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Le voyage imprévu : $b roman

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VI

Trois quarts d’heure après, la question n’avait pas fait un pas.

Georges, en smoking, était revenu dans le hall, non sans avoir été faire un petit tour d’inspection au salon de lecture où il n’avait trouvé, en fait de journaux, que des exemplaires d’une date ancienne. Il se demanda si quelqu’un n’avait pas passé par là. Le salon de lecture était vide. Ces clients probablement se faisaient monter dans leurs chambres et à leurs frais leur gazette de prédilection.

Le jeune homme était plongé dans une perplexité stagnante, quand Mme Murier l’interpella :

— Béatrice me paraît un peu en retard. Voilà dix bonnes minutes que je suis descendue, j’ai fait le tour du restaurant. Personne de connaissance, en dehors de ce monsieur avec qui notre amie a causé tout à l’heure.

Georges regarda du côté de l’ascenseur. Mme Olmey n’était pas en vue…

Il hocha la tête, en montrant à Laurence un regard intrigué.

— Enfin qu’est-ce que cela veut dire ? demanda-t-il à Mme Murier qui, animée d’une curiosité égale, s’était assise auprès de lui.

… J’ai l’impression que vous êtes comme moi et que vous ne savez rien.

— Absolument rien, dit Laurence en riant. Hier soir, entre dix et onze, Béatrice est arrivée chez moi ; elle sait que je ne me couche pas avant minuit. J’étais en robe de chambre. Mon mari, lui, dormait déjà. Elle m’a demandé comme un service essentiel de partir subitement avec elle. Elle était très agitée. Elle est restée un quart d’heure auprès de moi sans rien dire, mais, visiblement, elle se parlait à elle-même. Tout à coup elle s’est écriée :

— Nous emmènerons Georges Gassy.

Elle a ajouté :

— Vous allez prévenir votre mari. S’il vous demande pourquoi je vous emmène, répondez que vous n’en savez rien et je vous prie, pour le moment, de ne me poser aucune question.

… Je vous dirai, continua Laurence, que ça se trouve assez bien, parce que mon mari, qui a la commande d’un buste en Bretagne, devait précisément partir le lendemain matin de très bonne heure et rester absent une huitaine de jours.

— Et vous ne savez pas du tout, demanda Georges, vers quel pays nous nous dirigeons ?

— J’ai idée que nous allons en Autriche, mais je n’affirme absolument rien. Elle m’a dit hier qu’elle avait une vague intention d’aller à Salzburg, mais elle n’en était pas sûre encore.

— Elle a dû passer chez moi, dit Georges, après vous avoir quittée.

— Oui, dit Laurence. Elle m’a dit : je vais prévenir Georges Gassy que nous passerons le prendre demain matin à six heures.

— J’ai trouvé, en effet, sa lettre en revenant du cercle, vers deux heures de la nuit.

Ils gardèrent un instant le silence.

— Que voulez-vous ? dit Laurence, faisons-lui confiance et continuons à ne rien lui demander. Elle m’a choisie pour compagne de voyage et pourtant, tout en étant des amies, nous ne sommes pas ce que l’on peut appeler des amies intimes, mais elle savait qu’on peut se fier à moi. Elle a d’ailleurs raison, bien que jusqu’à présent la vie ne m’ait jamais donné l’occasion de lui prouver, par un service important, que j’étais pour elle une amie fraternelle.

— Et quand elle vous a dit qu’elle m’emmenait ?…

— Eh bien, naturellement, j’ai supposé des choses et je me suis dit : Tiens ! je vais peut-être faire là-dedans l’office d’un chaperon. Mais tout de même je ne suis pas une enfant et vos attitudes réciproques m’ont fait voir que j’étais allée sans doute un peu loin dans mes suppositions.

— Évidemment, dit Georges, nous n’avons qu’à nous taire… C’est tout de même un peu gênant de voyager avec une personne aussi mystérieuse et de ne pas paraître remarquer sa préoccupation…

— Non. Elle se dit simplement que nous sommes, vous et moi, des gens discrets. D’ailleurs, c’est probablement pour ça qu’elle nous a choisis. Au moins, nous pourrons nous soulager un peu en parlant de ce mystère, quand nous nous trouverons seuls ensemble, comme à présent, dans un coin de hall.

Il rapporta à Laurence toutes les étranges remarques qu’il avait faites : la première à propos des journaux qu’on lui avait enlevés des mains, le matin, et aussi de ce télégramme qui, sur le tableau des dépêches, avait certainement été retiré par quelqu’un.

— On pourrait peut-être, dit Laurence, demander au portier qui a enlevé la dépêche en question.

Mais tout de suite elle écarta cette idée d’investigation sournoise.

— Non, dit-elle, ce genre d’enquête serait encore plus indiscret de notre part et marquerait une façon singulière de faire confiance à notre amie.

— La voici, souffla Georges.

— Tiens, murmura Laurence, pourquoi a-t-elle mis sa robe noire ?

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