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Le voyage imprévu : $b roman

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XVI

Béatrice Olmey n’était sans doute pas insensible en temps ordinaire au plaisir de produire, avec une révélation sensationnelle, des effets théâtraux.

Mais, à ce moment-là, elle n’était pas assez maîtresse d’elle-même pour dominer son public, le rendre haletant et choisir savamment son moment pour déchirer d’un geste brusque le voile du mystère.

Elle se tenait devant eux comme un pauvre petit être tout chétif que Georges eût bien voulu prendre dans ses bras.

Elle était oppressée et il semblait qu’elle ne pourrait jamais sortir une parole.

Elle finit cependant par dire très vite, comme un écolier se débarrasse de sa leçon :

— Vous savez pourquoi je suis ici. On m’accuse d’avoir tué Lucien Olmey.

Elle fit un grand effort pour reprendre son souffle.

— Il a été tué en effet avec une des balles de ce revolver.

Elle tirait en même temps de son sac et posait sur la table le petit revolver que Georges avait déjà entrevu une fois, dans le défilé de l’Arlberg.

Ils durent tous prêter l’oreille pour entendre la suite de son récit :

— Samedi donc, la veille du jour où nous sommes partis, dit-elle en s’adressant à Georges et à Laurence, samedi, vers huit heures du soir, j’ai reçu un coup de téléphone…

« Je suis allée chez lui. J’ai passé par la porte de la petite rue. J’avais la clé. Lui, je l’ai trouvé dans son appartement, seul. Il avait, ce soir-là, congédié ses domestiques.

— Reposez-vous, dit Markeysen, vous n’avez plus de voix.

— Non, non, il faut que je parle… Arrivée dans le salon qui lui sert de bureau personnel, j’ai trouvé un homme calme, qui m’a dit ceci : « Il me manque neuf millions pour des échéances ; je suis perdu et je vais me tuer. »

Béatrice s’arrêta de nouveau pour respirer.

« … Je vais me tuer, disait-il, mais j’ai voulu vous prévenir avant… »

— Quand il m’a parlé ainsi, j’ai pensé que c’était vrai, qu’il se tuerait, parce que, ces neuf millions, il n’avait personne à qui les emprunter. Vous seul, Markeysen, auriez pu lui avancer cette somme, mais j’ai compris qu’il ne vous la demanderait jamais.

« Je lui ai dit que je ferais la démarche auprès de vous. Il m’a répété : « J’aime mieux me tuer ! » Alors nous avons eu une scène violente. Je lui ai dit qu’il me ruinait, puisque, sur la nouvelle de son suicide, tous les titres qui constituent ma fortune allaient tomber à rien. »

Maintenant Béatrice avait baissé la tête, elle parlait les yeux fermés, avec la volonté têtue d’aller jusqu’au bout de sa confession.

— Il m’a répété que sa résolution était inébranlable et qu’il avait laissé déjà dans son bureau le papier où il disait qu’il se donnait volontairement la mort.

« Puis il a pris dans sa poche ce petit revolver et, très vite, il s’est tiré un coup dans la tempe. »

A ce moment les trois écouteurs durent pousser un soupir de soulagement, mais on entendait surtout celui de Georges.

— La détonation a fait très peu de bruit et j’ai vu qu’il était mort tout de suite. Sa tête s’est inclinée à gauche, comme ça…

« Moi, j’étais comme clouée sur place et il me semblait que je n’avais plus rien dans les veines… J’ai entendu, j’ai entendu que je poussais des gémissements, mais il me semblait que ça venait d’un autre.

« Je ne sais pas combien il s’est passé de temps, je sais qu’à un moment je me suis dit que j’étais ruinée. Lorsqu’on saurait qu’il s’était suicidé, toutes les valeurs que je possède ne vaudraient plus rien… Alors une voix m’a commandé ! Il fallait faire disparaître le papier où il annonçait son suicide, il fallait faire croire qu’il avait été assassiné.

« Je ne sais pas comment j’ai eu la force d’agir. Il me semblait que quelqu’un d’autre faisait à ma place tous les mouvements que j’exécutais. Il m’avait dit qu’il avait caché ce papier dans son tiroir. J’ai tourné dans le bureau. Il y avait déjà, sous son fauteuil, une mare de sang. Et dans le mouvement que son corps avait fait en s’inclinant, son trousseau de clefs était tombé de sa poche. Il se trouvait au milieu du sang. Je n’aurais pas pu y toucher. Et cependant il me fallait ouvrir le tiroir du milieu. J’ai pris sur le bureau une espèce d’ouvre-lettres en acier, qui traînait. Je ne sais pas comment j’ai réussi à ouvrir le tiroir, mais j’ai pu prendre le papier. »

— Qu’en avez-vous fait ? demanda anxieusement Markeysen.

— Oh ! je l’ai là.

Elle lui tendit le papier.

— C’est vous qui le garderez.

— Vous pensez ! c’est la seule preuve certaine de votre innocence.

— Eh bien, il s’en est fallu d’un rien que je le détruise… Une fois que j’ai eu ce papier entre les mains, j’ai songé qu’il fallait aussi prendre le revolver… Il le tenait encore, mais, heureusement, sa main n’était pas crispée, l’arme était sur le point de tomber à terre et j’ai pu la rattraper avant qu’elle tombe dans le sang.

Béatrice se tut.

Tous les autres gardaient le silence.

La jeune femme était là, les yeux toujours fermés, le visage douloureux, comme rivée à cette vision qu’elle venait d’évoquer.

— Après…

Elle fit un grand effort pour achever ce qui lui restait à dire.

— Après, je me suis sauvée. Je me suis dit qu’il fallait quitter Paris tout de suite, parce qu’on me poserait des questions et que je ne pouvais répondre à personne. Je n’ai eu qu’une idée : c’est d’aller vous trouver, Markeysen, pour vous demander de soutenir l’affaire ou de l’acheter pendant qu’elle se tenait encore. Je crois qu’elle était bonne et jusqu’à présent, elle n’a pas cessé de l’être…

— Elle le sera, dit sans emphase Markeysen, aussitôt que je l’aurai entre les mains.

Béatrice, un peu soulagée, ouvrit les yeux et regarda Georges, puis aussi Laurence, pour ne pas l’oublier.

— Par quelle invention diabolique ai-je pu emmener avec moi cette pauvre Laurence… et cet ami ?…

Georges, par un regard, put lui dire qu’il ne s’en plaignait pas.

Quant à Laurence, elle n’avait pas encore d’opinion, mais on pouvait concevoir l’espoir légitime qu’elle finirait par ne pas désapprouver son amie. Au fond, entre nous, les trois autres personnages n’avaient pas l’air très préoccupés de ce qu’elle pensait.

M. Markeysen faisait déjà des chiffres dans sa tête.

— Est-ce que vous avez ici des renseignements sur les affaires en question ? Je ne vous les demande pas pour vous accorder ma réponse qui est, par avance, celle que vous pouvez supposer, mais il faut organiser cela en vitesse. Il faut aussi que nous arrangions les choses avec la Sûreté et faire classer l’affaire. Pour le moment, la mort de Lucien Olmey restera mystérieuse. Quand tout sera mis au point, on pourra peut-être dévoiler son suicide, mais à ce moment-là les gens ne s’y intéresseront plus beaucoup.

C’était raisonner sagement. Peu à peu l’intérêt du mystère s’atténue et finit en quelque sorte par se résorber dans l’oubli.

Georges pensait maintenant à la façon dont il serait logé dans l’hôtel et au moyen pratique de passer la nuit avec Béatrice, sans éveiller l’attention des deux autres.

FIN

ACHEVÉ DIMPRIMER
LE
10 JUILLET 1928
PAR LES
ÉTABLISSEMENTS BUSSON

117, RUE DES POISSONNIERS
PARIS

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