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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis
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concile furent leues les épistres que l'apostoile envoioit aux lais, et si
fu leue la manière coment l'empereur fu esleu et la confirmation des prélas
du royaume d'Ytalie, et les chapistres qu'il establi et qu'il fist
confermer à tous et qu'il commanda à confermer aux évesques de cà les mons:
et atant départi le concile à cette journée.
En la cinquième nonne de juillet[107], s'assemblèrent de rechief les prélas
sans l'empereur. Là ot contens et plainctes des prestres des diverses
paroisses qui se plaignoient aux messages l'apostoile d'aucuns griefs: et
atant départi le concile sans plus faire à cette journée.
Note 107:
Juillet.
Le latin dit:
Juin
.
En la quatrième nonne du meisme moys, assemblèrent les prélas, si fu lors
l'empereur présent. Là meisme oï les messages Loys son frère, le roy de
Germanie, Gilebert l'archevesque de Couloigne, et deux contes Adalart et
Maingaut. De par leur seigneur requéroient partie du règne l'empereur Loys
le fils Lothaire, qui par droict héritage luy aferoit, ensi comme
luy-meisme l'avoit créanté par son serement. Lors commença Jehan le Toscan
à lire l'épistre l'apostoile Jehan qu'il envoioit aux évesques du royaume
Loys, si en bailla l'exemplaire à Gilebert l'archevesque de Couloigne, et
li commanda que il l'aportast aux évesques à qui elle estoit envoiée: et
atant départi le concile à cette journée.
En la sixième yde de juing[108], assemblèrent les évesques derechief; et
entour l'eure de nonne vint le message l'apostoile Léon, évesque et nepveu
l'apostoile, et ung autre qui Pierre avoit nom. Si apportoient épistres à
l'empereur et à l'empereris et salut aux évesques. Atant se départi le
concile en cette journée.
Note 108:
Juin.
Le latin dit:
Juillet
.
En la cinquième yde de juing assemblèrent les prélas. Là fut lue l'épistre
de la dampnation de Georges, l'évesque de Formose[109], et tous ceulx qui à
luy se consentoient. Là furent présentées à l'empereur de par l'apostoile
et entre les autres ung sceptre et ung baston d'or, et à l'empereris draps
de soie et ung fermail à pierres précieuses. Atant départi le concile à
cette journée.
Note 109:
De Georges, l'évesque de Formose.
Il falloit:
De
l'évêque Formose
l'évêque Formose
. Le latin porte: «Lecta est Apostoli epistola de
damnatione Formosi episcopi, Gregorii Nomenclatoris et consentientium
eis.»
IX.
ANNEE: 876.
Coment le concile assembla de rechief, et coment les causes des églyses
furent débatues. Coment aucuns des Normans furent baptisiés qui puis
retournèrent à la mescréandise. De la mort le roy Loys de Germanie. Des
ormans qui se mistrent en Saine atout cent barges.
furent débatues. Coment aucuns des Normans furent baptisiés qui puis
retournèrent à la mescréandise. De la mort le roy Loys de Germanie. Des
ormans qui se mistrent en Saine atout cent barges.
Le jour devant la première yde de juing rassembla le concile; mais avant
qu'il fust commencié i envoia l'empereur les messages l'apostoile pour
parler aux archevesques et aux évesques, pour eulx reprendre de ce qu'il
n'estoient pas venus le jour, si comme il leur avoit mandé; mais il
respondirent si raisonnablement que l'en s'en dust tenir apaié. De rechief
fut leue l'épistre l'apostoile de l'archevesque Ansegise, par le
commandement l'empereur: et la lut Jehan le Toscan, l'un des messages
l'apostoile. Si fu demandé de rechief aux prélas nouvelle responce, et il
respondirent que volentiers obéiroient, selon la rieule des canons, ainsi
comme leurs ancesseurs avoient obéis aux siens. Lors fu leur responce plus
légièrement receue que elle n'avoit esté devant, en la présence de
l'empereur. Après ce, fu parlé et disputé par devant les messages
l'apostoile de la clameur des prestres des diverses paroisses. Après ce,
refu oïe la cause et la complaincte Frotaire l'archevesque de Bordeaux, de
ce qu'il ne pouvoit demourer en sa cité, pour le grief que les Sarrasins li
faisoient. Pour ce requieroit qu'il peust venir à l'archeveschié de Borges;
mais sa requeste fut contredite de tous les évesques. Lors commandèrent les
messages l'apostoile qu'il assemblassent tous de rechief en la dix-septième
kalende d'aoust, bon matin; et quant il furent assemblés à cette journée si
vint l'empereur au concile, entour l'eure de nonne, couronné et appareillé
à la guise de Griex; et si l'amenoient les messages l'apostoile qui
estoient vestus à la guise de Rome, et le conduisirent jusques au milieu
des évesques qui estoient aussi revestus en aornemens de saincte Églyse. Si
avoient leurs mitres en leurs chiefs et leurs croces en leurs mains. Lors
fu chantée cette anthienne
Exaudi nos Domine
, à tout vers, et le
Gloria
. Après le
Kyriel
dist l'oraison l'évesque Léon, et quant tous
furent assis, Jehan l'évesque d'Arete, message l'apostoile, lut devant tous
un libelle dont la sentence estoit sans raison et sans auctorité. Après, se
leva Hues l'évesque de Beauvais, et lut une cédule que les messagiers
l'apostoile, et Ansegise, archevesque de Sens, et il meisme avoient faicte
et dictée sans l'assentement du concile; dans laquelle aucuns chapistres
estoient contenus qui entre eulx-meismes estoient contraires et
discordables. Et pour ce ne feurent pas là mis qu'il n'avoient né raison né
auctorité. De rechief fu mené question de la primacie en l'églyse
l'archevesque de Sens, et quant l'empereur et les messages l'apostoile en
eurent assez parlé et discuté entre les prélas, si n'en fut-il plus que il
en ot esté à la première journée du concile. Adonc se levèrent Pierre
l'archevesque de Forosimpre[110], et Jehan le Toscan; en la chambre le
roy s'en alèrent et amenèrent l'empereris toute couronnée, en estant se
tint de lès l'empereur. Lors se levèrent tous les prélas en estant en leur
ordre, Léon l'archevesque et le Touscan Jehan commencèrent leurs loenges et
graces à Dieu que l'évesque Léon accomplit par une oraison. Si se départit
le concile atant. Aux messages l'apostole l'empereur donna dons et présens,
congié pristrent atant et retournèrent à Rome. Avec eulx envoia l'empereur
en message Ansegise l'archevesque de Sens, et Algaires l'archevesque
d'Ostun.
Note 110:
Forosimpre.
Le latin porte:
Forum Sempronii
. C'est
aujourd'hui
Fossombrone
, dans le duché d'Urbin.
Incidence.
--Entre ces choses fit l'abbé Hues baptiser aucuns Normans qui
puis furent amenés à l'empereur qui leur fist donner dons. Atant
retournèrent à leur gent et puis repristrent leur mescréandise et
vesquirent païens comme devant. En la quinte kalende d'aoust se parti
l'empereur de Pontigon et retourna en France par Chalons. Là demoura
jusques aux ydes d'aoust pour une maladie qui le prist. En la dix-septième
kalende de septembre, vint à Rains et de Rains droict à Senlis; deux
messages l'apostoile qui estoient demourés, Jehan l'évesque d'Arete et
Jehan le Touscan, et l'évesque Hues de Beauvais envoia en message à Loys
son frère le roy de Germanie. Ces trois n'envoia par tant seulement, ains y
envoia ses fils et autres princes du royaume. Mais après qu'il furent mus,
vindrent nouvelles à l'empereur que son frère Loys, à qui il envoioit ses
messages, estoit trespassé en son palais de Franquefort, en la cinquième
kalende de septembre, et estoit ensépulturé en l'églyse Saint-Nazaire.
Tantost se parti l'empereur de Carisy et s'en ala à Satenai[111]. Ses
messages envoia aux barons du royaume, et s'appensa qu'il iroit tandis en
la cité de Mez pour eulx attendre là et récevoir. De propos changea et s'en
ala à Ais-la-Chapelle et mena avec soi les deux messages l'apostoile. De
Ais s'en ala à Couloigne. Assez fit-on de mal en cette voie; car ceulx qui
avec li estoient tolloient quoi qu'ils trouvoient, sans nul regart de
pitié.
Note 111:
Satanacum.
Stenay.
Incidence.
--En ce temps vindrent Normans en France par mer et entrèrent
en Saine à tout cent barges. Ces nouvelles furent contées à l'empereur en
la cité de Couloigne; mais oncques pour ce ne laissa à faire ce qu'il avoit
en propos.
X.
ANNEE: 876.
De Loys le neveu Charles-le-Chauf et des juises[112] qu'il fist de trente
hommes pour savoir sé son oncle avoit droict. Et coment Charles le cuida
seurprendre. Et coment il et sa gent feurent desconfits. Et coment la reyne
Richeut s'enfuit et enfanta en la voie, et coment les Normans entrèrent de
rechief en Saine à navires.
hommes pour savoir sé son oncle avoit droict. Et coment Charles le cuida
seurprendre. Et coment il et sa gent feurent desconfits. Et coment la reyne
Richeut s'enfuit et enfanta en la voie, et coment les Normans entrèrent de
rechief en Saine à navires.
Note 112:
Juises.
Jugemens. Et mieux ici: Epreuves judiciaires. Le
latin dit: «Hludowicus, Hludowici regis filius, decem homines aqua
calida, et decem ferro calido, et decem aqua frigida ad judicium
misit coram eis qui cum illo erant.»
Loys, le neyeu Charles l'empereur, qui fils ot été le roy Loys de Germanie
son frère, estoit de là le Rhin à grant ost de Saisnes et de Thoringiens. A
Charles l'empereur son oncle envoia messages; s'amour et sa volenté bonne
requeroit, mais il ne la pouvoit avoir. Lors se doubta moult et cil qui
avec luy estoient: jeusnes et oroisons firent et chantèrent lethanies dont
la gent l'empereur ne se faisoient sé gaber non. Un juise de trente hommes
fit faire pour savoir quel droict son oncle avoit au royaume son père. Le
juise de dix fut par eaue boulante, et le juise des autres dix par fers
chaus, et le tiers juise des autres dix par eaue froide. Lors prièrent tous
à Dieu que il voulust faire démonstrance sé son oncle devoit rien plus
avoir au royaume, par droict, que son père luy avoit laissié, pour raison
de la partie qui de Lothaire leur frère leur estoit eschue. Après cette
prière furent trouvés les trente hommes tous sains et haitiés. Par ce fu
certain qu'il avoit droict et son oncle tort. Lors passa entre le Rin luy
et sa gent à un chastel qui a nom Andrenac: Et quant l'empereur sceut ce,
si manda à l'abbé Hildouin et à l'évesque Francone qu'il emmenassent
Richeut l'empereris à Haristalle. Son ost assembla et chevaucha sur le
rivage du Rin contre Loys son nepveu; mais toutes voies se pourpensa-il et
li manda qu'il envoiast de ceulx de son conseil et il enverroit aussi de
ceulx des siens pour traitier de paix. De ce fu Loys moult lié et moult
asseuré quand il sceut que son oncle ne viendroit pas sur luy à armes. (Ce
qu'ils firent de la besoigne à cette assemblée ne parle pas l'istoire.)
Mais quant ce vint après, ès nonnes d'octobre, l'empereur devisa ses
batailles et vint par nuit à bannières levées, par une haulte voie et
estroite qui moult estoit et fors et griève à trespasser; sur son nepveu et
sur sa gent se cuida embattre soudainement; car il les cuida trouver
despourvus. Ainsi chevaucha toute nuit jusques à tant qu'il vint à une
ville qui a nom Andrenac. Moult furent las et travaillés les hommes et les
chevaux pour la grieté de la voie et pour la pluie qui toute la nuit estoit
cheue sur eulx. Mais autrement ala la besoigne qu'il ne cuida. Car son
nepveu en fu tout pourveu[113] et luy fu dit que il venoit sus luy à grand
ost et bien appareillié: et cil tantost ordenna et mist en conroi tant de
gens comme il pot avoir et se traict d'autre part là où il les cuida plus
attendre seurement. Sus li courut l'empereur et sa gent, et ceulx se
deffendirent si bien et si fortement que les premières batailles des gens
l'empereur fuirent et resortirent arrières jusques soubs luy et soubs sa
bataille. Lors tournèrent tous communément en fuite si que l'empereur
eschappa et s'en fuit à peu de gens. Si feurent là plusieurs empeschiés qui
bien fussent eschappés sé il fussent vuis; mais il portoient les choses à
l'empereur et les harnois de l'ost et cuidèrent suivre les autres; mais
quand ce vint à l'entrée des voies qui estoient hautes et estroites, si fut
la presse si grant que le passage fut du tout estoupé[114]. (Là se
retornèrent et se contrestèrent tant comme il peurent.) Si furent occis en
cette foute le conte Renier et le conte Geromme, et mains autres. Si furent
pris en cette place, et dans un bois près d'ilec, l'evesque Othulphe et
l'abbé Gaulin, le conte Aledrans, le conte Bernart et le conte Ebroin et
mains autres grans hommes. Là ravirent et prindrent les gens Loys[115]
viandes, harnais et quanque les marchans de l'ost portoient. Si fu là
accomplie la prophétie qui dit: «honte et male avanture sera à ceulx qui
proie feront, car il meismes seront proié.» Et ainsi en advint-il. Car tout
quanque les proieurs de l'ost l'empereur avoient proié, et il-meismes
feurent proie de leurs ennemis. Les autres qui pas ne furent pris furent
robés par les vilains du pays, si que il demeurèrent tres-tous nus, et qu'il
convenoit qu'il fussent torchés de fain pour couvrir leur natures; mais
toutevoies ne les tuèrent-il pas. Quand ma dame Richeut l'empereris oï
nouvelles de cette desconfiture et de la fuite l'empereur, sé elle eut
grant paour ce ne fu pas de merveille. Par nuit, endroit les coqs chantans,
se mit à la fuite si grosse comme elle estoit, et tant se travailla qu'elle
enfanta un enfant en cette voie. Et quant il fu né elle le fit porter
devant elle en fuyant jusques à tant qu'elle vint à Atigny[116]. Après
cette desconfiture vint l'empereur à Saint-Lembert de Liège. A luy vindrent
abbé Hildouin et l'évesque Francone, qui l'empereris avoient conduite à
Haristalle, et furent avecques luy jusques à tant qu'il vint à Atigny après
l'empereris. De là s'en ala à Duzy puis retorna à Atigny, et là tint le
parlement entour la feste Saint-Martin[117]. Et Loys qui eut eue victoire
de son oncle[118] se partit d'Andrenac et s'en ala à Ais-la-Chapelle. Là
démoura trois jours, et puis s'en ala à Conflans[119] encontre Charles son
frère qui revenoit parler à luy. Et quand il eurent ensemble parlé, Charles
s'en retourna en Allemagne par la cité de Mez. Et Loys passa oultre le Rin.
Mais Charlemaine leur frère ne vint pas à eulx né à l'empereur leur oncle
qui mandé l'avoit; si fut pour ce qu'il estoit encore empeschié pour la
guerre qu'il menoit contre les Wandres. L'empereur envoia en ce contemple
le conte Conrart et autres princes aux Normans, qui par navires estoient
entrés en Saine, et leur dict que il fissent à eulx telle paix ou trèves
comme il pourroient, et puis retournassent à luy au parlement pour nuncier
ce qu'il auroient faict. Lors s'en ala à Saumouci pour tenir son parlement.
Là vindrent à luy ses hommes de la partie du royaume Lothaire son frère,
qui estoient eschappés de la desconfiture d'Andrenac. Volentiers les receut
et leur donna dons et bénéfices. Aux uns donna petites abbaïes, si comme
elles estoient tout entières, et aus autres petits bénéfices de l'abbaïe
Marcienne[120] qu'il avoit devisée et démembrée. Et après ordonna et
commenda que le fleuve de Saine feust bien gardé à plenté de bonnes gens de
çà et de là, pour les Normans qui y devoient entrer à galies. Après ces
choses s'en vint à Verzeny[121]. La fu si durement malade qu'il cuida
mourir, et tant y demeura que la Nativité fust passée en l'an de
l'Incarnation huit cent soixante dix-sept[122]. Et quant il fu trespassé de
sa maladie et guari, si s'en ala à Compiègne. Avant qu'il s'en partist, le
fils que l'empereris eut enfanté en la fuite avant qu'elle peust venir à
Atigny[123], fu mort. Charles estoit nommé; si l'avoit levé de fons Boson
son oncle, qui frère estoit l'empereris sa mère. A Saint-Denys fu le corps
porté et enterré en l'églyse.
Note 113:
Tout pourveu.
Plusieurs manuscrits portent
accointié
.
J'ai préféré la leçon du n°6, Suppl. franç.
Note 114: La phrase précédente a été mal rendue. Voici le latin:
«Multi autem qui effugere poterant impediti sunt, quoniam omnes Sagmæ
imperatoris et aliorum qui cum eo erant, sed et mercatores ac scuta
vendentes, imperatorem et hostem sequebantur, et in angusto itinere
fugientibus viam clauserunt.»
Note 115:
Les gens Loys.
Le latin porte:
Hostis Hludowici
. On
voit qu'ici le mot
hostis
à le sens du mot françois
ost
.
Note 116:
A Atigny.
Ce n'est certainement pas Attigny. Les textes
latins portent:
Antennacum
. Valois écrit que c'est encore
Andernach;
l'abbé Lebœuf reconnoît plutôt ici
Antenais
, petit
village situé dans le diocèse de Reims, entre Hautvillers et
Chatillon. Cette dernière opinion paroît plus vraisemblable, si l'on
songe qu'
Andernacum
, nommé plus bas, ne peut être l'endroit où
s'étoit réfugiée l'impératrice.
Note 117 Toute cette phrase est inexactement traduite. «Inde Duciacum
adiit, usque ad Antennacum rediit, et placitum suum in Salmontiaco,
quindecimo die post missam S. Martini condixit.» Il s'agit ici de
Samoucy
, près de Laon.
Note 118:
De son oncle.
Il falloit:
De son frère
. Le latin dit:
«Hludowicus Hludowici quondam regis filius.»
Note 119:
Conflans.
«Ad Confluentes.» Sans doute
Coblentz
.
Note 120
Marcienne.
«De abbatiâ Marcianus.» C'est
Marchiennes
.
Note 121:
Verzeny
«Virzinniacum villam.» C'est évidemment
Verzenay
, dans la montagne de Reims, à une lieue de
Saint-Basle
ou
Verzy
, et à trois lieues d'
Antenay
.
Note 122:
Annal. S.-Bertini, anno 877.
Note 123:
Atigny.
Il faudroit encore:
Antenay
.
XI.
ANNEE: 877.
Coment l'apostole Jehan manda à l'empereur Charles-le-Chauf qu'il
secourust et défendist l'églyse de Rome, si comme il y estoit tenu. Et puis
coment Charles passa les mons et mena la royne Richeut, et coment il
retourna et oï dire que Charles son nepveu venoit sur luy: et de sa mort.
secourust et défendist l'églyse de Rome, si comme il y estoit tenu. Et puis
coment Charles passa les mons et mena la royne Richeut, et coment il
retourna et oï dire que Charles son nepveu venoit sur luy: et de sa mort.
Tout le caresme demoura l'empereur à Compiègne et y célébra la
Résurrection. Avant qu'il s'en partist vindrent à cour les messages
l'apostoile Jehan. Si estoient deux évesques et avoient ambedeux nom
Pierres. Par eulx lui mandoit l'apostoile et par bouche et par lettres
qu'il visitast l'églyse de Rome, et qu'il la délivrast et deffendist des
païens si comme il l'avoit promis par son serement. Es kalendes de may fist
assembler concile à Compiègne des évesques de la province de Rains et des
autres provinces. Si fist dédier l'églyse (de Saint-Cornille) qu'il avoit
fondée en son propre palais, en présence des prélats et des messages
l'apostoile. Là meisme fist-il parlement des barons et fu ordenné coment
Loys son fils gouverneroit le royaume par le conseil des barons, jusques à
tant qu'il fust retourné de Rome, et coment il recevroit le treu de l'une
des parties du royaume de France, qui estoit accoustumé à rendre, avant la
mort le roy Lothaire, et du royaume de Bourgogne. Ce treu si estoit cueilly
sur toutes manières de gens, sur gens lais et sur prestres, et sur des
églyses. Des uns plus, des autres moins, selon que il estoient. La somme de
ce treu se montoit à cinq mille livres d'argent à poids[124], et ce treu
payoient en Neustrie et évesques et autres gens, par convenant fait aus
Normans qui par Saine estoient entrés.
Note 124: Ce passage précieux des Annales Bertiniennes n'est pas ici
complètement traduit. Le voici: «Quomodo tributum de parte regni
Franciæ quam ante mortem Lotharii habuit, sed et de Burgundiâ
exigeretur, disposuit. Scilicet ut de mansis indominicatis solidus
unus: de uno quoque manso ingenuli quatuor denarii de censu dominico,
et quatuor de facultate mansuarii. Et unusquisque episcopus de
presbyteris suæ parochiæ, secundùm quod unicuique possibile erat, à
quo plurimùm quinque solidos, à quo minimum quatuor denarios,
episcopi de singulis presbyteris acciperent, et missis dominicis
redderent. Sed et de thesauris ecclesiarum, prout quantitas loci
extitit, ad idem tributum exsolvendum acceptum fuit. Summa vero
tributi fuerunt quinque millia libræ argenti, ad pensam.»
Ces choses ainsi ordennées, l'empereur se parti de Compiègne et s'en ala à
Soissons, et de Soissons à Rains, puis à Chalons et puis à Lengres. Lors se
mistrent à la voie, il et l'empereris, à grand plenté de sommiers tous
troussés d'or et d'argent et d'autres richesses. Les mons passa. Quant il
fu ès plaines de Lombardie si encontra l'évesque Algaire, qu'il avoit
envoié à l'apostoile Jehan pour estre au concile que il devoit tenir à
Rome. L'exemplaire du concile luy bailla pour grand don, et l'empereur le
receut liement, car sa confirmation y estoit contenue. Si estoit telle la
sentence que la promotion et l'élection qui avoit esté faicte l'an devant à
Rome de l'empereur Charles, roy de France, estoit ferme et estable à tous
les jours de sa vie. Si estoit loié et de tel lien que sé aucun de quelque
estat, de quelque ordre, de quelque profession qu'il feust, vouloit
encontre aller, si estoit-il escomenié et tenu en excommuniement jusques à
satisfaction. Tous ceulx qui ce pourchaceroient et qui seroient du conseil,
sé il estoient clers, qu'il soient déposés de leurs ordres; et sé il
estoient lays, que il fussent excommeniés perpétuellement. Et pour ce que
le concile qui eut esté célébré à Pontigone[125] l'an devant, n'avoit rien
profitié, fu-il establi que cil fust ferme et estable. Après luy nuncia
l'évesque Algaire que l'apostoile luy venoit encontre et devoit estre à luy
à la cité de Pavie. Tantost y envoia l'empereur Odoaire, notaire du secont
escrin, pour procurer et pour appareiller les nécessités l'apostoile; avec
luy furent le conte Goirant, Pepin et Heribert; et puis se hasta d'aller
encontre luy. Si l'encontra à Verziaux[126]. Moult honorablement le receut;
et puis alèrent jusqu'à Pavie. Là vindrent nouvelles certaines que
Charlemaine, son neveu, venoit sur luy à grant plenté de gens. Pour ces
nouvelles laissièrent Pavie et s'en alèrent à Tardonne[127]. Là feut sacrée
à empereris ma dame Richeut, par la main l'apostoile. Et tantost comme ce
feut fait, elle prist les trésors et s'enfui hastivement arrière en
Morienne[128]. Et l'empereur demoura là une pièce avec l'apostoile pour
atendre les barons du royaume, le conte Huon[129] et Boson, et Bernart le
conte d'Auvergne, et Bernart le marchis de Gothie; à tous avoit-il mandé
que il venissent après luy; mais pour noient les attendoit, car il avoient
jà faicte conspiration contre luy et s'estoient tournés et aliés aux autres
barons du royaume, fors aucuns et les évesques tant seulement. Et quant il
sceut ce il pensa que sé il venoient il viendroient plus à son dommage qu'à
son profit. Et quant il sceut d'autre partie que Charlemaine son neveu
venoit sur luy et se approchoit jà durement, il s'en parti de l'apostoile
et s'en ala hastivement après madame Richeut l'empereris, et l'apostoile
Jehan s'en retourna isnelement vers Rome. Si emporta une croix de fin or et
de pierres précieuses de grant pois où le crucefiement nostre Seigneur
estoit pourtraict, que l'empereur envoioit par luy à l'églyse Saint-Père.
Note 125:
Pontigone.
Ponthion, à deux lieues de Vitry-le-François.
Note 126:
Verziaux.
Verceilles.
Note 127:
Tardonne.
«Turdunam.» C'est
Tortone
.
Note 128: Le latin est moins dur pour
Richeut
ou
Richilde
. «Mox
retrorsum fugam arripuit, cum thesauro, versas Moriennam.» Ce fut
sans doute du consentement de son époux qu'elle agit ainsi.
Note 129:
Le comte Huon.
«Hugonem abbatem.»
Et quant Charlemaine oï dire d'autre part, par un message qui lui menti,
que l'empereur et l'apostoile venoient sus luy à grand gent, il s'enfui
arrière isnellement par cette meisme voie qu'il estoit venu, et ainsi
départirent à cette fois les uns et les autres sans bataille, par la
volenté du Seigneur.
En ce retour que l'empereur faisoit luy prit une fièvre. De luy estoit
moult privé et moult acointié un juif qui Sedechias avoitnom. Une poudre
luy envoia pour boire et luy fist accroire que il guariroit par cette
poudre. Cil en but, mais elle fu plus cause de sa mort que de sa santé. Car
tantost comme il eut bu le venin dont elle estoit faicte et confite, il fu
si abattu qu'il convint que ses gens l'emportassent entre bras. En telle
manière passa les mons de Montcenis jusques à un lieu qui est appelé Brios.
A l'empereris Richeut qui estoit à Morienne manda qu'elle venist à luy, et
elle si fist. Toujours engregea sa maladie et fu mort en onze jours qu'il
ot beu le venin, le jour devant la seconde nonne d'octobre; ses gens
fendirent le corps et ostèrent les entrailles, et quant il l'orent bien
lavé si l'enoindrent de basme et d'autres oingnemens aromatiques, et puis
le mistrent en un escrin pour le porter en l'églyse Saint-Denis en France,
où il avoit esleue sa sépulture. Mais pour ce qu'il commença si durement à
flairer qu'il ne le pussent pas longuement porter pour la flaireur qui
toujours croissoit, si l'enterrèrent en la cité de Verziaux, en l'églyse
Saint-Eusèbe le martyr. Là fu le corps sept ans entiers, puis fu-il porté
en l'églyse Saint-Denis de France, où il avoit tousjours désiré à gésir
pour une advision qui advint laiens, dont nous parlerons ci-après[130]. Et
Charlemaine son neveu, qui d'autre part s'en fu fui en son pays, si comme
vous l'avez oy, cheï en une maladie ainsi comment il s'enfuyoit et convint
qu'il feust porté jusqu'en son pays en littière. En langor fu un an entier
et fu en tel point qu'il cuida qu'il dust mourir de cette maladie.
Note 130: Cette dernière phrase me paraît une interpolation faite
pour ôter les doutes que pouvoit exciter le récit de la vision de
Charles-le-Chauve. Aimoin et le manuscrit du roi portent bien:
«Sepelierunt eum in Basilicâ B. Eusebii martyris in civitate
Vercellis, ubi requievit annis septem. Post hæc autem, per visionem
delatum est corpus ejus in Franciam, et honorificè sepultum in
basilicâ beati Dionysii martyris Parisius.» Mais les manuscrits de
l'abbaye de Saint-Bertin et de Saint-Germain-des-Prés, n° 646, sont
bien plus croyables: «Cœperunt ferre versus monasterium sancti
Dyonisii, ubi sepeiiri se postulaverat. Quem pro fœtore non valentes
portare, miserunt eum in tonnâ interius exteriusque picatâ, quam
coriis involverunt, quod nihil ad tollendum fœtorem profecit. Unde ad
cellam monachorum Lugdunensis episcopii, quæ Nantoadis (Nantua)
dicitur, vix pervenientes, illud corpus cum ipsâ tonnâ terræ
mandaverunt.»
XII.
ANNEE: 877.
[131]
De l'avision qui advint en l'églyse Saint-Denys par nuit à un moine
qui gardeit le cuer, et à un clerc de Saint-Quentin en Vermandois, tout en
une nuit.
qui gardeit le cuer, et à un clerc de Saint-Quentin en Vermandois, tout en
une nuit.
Note 131: Dom Bouquet a placé ce chapitre après le suivant, en dépit
de tous les manuscrits, par la seule raison que tel étoit l'ordre que
lui donnent les mêmes manuscrits, dans les titres de chapitres.--J'ai
revu cette légende sur le latin du manuscrit de Saint-Germain,
n° 646. Elle s'y trouve à la suite de
la vision de
Charles-le-Chauve
Charles-le-Chauve
, f° 1, v°, 1re colonne.
(En cet endroit voulons retraire la vision que nous ayons promise.) Sept
ans après que le corps eut géut à Verziaux, en l'églyse Saint-Eusèbe, il
s'apparut par la volenté nostre Seigneur, à un moine de Saint-Denys en
France qui par nuit gardoit l'églyse, ainsi comme l'on fait laiens et par
coustume en toutes saisons. Ce moine qui preud'homme estoit avoit nom
Archangis. Lors luy dit qu'il estoit l'empereur Charles-le-Chauf. Si
l'avoit notre sire là envoié, et que sa volenté estoit telle que cette
chose fust manifestée à Loys son fils et aux prélas et aux barons. Et dist
après que moult desplaisoit à Dieu et aux glorieux martyrs saint Denys et à
ses compaignons, et à tous les autres martyrs confesseurs qui laiens
reposent, de ce que son corps n'estoit laiens ensépulturé et mis
honorablement en l'églyse des glorieux martirs que il avoit tant amée et
honorée en sa vie, et donné villes et possessions et ornemens d'or et de
pierres précieuses et ornemens de soie, si comme nous dirons après. «Va
donc,» dist-il, «si leur di que il aportent mon corps dans cette églyse et
le mettent devant l'autel de la Trinité.» Tout et en telle manière comme
cette advision advint à Saint-Denys à ce moine dont nous avons parlé, en
cette nuit et en cette heure meisme advint à Saint-Quentin en Vermandois
à ung clerc qui par nuit gardoit l'églyse; si avoit nom Alfons. Et quand le
moine oï que il avoit compaignon en cette révélation, si en fust moult liés
et plus hardiment mist la chose avant. Lors s'en alèrent ensemble au roy et
aux barons et tesmoignèrent la vision selon le commandement que il avoient.
Et quant le roy Loys son fils et les barons oïrent cette chose, si
mandèrent les évesques et les abbés et meismement l'abbé Gautier de
Saint-Denis; là s'en alèrent où le corps gisoit, les os et la poudre
pristrent, car il avoit jà là géu sept ans, et l'en aportèrent en l'églyse
Saint-Denys et le mistrent honorablement en sépulture au cuer des moines
devant l'autel de la Trinité.
XIII.
ANNEEE: 877.
[132]
De l'avision qu'il vit; et coment il fu ravy en esprit ès tourmens
d'enfer, si comme il meisme raconte; et coment l'esprit retourna puis au
corps; si lui advint tout ce, avant qu'il trespassast.
d'enfer, si comme il meisme raconte; et coment l'esprit retourna puis au
corps; si lui advint tout ce, avant qu'il trespassast.
Note 132:
Visio K. Calvi.
(Manuscrit de Saint-Germain, n° 646,
f° 1, r°, 1re colonne.)
En cet endroit nous convient retraire les grans dons et les grans bénéfices
qu'il fist à l'églyse en son vivant pour l'onneur et l'amour des glorieux
martyrs. Mais, avant, nous estuet mettre une merveilleuse aventure que
nostre Seigneur, puissant de tout, voult qu'il eust en sa vie pour son
amendement, si comme il meisme conte de sa propre bouche. Si ne la devons
pas oublier, jà soit que nous la déussions avoir mise en l'ordre des faits
de sa vie. Si parle par première personne, comme cil à qui l'avision
advint. Mais nous la conterons par la tierce personne, et commence
ainsi:[133]
Note 133: Cette légende commence effectivement ainsi: «Ego Karolus
gratuito Dei dono, etc.»
«Charles, par le don de nostre Seigneur, roy de Germanie, patrice des
Romains, empereur de France, après le service des matines de la Nativité
nostre Seigneur, s'estoit couchié pour reposer. En ce point qu'il se deust
endormir descendit à luy une voix moult horriblement, si luy dist: Ton
esprit s'en partira maintenant de ton corps et sera mené en tel lieu où il
verra les jugemens de nostre Seigneur, et aucuns signes de choses qui son
à advenir; mais après un peu de heure retournera au corps.» Tantost fu ravy
son esprit, et cil qui le ravit estoit une chose très-blanche. Si tenoit un
luissel de fil aussi resplendissant comme la trace que nous véons au
ciel,[134] que aucunes gens cuident que ce soit estoile. Lors luy dist
cette chose blanche: «Prens le chief de ce fil et le lie forment au pouce
de ta main destre, car je te menerai au lieu des paines d'enfer.» Et quant
il eut ce dist, il s'en ala devant luy en distordant le fil de ce luissel
resplendissant, et le mena en très-parfondes vallées de feu qui estoient
plaines de puis ardens; et ces puis estoient plains de pois, de souffre, de
plomb et de cire. En ces puis trouva les évesques, les patriarches et les
prélats qui furent du temps son père et ses aïeulx. Lors leur demanda en
grant paour pourquoi il souffroient si griefs tourmens, et il lui
répondirent: «Nous feumes,» distrent-il, «évesques ton père et tes aïeulx,
et quant nous deumes amonester paix et concorde entre les princes et le
peuple, nous semasmes et espandismes guerres et discordes, et feumes causes
et émouvemens de maulx. Et pour ce ardons-nous à ces tourmens d'enfer et
nous et ceux qui aimions omicides et rapines; et si saches que cy vendront
les évesques et ta gent qui orendroit font faire tels maulx.» Et
endementiers que il les escoutoit en grant paour et en grant engoisse,
estoient des deables tous noirs qui avoloient à grans cros de fer ardens,
et s'efforçoient moult durement de sachier et de traire à eulx le fil que
il tenoit. Mais il ressortissoient et chéoient arrière, né adeser[135] ne
le pouvoient pour la grande clarté qu'il rendoit. Lors li couroient par
derrière et le vouloient sachier à cros et tresbuchier ès puis ardent,
quant cil qui le conduisoit li jetta le fil en doublant par dessus les
espaulles et le sachia fortement après li. Lors montèrent une haulte
montaigne de feu; au-dessoubs du pic de ces montaignes sourdoient palus et
fleuves tous boillans de toutes manières de métaux. En ces tourmens
estoient ames sans nombre des princes son père et ses frères, qui estoient
plungiés dedans, l'un jusques aux cheveux, l'autre jusques au menton,
l'autre jusques au nombril. Lors luy commencièrent à dire en criant et en
hurlant: «Charles pour ce que nous amasmes à faire omicides et guerres et
rapines, par convoitise terrienne, au temps de ton père, de tes frères et
du tien meisme, pour ce sommes-nous en ces fleuves bollans punis par les
tourmens de plusieurs métaulx.» Tandis comme il entendoit en grant paour et
en grant tribulation d'esprit ce qu'il luy contoient, il vit derrière luy
ames qui très-horriblement crioient: «Puissans puissamment sueffrent
tourmens.» Lors se retourna et vit vers la rive du fleuve fournaises de fer
plaines de dragons, de serpens, de pois et de souffre, et là cognut-il
aucuns des princes son père, ses frères et ses sœurs meismes, qui luy
commencièrent à crier: «Ha! Charles, vois-tu coment nous sommes,pour nostre
malice et pour nostre orgueil, et pour les mauvais conseils et desloiaux
que nous donnions au roy et à toy meisme par desloyauté et par convoitise.»
Et ainsi comme il escoutoit en grans pleurs et en graus gémissemens, il vit
accoure contre luy grans dragons les goulles ouvertes, plaines de feu, de
pois et de souffre pour luy engloutir. Lors fu en grant paour quand cil qui
le conduisoit luy jetta le tiers ploy du fil par dessus les espaules, qui
si cler et si resplendissant estoit, que les dragons feurent surmontés et
estains par la clarté; et le commença forment à sachier après luy.
Note 134:
Un luissel
, etc., ou peloton. «Tenuitque in manu suâ
glomerem lineum clarissimè emittentem jubar luminis, sicut solent
facere cometæ quando apparent.»
Note 135:
Adeser.
Atteindre. «Contingere.»
Lors descendirent en une vallée merveilleusement grande, qui en une partie
stoit obscure et ténébreuse et si y avoit grans rais de feu ardent et, en
une partie, de soy estoit resplendissant et si délicieuse que il n'est nul
qui le put conter né retraire. Lors retourna devers la partie si obscure et
vit aucuns roys de son lignage qui souffroient grans tourmens. Et lors
eut-il trop merveilleusement grant paour, car il cuida tantost estre
plungié en ces tourmens par grans géans noirs et orribles qui embrasoient
ces fournaises de cette vallée de diverses manières de feus. Et tandis
comme il estoit en si grant paour, il vit, à la clarté du feu qui du fil
issoit et ses iex enluminoit, un point de lumière resplandir de l'un des
costés de cette vallée, et deux fontaines courans, dont l'une estoit
merveilleusement chaude et bouillant, et l'autre clère et froide; si
estoient illec deux tonneaux. Lors regarda à la clarté du fil et vit sur le
tonnel, en l'iaue bouillante, le roy Loys son père dedans l'iaue bouillante
jusques au gros des cuisses. Lors li dit son père moult tourmenté et
aggravé: «Charles, biau fils, n'aies pas paour. Je sais bien que ton esprit
retournera en corps, et que nostre Seigneur t'a donné graces de çà venir
pour ce que tu voies pour quels péchiés moy et les autres souffrent tels
tourmens. Ung jour suis en ce tonnel plain d'iaue bouillant, ung autre suis
mis en cet autre tonnel qui est plain d'iaue tiède et attrempée: et cette
grace me fait nostre Seigneur par la prière saint Pere, saint Denys et
saint Remy, par lesquels trois notre royale lignée a régné jusques ci: et
sé tu me veulx aider toy et mes évesques et mes abbés et tous les ordres de
saincte Eglyse en messes et en oblacions, en vigiles, en salmodies et en
aumosnes, je seray tost délivré de ce tonnel d'iaue bouillant: car Lothaire
mon frère et Loys sont jà délivrés de ces tourmens par les mérites saint
Père et saint Remy, et sont pour ce en joie du paradis.» Après ce, luy dist
qu'il regardast à senestre. Et quand il fu tourné si vit deux grans tonnes
plains d'iaue boullant. «Ceulx,» dit-il, «te sont appareillés, sé tu ne
t'amendes et sé tu ne fais pénitence de tes douloureux péchiés.» Lors
eust-il grand paour, et quant son conducteur vist qu'il estoit en tel
mésaise, si luy dist: «Viens après moy à la deuxième partie de la
délicieuse vallée de paradis.» Et quant il l'eut là mené si vist Lothaire
son oncle, qui séoit en grant clarté avec les autres roys, sur ung topase
merveilleusement grant et estoit couronné d'une précieuse couronne, et son
fils Loys qui delez luy séoit aussi couronné. Et quant il vit Charles, si
li dist: «Charles mon successeur, qui maintenant est le tiers après moy en
l'empire des Romains, viens près de moy, je sais bien que tu es venu par
les tourmens d'enfer où ton père et mes frères sont tourmentés; mais il
sera tost délivré par la miséricorde de nostre Seigneur de ses paines,
ainsi comme nous sommes par les mérites saint Père et les prières saint
Denys et saint Remy, à qui nostre Seigneur a donné grant pouvoir d'apostre
sur tous les roys et sur toutes les gens de France. Et s'il ne soubtenoient
notre lignée et gardoient, elle faudroit assez tost. Et saches que l'empire
sera assez tost délivré et osté de ses mains et que tu vivras désormais
assez peu de jours.» Et lors se retourna Loys et luy dist: «L'empire des
Romains que tu as tenu jusques ci doit par droit recevoir Loys le fils de
ma fille.»
Et quant il ot ce dit, il li sembla qu'il véist devant luy Loys l'enfant:
et Lothaire son oncle le print lors et luy dist: «Tel est cet enfant comme
cil que nostre Seigneur establit au milieu de ses desciples, quant il leur
dict: A tel est le royaume des cieus. Atant,» luy dist Lothaire, «rends li
maintenant le pooir de l'empire, par ce fil que tu tiens en ta main.» Lors
deslia Charles le fil de son pouce, et par ce fil luy rendi la monarchie de
tout l'empire. Et tout maintenant le luissel du fil resplendissant ainsi
comme ung ray de soleil s'amoncela dans la main de l'enfant. Après ce
repaira l'esprit Charles au corps moult las et moult travaillié.[136]
Note 136: Ces deux visions ne sont imprimées que dans les chroniques
de Saint-Denis. Sans doute elles n'ont aucune importance historique,
et dom Bouquet a d'ailleurs fait judicieusement remarquer que la
seconde, du moins, fut imaginée pour Charles-le-Gros et non pas
Charles-le-Chauve. Mais enfin, telle qu'elle est, et dans la
supposition probable qu'elle ne fut rédigée que sur la fin du Xème
siècle, elle n'en est pas moins antérieure à la légende de saint
Patrice, et doit par conséquent faire remonter avant elle le dogme
obscurément expliqué du Purgatoire. Sous le point de vue littéraire,
on ne manquera pas de se souvenir ici de la terrible épopée de Dante;
tous les élémens s'en retrouvent dans la vision de Charles-le-Chauve:
la punition des grands personnages politiques, le genre de tourmens,
le caractère de ceux qui les souffrent et les infligent. Ce n'est
donc pas comme effort d'imagination que nous devons admirer la
Divina Comedia
, mais comme l'immortelle création d'un génie
vigoureux, implacable et mélancolique.
XIV.
ANNEE: 877.
Des grans terres et possessions que il donna à l'abbaïe de Saint-Denys et
à plusieurs autres abbaïes.
à plusieurs autres abbaïes.
[137]Moult fu cet empereur Charles-Le-Chauf large aumosnier aus povres et
aus églyses, et moult les acrut et mouteplia de rentes et d'autres
bénéfices; et sur toutes les autres celle de Saint-Denis en France où il
repose corporellement. Tant donna laiens joiaux et saintuaires, rentes et
possessions confirmées par ses chartres, que ce n'est se merveilles non.
[138]Après ama moult celle de Saint-Cornille à Compiègne, car il la fonda
en son propre palais et li donna rentes et possessions assez et
saintuaires. Moult ama la ville de Compiègne et la fit ceindre de fossés en
lonc, et la fit appeler et intituler Carnopole de son nom, aussi comme
l'empereur Constantin ot jadis faict Constantinoble. La ville de Reuil
donna à l'églyse de Saint-Denys[139] et toutes les appartenances; (et
establit que sur les rentes de cette ville feussent pris les despens de
sept lampes qui arderoient continuelement et en toutes saisons devant
l'autel de la Trinité. La première establit pour l'ame de l'empereur Loys
son père; la seconde pour l'ame l'empereris Judith sa mère; la tierce pour
luy; la quarte pour la royne Hermentrus sa première femme; la quinte pour
la royne Richeut sa présente femme; la sixième pour toute sa lignée
présente et trespassée; et la septième pour Boson et pour Gui et pour tous
ses amis familiers. Après establi quinze cierges au réfectoir à mettre sur
les tables en yver, pour ce que le couvent va trop tard aucunes fois à
collacion pour le service qui pas ne peut estre accompli par jour et
meismement aus grandes festes. Après donna neuf lieues de Saine en ung
tenant et tout continuellement. Si commence au-dessus de Saint-Clout au ru
de Sèvres et dure jusques au ru de Chambric au-dessus de
Saint-Germain-en-Laye, si entièrement et si franchement que nul n'a né
pêcherie, né justice haute né basse, né au cours né en l'yaue né ès rivages
en quelque terre que ce soit, fors l'abbé et le couvent de Saint-Denys, qui
aussi franchement la tient que les roys de France l'ont toujours tenue.
Pour ce qu'il avoit pris de l'or, de l'argent et des richesses pour ses
guerres maintenir contre ses frères, que les anciens rois et les princes
avoient laiens jadis offert par grande dévotion, volt-il donner aussi comme
en retour la foire du Landit, qui par tout le monde est renommée: et la fit
venir à Saint-Denys en France, tout ainsi comme Charles-le-Grant son aïeul
l'avoit apportée à Ais-la-Chapelle quant il ot apporté les reliques
d'outremer. Et tout avec autel pardon et autele franchise comme elle avoit
là où elle fu premièrement establie. Si donna avec, l'un des sains clous
dont nostre Seigneur fu attachié en la croix parmi les piés, et grande
partie des espines de la sainte couronne, et le dextre bras saint Siméon
dont il receut nostre Sauveur au jour de la Purification, quant il fu
offert au temple. Si donna-il un riche autel portrais de marbre pourfire
tout carré qui sied sur quatre petits pieds, et mit au front devant le bras
saint Jacques l'apostoile frère nostre Seigneur. En la dextre partie
enclost le bras saint Estienne le martyr, et au senestre costé le bras
saint Vincent. Et pour la rayson de ces trois saintuaires qui dedans sont
scellés et enclos, fu-il appelé l'autel de la Trinité. Si est assis sur
l'autel manuel au cuer du couvent, et est chascun jour chantée dessus la
messe matinel. Après donna laiens le hanap Salomon qui est d'or pur et
d'esmeraudes fines et fins granes, si merveilleusement ouvré que dans tous
les royaumes du monde ne fu oncques œuvre si soubtille. Avec ce donna
laiens une grant croix de fin or, qui est divisée en quatre parties et est
aornée de grand plenté de fines pierres précieuses, et aux quatre chiefs de
cette croix sont scellées et encloses soubtilement precieuses reliques des
corps sains, en chasses soubtilement ouvrées. Avec ce donna un autre grand
vaissel d'éleutre, si est aorné au milieu et tout à l'entour de grand
plenté de sardeines et de granes. Avec ce donna ung merveilleusement riche
joïel, si riche et si précieux que à peine le pourroit-on aprisier, tout
fait de saphirs et de rubis et d'émeraudes et d'autres manières de pierres
enchassées en or. Si est joint par trois ordres l'une sur l'autre, et est
mis sur le maistre-autel aux grans festes et est assis sur un siège
précieux. C'est à savoir: un vaissel de pur argent par dedans et par
dehors, soubtilement ouvré et couvert de bandes d'or aorné de grans saphirs
et fins, de grosses esmeraudes et de gros perles, et dedans ce vaissel est
scellé le bras saint Apollinaire le martir, qui fu le premier archevesque
de Ravenne et disciple saint Père. Avec ce donna cinq paires de tiextes
d'évangile soubtilement ouvrés d'or et de pierres précieuses; et si rendit
aux martirs sa grant couronne impériale, qui est pendue aux grans festes
devant le maistre-autel avec les couronnes des autres roys. Et si doit
chascun savoir que tous les roys de France doivent laiens rendre et offrir
aus martirs leurs couronnes dont il sont couronnés au royaume, ou envoier
quant il trespassent, car elle sont leur par droict. Et celle églyse est
aornée de draps de soie, de pailles d'or et d'argent et de pierres
précieuses, si est-elle garnie d'autres plus précieux aornemens; car elle
est raemplie et saoulée de précieux corps sains, martirs, confesseurs et
vierges, qui laiens reposent corporellement, dignement et honorablement.
Premièrement, le corps monseigneur saint Denys l'ariopagite, martir et
apostre de France, et de ses deux compaignons saint Ruth et saint
Eleuthère. Après, le corps saint Ypolite le martir et de sainte Concorde sa
nourrice, et le corps de monseigneur saint Eustace le martir, le corps
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