comme des dagues. Il perdait des sommes folles sans arriver à se distraire. L'humeur de Blanche devenait de jour en jour plus acariâtre, ses nerfs exaspérés battaient la charge. Elle passait sa vie à massacrer des statuettes de Saxe et à renvoyer ses femmes de chambre. Ce qui la faisait rager surtout, c'étaient ses amies intimes, la comtesse de Luc, Madame de Baixas, et les autres, mariées peu de temps avant elle, avec leurs conversations indiscrètes, telles que:

—Eh! bien, dis, est-ce si terrible que ça un mari?

Ou:

—Pauvre petite comme tu as les yeux battus.

Ou encore:

—A quand le baptême, ma mignonne?

Elle tâchait de prendre des mines effarouchées, très vexée au fond, et finissait par se fâcher tout rouge.

A quoi les petites amies répliquaient en chœur:

—La voyez-vous, l'hypocrite!

III

Plaisanterie à part, ce pauvre Monsieur de Lorn était vraiment à plaindre. Songez donc! ça n'était pas gai. Quelle déveine! Oh! si l'on pouvait se douter de son malheur chez la grosse Tata, quelle fête! Et le petit d'Anglar à qui il avait enlevé Toto, c'est lui qui s'amuserait à colporter la nouvelle dans tous les cercles de Paris. Et puis, c'est que ça devenait inquiétant. Si c'était pour tout de bon! C'est que ces choses-là arrivent quelquefois, tout d'un coup, à son âge, surtout quand on a brûlé la mèche par tous les bouts. Il aurait bien voulu essayer avec une ancienne amie, pour savoir à quoi s'en tenir. Mais ces filles sont si bavardes! Il y aurait peut-être un autre moyen. Ah! mais oui, Madame de Saint-Baume. Était-il assez bête de n'y pas avoir pensé plus tôt! La baronne de Saint-Baume, cette vieille dame si discrète et qui protégeait de si jolis tendrons!

Le lendemain, vers dix heures du soir, il sortit, la figure abritée sous le haut collet de sa pelisse. Il bruinait légèrement. Par la chaussée le gaz flambait roux, dans les flaques d'eau. Les fiacres roulaient assourdissants; les passants se heurtaient, hâtifs. Aux coins des rues sombres, les pierreuses faisaient: Pstt! Il fut tenté de monter avec une de ces filles à cause de la discrétion. Le dégoût l'en empêcha. Il continua son chemin, rasant les murs.

Arrivé devant la large porte cochère de l'hôtel connu, il sonna timidement, puis il grimpa d'un pas furtif les marches moelleusement tapissées.

Madame de Saint-Baume le reçut dans son petit salon aux tentures sévères avec la cordialité due à un ancien ami, doublé d'un bon client. C'était une femme de cinquante et quelques ans, grande et osseuse, aux manières distinguées. Figure longue, aux méplats secs, encadrée de boucles grisonnantes. Des yeux gris très perçants. Un sourire factice entr'ouvre la lèvre mince sous laquelle éclate la blancheur du râtelier.

Il fait bon dans le petit salon. Un petit feu attiédit l'air saturé d'aromates. La grande pendule en bronze repoussé tictaque berceusement. La flamme bleue du samovar veille sur le guéridon couvert d'une nappe brodée.

—Ah! monsieur de Lorn! Quelle agréable surprise! Je vous croyais définitivement perdu pour nous, tout à vos devoirs de mari.

Il eut un petit rire saccadé.

—Je passais devant votre porte, chère baronne, et le désir de causer un instant avec vous du passé conduisit ma main vers la sonnette.

—C'est bien, cela, et je vous remercie de ne m'avoir pas complétement oubliée.

Ils causèrent de mille choses diverses: sport, politique, potins du jour. La petite Niniche était partie en Amérique avec un riche fabricant. Quelle roublarde! Les républicains, tous des Robert-Macaire. Cet imbécile de X… s'était fait sauter la cervelle après avoir perdu au baccarat toute sa fortune et celle des autres. Le banquier Z… venait de surprendre sa femme avec un clown du cirque, etc., etc.

Un coup de sonnette retentit dans l'air apaisé de l'hôtel.

—A propos, dit la baronne. Mademoiselle Louise de Fasols, cette belle brune qui vous aimait tant, mon cher Fernand, est de retour depuis quelques jours, et je l'attends ce soir. Si vous avez quelques instants à nous donner nous allons prendre une tasse de thé ensemble.

Il regarda sa montre machinalement et dit:

—Avec plaisir. Précisément, ma femme est allée passer une semaine chez sa mère, à Nice; je suis garçon.

—C'est à merveille, dit Madame de Saint-Baume en se levant. Voilà Mademoiselle Louise qui monte l'escalier. Elle sera enchantée de vous rencontrer.

Mademoiselle Louise de Fasols entra avec un froufrou de robes, emmitoufflée dans ses belles fourrures de loutre, les joues rosées sous sa voilette. C'était une belle fille à la gorge rebondie, aux hanches superbement cambrées.

—Tiens, un revenant, dit-elle, en apercevant Monsieur de Lorn. A quel heureux hasard devons-nous le plaisir de vous voir, homme rangé?

—Votre retour à Paris, mademoiselle, y est pour beaucoup, répondit Fernand en souriant.

—Flatteur, va! reprit Louise très câline, en lui tirant amicalement le bout de sa barbe en pointe.

Ils causèrent en sirotant du thé copieusement désaffadi de cognac. Les petits verres d'eckau vinrent après, très fréquents.

De Lorn sentait se réveiller en lui tous ses vices d'hier. Les petits verres d'eckau faisaient déjà leur effet. Il dit en effleurant de ses lèvres la nuque de Louise:

—Dites donc, si nous soupions!

Madame de Saint-Baume se leva avec un sourire protecteur.

—Mes enfants, dit-elle, j'ai un peu de migraine, et il se fait tard. Permettez-moi de me retirer. Je vais donner des ordres pour que vous soyez servis comme de simples Khédives. Ne vous gênez pas, vous savez que ma maison est vôtre.

Elle se retira digne et roide dans sa robe de soie sombre.

Au bout d'un quart d'heure, une vieille bonne typique apporta sur un grand plateau d'argent un petit souper extra-fin.

Les écrevisses furent éventrées, les pâtés saccagés, le Chandon moutonna dans les coupes.

—Ah! ça, dit Louise, à cheval sur la cuisse de Fernand, t'es donc marié, petit singe?

—Mais oui.

—Et ça va bien, les petites amours légitimes?

—Hum!

—Comment? Déjà!

—Je n'ai pas dit.

—Tu fais: hum!

—C'est que…

—C'est que?

—Tu sais, les jeunes mariées…

—Les jeunes mariées?

—C'est un peu…

—Innocent, n'est-ce pas?

—Oui.

—Je comprends, dit Louise, en risquant des gestes définitifs. A des… comme toi il faut…

—Des… comme toi, riposta Fernand, en lui passant la main sous le corset.

Alors Louise en fit sauter les agrafes. Ses beaux seins fermes bondirent comme des cavales fringantes. Elle dénoua sa lourde chevelure et colla sa bouche fardée sur les lèvres de Fernand, l'excitant de la morve de ses baisers.

....... .......... ...

Une heure après, M. de Lorn sortait de l'hôtel Saint-Baume, épouvantablement gris, mais la tête haute et le chapeau sur l'oreille.

L'honneur était sauf.

Tout en marchant il se répétait avec satisfaction:

—C'est égal, je suis content. Ce n'était pas pour tout de bon. C'est que cette pensée me donnait la chair de poule. Songez donc: trente-six ans et plus rien! Oh! non, pas encore! Et mais, dites donc, ça a marché avec cette petite grue de Louise, mais là très bien. Au bout du compte, je m'en lave les mains. Que ma femme s'arrange: c'est de sa faute. J'ai la preuve de ma vaillance. O ces jeunes filles du noble faubourg sont-elles godiches!

IV

Quelques jours après. Vers neuf heures du soir. Ils se trouvent en tête à tête dans le petit boudoir chaud comme un nid, devant le feu pétillant parmi les chenets. Fernand regarde sa femme qui lit un volume de Feuillet: très pâle, à la lueur tamisée de la lampe, son corps se dessine amoureusement sous la soie du peignoir clair à bouffettes roses. On voit le bras blanc jusqu'au coude. Les cheveux longs et soyeux traînent négligemment sur ses épaules. Le pied,—bas noir et mule blanche,—frétille nerveusement sur un pouf en tissu du Daghestan. Fernand la regarde toujours et la trouve gentille à croquer. Il se sent un appétit d'enfer et pourtant son estomac refuse toute nourriture.

—Nom d'un chien! pense-t-il, il faut que cela finisse. Tout ça, c'est de l'appréhension. Puis, il me semble qu'après ma victoire de l'autre nuit, à l'hôtel Saint-Baume, je serais bien bête de ne pas essayer…

Il essaya…

Bernique!

Alors il se mit dans une fureur de fauve: il allait et venait par la chambre, sacrant comme un goujat, se campant fièrement devant la haute glace, retroussant les pointes féroces de ses moustaches, bombant son torse.

Il alluma un gros cigare, et,—tel un maroufle sur un sofa de bouge,—il se vautra sur un canapé.

Là, d'un air d'indifférence, avec des ricanements, il dit, entre deux bouffées de cigare:

—Tu sais, ma chère, c'est absolument ridicule, et je tiens à te dire une fois pour toutes que c'est de ta faute.

Blanche lança un rire aigu plein de mépris.

Il reprit tranquillement, sans se laisser déconcerter:

—Oui, c'est de ta faute, je le répète; j'ai des preuves certaines que je ne suis pour rien dans le désagrément qui nous arrive; des preuves, entendez-vous, madame!

Il prononça le mot preuves en appuyant, avec un sourire fat.

Elle eut un haussement d'épaules, sans répondre. Alors il se leva et sortit en sifflant un air d'opérette.

Après le départ de son mari, Madame de Lorn laissa éclater ses sanglots et ses pleurs: dire qu'elle avait espéré le bonheur entre les bras de cet homme! Où sont ces rêves bleus, ces illusions aux ailes d'or! Des querelles, des injures même. Et dire qu'ils venaient de se marier à peine! Quel enfer! Comment finirait-elle cette situation aussi lugubre que grotesque? C'était sa faute, disait-il, sa faute à elle? L'imbécile! Sa faute! Pourquoi? Elle était jolie, vraiment jolie, et désirable! Oh! c'était trop fort! Elle avouerait tout à sa mère, elle se séparerait. Non. Elle le rendrait plutôt ridicule. Elle se laisserait courtiser, courtiser jusqu'au bout, par le vicomte de Cazal, qui avait demandé autrefois sa main, ou par Monsieur Maffei, ce jeune diplomate italien si joli garçon. Oui, mais c'est qu'elle l'aimait toujours, et quand même ce grand diable d'homme avec ces moustaches fines, sa main aristocratique, ses yeux qui vous allaient droit au cœur. Oh! si ça pouvait s'arranger! Comme elle vivrait heureuse entre ses bras! Le posséder, le posséder complétement une semaine, et puis mourir! Et elle sanglotait, sanglotait à fendre l'âme, la pauvre petite, et elle pleurait, pleurait toutes les larmes de son corps.

Soudain, un objet blanc, tranchant sur le fond brun du tapis, attira son regard. C'était une carte de visite. Elle la ramassa et lut:

Madame la Baronne de Saint-Baume,
Rue…… no

La baronne de Saint-Baume! Ce nom ne lui était pas inconnu. Où diable avait-elle entendu parler de cette femme? Mais oui. C'est son oncle, le marquis de Matas, ce vieux gâteux qui racontait des choses si inconvenantes devant les jeunes filles. C'est lui qui parlait souvent de Madame de Saint-Baume, quand il allait dîner chez ses parents. Elle se rappelait maintenant. Sa mère se montrait très scandalisée toutes les fois qu'on entamait cette conversation.

Elle sentit son cœur saigner. La jalousie l'étreignit de ses griffes. Puis, une idée subite lui traversa l'esprit et elle sourit malicieusement.

—C'est à essayer, pensa-t-elle. Qui sait? Mon bonheur est là, peut-être.

V

Le lendemain, une dame long voilée se présentait à l'hôtel Saint-Baume. La baronne la reçut avec une courtoisie exquise de douairière.

—Madame, dit l'inconnue d'une voix mourante au bout de quelques instants de silence embarrassé, je fais auprès de vous une démarche très grave, comptant sur votre discrétion inattaquable.

La baronne remercia de la tête avec dignité.

—J'aime, reprit l'inconnue d'une voix de plus en plus faible, j'aime follement un de vos amis, Monsieur de Lorn. Après avoir vainement lutté, je me sens vaincue. Je désirerais néanmoins, à cause de mon rang dans le monde, et pour des motifs qu'il serait inutile d'expliquer, le voir en cachette et sans qu'il sache qui je suis, pour le moment du moins. Je vous ai choisie, madame la baronne, comme la seule digne de ma confiance.

—Madame, répondit la vieille proxénète d'un ton grave, je n'ai pas l'honneur de vous connaître; mais je sens, rien qu'à vos paroles, une personne de ce monde, le grand monde qui m'est cher et auquel j'appartiens par droit de naissance. Mon dévouement vous est acquis de ce moment, madame. Revenez après-demain vers dix heures du soir. Vous trouverez de bonnes nouvelles, je l'espère, et peut-être davantage.

Elle souligna ce dernier mot d'un sourire malin.

L'inconnue, après avoir déposé trois billets de mille sur la cheminée, sortit de l'hôtel Saint-Baume toute tremblante.

Le lendemain, M. de Lorn trouva, en dépouillant sa correspondance, la lettre suivante:

«Mon cher ami,

«Une femme charmante et du plus grand monde, qui vous aime en secret depuis longtemps, vous attendra demain soir, vers dix heures, chez moi. Accourez donc, Lovelace.

«Votre dévouée,

«Baronne de Saint-Baume

—Tiens, tiens! se dit-il, un roman! On me propose un roman, à moi, un homme marié! Il est vrai que je le suis si peu!

Il rit d'un rire amer.

—Tant pis! j'irai. J'ai besoin d'oublier et de me prouver encore que ce n'est pas tout à fait ma faute, si…

Il se leva et se regarda dans la glace.

—Hé! hé! Elle n'a pas tort, la dame, j'ai encore de beaux restes.

Le lendemain, Fernand fut fidèle au rendez-vous. La baronne le reçut mystérieusement.

—La dame va venir d'un moment à l'autre, dit-elle. Me promettez-vous de ne pas chercher à la reconnaître? Elle tient à garder l'incognito, pour le moment du moins. C'est dans l'obscurité propice que vous allez être heureux, don Juan…

—Ho! ho! interrompit Fernand, quelque vieille sorcière, sans doute, ayant peur du jour.

—Je vous promets que non: fiez-vous à moi; laissez-vous faire.

—Soit, dit Fernand en riant, va pour l'obscurité. Bientôt je finirai par me croire à l'Ambigu.

VI

Ç'avait été un grand triomphe pour Fernand. Dans l'espace, relativement court, d'une heure, il avait accompli des prodiges de vaillance. Maintenant, un peu fatigué, sa tête amoureusement posée sur l'épaule de l'inconnue qui ne soufflait mot, il se disait:

—Ah! si je pouvais être comme ça avec ma pauvre petite femme!

Et il soupirait légèrement.

Puis il se disait encore:

—Ah! ça, serait-ce à une demoiselle, à une demoiselle authentique que j'eus à faire? C'est que… il m'a semblé… ah! par exemple! ça serait drôle!

Tout à coup, il fut troublé dans ses méditations d'une façon inattendue… Il se sentit mordu si cruellement que le sang coula.

Il sauta du lit en poussant un cri de douleur, stupéfait, ahuri.

L'inconnue se leva à son tour, et après lui avoir appliqué une vigoureuse paire de gifles, elle dit:

—Allume donc la bougie, imbécile!

Le son de cette voix le troubla tellement qu'il resta pendant deux secondes cloué sur place, puis il alla machinalement allumer une bougie sur la cheminée.

La lumière éclata aveuglante.

L'inconnue se tenait là, debout, immobile dans une nudité presque absolue, sa chemise aux fines dentelles glissant le long des hanches.

C'était Madame Blanche de Lorn.

Les deux époux se regardèrent un instant sans une parole, puis ils s'étreignirent longuement, toujours muets, très émus.

Fernand risqua une question sur cette aventure invraisemblable, mais sa femme lui fermant la bouche avec sa fine main pâle, lui dit:

—Pas ici. Chez nous. Maintenant va-t-en vite avant moi, pour éviter tout scandale.

Il s'habilla à la hâte et sortit de la chambre.

Madame de Saint-Baume l'attendait dans son petit salon.

—Eh bien, interrogea-t-elle avec son sourire malin, sommes-nous content?

—Ravi, ma chère baronne, vous êtes la Providence des amoureux.

—Quand je vous le disais!

Il passa à l'annulaire crochu de la proxénète une bague de haut prix, et quitta l'hôtel le paradis dans l'âme.

VII

Depuis ce jour la vaillance de Fernand ne se démentit pas un seul instant. Blanche est la plus heureuse des femmes, et lorsque ses petites amies la plaisantent sur ses yeux battus, au lieu de se fâcher comme autrefois, elle égrène le chapelet de perles de ses rires argentins.

Chargement de la publicité...