Le voyage imprévu : $b roman
V
Un escalier qui tournait dans une cage rectangulaire se présenta à Georges avec ses deux paliers.
Arrivé au premier palier, il se déclara à voix haute :
— Elle est adorable.
Il ne cherchait pas une expression rare qui traduirait une impression nuancée. Ce qu’il lui fallait pour l’instant, c’était une affirmation nette ; en réalité, avant de prononcer cette parole définitive, il n’était pas sûr que Béatrice fût adorable…
Dès cette proclamation, elle fut adorable officiellement et définitivement.
C’est ce que le populaire appelle se monter le coup.
Mais un homme aussi averti que l’était Georges ne pouvait se monter le coup que pour un objet qui en valait la peine.
« Elle est adorable », dit-il encore, quand il fut sur le deuxième palier.
Et comme il arrivait à la porte de sa chambre :
« Ah ! je suis embarqué », pensa-t-il.
Il jeta les yeux autour de lui pour la forme. La pièce était spacieuse et confortablement meublée. La mallette vert-olive, installée déjà sur un pliant à sangle, enlevait à l’appartement son air anonyme. Elle en faisait un home provisoire, mais attitré, de l’occupant.
Il reprit son entretien avec lui-même, sur des sujets moins palpitants.
— Prendrai-je un bain ?
— Oui, décida-t-il, par paresse surtout, pour ne pas s’habiller tout de suite.
Maintenant que Béatrice était consacrée la dame de ses pensées, le mystère de ce brusque voyage aimantait avec plus d’intensité la curiosité du jeune homme.
— Il faut tout de même que j’aille lire ces télégrammes d’agence.
Il sonna le valet de chambre, à qui il donna l’ordre de lui préparer un bain, puis il sortit dans le couloir.
Il redescendit par l’escalier et, en passant, à l’étage en dessous, devant l’ascenseur, il vit sortir de la cage un charmant oiseau, qui rappelait évidemment Béatrice. Il lui sembla qu’elle était légèrement troublée.
— Je suis allée porter une dépêche au portier. Quand on les confie au chasseur, il muse dans les couloirs et mon télégramme était assez pressé.
— Eh bien, dit-il pour parler d’autre chose, nous nous retrouverons dans le hall d’ici à trois quarts d’heure.
— D’ici à trois quarts d’heure, répéta Béatrice.
— J’ai aussi, dit Georges, un télégramme à envoyer.
Comme il ne voulait pas mentir tout à fait, il fit envoyer une dépêche à ses amis du cercle, en s’excusant d’être parti si précipitamment et de n’avoir pas eu le temps de les prévenir.
Ils ne surent jamais à quelle raison de hasard ils devaient cet acte de politesse.
Après avoir quitté le portier, il s’arrangea pour passer devant le tableau des dépêches. Il remarqua tout de suite que le tableau n’était plus couvert en son entier de tout le papier jaune qu’il avait vu l’instant d’avant.
On avait certainement enlevé une dépêche. Une petite punaise d’attache, dans le coin inférieur de droite, laissait dépasser un tout petit morceau de papier arraché ; d’autre part, au-dessus du vide, la dépêche précédente était interrompue brusquement, au moment où elle faisait le récit d’une catastrophe de train au Canada.