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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis
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monseigneur saint Fremin le martir, le premier archevesque d'Amiens; et le
corps madame sainte Osmanne, et trois des dix mille vierges qui furent
martirisées à Couloigne; sainte Senubaire, sainte Seconde et saint
Panefrède, et sont toutes trois ensemble en une chapelle, et en leur propre
oratoire. Après, l'un des Innocens que le roy Hérode fit décoller, en ung
bercelet de palmes, et l'un des compagnons monseigneur saint Morise, et
sont mis tous en une chasse. Après gist le corps saint Peregrin le martir,
premier évesque d'Aucierre, qui fu laiens apporté par grant miracle. Après
gist le corps saint Ylaire de Poietiers le glorieux confesseur, et le corps
saint Patrocle le martir tout ensemble en une chasse. Après gist le corps
monseigneur saint Cucuphas le martir, tout à par soy en une chasse. Après
gist le corps monseigneur saint Eugène le martyr, le premier archevesque de
Tholète qui fu des disciples monseigneur saint Denys. Après gist le corps
du glorieux confesseur saint Hylier, qui fu évesque de Gaiète en Espagne.
Après gist le corps saint Denis confesseur, qui fu archevesque de Corinthe
en Grèce. Tous ces corps sains glorieux gisent laiens au chevet de l'églyse
en propres oratoires et en propres chasses, tous par ordre. Bien est laiens
escrit coment chascun de ces sains corps fu laiens apporté, et par qui et
en quel temps; mais trop fust longue chose que tout ce feust ci
escript.)[140]
Note 137: On trouve le latin de cette première phrase après le récit
de la bataille de Fontenay, dans le manuscrit 646 de
Saint-Germain (f° 1er, recto, colonne 1re).
Note 138: Ex fragmente historiæ Franciæ. (Historiens de France,
tome VII, page 215.)
Note 139: Ce don est constaté par l'épitaphe de Charles-le-Chauve,
rédigée au XIIIème siècle comme le monument funéraire sur lequel on
la lisoit à Saint-Denis. La voici:
Imperio Carolus Calvus regnoque politus
Gallorum jacet hac sub brevitate situs,
Plurima cum villis, cum clavo cumque corona,
Ecclesiæ vivus huic dedit ille bona:
Multis ablatis, nobis fuit hic reparator;
Sequani fluvii Ruoliique dator.
Note 140: Charles-le-Chauve est celui de tous les descendans de
Charles-Martel et de Charlemagne dont les poètes ont le plus
fréquemment confondu les
gestes
avec l'histoire de ces deux héros.
Tout à la fin du grand poème des
Lohérains
, on lit les vers
suivans, qui semblent le résumé des traditions populaires le plus en
vogue avant le XIIème siècle:
De cheste dame[*] ke jou ci vous devis,
Karles li Cauf en fu premiers naïs,
Chil fu frans rois rices et poestis,
Et sainte église ama moult et chéri;
Trésor n'ama, ki fust en serre mis.
Les marchéans fist cerchier le païs;
Tout si tresor furent abandon mis;
Dix foires fist en France le païs,
L'une est à Bar et deus mist à Prouvis,
La tierce à Troies et la quarte à Senlis,
Et troi en Flandres, la neuviesme au lendi,
Et la disiesme remist-il à Laigni.
Ce savent bien li marchéant de Fris,
Icil d'Artois, de Flandres le païs,
De Vermendois, et chil de Cambresis,
De Rains, de Cartres, et ausi de Paris;
Chil de Provence en resont bien apris.
(Msc. du Roi, n° 9654, 3.
A
.)
Note *:
Berte aux grans piés.
Cy fénissent les fais Charles-le-Chauf.
CI COMMENCENT LES GESTES LE
ROY LOYS-LE-BAUBE ET DES
AUTRES ROYS APRÈS
JUSQUE AU GROS
ROY LOYS.
I.
ANNEES: 877/878.
Coment le roy Loys, qui fut appelé le Baube, donna aux barons ce qui leur
plaisoit, pour acquerre leur grace. Et coment l'empereris Richeut luy
apporta l'espée et le ceptre son père, et coment il fu couronné; coment il
passa en Berry contre les Normans; de l'apostoile qui en France vint et fit
concile des prélas.
plaisoit, pour acquerre leur grace. Et coment l'empereris Richeut luy
apporta l'espée et le ceptre son père, et coment il fu couronné; coment il
passa en Berry contre les Normans; de l'apostoile qui en France vint et fit
concile des prélas.
[141]A Loys le fils Charles-le-Chauf, qui Loys-le-Baube fu appelé, vint la
nouvelle la mort son père à Andreville[142] où il estoit. Lors au plus tost
qu'il put manda les barons. A ceux que il put se réconcilia et atrait à
s'amour par promesses et par dons. Aux uns donna contées, aux autres
villes, et aux autres abbaïes, et fist à chascun selon son pooir, selon ce
que il requeroit. Lors mut d'Andreville et par Carisi s'en ala droit à
Compiègne. Moult se hastoit pour ce qu'il peust venir à tems à la sépulture
son père, qui devoit estre mis à Saint-Denys, si comme il cuidoit. Mais
quant il scéut que il estoit ensépulturé en Lombardie, en la cité de
Verziaus, et il eut entendu que les plus grans hommes du royaume et contes
et abbés s'estoient jà tournés contre luy avant qu'il mourust, pour ce
qu'il donnoit les honneurs et les contées aus uns et là où il li plaisoit
sans leur assentiment, il retourna à Compiègne.
Note 141:
Annales Bertinianæ, anno 877.
Note 142:
Andreville.
«
Audriaca-villa
.» Aujourd'hui
Orreville
,
près de Doullens.
Les barons et ceulx qui s'en retournoient avec Richeut l'empereris en
France, faisoient moult de maulx et dégastoient tout le pays devant eus,
jusques à tant que il vindrent à l'abbaïe qui est apelée
Vegnon-Moustier[143]. Lors pristrent un parlement à Moymer en Champaigne.
Leur messages envoièrent à Loys et il leur envoia aussi les siens, et tant
alèrent messages d'une part et d'autre que la besoigne fu ainsi ordennée
que Richeut l'empereris et les barons vendroient à lui à Compiègne, et que
le parlement qui fu pris à Moymer seroit mis à Chaene en Cosse-Selve[144].
A Compiègne vint donc ma dame Richeut et les barons droit à la feste
Saint-Martin, et lui aportèrent le mandement que son père avoit fait au lit
de la mort: que il lui laissoit le royaume de France et l'en revestoit par
l'espée qui estoit appelée l'espée Saiut-Père[145]; et si luy envoioit une
couronne et les royaux garnemens, puis un ceptre d'or à pierres précieuses.
Puis alèrent tant messages entre Loys et les barons que il s'accordèrent
tous et évesques et abbés à son couronnement; et il leur donna les honneurs
du royaume selon ce qu'il requéroient par raison.--Lors fu couronné à Rains
par les mains l'arcevesque Haimar,[146] par le consentement des barons et
des prélas qui se mistrent en sa deffense et en sa garde, et luy jurèrent
que il luy seroient loial selon leur povoir, en ayde et en conseil, au
profist de luy et du royaume: et les vavasseurs se recommandèrent aussi à
luy et luy jurèrent féauté et loiauté. (Mais, pour ce que l'istoire parle
souvent des abbaïes du royaume, pourroient aucuns cuidier que ce fussent
moines ou gens de religion; mais nous cuidons miex que ce fussent barons ou
grans hommes séculiers à qui l'en les donnast à temps et à vie. Si estoit
mauvaise coustume et contre Dieu que autre gent tenissent les biens de
religion que ceulx qui la riule et l'abit en avoient; né le service
Nostre-Seigneur ne povoit estre bien fait né les ordres bien gardés en
telle manière. Sans faille, l'istoire ne parole pas plainement qu'il fust
ainsi; mais assea le donne à entendre.) Le couronnement du roy Loys fu l'an
de l'Incarnation Nostre-Seigneur D.CCC et LXXVIII[147]. La Nativité nostre
Seigneur célébra à Saint-Maart delez Soissons. De là se parti et s'en ala à
Andreville, et la feste de la Résurrection célébra à Saint-Denis en France.
Puis s'en ala outre Saine pour trois raisons, à la prière Hue l'abbé: la
première fu pour luy aidier contre les Normans; et la seconde fu pour ce
que les fils Godefroy avoient saisi le chastel et les honneurs le fils le
conte Audon[148], et la tierce si put estre pour ce que Haymes, le fils
Bernard, avoit prinse la cité d'Evreux, et faisoit moult de maulx au pays
d'entour; car il proioit et roboit tout quanqu'il trouvoit, à la guise des
Normans. Jusques à Tours ala le roy: là fu si durement malade que l'en
cuidoit qu'il déust mourir; mais la mercy nostre Seigneur l'allégea de
cette maladie. Lors vint à luy Godefroy par le conseil de ses amis qui
moult le tindrent court de ce faire, et amena avec luy ses deux fils: au
roy rendirent ses chasteaux qu'il avoient saisis et les appartenances; par
tel condition que il les tenissent après par son don et par sa voulenté.
Après ces choses Godefroy converti grant partie de Bretons et les mena à la
féauté le roy; mais après firent-il comme Bretons.
Note 143:
Vegnon-Moustier.
«Usquè ad Avennacum monasterium
pervenerunt, et conventum suum ad montem Witmari condixerunt.» Au
lieu de
Vegnon-Moustier
, il faut lire
Avenay
, petite ville de
Champagne aujourd'hui célébre par ses vins et autrefois par son
abbaye de filles, de l'ordre de saint Benoît. Plus bas, par
montem Witmari
, que notre chroniqueur traduit
Moiemer
, il faut
entendre le
Mont-Aimé
, près Vertus, à quatre lieues d'Avenay.
Note 144:
Chaene-en-Cosse-Selve.
«Ad Casnum in Cotiâ.» C'est
aujourd'hui, suivant Dom Bouquet,
Chesne-Herbelot
, à la sortie de
la forêt de
Cuise
, aujourd'hui
de Compiègne
.
Note 145:
L'espée Saint-Père.
«Per spatam quem vocatur S. Petri.»
Le ménestrel du comte de Poitiers a rendu ce passage des Annales de
Saint-Bertin d'une manière plus intéressante: «A Compiègne, vint à
luy Richeut,» la fame Charles son père, plourant et dolente outre
mesure, et si li dist: Dous amis, je t'aport, par le commandement de
ton père, son royaume que il te donna devant sa mort et l'espée qui
est apelée de Saint-Pierre, par laquelle il te revesti du royaume
devant moi et devant maints autres, etc.»
(Manuscrit du roi 9633, f° 63.)
Note 146:
Haimar.
Hincmar.
Note 147:
Annales Bertinianæ, anno 878.
C'est à ce couronnement si
vivement contesté et dont les historiens nous ont vaguement indiqué
les circonstances, que doit se rapporter la branche de la
Chanson de
geste
geste
de Guillaume au court nez, intitulée:
Le coronement Loys
.
Elle débute par un morceau de haute poésie qu'on nous saura gré de
reproduire ici:
Quant Diex fist primes nonante et neuf reaumes
Lou premiers rois que Diex tramist en France
Coronés fu par anuncion d'angles;
Por ce, dit l'en, totes terres l'appendent:
Que li appent Baviere et Alemaigne,
Tote Borgoigne, Loheraigne et Toscane,
Poitou, Gascoigne dusqu'aus marches d'Espaigne.
Cela sent assez bien, à mon avis, l'époque Carlovingienne; mais
continuons:
Rois qui de France porte coronne d'or
Preudons doit estre et hardis de son cors.
Bien doit mener cent mille hommes en ost,
Parmi les pors, en Espagne la fort.
S'il en trueve home qui li face nul tort,
Tant le demaine que l'ait ou pris ou mort,
Et devant lui face gesir le cors.
Sé ce ne fait, France a perdu son los,
Ce dit la geste, coronnés est à tort.
Li coronemens le roy Loois, manusc. du roi, n° 7535.
Note 148: Ce Godefroi étoit fils de Roricon, comte du Mans, et frère
de abbé Gozlin.
En ce temps avint que l'apostole Jehan fu moult durement esmeu contre deux
contes, Lambert et Albert, qui avoient ses cités et ses villes proiées et
robées. Si puissamment comme il put les escomenia: de Rome s'en issi et
emporta moult de précieuses reliques, Formose l'évesque de Portue enmena
avec luy, en mer se mist et vint à navie jusques à Alle-le-Blanc. Si arriva
droitement le jour de Penthecouste. Lors envoia ses messages au prince
Boson, et cil lui envoia gens pour luy conduire jusques à Lyons sur le
Rosne. De là manda au roy Loys de France que il luy venist à l'encontre là
où il pourroit miex, à son aisement. Et le roy envoia à l'encontre de luy
aucuns de ses évesques, et luy requist qu'il venist jusques à Troies, et
commanda que les évesques du royaume luy administrassent leurs despens.
Encontre luy vint à Troies ès kalendes de septembre; car il n'i put plus
tost aler pour sa maladie. Lors assembla grant concile de tous les évesques
du royaume et de la province de Belge. En ce concile fist relire
l'escommeniement dont il avoit escommenié à Rome Lambert et Albert: à
Formose et Grégoire requist et à tous les prélas leur assentement en cest
escommeniement, et les prélas lui requistrent que ainsi comme il avoit ce
fait réciter par escript, ainsi leur ottroiast-il à avoir, si que il
peussent mieux et plus certainement prononcier leur assentement. Ainsi leur
ottroia l'apostole, et, le lendemain, quant le concile fu assemblé,
baillèrent leur escript à l'apostole qui contenoit telle sentence:
«Syre père apostole Jehan, de la sainte Eglyse de Rome, nous évesques de
France et de Belge, fils sergens et disciples de votre auctorité, nous nous
dolons pur grant compassion et plorons pour les plaies et les griefs que
les mauvais menistres et fils du déable ont fait à notre mère et maistresse
de toutes les églyses, l'Eglyse de Rome, et soustenons nostre jugement, et
nous consentons de cuer et de bouche et de voix à la sentence que vous avez
donnée sur eulx et sur leurs aydes, selon les drois des canons qui furent
establis et donnés par nos ancesseurs; et nous qui sommes sacrez par le
Saint-Esprit à l'ordre de prebstre et à la dignité d'évesque, les férons et
tresperçons du glaive du Saint-Esprit qui est la parole de Dieu. C'est à
savoir que, ainsi comme vous les avez dégetés de saincte Eglyse, nous les
en dégettons. Et ceulx qui à satisfacion vouldront venir, qui seront absous
de vostre auctorité, et par vous seront receus en saincte Eglyse selonc les
canons, nous tendrons pour absous et pour fils de saincte Eglyse. Tout
aussi comme il avint jadis des plaies d'Egypte selon ce que nous trouvons
en la saincte Escripture, que il n'y avoit maison où il ne y eust un mort,
né nul n'y avoit qui sceust l'autre conseillier, pource que chascun avoit
assez à plourer en sa maison; ainsi est-il de nous évesques, que chascun a
assez à plourer en son églyse; et, pour ce, nous tous vous supplions
humblement que vous nous secourez de vostre auctorité, et vous requérons
que vous establissiez et confermez un chapitre pourquoy nous en soions si
fors et si garnis par l'auctorité de l'Eglyse de Rome que nous nous
puissions vigoureusement deffendre contre les parjures maufaiteurs qui
tollent et détruisent les biens de nos églyses, et qui despisent les
sentences et les dignitez des évesques; selon ce que dist saint Pol
l'apostre, que tel gent soient livrés au déable, mais que il soient
touteffois saufs au jour du juise[149] Jeshu-Crist.» Cette sentence fist
l'apostole Jehan escripre avec la sentence de l'escommeniement, et voult
que tous les évesques y méissent leur subscripcion. Après commanda que les
canons du concile de Sardique feussent leus devant tous, et les décrets
l'apostole Léon qui parolent des évesques qui remuent leurs sièges; et les
canons du concile d'Auffrique qui deffendent les transmutations des
évesques qui pas ne doivent estre, né que l'en doive de rechief baptisier
né de rechief ordener; et ce fut fait pour l'arcevesque Frotaire qui de
Bordeaux s'en estoit alé à Poitiers et de Poitiers à Bourges.
Note 149:
Juise.
Jugement. Cette fin est une citation de la
première épître de saint Paul aux Corinthiens: «Traditus Sathane
spiritu salvus fiat in die Domini nostri Jesu-Christi.»
II.
ANNEE: 878.
Coment l'apostole refusa la royne à couronner; et coment il et les prélas
assemblèrent à Troies. Du débat entre Haimar et Adenofle, de l'éveschié de
Loon; du mariage de la fille Boson au fils le roy. Coment l'apostole s'en
revint, et du parlement des deus rois Loys.
assemblèrent à Troies. Du débat entre Haimar et Adenofle, de l'éveschié de
Loon; du mariage de la fille Boson au fils le roy. Coment l'apostole s'en
revint, et du parlement des deus rois Loys.
Après ces choses couronna l'apostole le roy Loys; et le roy le semont à
mengier avec lui et sa femme: richement le fist de viandes servir et de
vins, puis se départi l'apostole et s'en ala à Troies. Puis lui requist le
roy par ses messages que il voulsist couronner sa femme à royne; mais il ne
le voult faire[150]. Lors vindrent avant deux évesques Frotaire et
Aldagaire, et aportèrent à l'apostole un commandement, devant tous les
évesques, de l'empereur Charles-le-Chauf, par quoy il revestoit Loys son
fils du royaume de France: et luy requéroient, de par le roy Loys, qu'il
affermast ce précept par son privilège. Lors traist avant l'apostole
l'exemplaire ainsi comme[151] d'un commandement fait par l'empereur
Charles, de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à l'Eglyse de Rome, qu'il
peust tollir, ainsi comme par droit, à l'abbé Goslin et retenir à soy. Si
cuidoit-on que ce eust esté fait et pourchassié par le conseil de ces deux
évesques et d'autres conseilleurs. Et au roy Loys dist l'apostole sé il
vouloit que il méist son privilège sur son commandement, que il confermast
avant le précept de son père. Comme ceste chose eut esté baillée et
pourchasciée par malice et non mie selon raison, ainsi vint-elle au
derrenier à noient.
Note 150:
Il ne le voult faire.
Parce que Louis-le-Bègue avoit
répudié sa première femme Ansgarde, alors vivante. Le pape, en
s'opposant dans cette occasion au vœu du roi dont il alloit implorer
la protection, montra certes une fermeté vraiment apostolique. L'abbe
Vély toutefois a bien eu le courage de considérer le refus du
souverain pontife comme l'effet probable d'une odieuse intrigue.
(Voyez tome 2, p. 135 de son
Histoire de France
.)
Note 151:
Ainsi comme.
C'est-à-dire:
Simulé, prétendu.--D'un
commandement
commandement
. D'un don.
En ce mois meisme que fu ce fait, le roy vint à Troies et ala à l'ostel
l'apostole par le conseil des barons; à luy parla bien privéement et puis
alèrent ensemble là où les évesques estoient assemblez delez l'ostel
l'apostole. Là furent escommeniés Hues le fils Lothaire et Haymes et tous
ceulx de leur complot, pour ce qu'il faisoient force et outrage à aucuns
des évesques par le consentement le roy Loys. Lors dist l'apostole que
Adenofle, qui par s'auctorité avoit esté ordené évesque, tenist son siège,
et son office d'évesque, et Haymar chantast messe sé il vouloit et eust
partie de l'éveschié de Laon. Lors se traist avant Adenofle et requist à
l'apostole que il l'assousist de l'éveschié, pour ce que il estoit trop
foible desoremais à porter si grant fais et qu'il vouloit entrer en
religion. Mais il ne put ce empétrer, ains luy fu commandé et par le
commandement le roy et des évesques qui sa partie soustenoient que il féist
office d'évesque, et que il tenist son siège. Et quand les évesques de la
partie Haymar eurent oy que l'apostole eut dit qu'il chantâst messe sé il
vouloit, et que le roy se consentent à ce que il eust des biens de
l'éveschié, cils et les autres évesques des autres provinces et régions,
sans que l'en le cuidast mie, emmenèrent Haymar tout revestu comme prebstre
en la présence de l'apostole et sans son commandement, et puis le menèrent
chantant jusques à l'églyse et lui faisoient donner bénéicon au peuple. A
tant se départi le concile.
L'endemain Boson semonst le roy et sa femme avec luy; et le roy y ala et y
mena aucuns de ses conseilleurs, moult le fist bien servir de diverses
viandes et de divers vins. Là fu fait un mariage de la fille Boson et de
Carlemaine le fils le roy; et le roy, par ceulx de son conseil, départi les
terres et les honneurs de Bernart le marchis de Gothie, à Thierry le
chamberlent et à Bernart le comte d'Auvergne.
De Troies se parti l'apostole Jehan, et s'en ala à Chaalons, puis à
Morienne. Après passa les mons de Mont-Cenis, et eut convoy de Boson et de
sa femme jusques ès plains de Lombardie, et s'en retourna à Rome. Le roy se
départi de Troies et s'en ala à Compiègne; là oy nouvelles des messages
qu'il avoit envoies à Loys son cousin, et ce qu'il avoient fait de la
besoingne. Si les avoit là envoiés pour traitier de paix entre luy et son
cousin. De Compiègne mut à tout une grant partie de son conseil, et s'en
ala à Haristale. D'autre part vint Loys son cousin ès kalendes de novembre
et assemblèrent en une cité qui a nom Marsne[152]. Là fu paix confermée
entr'eux deux, et puis mistrent un autre parlement d'assembler à la
Purification Nostre-Seigneur. Lors vint le roy Loys, le fils l'empereur
Charles-le-Chauf à Gondolville, et le roy Loys, le fils le roy Loys de
Germanie, revint d'autre part près de cette ville où il pot plus aisiément
demourer; et puis après assemblèrent à parlement. Là furent ordenées les
choses qui cy s'ensuivent, par le consentement de leurs loyaux barons.
Note 152:
Marsne.
Mersen.
III.
ANNEE: 879.
Des convenances et de l'accort qui fu entre les deus roys. Et coment il fu
traitié en chascune jornée, au profit des deus roiaumes; tout n'en fust-il
après tenu, par la dnsloiauté le roy Loys de Germanie.
traitié en chascune jornée, au profit des deus roiaumes; tout n'en fust-il
après tenu, par la dnsloiauté le roy Loys de Germanie.
C'est la convencion et l'accors entre les deux glorieux roys Loys le fils
Charles-le-Chauf, et Loys le fils le roy de Germanie, qui fu faite ès
kalendes de novembre, en un lieu qui est appelé Furones[153], par le commun
accord et par l'assentement des barons des deux royaumes, en l'an de grâce
D. CCCC et LXXIX[154].
Note 153:
Furones.
Aujourd'hui
Foron
, à peu de distance
d'Aix-la-Chapelle.
Note 154: 879. Le latin dit: 878.
Lors commença à parler le roy de Germanie et dist ainsi: «Comme le règne
Lothaire fu parti entre l'empereur Charles et nostre père le roy Loys,
ainsi voulons-nous qu'il le soit et que les parties soient établies. Et sé
aucuns de nos princes et de nos gens ont riens prins né saisi du royaume
vostre père, nous voulons qu'il le laissent à vostre commandement. Et pour
ce que partison ne fu faite oncques de notre part du royaume d'Italie, que
le roy Loys tint; ce que chascun en tient, si le tiengne orendroit encore
en ceste manière; jusques à tant que nous puissions assembler encore une
autre fois par la voulenté Nostre-Seigneur, et déterminer miex par bon
conseil ce que drois et raison sera. Et pource que on ne peut orendroit
faire nulle raison de notre partie du royaume d'Italie, sachent tous que
nous en avons requis notre droit et requérons à l'ayde de Dieu.» Ce fu
ainsi establi en la première journée.
Le secont jour refu ainsi parlé: «Pour ce que la fermeté de notre amour et
de notre conjonction ne puet pas estre maintenant confermée, pour aucunes
causes qui l'empeschent maintenant, jusques à ce parlement que nous
mettrons, telle amistié soit faite entre nous, par la grace de
Nostre-Seigneur, de bon cuer et de bonne confience et de foy entérine, si
que nul de nous né de nostre conseil ne soustraie né forconseille riens qui
soit à l'onneur né à la prospérité de nous né de nos roiaumes.»
Au tiers jour fu ainsi ordené, que sé païens ou faux chrestiens envaïssent
leur roiaumes, que l'un aideroit à l'autre quant mestier en seroit, de
quanque il pourroit par soy ou par ses gens. «Et s'il avenoit,» dist Loys
fils de l'empereur, «que je vesquisse plus que vous, je aideray Loys vostre
fils, qui encore est petis et jeune, et les autres que Dieu vous peut
encore donner, si que il peussent leurs terres gouverner.»
Le quart jour fu ainsi gouverné et ordené: «Que sé aucuns murmureurs et
envieux, qui tousjours portent envie à bien et à paix, s'efforçoient de
semer tençons et discordes entre nous pour troubler nous et nos roiaumes,
que nul de nous ne les reçoive né ne voie voulentiers, s'il n'est ainsi que
il le voulsist monstrer raisonnablement par devant nous deux, et par devant
nos gens. Et s'il ne vouloit le faire, que il n'eust priveté né société à
nul de nous. Et que nous le getissons hors comme traytre et faux semeur de
discorde entre les frères, si que à l'exemple de luy nul ne soit si hardi
que il ose aporter tels mensonges.»
La quinte journée fu ainsi atirée. Et dist Loys le fils l'empereur Charles:
«Or convient que nous envoions nos messages aux deux glorieux roys Charles
et Charlemaine, qui leur feront assavoir le parlement que nous avons mis à
la huitiesme yde de février et qui leur prient de par nous qu'ils viennent
là. Et sé il viennent, si comme nous désirons, que nous les accompaignons
avec nous à la voulenté de Nostre-Seigneur, et au commun profit de saincte
Eglyse et du peuple chrestien que nous avons à gouverner. Si que nous
soions une chose en luy qui est seul et que nous voulons et disons et nous
façons une chose, selon les apostres, c'est que en nous n'ait né tençons né
discorde. Et s'il avenoit que il n'y vousissent venir, pour ce ne lairons
nous mie que nous n'y venons si comme il est ordené, et que nous ne façons
selon la voulenté Dieu, si comme nous avons devisé. Et sé il n'estoit ainsi
par aventure et que autre nécessité avenist que l'en ne peust autrement
eschiver, par quoy nous ne puissions ce faire, et s'il avenoist qu'il fust
ainsi; que l'un féist resavoir à l'autre le terme du parlement qui seroit
de nouvel prins. Et que il soit ainsi que nostre amour soit né muée né
changée né amenuisiée jusques à tant que Diex vueille que elle soit du tout
confermée. Et si ordenons des choses des églyses, des éveschiez et des
abbayes où que ce soit de nos deulx roiaumes, si comme les évesques et les
abbés les tiengnent paisiblement. Et sé aucun les prenoit né saisissoit en
quelque royaume que ce soit et fust contre raison, que elles fussent
rendues selon droit.»
La sixiesme journée fu ainsi ordenée: «Pour la paix des roiaumes, pour ce
que il pevent aucunes fois estre troublés par aucuns hommes vagues et qui
riens qui maux soient ne redoubtent à faire, nous voulons que en quel lieu
que ce soit que tel gent vendront, que il ne puissent fuyr né eschever la
justice de ce qu'il aront fait. Et que nul de nous ne les tiengne né ne
reçoive à autre chose fors en tant comme il le tendra, pour amener à rendre
raison et à faire amende selon son fait. Et s'il définoit de venir avant,
cil en cui roiaume il s'enfuyra le fera chacier et prendre, jusques il soit
amené avant pour raison rendre; ou il soit du tout bani et essilié des deux
roiaumes. Si voulons que cil qui par leur meffait auront perdue la
prospérité de leurs choses et de leurs héritages, que il soient jugiés
selon les anciens drois de nos ancesseurs. Et s'il en y a nul qui die que
il ait à tort perdue la prospérité de ses choses, viengne avant en nostre
présence et recuèvre ses choses, sé droit les lui donne.»
IV.
ANNEE: 879.
Du département des deus rois, et de la mort Loys le roy de France qui fu
appelé le Baube. De l'abbé Gozlin et du conte Corral, et du roy de Germanie
coment il vint en France; et coment il s'en retourna sans riens faire.
appelé le Baube. De l'abbé Gozlin et du conte Corral, et du roy de Germanie
coment il vint en France; et coment il s'en retourna sans riens faire.
[155]Après ces choses ainsi devisées, se départirent les deux roys Loys; le
fils le roy Loys de Germanie retourna en sa terre, et Loys le fils Charles
s'en ala par Ardenne et fist la feste de la Nativité à une ville qui a nom
Longlaire[156]: un peu de temps y demora et s'emparti après la Chandeleur,
et vint à Compiègne[157]. De là mut à Ostun, pour aller sur le marchis
Bernart[158] qui contre luy s'estoit révélé. Jusques à Troies s'en ala, si
luy convint là demourer pour une maladie qui le prist, et cuidoit-on qu'il
eust esté empoisonné. Et quand il senti que la maladie lui engregoit et
qu'il ne pouvoit avant aler, si manda son fils Loys; quant venu fu, si le
livra especiaument en la garde de Bernart le conte d'Auvergne[159]. Pour ce
envoia tantost son fils et celuy Bernart en qui garde il l'avoit livré à
l'abbé Huon, à Boson, Tierri[160] et ses autres amis qui là estoient, en la
cité d'Ostun. Et leur commanda qu'il saisissent la conté et la livrassent à
Bernart[161] à qui il l'avoit donnée. Lors se parti de Troies à quelque
grief et retourna à Compiègne par l'abbaye du Juerre[162]. Et quant il
senti qu'il ne pourroit eschapper de cette maladie, il envoia à Loys son
fils s'espée, sa couronne et son sceptre et ses autres royaux aornemens,
par Huede, l'évesque de Beauvais, et par le conte Auboin; et manda à ceux
qui avec luy estoient que il le féissent sacrer et couronner. Et quant ce
vint en la quarte yde d'avril, droitement le vendredy de crois aourée, vers
le vespre, il trespassa de ce siècle, entour celle heure que Jesu-Crist
rendi son esprit à Dieu le père. L'endemain, que il fu la vegille de
Pasques, il fu mis en sépulture, en l'églyse Nostre-Dame. Quant l'évesque
Huede et le conte Auboin sceurent que il fust mort, il baillèrent ce qu'il
portoient à Thierry, le chamberlen, et retournèrent isnellement[163]
arrières. Et quant ceus qui avec l'enfant estoient sceurent que le roy fust
trespassé, il mandèrent aux barons de ceste France par deçà, que il
venissent encontre eulx, à Meaux, et là traiteroient ensemble qu'il
feroient. Là furent faites unes convenances entre Thierry et Boson, dont
l'abbé Hues fu jugieur: que il auroit la conté d'Auxerre, et Thierry auroit
en eschange les abbayes de ce pays. L'abbé Gozelin à qui il souvenoit bien
des ennuis et des griefs que ceus lui avoient fait qui envie lui portoient,
se pourpensa coment il s'en pourroit vengier; car il ly sembla qu'il estoit
temps et point de le faire. Si se mist en voie, pour ce que il se fioit
moult en l'amour et en la familiarité Loys, roy de Germanie, et de la royne
et des barons du pays, que il eut acquise tant comme il demoura entour eulx
quant il fu prins en la bataille d'Andrenaque et là mené en prison. Mais,
avant, s'en ala à Corrat, le conte de Paris, et tant luy dist et tant luy
donna et d'unes et d'autres, et tant luy promist d'onneurs et de
seigneuries, sé il pouvoit ce faire à quoy il béoit, qu'il le crut et
s'accompaigna à luy, et luy monstra engin et voie par quoy il sembloit que
il peust ce faire. Et avant que ceulx qui avec le roy estoient fussent
venus à Meaux, se hasta-il d'envoier aux évesques et aux abbés et aux
puissans hommes du roiaume; et soubz telle couverture leur mandoit que
puisque le roy estoit mors il traitassent ensemble de la paix et du proffit
du roiaume Loys qui mort estoit. Quant ceus qui venir y vouldrent furent
assemblés, si leur loèrent qu'il[164] appelassent au roiaume Loys, le roy
de Germanie, et ce scéussent-il, sé il faisoient ce, qu'il leur donroit les
terres et les honneurs que il ne peurent oncques avoir jusques à ce temps.
Par convoitise et par desloiauté s'i accordèrent-il et mandèrent au roy
Loys de Germanie et à sa femme par leur messages, qu'il venissent jusques à
Mez et là leur amenroient tous les évesques et les abbés et les haus hommes
du roiaume de France. Lors se mistrent en voie à aler encontre luy, robant
et gastant tout le païs devant eus, selon la rivière d'Aisne, jusques à
tant qu'il vindrent à Verdun[165]. Et endementiers, fu le roi Loys de
Germanie venu à Mez. Lors luy mandèrent de rechief que il venist jusques à
Verdun pour ce qu'il peussent plus aisiément luy mener le peuple du
roiaume. Lors s'aprocha jusques à Verdun: en cette voie firent ses gens
tant de maulx de toltes et de rapines, que plus n'en osassent pas faire nul
paien né nul tirant.
Note 155:
Annal. Bertinianæ, anno 879.
Note 156:
Longlaire.
Aujourd'hui
Glare
, dans le diocèse de Liège.
Note 157:
Compiègne.
Il falloit
Pontigon
(Ponthion).
Note 158:
Le marchis Bernart.
Fils d'un autre Bernard et de
Blichilde, fille du comte du Mans Roricon. Il avoit reçu le titre de
marquis de Gothie, en 865, et en avoit été dépossédé dans le synode
de Troyes, en 878. (Note de dom Bouquet.)
Note 159:
Bernart, le comte d'Auvergne.
Fils de Bernard, duc de
Septimanie, père de Gaillaume-le-Pieux. Il avoit succédé à Bernard,
fils de Blichilde, dans le marquisat de Gothie, en 875. Il mourut en
886.
Note 160:
Huon, Boson, Thierri.
Hugues, fils du comte Conrad, mort
en 886. Boson, duc de Provence, frère de Richilde. Thierry,
chambellan de Louis-le-Bègue, comte d'Autun.
Note 161:
Bernart.
Le latin dit avec raison:
Thierri
.
Note 162:
Juerre.
Aujourd'hui
Jouarre
; c'étoit une abbaye de
l'ordre de saint Benoît, sous l'invocation de la Ste-Vierge.
Note 163:
Isnellement.
Promptement.
Note 164:
Furent assemblés.
Le lieu de la réunion fut le confluent
du
Tairin
et de l'
Oise
, auprès de Creil. «Ubi Thara Isaram
influit.»
Note 165:
A Verdun.
Le latin dit: depuis
Servais
. «Per Silvacum
et secus Axonam.... usquè ad Viridunum.»
Et quant Hues, Beuves[166] et Tierri sorent ce que Gozlin et Corrat et cil
de leur partie aloient pourchassant, il envoièrent tantost à Verdun Gautier
l'évesque d'Orléans, le conte Goirant et le conte Anchier; et luy
mandèrent, sé il vouloit, qu'il preist cette partie du roiaume Lothaire que
l'empereur Charles-le-Chauf avoit eue en partie contre le roy Loys, son
frère, et à tant retournast en son pays; et voulsist que l'autre partie du
roiaume que l'empereur Charles tint par droit d'héritage demourast à ses
nepveus.
Note 166:
Beuves.
Ou plutôt
Boson
. Cependant le n° 646
Saint-Germain porte:
Beuvo
.
De ceste offre se tint bien apaié le roy Loys, et la reçut moult
volontiers; l'abbé Gozlin et Corrat et ceus de leur complot réusa[167] et
estrangea de soy, et se mist en possession de la partie du roiaume qui
offerte luy fust.
Note 167:
Reusa.
Rejeta.
Atant retourna en son palais de Francquefort. Mais moult fu la royne sa
femme courroucée de ce qu'il n'en avoit plus fait, et dist que s'il fust
avant alé il eust eu tout le roiaume de France. Si refurent à grant mésaise
Gozlin et Corrat de ce que le roy les avoit ainsi réusés de soy, eulx et
leurs compaingnons. A la royne s'en alèrent, et se complaintrent de ce
qu'il estoient ainsi déçus. Et la royne envoia messages à leur compaignons,
si dit ainsi, comme de par le roy, pour eulx conforter, et un autre message
aussi comme pour ostage. A tant retournèrent l'abbé Gozlin, Corrat et ses
compaignons; tout ravissoient et tolloient quanqu'il povoient trouver
devant eus, et distrent qu'il ne demourroit pas que le roy ne venist en
France à grant ost; mais que il n'y povoit pas venir maintenant; car
nouvelles luy estoient venues que Charlemaine, son frère, estoit chéu en
paralisie, et estoit ainsi comme à la mort. Et voir estoit qu'il estoit jà
mort, et que un sien fils de bast[168] qui avoit nom Arnoul s'estoit jà mis
en saisine de cette partie du royaume, et pour ce estoit là le roy alé
hastivement. Et sans faille tout ce estoit voir. Et quand il eut la chose
apaisée il retourna à sa femme.
Note 168:
De bast.
Le même sens que noire mot
bastard
qui en est
dérive.
Cy fine l'istoire de Loys-le-Baube, fils de Charles-le-Chauf, empereur.
CI PARLE DE LOYS ET DE
CARLEMAINE, FILS AU
ROY LOYS-LE-BAUBE.
V.
ANNEES: 880/881.
L'abbé Hue et les autres barons de France qui estoient avecques les enfans
le roy Loys scéurent bien ces nouvelles que le roy Loys de Germanie et sa
femme devoient venir en France. Tantost envoièrent aucuns des évesques
avecques les deus enfans, en l'abbaye de Saint-Pierre-de-Ferrières en
Gastinois, et les firent là sacrer et couronner à roys.
Entre ces choses avint que cil Boson dont nous avons si souvent parlé pria
tant et amonesta les évesques du pays que il le couronnèrent à roy. Si le
firent aucuns par force, et aucuns pour ce que il leur promettoit à donner
villes et possessions. Et tout ce faisoit-il par l'enortement de sa femme
qui disoit que jamais vivre ne querroit[169] sé la fille au roy d'Ytalie et
la femme à l'empereur de Grèce ne faisoit son mary roy.
Note 169:
Ne querroit.
Ne pourroit. Je crois ce mot formé du latin
queo
ou même
nequeo
, duquel on aura plus tard séparé la négation.
--La femme de Boson étoit Ermengarde, fille de l'empereur Louis II,
qui d'abord avoit été mariée à Constantin, fils de l'empereur Basile.
En ce temps avint aussi que Hues[170], l'un des fils Lothaire le plus
jeune, assembla barons et robeurs pour entrer au royaume son père.
Note 170:
Hues.
Lothaire le jeune l'avait eu de Valdrade.
Charles le jeune, fils du roy, de Germanie, assembla ses osts, les mons
passa, et entra en Lombardie: du royaume se mist en possession et le tint.
Mais avant qu'il eust passé les mons de Mont-Jeu, alèrent parler à luy Loys
et Carlemaine les deulx frères qui roys estoient de France. Après
retournèrent, et cil s'en ala outre.
Ainsi qu'il retournoient, leur fu dit que les Normans estoient sur la rive
de Loire, et estoient venus avant par terre et dégastoient tout le pays.
Maintenant assemblèrent leur ost et murent le jour de la fesle
Saint-Andrieu. Si trouvèrent les Normans, tout maintenant leur coururent
sus, moult en occistrent, moult en noièrent en la rivière de Vienne[171],
et les deus roys retournèrent à grant victoire.
Note 171:
Vienne.
Dom Bouquet a commis une erreur en reconnaissant
ici la petite rivière de Vigene qui se jette dans la Saône à peu de
distance Pontœillier, aujourd'hui département de la Côte-d'Or. En ce
cas là, les Annales de Saint-Bertin n'auroient pas dit: «Nortmanni
qui erant in Ligeri.... et reges moti in illas partes.... plures in
Vencenna fluvio immerserunt.» Le mot
fluvio
ne pouvoit s'appliquer
à une aussi petite rivière.
[172]Ne demoura puis longuement que le roy de Germanie vint et sa femme, et
murent d'Aix-la-Chapelle à grant ost pour venir en France, et vindrent
jusques à Duizi. Encontre luy alèrent Gozlin, Corrat, et maint autre de
leurs compaingnons. Sy s'estoient jà mains retirés de leur compaingnie.
Avant vint tousjours le roy et sa femme jusques à Atigny, et puis jusques à
Erchury[173], et plus avant encore à Ribemont. Et quant il vit que Gozlin
et Corrat ne luy pourroient accomplir ce qu'il avoient promis, et qu'il ne
pourroit venir à chief de son propos; si ferma amistié avec les deux roys,
ses cousins, et prisrent parlement ensemble à Gondolvile, au moys de
juillet. Atant se mist au retour et, si comme il s'en aloit, trouva en son
chemin les Normans, sa gent ordena et se combati à eus, et occist grant
partie par la voulenté Nostre-Seigneur. Et sé il luy chéy bien en cette
bataille, il luy meschéy d'autre part; car les Normans luy firent grant
dommage de sa gent en Sassoingne.
Note 172:
Annal. Bertinianæ, anno 880.
Note 173:
Erchury
ou
Ecri
, le même endroit où se croisèrent les
barons françois, en 1198, à la suite d'un tournoi. Voyez ce que j'en
ai dit dans les notes de mon édition de Villehardouin.
Après cette victoire que les deus roys eurent eue des Normans, s'en alèrent
à Amiens; là départirent le royaume de leur père au mielx et au plus
loyaument que les preudommes de leur conseil le sceurent deviser. Si furent
teles les parties que Loys, qui ainsné estoit, aroit de France ce qui
estoit demouré au royaume son père, et toute Neustrie qui ore est appelée
Normandie, et toutes les marches; et Carlemaine auroit Bourgoigne et
Aquitaine et toutes leurs marches: et feroient les barons hommage à celuy
en quel royaume leur terres seroient. Après s'en alèrent droit à Compiègne,
et firent là ensemble la feste de la Résurrection. Après passèrent par
Rains et par Chalons, et s'en alèrent droit à Gondolvile, au parlement
qu'il orent prins au roy Loys, au moys de juing. A ce parlement ne pot
venir le roy Loys pour maladie qui le print, mais il envoia ses messages,
et Charle qui venu estoit de Lombardie vint à ce parlement. Là fu accordé
par commun accort que Loys et Carlemaine son frère prendroient les gens le
roy Loys de Germanie, que il avoit pour luy envoiés à ce parlement, et s'en
iroient à Atigny, sur Hues le fils le jeune Lothaire. Et quant il furent
là, pour ce qu'il ne trouvèrent plus Huon, il coururent sus Tybout son
serourge[174]. Moult occistrent de sa gent et le chascièrent en fuye. Leurs
terres garnirent contre les Normans[175] et establirent bonnes gardes en
leurs royaumes, et puis assemblèrent leurs osts; les gens le roy Loys de
Germanie prisrent et s'en alèrent parmy Bourgoigne contre Boson. Quant il
furent partis de Troies, si devoit aler en leur ayde le roy Charle à tout
son ost. En leur voie jetèrent hors du chastel de Mascon le chastelain de
Boson, et le chastel et la contrée donnèrent à Bernart, par seurnom
Plante-Peleuse.
Note 174:
Serourge.
Beau-frère. Le latin porte:
Sororium
.
Note 175:
Les Normans.
Le latin ajoute: «In Ganto residentes.»
Lors chevauchèrent ensemble les deus roys, et Charle leur cousin, qui jà
estoit venu, et s'en alèrent assiéger la cité de Vienne que Boson tenoit,
qui dedans avoit laissié sa femme et grant partie de sa gent, et s'en
estoit fuy aux montaignes. Et Charle s'en parti tantost qu'il orent fait
entr'eus ne say quels seremens, et si estoit-il venu pour tenir le siège
avecques eus. En Lombardie s'en ala et puis à Rome, et fist tant vers
l'apostole Jehan qu'il fu couronné à empereur, le jour de Noël.
[176]Au siège devant Vienne demoura le roy Carlemaine et sa gent pour
prendre vengement de la malice Boson. Et le roy Loys son frère prist sa
gent et retourna en une partie de son royaume contre les Normans qui tout
dégastoient devant eulx, et jà avoient prinse et destruite l'abbaye
Saint-Père de Corbie, et la cité d'Amiens. A eus se combati et en occist la
plus grande partie, et les autres chaça. Et quant il ot eue celle victoire
par l'ayde de Nostre-Seigneur, il et son ost s'en retournèrent fuyant, et
si n'estoit nul qui le chassast: et, en ce, fu appertement monstré que la
victoire qu'il avoit eue des paiens n'estoit pas faite par homme, mais par
la vertu Nostre-Seigneur. Après ce retournèrent les Normans en une autre
partie de son royaume: et il assembla tant de gent comme il pot avoir et
ala contre eus en un lieu que l'istoire nomme Stromus[177]. Par le conseil
d'aucuns de ses gens fist là drécier un chastel de fust; mais il fu au
profist et à la deffense de ses ennemis, plus que de luy né de sa gent; car
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