Le voyage imprévu : $b roman
XV
Le voyage d’aller avait été un peu haletant à la poursuite de M. Markeysen.
Au retour, Georges éprouvait une autre sorte d’impatience.
Il allait savoir.
Le mystère inexplicable de la fuite de Béatrice allait se dévoiler.
Il éprouvait de l’impatience, sur un fond de tranquillité.
Il ramenait M. Markeysen et Béatrice avait attaché tant d’importance à rattraper le banquier insaisissable que l’on pouvait se rassurer sur l’issue de cette histoire de crime… et penser à tout ce qui se passerait après, à un voyage heureux d’elle et de lui, à des étreintes renouvelées, débarrassées d’inquiétude.
Il se revoyait enlaçant Béatrice et c’était la vision la plus agréable que son imagination pouvait évoquer.
Et puis, c’était tellement beau, c’était tellement doux, qu’il recommençait à s’inquiéter. M. Markeysen allait-il être le personnage providentiel qui arrangerait cette ténébreuse histoire ?
Le banquier, bien qu’il eût déclaré toutes ces questions inutiles, recommençait ses réflexions interrogatives.
— Pourquoi, pourquoi est-elle partie ? répétait-il… Aurait-elle été la cause d’un accident ? Aurait-elle tué son beau-frère en jouant avec une arme à feu et s’est-elle affolée ensuite ?… parce qu’elle se trouvait seule avec lui et qu’on pouvait l’accuser de l’avoir assassiné ?
Georges ne répondit rien, mais un léger frisson le secoua au souvenir du petit revolver qu’elle lui avait montré. Il y manquait une balle… Il se rappela la phrase de Béatrice : « Ce joujou a peut-être déjà travaillé. » Son oreille reconstitua le ton que la jeune femme avait pris à ce moment pour prononcer ces quelques mots.
Tout de même, une inquiétude était rentrée dans son âme…
On n’arrivait pas. Le jour commençait à s’assombrir. A cet endroit la route était moins roulante, plus sinueuse… Comme Béatrice devait s’énerver là-bas !…
Pourquoi n’avait-il pas téléphoné qu’il avait retrouvé le banquier et le ramenait en sa compagnie ?…
Désespérée d’être sans nouvelles, de quoi serait-elle capable ?
Et puis, peut-être l’avait-on arrêtée tout à fait ?
Le fonctionnaire qui la faisait garder à vue pouvait avoir reçu des instructions plus sévères…
On était tout près maintenant, puisqu’on atteignait la douane allemande. Les formalités pour les deux voitures furent interminables. Et toute cette paperasserie encore à la douane autrichienne !
Georges n’osait pas montrer son impatience au banquier. Mais M. Markeysen était peut-être aussi anxieux. Tout de même, il accusait plus de sang-froid et de flegme.
Libérés de toutes ces douanes, ils retrouvèrent la route en réparation, puis la dérivation où, sur un sol cahoteux, les voitures s’avançaient avec circonspection, car les pneus y trouvaient des embûches meurtrières.
Enfin, on s’enfonça sous le tunnel que surmonte la forteresse de Salzburg. De là, on descend vers un pont où de grands agents de police déploient des gestes impératifs ou tutélaires.
La voiture maintenant suivait la rive jusqu’aux environs de la gare où se trouve l’hôtel. En la forte poitrine de Georges palpitait un cœur d’enfant. Quand l’auto s’arrêta et qu’il fallut descendre, ses jambes, sans direction, cafouillaient. Elles se disputaient pour atteindre le marchepied.
— Mme Olmey est toujours dans le bureau de la direction ?
Mais le portier répondait à de nouveaux arrivants qui demandaient des chambres.
D’un geste déférent de son crayon, il faisait signe à Georges d’attendre son tour.
Attendre son tour ?
Georges s’adressait déjà à un autre employé qui le regardait un peu ahuri. Alors, sans attendre de réponse, le jeune homme entraîna le banquier vers le bureau en question.
Un surveillant se tenait toujours devant la porte, ce qui rassura Georges en lui indiquant que Béatrice n’avait pas déménagé.
Cet agent fit mine de leur demander pourquoi ils voulaient entrer.
Mais Georges lui répondit avec une volubilité telle, dans une langue inconnue, que l’autre, impressionné, s’effaça.
Déjà Béatrice avait sauté au cou de M. Markeysen. Georges profita de ce que Mme Olmey était occupée pour dire bonjour à Laurence. Mais Béatrice ne l’oubliait pas. Elle lui tendit une petite main, qui lui sembla fondante de tendresse.
— Asseyons-nous, dit Béatrice.