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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis
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s'entrencontrèrent l'apostole et l'empereur en un lieu que l'en dit la
Monjoie de Rome, et de ce lieu voit-on l'églyse des apostres. Et ilecques
de rechief furent fais cil seremens, et après ce le jura tierce fois, et
porche de l'églyse, de sa main nue et une partie de ses plus hauts barons.
Lors fu mené jusques à l'églyse des apostres à grant procession du clergié,
assés plus noblement et à plus grant joie que Rome ne fist jadis de la
victoire d'Afrique.
Tous rendoient loanges à Dieu: et crioient cil Allemans en leur Tyois, si
espouventablement et si hault, qu'il sembloit qu'il déussent les cieux
trespercer. Là fu couronné solempnellement, par les mains de l'apostole,
selon la manière des anciens empereurs. Après se revesti l'apostole pour la
messe chanter; et quant ce vint en ce point qu'il eut sacré le vrai corps
Dieu et son précieux sanc, si en coménia l'empereur d'une partie en
alliance de paix et d'amour pardurable, et en plege et en ostage de tenir
les convenances qu'il avoit vers saincte églyse. Quant l'apostole eut la
messe chantée, et ains que il fust du tout devestu, avint que les Tyois
descouvrirent la desmésurée traïson que il avoient jusques à ce point
célée; et traisrent, comme forcenés, les espées, et coururent sus aux
Romains qui, en ce lieu et en ce point, estoient désarmés; et commencièrent
haultement à crier à haulte voix que tout le clergié de Rome, et cardinaux
et évesques, fussent prins et destranchiés.
Après, firent une desverie à qui nul forfait ne se prent, né nul outrage ne
se puet comparer: car il pristrent l'apostole et mirent la main au vicaire
Nostre-Seigneur et de saint Père. Tantost fu la cité esmeue et troublée et
plaine de dolour et d'angoisses plus que l'en ne pourroit dire. Et lors
primes apperçurent la traïson des Tyois, mais ce fu trop tart. Lors
commencèrent les uns à courre aux armes, et les autres à fuir comme gent
seurprise et esbahie; mais il ne porent si légièrement fuir à l'assaut de
leur ennemis qui, soudainement, les avoient seurpris et desceus, qu'il n'y
en eust assez de blessiés. Et touteffois montèrent-il sor les trefs[442] du
porche de l'églyse qu'il firent verser et trébuchier sor ceulx qui les
chaçoient, et, par ce firent-il d'eulx leur deffence. L'empereur, qui de
son desloial fait et de s'orde conscience estoit forment espouvanté, issi
hastivement de la cité et emmena avec luy la plus merveilleuse proie qui
oneques-mais eust esté faicte, contre crestiens né ailleurs: ce fu le corps
de l'apostole meisme, et tant des cardinaux et des évesques comme il peust
tenir aux poins, et se mist dedens la cité Chastelle[443] qui trop estoit
fort de grant siège naturel et de grant forteresse. Laiens fist despoillier
et laidement traictier les cardinaux et les évesques; puis fist une si
très-grant cruauté que néis du dire est-ce grant félonnie; car il mist main
el Crist dame-Dieu, et le despoilla orgueilleusement de sa chappe et de sa
mitre et de tous les autres aournemens qui à sa dignité appartenoient; et
après ce, lui fist moult d'ennuis et de honte: né oncques, né luy né les
siens ne voult laissier aler, jusques à tant qu'il les eust contrains à ce
que il le quitteroient de la convenance dont le contens estoit, et qu'il en
eurent fait privilège. Un autre privilège leur estordist[444] aussi à
force, qu'il avoit devant ce quassé, par le jugement de l'églyse, au grant
concile qu'il tint de trois cens évesques et de plus. Ce fu que l'empereur
le revestiroit, d'ore en avant, des devant dictes choses. Et sé aucun
demande pourquoy l'apostole le fist ainsi laschement, sache-il que saincte
églyse estoit en langueur par deffaut de pasteur et de collatéraux, et que
le tirant qui l'avoit ramenée à servitude la tenoit en sa main comme sienne
propre, pour ce que nul n'estoit qui l'osast contredire. Après ces choses,
quant l'apostole eut reformé l'estat de saincte églyse au mieux qu'il pot,
et mise paix quelle que ce fu, si s'en fui en un désert, et fist un
hermitage; là eust demouré le remenant de sa vie, sé saincte églyse et la
force des Romains ne l'eussent contraint de revenir à son siège. Mais
Nostre-Seigneur Jésus-Christ, qui saincte églyse racheta de son précieux
sanc, ne le laissa pas longuement défouler, né ne volt souffrir que
l'empereur s'esjoïst longuement du grief et de l'outrage qu'il eut fait;
car ceulx qui de noient n'estoient tenus à l'empire par foy et par serement
né autrement, pristrent sur eulx la besoingne. Par le conseil et par l'aide
le noble damoisel de France, assemblèrent un grant concile en son règne, et
par le commun jugement de saincte églyse, escommenièrent l'empereur et le
férirent du glaive saint Père, puis s'en retournèrent vers le règne
d'Allemaingne, et pourchacièrent tant qu'il esmeurent contre luy grant
partie de ce règne, et le plus des barons du païs et ceulx qui à luy se
tenoient. Et déposèrent Richart le Roux, évesque de Moustier, né oncques ne
finèrent jusques à ce qu'il eurent à leur povoir destruit et deshérité ses
aideurs, en vengeance de sa pesme vie et de la desloiauté par quoy il
guerroia saincte églyse. Et par son péchié fu l'empire transporté en autrui
main, par le droit jugement Nostre-Seigneur. Après son décès, furent ses
hoirs déshérités par son péchié, et vint pu la main Lohier le duc de
Saissoingne, un chevalier merveilleux et moult prudomme et fort deffendeur
de l'empire, qui, après ce qu'il eut soubmis à l'empire Puille et Kalabre
et Lombardie et Campaigne jusques à la mer Adrienne et tout dégasté devant
soy, voiant le roy Rogier qui de Puille s'estoit fait roy par force, s'en
revint en son règne à grant victoire, et puis morut. Ces fais et autres que
ses gens firent mistrent en istoire leurs maistres et les istoriographes;
et nous, dès ore mais, retournerons aux fais des François qui sont de
nostre propos.
      Note 442: 
Trefs.
 Les poutres.
      Note 443: 
Chastelle.
 Le château Saint-Ange.
      Note 444: 
Estordist.
 Arracha. 
Qu'il avoit;
 que le pape avoit.
XIII.
ANNEE: 1107.
Coment Huc de Ponponne, chastelain de Gornay-sur-Marne, ravist chevaus à
marchéans au chemin le roy et mena en son chastel. Et coment le sire du
règne l'asségia séant à grant ost et coment il le prist à moult grant
paine.
marchéans au chemin le roy et mena en son chastel. Et coment le sire du
règne l'asségia séant à grant ost et coment il le prist à moult grant
paine.
Le conte Guy de Rochefort, duquel l'istoire a parlé dessus, se forcenoit
tout de couroux et de mautalent, pour ce que le mariage de sa fille et du
damoisel Loys de France avoit esté despécié, en la présence l'apostole,
pour la raison du lignage qui prouvé y fu par l'engin et par le pourchas de
ses ennemis qui envie luy portoient; et la rancune qu'il en avoit en son
cuer reçu béoit bien à monstrer par envie contre eulx, en lieu et en temps;
et nonpourquant le devant dit sire ne le béoit mie à oster de son service
pour le mariage qui despécié estoit. Tant qu'il avint que les Gallandois
s'i entremeslèrent qui l'amour et la familiarité d'eulx deux despécièrent
et i semèrent discorde. Si sourdi une ochoison qui au seigneur du règne
donna matière de guerroier; si fu pour ce que un chevalier merveilleux, qui
avoit nom Hues de Ponponne, et estoit chastelain de Gournay sur la
Marne[445], eut une fois pris chevaux à marchéans au chemin le roy et mené
en son chastel. Mais le sire du règne qui, pour ceste outrage, estoit
forcené, assembla son ost hastivement et ala assiéger ce chastel au plutost
qu'il pot, pour que il ne péust estre garni de viandes né d'autre
garnison[446]. Devant ce chastel estoit une isle merveilleusement belle et
délitable qui, à ceux de la ville, donnoit trop grant aaisement de leurs
bestes pasturer, et grant déduit et grant esbatement pour la beauté de la
rivière et pour le grant déduit de la riche praerie. Si amande moult le
lieu ce qu'il est enclos de la parfonde rivière, qui grant seureté leur
donne. De ceste isle prendre et saisir se péna moult l'avoué du règne; et
si tost qu'il eut sa navie appareilliée, si fist une partie de ses
chevaliers et moult de ses gens à pié despoillier tous nus, pour passer
plus légièrement et plus tost relever et saillir sus, s'il avenist que il
chéissent: les uns fist passer à noe[447], et les autres à cheval parmy les
parfons flos, jaçoit que ce fu trop périlleuse chose, et il meisme passa
avec eulx, monté sur son destrier pour donner à sa gent cuer et hardement.
Lors commença à envahir l'isle en telle manière. Mais ceulx du chastel qui
s'estoient garnis au mieux qu'il povoient leur deffendoient moult forment
la terre dessus les haultes rives où il estoient assemblés; et à ceux qui
estoient ès flos et en la navie lançoient menu et souvent grosses pierres
et lances et pieus agus, par quoi il les firent guenchir et réuser de la
rive. Mais tost se rallièrent les royaus et retournèrent sus de rechief aux
chastelains par grant force, tous encouragiés de bien faire. Dont firent
traire leurs arbalestriers et leurs archiers, et les chastelains se
combattaient de maintenant, si comme il povoient mieux venir à eulx. Et les
roiaux de la navie, qui leurs haubers avoient vestus et leurs heaumes
laciés, les rassailloient vertueusement à guise de galios[448]; et tant
dura les assaus, que les royaus qui avant avoient esté réusés, firent
ressortir par force ceulx du chastel, et par vertu et par proesce qui n'a
pas appris à avoir honte né deshonneur, conquistrent et pourpristrent celle
isle, et leurs ennemis firent flatir par vive force en leur chastel. Mais
quant le sire du règne et les royaus virent que ceulx du chastel ne se
rendroient pas ainsi (et il eut jà tenu le siège ne sais quans jours), si
ne pot plus souffrir, comme cil à qui le lonc siège ennuioit inoult. Lors
fist son ost assembler et armer, et puis fist assaillir le chastel qui trop
estoit fors et de parfons fossés et de glant haut et fort, d'eaue bruiante
et parfonde qui au pié luy courroit; et par ce estoit-il tel que, à bien
près, n'avoit-il garde[449] d'escu né de lance. Et tout ainsi, passa parmy
le ruissel qui près des fossés estoit où il eut de l'eaue jusques au
braier[450], tout atalenté d'aler jusques au fossé et d'assaillir au
glant[451] et sa gent après luy. Lors leur commanda à assaillir fièrement,
et eulx si firent par grant force, à moult grant grévance et à moult grant
meschief.
      Note 445: 
Gournay
, à trois lieues et demie de Parie. C'est
      aujourd'hui un petit bourg.
      Note 446: Celle aventure de Hue de Pomponne a contribué beaucoup à
      justifier les déclamations que nos écrivains modernes se font une
      religion politique de répéter contre l'ancienne baronnie françoise.
      Tous les chevaliers, du Xème au XVème siècle, sont ainsi devenus des
      détrousseurs de passans, des voleurs de grands chemins. Mais si telle
      avoit été la coutume des seigneurs châtelains, Suger n'auroit pas
      remarqué la grande colère de Louis-le-Gros contre Hue de Pomponne et
      la guerre qui en fut la conséquence. Nous conviendrons volontiers que
      la lutte une fois déclarée entre barons, les routes dévoient être
      moins assurées qu'au milieu d'une paix complète. Tant que Hue du
      Puiset, Bouchard de Montmorency ou Guy de Rochefort soutinrent la
      guerre contre Louis VI, les bourgeois et les artisans du voisinage
      durent tomber souvent victimes des dissensions qu'ils n'avoient pas
      allumées. Mais il y a loin de là à l'usage chevaleresque du
détrousser les passans
 ou de les 
épier sur les grandes routes
: en
      un mot, les 
Mandrin
 étoient dans le moyen-âge tout aussi rares, et
      les 
Cartouche
 plus sévèrement punis qui de nos jours.
      Note 447: 
Noe
. Nage.
      Note 448: 
De galios.
 De pirates. Suger dit: 
Piratarum more
. J'ai
      déjà remarqué ailleurs cette expression, à laquelle on ne trouve pas
      la même acception dans le glossaire de Ducange.
      Note 449: 
N'avoit-il garde.
 N'avoit-il besoin, pour se défendre.
N'avoir garde
 étoit toujours pris dans le même sens.
      Note 450: 
Braier.
 La ceinture. «Usquè ad baltheum.» Dom Brial a eu
      tort d'expliquer ce mot par celui de 
braies
.--
Atalenté
, désireux.
      Note 451: 
Glant
, partie supérieure des murs. On ne trouve guères le
      mot de 
glandis
 avec ce sens ailleurs que dans Suger.
D'autre part furent ceulx du chastel qui hardiement et vigoureusement se
misrent avant et s'abandonnèrent moult à eulx deffendre, si que il
n'espargnoient à nulluy, néis au seigneur du règne; et vindrent à armes à
l'assault contre leurs ennemis, si qu'il les firent ressortir, et le plus
d'eulx trébuchier ès fossés, si qu'il délivrèrent et rendirent à leur
bataille tout le ru[452] dont il estoient enclos de celle part. Si avint
ore ainsi, à celle fois, que ceulx du chastel en eurent l'onneur et la
victoire, et les royaus la honte et le dommage, si le convint ainsi
souffrir. Lors fist le sire du règne les engins appareiller, et en fist un
à trois estages, et le fist drecier plus haut que le chasteau n'estoit et
au plus haut mist archiers et arbalestriers qui véoient tout l'estre et le
couvine du chastel, et deffendoient à ceulx dedens l'aler et le venir parmi
les rues. Si avint que ceulx dedens qui sans repos et sans entrelaissier
estoient constraint et engoissiés par eulx, ne s'osoient apparoir à leur
deffenses; mais se deffendoient en terraces et sousterrains sagement, et
faisoieut traire en agait à leurs archiers et à leurs arbalestriers aux
royaus qui estoient au premier estage de l'engin, et plusieurs en
occioient.
      Note 452: 
Le ru.
 Le ruisseau.
Près de cel engin[453] avoit un pont de fust qui s'estendoit d'en hault et
s'abaissoit un petit sur le glant, si qu'il donnoit légière entrée à passer
oultre à ceulx qui, par le pont, voulsissent assaillir la ville. Mais
encontre ce, refirent ceulx du chastel un trébuchet et apoiaux de fust,
l'un un petit loing de l'autre, si que le pont et ceulx qui dessus
montassent chéissent de dessus le glant ès fosses que ceulx du chastel
avoient faites, années de fors pieus agus et ferrés, et bien couvertes
d'estrain et de paille, que elle ne fussent apperceues; si que ceulx qui là
chéissent mourussent de tel mort, à giant hachiée.
      Note 453: 
Près de cel engin
, ou plutôt 
sur cette engin;
 le latin
      dit: «Hærebat machinæ eminenti pons ligneus.»
En ce point estoit le conte Guy en grant pourchas de gent assembler et
requerrait d'ayde et parens et cousins et seigneurs pour secourre ceulx qui
au chastel estoient asségiés. Et tant se pourchasça que, entre les autres
aides, eut tant fait vers le conte Thibault de Champaingne qui estoit conte
du palais et homme si puissant et si riche et si merveilleux chevalier, que
il l'eut asseuré d'aidier à jour nommé et hastivement, et luy eut promis
que il lèveroit le siège du chastel et délivreroit ceulx qui estoient
dedens enclos, qui jà estoient en tel point que la vitaille leur alloit
moult apetissant. Et le conte Guy fu entredeulx ententis à proier et à
ardoir le règne, pour le seigneur faire lever du siège. Au jour nommé que
le conte Thibaut deust venir pour le siège lever, eut le sire du règne fait
mander son arrière ban, et les gens voisines semonses[454], car il n'eut
pas loisir de mander loing souldoiers. Et à tant de gens comme il pot lors
avoir issi de ses herberges fervestu et apparcillié luy et les siens, hardi
et courageux, et remembrant en son cuer de haulte prouesce; et vint liement
contre ceulx que il ooit contre luy venir. Mais avant envoia contre eulx
tel qui luy séut noncier leur estre et leur affaire; et luy, tandis, manda
ses barons; si les amonesta de bien faire, et commença à rengier et à
ordener ses batailles, chevaliers et sergens, arbalestriers et archiers et
sergens à glaives, et ordena chascun à son droit et en sou lieu. Après
chevauchièrent tous rangiés contre leurs ennemis qui, contre eulx,
appareilliés venoient; et si tost comme il les choisirent, si firent sonner
trompes et buisines parquoy les chevaliers et les chevaux s'esbaudirent et
pristrent hardement. Dont laissièrent chevaux aler et s'entreférirent des
fers des lances. Là, peust-on véoir grant bruit et grant esclatéis de
glaives. Si fu moult grand l'estour à l'assembler et fort et pesant
d'ambedeulx pars; mais les Briois[455] ne peurent pas longuement endurer
les royaus qui estoient fors et adurés de continuelles guerres; et cil qui
n'avoient appris sé repos non et séjour se desconfirent et tournèrent les
dos; et les royaus les assailloient vertueusement aux roides lances et aux
brans fourbis dont il leur donnoient de grans cops et les faisoient
trébuchier des destriers comme cil qui sur toutes choses desiroient la
victoire. Né oncques ne cessèrent, né cil à pié né ceulx à cheval, jusques
à tant que il les eurent tous tournés à desconfiture.
      Note 454: 
semonces
, Averties.
      Note 455: 
Les Briois.
 Les gens de Thibaut, comte de Brie.
Le conte Thibaut, qui à desconfiture estoit tourné, voult mieulx estre le
premier de la fuyte que le derrenier. Si s'entourna fuyant à force de
cheval, et laissa son ost tout desbareté et s'en ala en sa terre à grant
perte et à grant confusion. Moult y eut occis de gens par devers les
barons, et plus de navrés et de pris. Après celle victoire retourna le sire
du règne liement à ses herberges. Ceulx du chastel bouta hors et le prist
en sa main et le bailla à garder aux Gallandois.
XIV.
ANNEE: 1107.
Coment le noble sire du règne courut sus un chastelain Hombaus par nom,
pour la plainte qu'il ooit de luy. Et coment il prist luy et son chastel
appelé Sainte-Sevère. Et coment il le mist en prison en la tour de
Estampes.
pour la plainte qu'il ooit de luy. Et coment il prist luy et son chastel
appelé Sainte-Sevère. Et coment il le mist en prison en la tour de
Estampes.
En ce temps avint que le noble sire du règne fu moult prié et requis de
plusieurs que il alast sor un chevalier qui Hombaus avoit nom. Si tenoit le
chastel de Saincte-Sevère[456] et siet en ceste terre de Bourges par devers
Limozin, pour luy constraindre et chastoier des tors et des oultrages qu'il
faisoit aux gens du pays dont il avoit oïes les clameurs et les plaintes
plusieurs fois; ou s'il ne le povoit constraindre de venir à droit, au
moins qu'il le déshéritast, par droit, de son chastel qui estoit de moult
grant noblesse. Et moult estoit à ce temps renommé de grant chevalerie
et moult bien garni de bonne gent à pié et à cheval; et, d'ancienneté y
avoit toujours eu bons chevaliers.
      Note 456: 
Sainte-Sevère
, aujourd'hui petite ville du département de
      l'Indre, sur la rivière d'Indre, à trois lieues de La Châtre.
Là mut à aler par les prières que il eut eues, et non mie à moult grant
ost. Si comme il fu entré en ces marches et il approcha de ce chastel, le
chastelain Hombaus qui moult estoit hault homme et de grant pourvoiance,
luy vint à l'encontre à grant chevalerie, et fist fremer et bien garnir de
fors barres et de gros pieux un ru par où les François devoient passer, car
il ne pouvoient eschever ce pas né passer par ailleurs: et il meisme se
mist à l'encontre du pas, à toute sa gent; ainsi furent sor le pas
assemblés d'une part et d'autre part et se doubtoient à passer d'ambedeulx
pars. Si avint ainsi que le sire du règne vit un de ceulx de là qui, devant
tous les autres, estoit hors issu des lices contre sa gent. Lors hurta le
destrier par grant desdaing et sacha l'espée, l'escu avant, la lance au
poing. Si comme il estoit tout armé, et voiant tous ses barons, ala
assembler à celuy, comme cil qui sor tous les autres estoit fier et
courageux: si le féri si noblement de la lance que il l'abati jus du
destrier; et non mie seulement celuy, mais un autre, (comme je treuve
vraiement escript,) si que il en abati deux en un seul poindre et les fit
baingnier au gué jusques au heaume; et ne s'en tint pas à tant, ains se
feri tout maintenant parmy le pas où le premier estoit passé, et s'adressa
vers ses ennemis qui tous estoient esbahis de ce que luy voioient faire.
Lors les assailli fièrement à s'espée tranchant si qu'il en fist plusieurs
réuser et resortir. Et les François, qui ce regardoient, prirent cuer par
son bien faire; adont tressaillirent le ru qui mieux mieux et se ferirent
en leurs ennemis trop aigrement et les convoièrent chassant aux roides
lances, jusques en leur chastel.
Renommée, qui tost vole, s'espandi par le chaslel et par le pays que le
sire du règne et les siens estoient venus ce chastel prendre, et si ne s'en
partiroient jusques à tant qu'il fust pris et ceulx dedens pendus et les
yeulx sachiés, et tout le chastet ars et destruit. Moult eurent grant paour
ceulx du chastel et de toute la contrée, de ceste nouvelle. Si eut cil
chastelain tel conseil que il rendi soy et le chastel et toute sa terre, en
la manière et à la volenté du sire du règne. Et ainsi s'en retourna à
victoire et enmena avec soy ce chastelain et le mist en prison en la tour
d'Estampes.
XV.
ANNEE: 1108.
Coment le roy Phelippe trespassa, et coment son noble fils Loys le fist
enterrer en l'abbaye Saint-Benoist-sur-Loire, où il avoit élu sépulture.
enterrer en l'abbaye Saint-Benoist-sur-Loire, où il avoit élu sépulture.
Autresi comme le damoisel amendoit et croissoit de jour en jour de valeur
et de proesce, aussi defailloit et descroissoit de jour en jour le roy
Phelippe, son père, comme cil qui, oncques puis qu'il eut prise et ravie la
contesse d'Angiers et maintenue pardessus sa loiale épouse, ne fist chose
qui soit digne de mémoire; et tant avoit esté espris de l'amour de ceste
dame, avant que il la laissast, que il n'avoit nulle autre cure, fors
d'acomplir son délit, né du roiaume gouverner ne s'entremetoit-il de rien.
Par une seule personne estoit le roiaume gouverné et conforté, ce estoit
l'atendue et l'abaiance du noble damoisel Loys, qui après luy devoit
règner, car à luy s'atendoit toute la menue gent du roiaume.
Le roy Phelippe, qui moult estoit affebloié, acoucha du tout au lit, à
Melun-sur-Saine, et mourut (en l'an soixante de son aage et de
l'Incarnation Nostre-Seigneur mil cent six,[457]) en la présence son fils
Loys. Aux obsèques fuient présens Gales, l'évesque de Paris, l'évesque de
Senlis, l'évesque d'Orléans et l'abbé Adam de Saint-Denis et maint autres
religieux preud'hommes. Le corps du roy portèrent en l'églyse Nostre-Dame.
Là veillé fu toute nuit à grand luminaire. L'en demain le fist atourner son
noble fils Loys richement, et mettre en une litière couverte de riches dras
de soie, si comme il convient à  tel prince, et puis le chargea aux cols de
ses maistres sergens; et ainsi atourné le fist porter en l'abbaïe
Saint-Benoist-sur-Loire où il avoit esleu sa sépulture. Et tous jours,
comme bon fils, aloit après, une heure à pié, autre heure à cheval,
plourant et demenant grand dueil, avec tant de barons comme il avoit avec
luy. Si fu tous jours de si grant noblesse et de si grant franchise de
cuer, mesmement envers son père, que onques, en toute sa vie, troubler né
courouscier ne le voult, néis pour le desseurement de sa mère pour la
contesse d'Angiers; né boisier né fortraire le royaume par mauvais engin,
si comme seulent faire, aucunes fois, aucuns jouvenciaux.
      Note 457: Il falloit: 
mil cent et huit
.
Quant il fu là venu et sa compaingnie, si le fist enterrer devant le
maistre autel, au mieulx et au plus noblement que il pot deviser. Ainsi
comme ceulx disoient que luy avoient oï dire en son vivant, il ne vouloit
pas être enterré en la sépulture de ses ancesseurs les roys de France qui
ainsi comme par nature et par droit doivent gésir en l'églyse Saint-Denis
en France. Pour ce disoit par humilité que il n'en estoit pas digne. Et
pour ce qu'il n'avoit pas fait à celle églyse né aux autres, tant de biens
comme il deust, pour ce ne devoit pas être mis entre tant de nobles roys et
empereurs comme il en gist léans.
Ci fine l'istoire du roy Phelippe, premier du nom.
CI COMMENCE L'ISTOIRE
DU GROS ROY
LOYS.
I.
ANNEE: 1108.
Coment les prélas et les barons assemblèrent à Orléans pour le coroner, et
coment les messages de Rains vindrent pour contredire le coronement, mais
ce fu trop tart.
coment les messages de Rains vindrent pour contredire le coronement, mais
ce fu trop tart.
Le noble damoiseau Loys qui, en sa jouvente, avoit desservi l'amour et la
grace de sainte églyse par la grant cure et par la grant peine qu'il avoit
mise en luy deffendre; et aussi comme il avoit soustenue la cause des
povres et des orphelins et domté et plaissié par ses vertus les tyrans et
les ennemis du règne, autressi, par la volenlé de Dieu, fu-il appelé à la
hautesce et à la seigneurie du royaume, par le commun accort et désirier
des preud'hommes et des bonnes gens. Et moult volentiers en eust esté
forsmis et bouté arrière, sé il peust estre par le pourchas et par l'engin
aux félons trayteurs qui le royaume béoient à troubler; mais par le commun
esgart aux preud'hommes et mesmement le sage Yvon, l'évesque de Chartres,
fu ordené que contre l'engin et la force aux malfaiteurs du royaume,
s'assembleroient à Orléans pour le couronner hastivement. Là fu semons
Daimbert l'archevesque de Sens et les evesques de sa province, c'est
assavoir: Gales, l'évesque de Paris; Manessier, l'évesque de Meux; Jehans,
l'évesque d'Orléans; Guyon, l'évesque de Chartres; Hues, l'évesque de
Nevers, et cil d'Aucerre droitement. Le jour de l'Invencion sainct Étienne,
au mois d'aoust, furent assembles en la cité d'Orléans; là fu sacré et
couronne à roy (par la main Daimbert, l'archevesque de Sens;) la couronne
luy mistrent au chief et luy cindrent l'espée de justice, à prendre
vengeance des malfaiteurs du règne, et du revestement du septre et des
autres aournemens, à la deffense de saincte églyse, du clergié et des
povres gens, par la voix et par la requeste du clergié et du commun peuple.
Encore n'estoit pas l'archevesque devestu des vestemens où il eut la messe
chantée, quant les messages de la ville de Rains seurvindrent qui portèrent
lettres de contradiction, parquoy il eussent destourbé le couronnement le
roy, se il féussent à temps venu: et disoient que la droiture du
couronnement au roy de France appartient à l'églyse de Rains tant
seulement, et ceste seigneurie et ce privilège en avoit dès le temps le
fort roy Clodovée que sainct Remy baptisa, et ceste droiture vouloit
tousjours avoir franchement et sans nulle fraccion; et sé nul l'en vouloit
faire tort et de rien contredire, si fust escommenié pardurablement. Et par
ceste achoison cuidèrent faire la paix de Dam Raoul lor arcevesque à cui le
roy estoit couroucié durement, pour ce que, sans son assententent, avoit
esté esleu et mis au siège l'arcevesque: et béoit à ce que, sé il n'en
peussent faire paix né accort, que, par ce, luy contredéissent et
destourbassent au couronnement. Mais, pour ce qu'il vindrent trop tart,
furent illec taisans et mués, et s'en retournèrent courouciés de leur
faute; né de rien qu'il éussent dit né fait ne reportèrent à leur seigneur
chose où il éust nul profict.
II.
ANNEE: 1108.
Coment Gui Troussel et Hues de Crecy, son fils, pristrent le conte de
Corbueil, son frère, pour ce que il ne leur vouloit aidier de la guerre
contre le roy. Et coment le roy le délivra et prist le chasteau.
Corbueil, son frère, pour ce que il ne leur vouloit aidier de la guerre
contre le roy. Et coment le roy le délivra et prist le chasteau.
Loys, le roy de France, par la grace de Dieu, ne pot pas oublier ne
désacoustumer ce qu'il avoit tous jours apris et acoustumé en enfance;
c'est à soustenir les églyses et deffendre les povres gens et à garder et
maintenir le roiaume en paix sé il péust estre. Mais tant y avoit de
destourbiers et d'ennemis que trop estoit fort chose à faire. Entre les
autres fu Gui le Roux[458], et son fils Hues de Crecy qui jeune bacheler
estoit et preux aux armes; mais moult estoit sage et malicieux à mal faire,
comme à proier et à rober et à ardoir et à troubler le roiaume. Et, pour la
honte de son cuer esclairier, et pour la honte du chastel de Gournay que il
avoit perdu, ne cessoit du roy et du règne assaillir et troubler, si que
néis au conte Odon de Corbueil, qui son frère estait, ne voult-il pas
espargner, pour ce que il ne luy vouloit aidier de sa guerre contre le roy.
Si avint que il le gaita un jour que il estoit alé chascier privément, si
ne cuidoit avoir garde de nulluy; si le prist et le mist en fors buies[459]
en prison, en la Ferté-Baudouin[460]; et pour cest oultrage désacoustumé,
les barons et les chevaliers de la chastellerie de Corbueil, qui
d'ancienneté est renommée de grant noblesse et de grant chevalerie[461],
furent moult courouciés. Au roy s'en alèrent clamer et luy distrent que le
conte estoit pris en telle manière, et la cause pour quoy; et moult le
prièrent que il y méist hastif conseil; et le roy leur promist s'aide, dont
il furent moult liés, et dès lors commencièrent à traitier coment il
porroient leur seigneur délivrer. Et tant pourchascièrent puis, que ne sçay
lesquels de la Ferté-Baudouin parlèrent à eulx, et leur jurèrent sur sains
que il les recevroient et les mettroient privément dedens le chastel. Cil
chastel n'appartenoit par nul héritage à celuy Gui; ains le tenoit ainsi
comme à force et par tolte, par la raison du mariage la contesse Aalis[462]
que il avoit eue à femme. Si avint que le roy vint là à privée mesnie des
gens de sa court, pour ce que il ne fust pas apperceu. Si fu avant envoié
Anseaux de Gallande qui sénéchaux estoit le roy et chevalier preux et
hardi, soy quarantiesme d'hommes armés, à l'une des portes où le plais
estoit mis d'eulx recevoir dedens; il et sa compaingnie furent dedens
receus; mais ceulx du chastel qui, à celle heure, séoient encore à leurs
feus et fabloient ensemble, oïrent soudainement la frainte des chevaux et
le murmure des chevaliers; si s'émerveillèrent moult que ce estoit, et
issirent hors encontre eulx; et ceci avint ainsi comme après sousper en
droite heure de couchier. Si estoit le meschief trop grant à ceulx de
dehors, pour ce que la voie estoit trop étroite pour les huis qui estoient
encontre mis, et qui ne laissoient aler né venir délivrément ceulx qui
entrés estoient dedens la ville. Et, pour ce, ceulx dedens les heurtoient
de leurs huis et de leurs portes, et donnoient de grans cops comme ceulx
qui bien estoient garnis de leurs armes et qui bien savoient les estres du
chastel. Au derrenier, les forains, pour l'oscurté de la noire nuit et pour
la meschéance de l'estroit lieu, ne porent longuement souffrir; ains
retournèrent à leurs portes, fors que Anseaux, qui trop estoit bon
chevalier et seur, qui pas n'y pot à temps venir, pour ce qu'il entendoit à
deffendre ses compaingnons, comme chevalier preux et vaillant: pris fu et
retenu et emprisonné en la tour, avec le conte de Corbueil. Si eurent, ces
deux, moult grant paour l'un de la mort, et l'autre de deshéritement. Quant
ceste nouvelle fu au roy comptée, qui moult se hastoit de venir pour ceulx
qui eschapés estoient, si luy pesa de la demourée qu'il avoit faite pour
l'oscurté de la nuit attendre. Tantost sailli sor son destrier par grant
desdaing, et vint jusques à la porte du chastel à espérons brochant; à
force cuida ens entrer pour aidier aux siens; mais il la trouva bien fermée
et barrée et en fu durement reusé[463] par ceulx dedens qui grant planté de
quarreaux et de lances et de pierres luy lançoient. Mais moult orent grant
paour les frères et les amis au sénéchal qui pris estoit. Tous vindrent
auprès le roy et luy commencièrent à crier mercy moult durement, par telles
paroles: «Gentil roy, aies mercy de nous en tel point, car saches-tu que
cil desloial escommenié Hues de Crecy, homme traitre et désirant d'espandre
sanc humain comme homicide, puet ça venir; et sé il puet ens entrer et
nostre frère tenir aux poings, il n'en prendroit nulle raençon, ains le
pendra ou le fera mourir de male mort.» Pour paour de ceste chose, assist
le roy le chastel et le fist fortement enclorre et estouper les entrées de
toutes les portes: et ceint et avironna la ville de cinq bretesches bien
garnies de bons sergens, et ainsi mettoit grant cure et grant entente de
son corps et de son royaume à prendre le chastel et à ses hommes délivrer
qui laiens estoient en prison. Mais Hues de Crecy, qui avant eut grant joie
des deux prisons, eut moult grant paour de perdre le chastel et les
prisons, quant il sceut que le roy l'eut ainsi assegié; et, pour ce, fu en
grant angoisse et en grant paine coment il peust entrer dedens; et, en
maintes semblances se mist comme cil qui en maintes manières s'en déguisa,
une fois à pié et l'autre à cheval, une fois en manière de Jugleresse et de
meschine de vie[464]. Un jour avint qu'il eut mise toute s'entencion à
parfaire ce à quoy il béoit, quant il fu apperceu de ceulx de l'ost; et
quant il vit que il fu cognéu, si monta au destrier qui appareillié lui fu,
et tourna en fuye; car bien savoit que là ne povoit durer; et entre les
autres qui l'aperçurent fu Guillaume (de Gallande), frère au sénéchal qui
pris estoit, un chevalier bien afaitié et preux aux armes, qui devant tous
les autres le chaçoit de volenté de cuer et par isnelleté de cheval, tout
entalenté de luy retenir se il péust. Si retourna vers luy souvent, la
lance abaissée; mais pour ce que il avoit paour de ceulx qui après luy
venoient, n'i osoit pas faire longue demeure, ains reprenoit la fuite, et
s'en retournoit atant fuyant. Mais bien affichoit en son cuer que sé il
osast tant demourer que il peust à luy assembler, que il montrast la
hardiesce de son cuer, ou par victoire, ou par soy abandonner à péril de
mort. Et par maintes fois luy avint que il ne povoit eschiver les villes
que il trouvoit en sa voie[465], né eschapper de l'enchaux de ses ennemis
qui au dos le suivoient, sé ne fust par guille et par barat[466]; car il
fainst que il fust Guillaume le Gallandois et Guillaume Huon, et crioit à
haulte voix, par le roy, que il le prissent et arrestassent comme son
mortel ennemy. En telle manière eschappa et escharni, par son barat, tous
ceulx qui le suivoient. Mais oncques le roy, né pour ce né pour autre
chose, ne volt le siège entrelaissier, ains prist à destraindre plus et
plus les assiégés et à assaillir le chastel; né oncques ceulx dedens ne
fini d'angoissier en toutes manières, tant que il eust le chastel pris par
force et que le bourg fust pris par une partie de ceulx dedens meismes. Et
quant les chevaliers qui en la garnison estoient oïrent la tumulte aval, si
apperceurent bien que la ville estoit prise. Lors s'enfuirent grant erre
pour leurs vies garantir, vers la tour; et quant il furent dedens enclos,
si ne se peurent pas bien deffendre né couvrir né hors issir, jusques à
tant que pluseurs en furent navrés et les aucuns occis; et au derrenier fu
le remenant à ce mené que il abandonnèrent leur corps et leur avoir à la
mercy le roy, et non mie sans le conseil leur seigneur. En telle manière le
débonnaire roy et le desloyaux Hues délivrèrent les prisons. Si eut le roy
son sénéchal, et les Gallandois leur frère et les Corbueillois leur
seigneur, par la vigueur et par le sens le roy. Une partie des chevaliers 
ui dedens furent pris déshérita et leur tolli leur biens; l'autre partie
tint en longue prison et destroite où il les fist pourrir[467] longuement
et tout pour les autres  espouvanter qu'il ne féissent autel. Par celle
victoire que le roy eut contre la cuidance de ses ennemis, enobly et
enlumina le commencement de sa couronne, à la louange de celuy qui règne et
régnera sans fin.
      Note 458: Suger dit en effet: 
Guido Rubeus
. Mais le père de Hues de
      Crecy étoit 
Gui Troussel
, dont on a déjà parlé, et non pas Gui de
      Rochefort.
      Note 459: 
Buies.
 Chaînes.
      Note 460: Sur la marge du manuscrit 8395, Charles V, qui l'avoit fait
      exécuter, a écrit de sa propre main ici: 
Aalez
. C'est qu'en effet
La Ferté Baudouin
 est le même lieu que 
La Ferté Aalès
 ou
Aalis
, que nous écrivons à tort aujourd'hui 
Aleps
. C'est une
      petite ville à quatre lieues d'Etampes. Remarquons que cette
      correction de Charles V justifie complètement Adrien de Valois, qui
      avoit seulement soupçonné l'identité de 
La Ferté Baudouin
 et de
La Ferté Alais
.
      Note 461: Le texte latin n'est pas exactement rendu. Sugper dit qu'un
      grand nombre de vieux et illustres guerriers assiègeoient le château
      de Corbeil. «Oppidani Curboilenses multi (oppugnabat enim castellum
      veterana militum multorum nobilitas).»
      Note 462: Voilà la raison du nom qui a prévalu.
      Note 463: 
Reusé.
 Repoussé.
      Note 464: La traduction n'est pas satisfaisante: «Et quomodo castrum
      ingredi posset, modò eques, modò pedes, multiformi joculatoris et
      meretricis mentito simulachro, machinatur.»
      Note 465: 
Les villes.
 «Ut villas in viâ sitas... evadere non
      posset.»
      Note 466: 
Par guille et par barat.
 Par fraude et tromperie. «Nisi,
      cum simulatâ fraude seipsum Garlendensem Guillelmum fallendo,
      Guillelmum autem Hugonem se sequentem conclamaret.»
      Note 467: 
Pourrir.
 «Quosdam diuturni carceris maceratione, ut
      terreret con similes, aflligens durissimè puniri instituit.»
III.
ANNEE: 1109.
Du grant roy Henry d'Angleterre, et des prophécies Mellin; et du contens
des deus roys pour le chastel de Gisors. Après, du parlement et des barons
de France qui là vindrent. Et coment les François requistrent les Normans
et les Anglois.
des deus roys pour le chastel de Gisors. Après, du parlement et des barons
de France qui là vindrent. Et coment les François requistrent les Normans
et les Anglois.
En ce termine avint que le fort roy d'Angleterre Henry, qui si fu renommé
et de guerre et de paix, vint ès parties de Normandie. Cil par puissance et
par hautesse, estoit renommé à bien près par tout le monde, et si fu cil
dont Mellin le merveilleux devin parla, qui les merveilleuses avantures
d'Angleterre dont le monde parle tant vit par prophécie; et retraist
merveilleusement maintes manières d'estranges paroles à la louange de celuy
Henry, maint ans avant qu'il feust né et tout despourveuement, en la
manière que les sains prophètes souloient parler, qui annonçoient
dépourvuement ce que le Saint-Esprit leur enseignoit. Or, oez doncques les
merveilles que il dit de ce roy Henry: «Un roy[468] de justice naistra, à
cui cry les tours de France et les dragons des isles trembleront. A son
temps sera l'or estrait du lis et de l'ortie, et l'argent décourra des
ungles des chevaulx[469]; les crespis vestiront diverses toisons, car
l'abit de par dehors monstrera l'estre dedens; les piés aux abaians seront
destranchiés; les bestes sauvages seront en paix, et l'umanité des souples
se deuldra[470]; la fourme des marchandises sera fendue et la moienneté
sera roonde[471]. Le ravissement des escoufles[472] périra, et les dens des
loux reboucheront. Les chaiaulx[473] aux lyons seront mués en poissons de
mer, l'aigle signera sur le mont aux Arabiens[474].»
      Note 468: 
Un roy.
 Le latin dit: 
Leo
.
      Note 469: 
Des chevaulx.
 «Mugientium.»
      Note 470: Notre traducteur a rendu sans comprendre. «Humanitas
      supplicium dolebit.»
      Note 471: Cela n'est pas clair, même dans le texte latin. «Findetur
      forma commercii, dimidium rotondum erit.»
      Note 472: 
Escoufles.
 Milans.
      Note 473: 
Chaiaux.
 Latinè: 
Catuli
.
      Note 474: «Aquila ejus super montes Aravium nidificabit.» Ce qu'on
      rendroit peut-être mieux par: 
L'aigle posera son aire sur les
monts.
monts.
Toute ceste ancienne prophécie et ce merveilleux devinement s'accordent à
la noblesse de ce roy, si que néis une toute seule sillabe né une toute
seule lettre ne s'en discorde; par ce que il dit en la fin de ces paroles,
d'endroit les chaiaulx de lyon, nous fait à entendre les fils et la fille
de ce roy Henry qu'il appelle lyon qui en la mer périllèrent, et furent
dévourés et mengiés des poissons.
Quant ce roy Henry eut receu le royaulme d'Angleterre après son frère le
roy Guillaume, et il eut mis en paix la terre par le conseil aus preudes
hommes, et il eut juré à tenir les loix et les coustumes anciennes que
ceulx de devant luy y avoient mises, pour acquerre la bonne voulenté des
barons et des gens de la terre; si passa la mer par decà et arriva en
Normandie, et par la force le roy de France mist toute la terre en paix, et
concorde entre les discordans, et mist loix et establissemens, et aux gens
du pays promist à traire les yeulx et à pendre aux fourches sé l'ung ostoit
ou roboit à l'autre ainsi comme il faisoient devant; et bien leur rendit ce
que il avoit promis, quant il forfaisoient; et pour ce fu la terre en bonne
paix; et convint paix tenir aux Normans qui avant ne savoient que paix
fust; et ceste chose leur mouvoit des Danois dont il estoient extrais; et
pour ce fu acomplie la prophécie Mellin que nous avons avant touchié, qui
dit que le ravissement des escoufles périroit et les dens des loups
reboucheroient: car gentil né villain n'osa oncques tollir né embler né
rober en son temps; et pour ce qu'il dit après que au cry et à la voix du
lion de justice les tors de France et les dragons des ysles
trembleront[475], quar nul des barons d'Angleterre n'osa sonner né dire mot
en tout le temps qu'il régna. Et ce que il dist après que l'or seroit
extraict du lis et de l'ortie, c'est-à-dire des religieus, qui sont
comparés au lis, pour odeur de bonnes œuvres, et de l'ortie[476], c'est des
gens séculiers qui poingnent par leur malice; car ainsi comme il proffitoit
à tous, ainsi estoit-il de tous servi. Si est plus seure chose d'avoir un
seul seigneur qui les deffende de tous[477]; et l'argent decourroit les
ongles aux jumens, c'est à entendre pour la paix et la seurté qui estoit au
pays. Si estoient les labours fais et la terre bien labourée; et
habondoient les granches de blés et de biens; et la plenté des granches
faisoit la plenté de l'argent ès escrins et ès trésors.
      Note 475: Le traducteur passe la première partite de l'explication
      latine: «Huc accedit quod ferè omnes turres ot quæcumque fortissima
      castra Normanniæ, quæ pars est Galliæ, aut eversum iri fecit, aut....
      propriæ voluntati subjugavit.»
      Note 476: «Aurum ex lilio, quod ut ex Religiosis boni odoris, et ex
      urtica, quod est ex sæcularibus pungentibus, ab eo extorquebatur.»
      Note 477: Le latin, qui résume parfaitement le système de nos
      gouvernemens modernes, est encore ici mal rendu: «Tutius est enim
      unum, ut omnes deffendat, ab omnibus habere, quam non habendo, per
      unum omnes deperire.»
Si advint que ce roy Henry tollit à Payen le chasteau de Gisors et par
losanges et par menaces. Si est ce chasteau à merveilles fort que de siège
que d'autre garnison, et est ès marches de France et de Normandie, et court
entre deux la rivière d'Epte qui est droicte borne qui jadis fut mise entre
les François et les Danois au temps le duc Rollo, etdonne apperte entrée
aux Normans de venir en France, et aux François[478] d'entrer en Normandie.
Si n'appartenoit pas moins par siège de lieu au roy de France que au roy
d'Angleterre; et par droit en deust estre aussi saisi le roy Loys comme le
roy Henry.
      Note 478: 
Et aux François
. Il falloit: 
Et empêche les François
,
      comme dans Suger.
Si advint que pour la requeste de ce chasteau sourdit soudainement guerre
entre les deux roys. Et envoya le roy Loys messagiers au roy Henry qu'il
lui rendist cellui chasteau ou qu'il l'abatist. Et quant il vit qu'il n'en
vouloit rien faire, si luy nomma lieu et jour de parlement pour les trèves
qui failloient. Et y eut tandis entre eulx maintes parolles semées de
discorde par les felons qui tousjours ont de coustume de mesler les preudes
hommes. Et jasoit ce qu'il ne fussent point encores moult entremeslés, si
se penoit chascun de plus orgueilleusement venir au parlement. De la partie
au roy de France s'assemblèrent mains barons, entre lesquels vint Robert,
conte de Flandres, à tout près de quatre mille chevaliers, et Thibaut, le
conte palaisin de Champaigne et le conte de Nevers et le duc de Bourgogne
et mains autres barons. Et si y furent mains archevesques et évesques.
Et quant le jour du parlement approcha, si s'en allèrent au lieu à grant
chevalerie, et passèrent parmy la terre au conte de Meulant qui estoit en
la partie au roy anglois et l'ardirent et confondirent toute. Et ainsi
l'eut en grand despit le roy d'Angleterre: et s'en allèrent au lieu assigné
où le parlement devoit estre qui est appellé Planches[479] sur une eaue. Et
en ce lieu est un chasteau mauvaisement adventuré et de malle fortune, car
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