← Retour

Le thé chez Miranda

16px
100%

Sixième Soirée

Gît la plaine brune, étendue, rase.

Au bord, la trace du soleil parti stagne rouge.

Et le ciel s'élève avec des courbes immenses de palmes, et des teintes citrines qui montent, qui montent et se nacrent de blanc, et se bleutent, se bleutent comme un ruban de blonde. Une étoile fichée là, minuscule, la tête d'une épingle, dans ce bleu lisse.

Miranda descend par la plaine. Droite et grêle. Droite, en sa blouse lâche à fermoirs de missel. Grêle en ses hautes guêtres qui sanglent. Droite et grêle.

Luisent les canons de son fusil, roses un peu du couchant, rouges un peu du sang des bêtes. Et se rose aussi la torsade la plus lointaine de sa chevelure massée, et se rose encore la brindille de houx qui retrousse sa toque large.

Les perdrix rappellent.

Par les sillons aigus comme des vagues, les grands chiens flairent. Gueules haletantes. Et leurs oreilles traînent sur le sol épilé de moissons.

Le vent effleure les nappes illimitées de betteraves. Les betteraves frissonnent de leurs panaches verts et de leurs panaches mauves. Semblables à des piles d'écus, les lointaines cheminées de fabriques.

Les perdrix rappellent.

L'église du proche village lève au ciel sa tour de prières, son clocher bleu. Son clocher assis sur les rondes cimes des pommiers et dans les feuilles ténues des saules.

Voici que des buées sourdent et rampent; des buées grises qui glissent au ras des éteules et des trèfles. L'ampleur du vide s'accroît. Le ciel se hausse et s'éteint. La nuit violette plane sur la plaine, plane et s'accroupit. Et les lueurs des fermes transparaissent à peine suspendues parmi les brumes denses: des taches d'or.

Par les sillons aigus comme des vagues, les grands chiens flairent. Et leurs flancs roulent aux sursauts de l'infatigable course.

Les perdrix rappellent.

Dans l'ombre rousse de la salle où les murs se perdent, rien que les torses des hermès, cariatides de la cheminée profonde, rougeoyent au feu des bûches. La flamme danse et pétille. La flamme danse, et son ombre jaune sur la tête pensive des chiens allongés.

Miranda se repose toute mince dans l'antique fauteuil aux fleurages défunts. Et saillent ses jambes rondes croisées dans la courte jupe de velours sombre. Sa chevelure dénouée inonde de pâleur les pâleurs exsangues de sa face sérieuse. Trop petite dans le fauteuil trop grand; trop blanche dans le fauteuil usé.

Pour un sourire de sa mémoire, ses lèvres rosâtres s'étirent. Et la flamme qui se tend jusqu'à elle lèche ses yeux obscurs d'ombres flambantes.

Chargement de la publicité...