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Le voyage imprévu : $b roman

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Le monsieur s’était déjà éloigné, appelé par ses compagnons de voyage.

Une bousculade d’images se précipitait au premier plan de la mémoire de Georges… La plus nette était la vision de Béatrice à l’hôtel d’Ouchy, quand elle était descendue en robe noire…

… Il était resté immobile devant le tableau des dépêches. Béatrice savait que son beau-frère était mort, il n’y avait pas à en douter. Il avait dû mourir sans doute la veille de leur départ et dans la soirée. Georges se rappela aussi l’incident des journaux qu’on l’avait empêché de lire…

Et la dépêche d’Ouchy que l’on avait certainement arrachée du tableau ?…

Allait-il révéler tout cela à Laurence ? Il hésita une seconde et décida très vite qu’il n’en dirait rien.

Peut-être, s’il avait été plus près d’elle au moment de cette révélation, peut-être n’aurait-il pu s’empêcher de parler…

Mais il fallait auparavant traverser le hall ; ce qui lui permit de réfléchir.

Non, il ne dirait rien à Laurence. Depuis la soirée d’Ouchy, il faisait cause commune avec Béatrice.

La voiture, renvoyée par Mme Olmey, les attendait devant le perron pour les ramener à l’hôtel.

Georges prévint Laurence qu’il était l’heure de rejoindre Béatrice pour continuer la route.

— Il faut que vous alliez à l’hôtel. Vous avez encore à faire quelques préparatifs de départ. Moi je suis tout prêt et puis je voudrais faire trois pas à pied. Prenez la voiture, je vous rejoindrai là-bas.

Il voulait surtout être seul pour se procurer les journaux ; sans doute trouverait-il chez un marchand des journaux vieux de trois jours. En venant à ce palace, il se rappelait vaguement avoir aperçu sur son chemin une librairie-papeterie, qui étalait devant sa porte des illustrés français.

La marchande à qui il s’adressa n’était pas comme beaucoup de marchandes de chez nous qui ont horreur de se livrer à la moindre recherche. Celle-ci ouvrit une armoire basse où se trouvaient des invendus, que le dépôt principal n’était pas encore venu chercher. Georges dénicha deux journaux de Paris qui portaient la date intéressante et un autre du jour suivant.

Les deux journaux d’information qui annonçaient le crime publiaient des relations conçues à peu près dans les mêmes termes, sous un titre identique : « Assassinat d’un banquier parisien. »

« Un crime, qui causera une profonde sensation dans le monde des affaires de la haute société parisienne, a été commis hier soir entre huit heures et dix heures.

« La banque Léopold Olmey et Cie jouit d’une réputation universelle.

« Elle est en relations avec les plus hautes maisons de l’étranger. On sait qu’il y a six ans M. Léopold Olmey mourut après une assez longue maladie ; depuis cette époque, l’administrateur délégué était Lucien Olmey, associé avec sa belle-sœur, Mme veuve Léopold Olmey, qui possède la plus forte partie des actions de la banque. M. Lucien Olmey en avait, lui aussi, une quantité importante.

« Hier soir, après la fermeture des bureaux, M. Lucien Olmey était monté dans son appartement, au troisième étage de l’immeuble où se trouve la banque.

« M. Lucien Olmey, qui était divorcé, habitait seul. Hier soir il avait donné congé à ses domestiques.

« Le fait que les assassins étaient au courant de ce détail semble indiquer que le crime a pu être commis par un familier de la banque Olmey.

« M. Lucien Olmey avait à son service particulier un valet de chambre et une lingère, un vieux couple marié. Il n’avait pas de cuisinière. Il prenait presque tous ses repas à son cercle.

« D’ordinaire, quand les deux domestiques sortaient le soir et qu’ils rentraient vers onze heures ou minuit, ils n’avaient pas coutume de passer dans l’appartement avant d’aller se coucher. Ils montaient directement à l’étage supérieur.

« C’est par le plus grand des hasards qu’hier au soir Félix Béhaut, le valet de chambre, passa par le bureau-salon de son maître, afin, dit-il, d’y prendre un petit vase de porcelaine qu’un raccommodeur devait venir chercher le lendemain matin, dès la première heure.

« Quand il ouvrit la porte du salon, un horrible spectacle s’offrit à ses yeux.

« M. Lucien Olmey, devant son bureau, était affaissé sur son fauteuil, la tête inclinée sur l’épaule. Ses vêtements et le tapis étaient inondés de sang. La tempe droite du banquier était percée d’une balle.

« Il était à ce moment un peu plus de minuit. Le valet de chambre téléphona au commissariat et quelques instants après le secrétaire du commissaire, accompagné d’un inspecteur, arrivait sur les lieux du crime.

« Le concierge de la banque n’avait vu passer personne, mais le fait en lui-même n’a rien de surprenant, étant donné que la maison Olmey possède une autre issue sur une rue latérale, une porte qui n’est surveillée par personne, étant toujours fermée à clef. Il est vraisemblable qu’elle a été ouverte hier soir avec une fausse clef.

« D’autre part, il arrivait souvent, au dire des domestiques, que lorsque M. Olmey sortait pour peu de temps, il ne prenait pas la précaution de fermer cette porte à clef, pour ne pas avoir la peine de l’ouvrir à son retour.

« Les soupçons se sont portés un instant sur les domestiques, mais l’hypothèse de leur culpabilité a été bientôt écartée.

« Félix Béhaut et sa femme ont une réputation inattaquable et, d’autre part, il est à peu près certain que le défunt n’avait pas pris de disposition qui eût pu donner à quelqu’un l’idée de hâter sa mort.

« On a prévenu en hâte Mme Léopold Olmey, la belle-sœur de la victime, mais il se trouve qu’elle a quitté Paris le soir même du crime pour un voyage en auto. »

Georges leva le nez…

— Le soir du crime ?…

Georges savait pertinemment, lui, que c’était le lendemain.

Il poursuivit sa lecture…

« On a trouvé un tiroir du meuble assez grossièrement et maladroitement fracturé, à l’aide sans doute non d’un instrument spécial de cambrioleur, mais d’un outil de fortune, une espèce de grattoir. On a retrouvé, en effet, cet objet sur le tapis. Le tranchant en était fortement ébréché.

« Prévenu à une heure du matin, le médecin légiste a constaté, en examinant attentivement la blessure, que le crime avait été commis avec un revolver d’un modèle assez ancien et d’un diamètre approximatif de huit millimètres. »

Tout l’article était en dernière heure.

Le journal du lendemain consacrait encore une cinquantaine de lignes à cette affaire passionnante, mais on sentait bien qu’il n’avait aucun détail intéressant à offrir au lecteur.

On ajoutait naturellement que la police était sur la piste de l’assassin et on laissait croire que c’était par une espèce de consigne qu’on ne publiait aucun détail, de crainte d’entraver l’action de la justice.

Pour lire ces journaux, Georges avait quitté le quai trop en vue et s’était engagé dans une rue perpendiculaire. Une fois sa lecture terminée, il découpa, ou plutôt déchira tant bien que mal les articles, puis jeta à terre le reste du papier, après l’avoir séparé en beaucoup de petits morceaux.

Depuis un instant, il lui semblait qu’on le poursuivait lui-même et qu’il était dangereux de laisser traîner des exemplaires de journaux, où il aurait précisément découpé tout ce qui était relatif à l’assassinat du banquier.

La piste mystérieuse dont parlait le journal était sans doute une invention.

Mais peut-être s’agissait-il de la piste de Béatrice qui, le soir même du crime, avait quitté son logis d’une façon plus que suspecte ?

Il ne croyait pas évidemment à la culpabilité de Mme Olmey.

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