Le thé chez Miranda
Deuxième Soirée
La Haye gris de perle où se fondent les façades closes. Poudroye au zénith la blanche incandescence d'un soleil pierrot. A travers les mirances du lac, cœur de la ville, les maisons doublées à pic se fusèlent vers les aqueuses profondeurs.
Casqué de cuir, la face ronde, bistre et rase, sauf l'unique barbiche en pinceau, un pêcheur offre aux replètes boutiquières des phoques vivants. Et dans les mannes qu'il désigne, c'est d'huileuses luisances sur les bêtes oblongues, sur leur pelage de souris, et de petits yeux doux qui s'effarent, et de félines moustaches.
Au fond du landau pers se ploye Miranda gisante, songeuse: des formes graciles, insexuées. Elle laisse pendre au dehors une de ses mains haut gantées de chamois; l'autre effile l'ultime mèche de sa natte blonde, blonde ainsi que du chanvre nouvellement roui. Et la natte épaisse lui sinue près le cou, près l'oreille exsangue, minuscule, où pas un bijou ne se darde. Mais deux saphirs agrafent le col roide de sa robe en peluche couleur de fer. Et, aux cassures des plis, l'étoffe émet des lueurs de clair acier. Ce qui la sertit comme d'une armure jusque son énigmatique visage éburnéen. N'apparaissent point ses pieds sous la peau d'ours brun qui, depuis les genoux, la couvre.
Hors la ville. Les juvéniles bouleaux s'érigent blancs sur le tapis roux des pelouses. Un feuillage poudrederizé qui de haut, coquettement, et semble voir, et frissonne. Comme un boudoir aux multiples colonnes blanches, aux moquettes rousses. Sans oiseaux. Silencieusement.
Dedans. Le Vyverberg. Ses arbres massifs qu'unissent les branches touffues. Le soleil s'y tamise, choit, macule le sol de taches violettes, d'un violet violet si peu, mauve presque. Et les maisons rougeâtres regardent par les châssis de leurs fenêtres blanches ainsi que par des yeux quadrangulaires, des yeux de statue, sans pupilles.
Sous une vitrine de musée, les émaux de Limoges et leur électrique blafardise, et leurs ciels orageux aux tons d'encre écrasée; plus loin, la canne d'un historique monsieur avec pomme en porcelaine de Saxe.
De Rembrandt: un rayon saure qui glisse dans un temple fantastiquement brun, un rayon saure où se lève la main du grand prêtre en dalmatique d'orfroi, où paraît la Vierge en habit d'azur, et Siméon qui offre un Jésus chair, et saint Joseph porteur de colombes.
Les dunes. De montueuses ondulances blondissantes; accroupies et rondes comme les croupes d'un bétail gras; et pressées en un grand troupeau; innombrables.
La mer. L'immense nue; et qui bave. Dans sa peau d'argent des madrures s'étalent émeraude, comme des prés; où parfois surgissent des crêtes savonneuses qui vont et s'épanchent.
Et par-dessus s'incurve le firmament, la toujours incommencée page blanche.
Miranda descend. Aux bras de ses chers initiés elle s'appuye et ses lèvres rosâtres sourient à la fraîcheur bruissante de l'air; et ses sourcils broussailleux, pâles, se froncent à la gifle salée de l'embrun. Elle dit. Sa voix de l'Ailleurs, très basse, domine la grondante mer.
«—Il me plaît que ci nous seyons et que nos yeux se prélassent à contempler cette bouillonnante folle qui veut sortir toujours d'elle-même, s'efforce et ne peut… l'humaine! tandis que vous me lirez des contes dans le blanc Eucologe. Voici que je vous ai conviés à la symphonie des septentrionales blancheurs.»
Et c'est la transfiguration blanche des choses. Un illuminement s'élève à l'extrême limite des flots; et il s'épand. En toutes les teintes il s'immisce et transparaît. Même les brumes gris de perle, vers la ville, il les gouache de blancheurs lactescentes. L'écume des vagues semble des éclaboussures de craie, et des lueurs blanches se glissent aux flancs rebondis des barques goudronnées, aux rondeurs des vergues et des mâts. Elles posent lourdes sur les cornettes empesées des matelotes; elles ternissent l'argent qui brille au loin étendu sur la nappe de mer ensoleillée.
Parmi les maisonnettes de plaisance construites en bois dans les dunes et dont les maigres jardinets s'étiolent derrière les paillassons qui les protègent des sables, il se présente une demeure basse, à péristyle.
Miranda pousse la barrière de bronze ouvragé, et aux fleurs marcescentes du minuscule parterre elle laisse un pitoyant regard.
L'intérieur de l'unique salle tout en sapin vernis qui mire comme une laque. Miroir froid et sombre, aux perspectives crépusculaires où s'étrécissent les profils des êtres.
Des fourrures blanches, blanches et grises de monstres polaires cachent le plancher. Les pas y plongent. Une portière de velours blanc lamé d'argent tombe et se plisse pleine d'ombres bleuissantes.
Du côté de la mer ce n'est qu'une glace sans tain encadrée de soie neige. Et sur des tréteaux de sapin vernis, des fourrures encore, des lits de fourrure pour le repos.
Miranda retire ses gants qui tombent ainsi que des oiseaux tués; et gisent.