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Le voyage imprévu : $b roman

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III

Ils retrouvèrent à sa place la petite ville séculaire de Moret, qui n’a pas l’habitude de bouger et ne court pas les aventures. Elle procédait simplement à ses métamorphoses matinales et quotidiennes. Ses boutiques, encore fermées une demi-heure auparavant, s’ouvraient sans hâte pour respirer le jour. Le bureau de poste, lui aussi, revenait à la vie.

Georges y pénétra en poussant une lourde porte qui raclait le sol. Ce bureau ne faisait pas sa toilette dès le réveil. Il s’ornait encore de deux ou trois bouts d’allumettes de la veille et de chiffons de papier qui représentaient des essais de télégramme dus à des expéditeurs hésitants ou économes, et soucieux d’exprimer leur pensée sous une forme à la fois claire et laconique.

Georges s’approcha du guichet.

— Est-ce qu’on peut avoir Paris tout de suite ?

— A cette heure-ci, monsieur ? Mais ce ne sera pas trop long. Quelquefois cinq minutes.

— Alors, demandez-moi Élysées 20-60.

Un facteur, en tenue négligée, s’apprêtait à nettoyer le bureau.

— Nous attendrons devant la porte, s’il vous plaît, dit Georges.

— C’est ça, dit la complaisante préposée. On vous appellera.

Ces dames étaient restées dans la rue et, faute de mieux, regardaient un petit étalage de mercerie. Plus loin, le magasin d’antiquités dormait encore son sommeil poussiéreux. Le bureau de tabac, s’adressant à une clientèle plus variée, était plus matinal.

Un petit garçon apportait les journaux de Paris, qui venaient d’arriver par le premier train. Georges en prit quatre ou cinq. Il vint en offrir à ses compagnes.

Mais Béatrice, précipitamment, lui enleva même celui qu’il tenait à la main pour sa lecture personnelle. Tout cela avant qu’il eût le temps de le déplier.

— Vous n’avez pas besoin de lire de journaux. Paris n’existe plus. Vous êtes tout à nous.

Elle avait fait une grosse boule de tout ce papier et avait jeté le tout dans le ruisseau, Georges ne vit là qu’un geste de gaminerie.

Peut-être eût-il pu remarquer qu’avant de lire et de plaisanter, Béatrice avait eu un mouvement d’énervement, mais il n’eut pas le loisir de réfléchir : le facteur l’appelait du bureau de poste. Son numéro était à l’appareil.

Toutes les instructions furent données au garçon du garage. Il devait aller sans retard prévenir le chauffeur de M. Gassy et l’envoyer sur la route de Sens, à un kilomètre au delà de Moret-sur-Loing, en lui recommandant expressément de prendre ses papiers pour l’étranger et son passeport. Ces paroles enregistrées, bien que la voix de Paris affirmât avoir tout compris, Georges les répéta pour plus de sûreté et se les fit répéter à l’appareil.

Puis il alla rejoindre ses compagnes, avec qui il se rendit à un garage de Moret, où il demanda une remorque.

Le petit conducteur de l’auto-transport était revenu, après avoir garé lui-même sa voiture. Georges lui avait déjà remis un bon pourboire, mais l’argent, pour ce jeune homme, n’était pas tout dans la vie. C’était désormais par un plaisir désintéressé qu’il suivait l’aventure de ce monsieur et de ces deux dames, retardant du temps qu’il faudrait les obligations de son propre service, et un certain nombre de livraisons qu’il devait faire à Fontainebleau. Il poussa sa sollicitude jusqu’à revenir avec le groupe sur la remorque.

Le chauffeur de Béatrice était assis sur son marchepied, comme Marius au milieu des ruines.

Trois heures environ après l’arrêt fatal, la vingt-quatre chevaux de Georges arrivait à l’endroit indiqué. Le chauffeur expliqua qu’il n’avait pas été prévenu tout de suite. Il avait dû préparer sa valise, faire ses adieux à la compagne actuelle de sa vie. Il avait dû également changer un pneu arrière de sa voiture.

Georges l’écouta distraitement ; il savait que ce chauffeur n’était jamais à court d’explications, qu’il donnait moins pour se justifier que parce qu’il aimait parler. On se demandait même s’il n’était pas capable de se mettre en retard exprès, rien que pour la joie d’exposer ensuite, dans tous leurs détails, les raisons de son inexactitude.

Tout le monde se mit à la besogne. On déballa les effets qui se trouvaient dans la voiture en panne et on les remballa le plus soigneusement possible dans les mallettes de Georges.

— Et que dois-je faire ? demanda à sa maîtresse le chauffeur de Béatrice.

— Eh bien, vous allez rentrer à Paris, et là, vous attendrez mes instructions.

Il formula à voix basse une requête, probablement relative à l’état actuel de sa trésorerie, car Béatrice, tout de suite après, sortit de son sac à main une liasse assez épaisse de billets de cent francs.

Elle le prit ensuite à part et, à voix basse, elle aussi lui adressa on ne sait quelle recommandation.

Puis le nouvel équipage partit à bonne allure sur la route de Sens, pendant que le petit chauffeur de l’auto-transport, leur intime ami de deux heures, les suivait tous d’un long regard.

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