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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis

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eux la terre le conte Huon; et quant il vit qu'il ne pouroit durer, il

meisme prist une sele chevaleresse[322] et vint devant Richart l'enfant en

priarit mercy humblement de son mesfait. Lors rendi le conte Renaut et

donna bons ostages qu'il iroit à Rouen au duc Richart pour faire l'amende à

sa volenté. Ainsi retourna l'enfant Richart au duc son père.


Note 318:
Id.--id., c. 16.


Note 319:
Renaus de Bourgogne.
«Rainaldus trans Saona fluvium

Burgundionum comes.»


Note 320:
Venchier.
Venger. Nous gardons encore le mot revanche.


Note 321:
Milmande.
Wace écrit
Mismande
, et Guillaume de Jumièges

Milinandum
ou
Milbiandum
. On n'a pas bien reconnu ce lieu, jusqu'à

présent.»


Note 322:
Une sele chevaleresse.
Une selle de cheval. «Equestrem

sellam ferens humeris.»


[323]Au duc Richart, où tant avoit de graces et de bien, approchoit le

terme de sa fin. Quant il senti que sa maladie luy croissoit, il manda

Robert, l'archevesque de Rouen, et tous les nobles hommes de Normandie; et

leur dist qu'il ne povoit pas vivre longuement. Lors commencèrent tous à

plourer. Au derrenier appela son fils Richart et le fist duc de Normandie,

par le conseil de ses barons. A son fils Robert donna la conté d'Eu[324],

en telle manière qu'il en fist hommage à son fils Richart, comme à son lige

seigneur: et quant il eut ordené de son testament et d'autres besoingnes

temporels, si trespassa de ce siècle, en l'au de l'Incarnacion mil

vingt-six ans.


Note 323:
Willelm. Gemet. hist., lib. V, cap. 17.


Note 324:
D'Eu
ou mieux d'
Hiesmes
. «Robertum comitatûs
Oximensi

præfecit.»



VI.


ANNEE: 1026.


Coment les Bourguignons ne vouldrent recevoir à seigneur le roy Robert, et
coment par force d'armes il les soubmist. Coment il ferma le chastel de
Montfort et d'Espernon; et coment Thibaut File-estoupe ferma le chastel de
Montlhery.



[325]En ce temps mouru Henry, le duc de Bourgoingne. Toute sa terre laissa

au roy Robert, mais les Bourguignons ne le vouldrent pas recevoir à

seigneur; ains reçurent le conte de Nevers, qui avoit nom Landry, en la

cité d'Aucère, ainsi comme avoué contre le roy. Et le roy appela en son

aide Richart, le duc de Normandie, qui à luy vint à grant ost. Son ost

assembla d'autre part et assist la cité d'Aucère longuement; et tant i

séist que ceulx dedens luy rendirent par force la cité et la contrée et

Landry à sa volenté. Après mist le siège devant le chastel d'Avalon, et si

longuement y séist qu'il affama le chastel; et convint que ceulx dedens luy

rendissent la forteresse, et qu'il fussent obéissans à sa volenté. Atant

retourna en France et le duc en Normandie.


Note 325:
Chronicon Hugonis Floriacensis, anno 1002.


[326]En ce temps mouru Fromont, le conte de Sens. Après fu quens son fils

Renart, le plus desloiaux de tous les desloiaux. Si grant persécucion fist

aux églyses, que si grant ne fu oïe puis le temps des païens. Pour ce grief

que les églyses souffroient, l'archevesque Leuthaire estoit en si grant

angoisse de cuer qu'il ne savoit qu'il péust devenir. Mais touteffois

estoit-il en oroisons et en vigiles et prioit la divine pitié que elle luy

envoiast secours. Dedens la cité estoit le conte Renart aiant garnison de

sa gent et la tenoit à force contre le roy et contre l'archevesque. Mais

touteffois la prist l'archevesque par le conseil Renaut l'évesque de Paris

et tantost la livra au roy Robert. Le conte Renart eschappa et s'enfui tout

nu. Fromont, son fils[327], et les autres chevaliers de la garnison

s'enfuyrent en la tour et la tindrent tant comme il porent contre le roy,

et le roy la fist assaillir par meisme jour. En la parfin la prist, et

prist tous ceulx qui dedens estoient. Fromont, le fils le conte Renart,

envoïa en prison à Orléans, et là mourut.


Note 326:
Id.--id., anno 1005.


Note 327:
Son fils.
Le latin dit:
Son frère
.


[328]En ce temps fu faite banie de la seigneurie de Saint-Denis.[329]Cil

roy Robert ferma le chastel de Montfort et d'Esparnon. Une dame de Nogent

eut espousée; de celle eut deulx fils, Simon et Amaury, et cil Simon fu père

Amaury de Montfort et Berte la contesse d'Anjou; et cil Amaury fu père

Simon le conte de Montfort et la contesse de Meullent. Et madame la

contesse d'Anjou eut un fils qui eut nom Fouques, conte fu d'Anjou et puis

roy de Jhérusalem. Cil Fouques fu père Baudouin et Amaury, qui ambedeulx

furent roys de Jhérusalem l'un après l'autre. Et de cestui Fouques issi

aussi Geffroy, le conte d'Anjou, et la femme Thierry, le conte de Flandres.

Et cil Geffroy fu père le roy Henry d'Angleterre. Et sa suer, la contesse

de Flandres, eut deux fils: Philippe, le conte de Flandres, et Mathieu, le

conte de Bouloingne, et une dame qui fu femme Hues d'Oisy.


Note 328 Par
banie
, je crois qu'il faut entendre suppression,

extinction de la souveraineté qu'affectoient encore, en certains cas,

les rois de France et les seigneurs voisins de l'abbaye de

Saint-Denis. Le continuateur d'Aimoin, qui semble avoir ici copié le

texte original de notre traduction, pourroit faire soupçonner d'une

légère infidélité cette dernière. Il porte: «In tempore regis Roberti

Bema
fuit de dominio Sancti-Germani.» Mais qu'est-ce que
Bema
?


Note 329: Le tome X des Historiens de France n'a pas donné le texte

latin des passages suivans ni ces passages eux-mêmes. La raison qu'en

donnent les éditeurs est que les faits n'appartenoient plus au règne

de Robert. (Voy. pour le latin la continuation d'Aimoin, lib. V,

c. 46.) Au reste, le texte latin du continuateur d'Aimoin et du

chroniqueur anonyme a sans doute été tronqué dans cet endroit. Ce

doit être un seigneur nommé Amaury, qui,
au temps du roi Robert
,

auroit fortifié
Montfort
, auroit épousé une dame de Nogent, etc.


Au temps le roy Robert, ferma le chastel de Montlhery un sien forestier qui

avoit nom Thibaut File-estoupe. Cil eut un fils qui avoit nom Guy. Cil Guy

espousa la dame de La Ferté et de Gomez. De cette dame eut deux fils: Mille

de Bray et Guy le Rouge, et cinc dames, la contesse de Reiteste et

Bonnevoisine de Pons: Elysabel, femme de Jocelin de Courtenay, et la dame

de Puisat et la dame de Saint-Valery.


Cil Mille de Bray engendra Guy Troussel (qui puis s'en a fui d'Antioche et

laissa en la cité le bonne chevalerie assiégée des Sarrasins), et si

engendra Thibaut La Bouffe et Millon, que Thibaut de Creci estrangla en

trayson, et Renaut, l'évesque de Troies, et la mère Simon de Broies, et la

mère Simon de Dampierre, et la mère Hues de Plancy, et la mère Mille Crecy,

et la mère Salon, le visconte de Sens; et Guy engendra Hugues de Crecy, et

Biotte, la mère le visconte de Gastinois, et la mère Ymbert de Beaujeu, et

la femme Anseau de Gallande et Biétris, contesse de Pierrefons.


Au temps le roy Robert, fonda le chastel de Courtenay, Haston, le fils d'un

gastelier du chastel Renart, chevalier fu par son sens et par son

avoir[330]. Une grant dame espousa dont il engendra Jocelin de Courtenay,

et cil Jocelin espousa la fille le conte Gieffroy-Foirole. De celle dame

eut deulx fils[331] Guy et Renart, le conte de Joingny. Icil Jocelin, après

la mort de celle première dame, espousa Ysabelle, la fille Millon de

Montlhery. En celle engendra Millon de Courtenay, et Jocelin, le conte

d'Edesse, et Gieffroy Capalu. Cil Mille de Courtenay engendra trois fils de

la sereur le conte de Nevers: Guillaume, Jocelin et Renaut. Cil Renaut

engendra la femme Pierre, le frère le roy et la femme Avalon de Selgny.


Note 330:
Gastelier.
Pâtissier. Le latin se contente d'ajouter:

Militari honore se fecit sublimari.


Note 331: Ici notre traducteur passe un degré: «Filiam comitis

Gaufridi Fœrolem ex quâ genuit unam filiam quæ duos filios habuit.»



VII.


ANNEE: 1026.


Coment le roy Robert donna plusieurs dons et privilèges et franchises à
l'abbaïe de Saint-Denis. Après coment il trespassa.



[332]De ce roy Robert peut l'en moult de bien dire. Grant amour, grant

affeccion avoit à sainte églyse et à tous les sains de paradis,

[333]meismement aux glorieux martirs Saint-Denys et à ses compaingnons que

il tenoit à patrons et à deffendeurs du roïaume, si comme il pert aux

chartres de ses dons et des franchises qu'il donna à l'églyse, si comme

nous dirons ci-après. A un corps saint qui léans gist, et a nom saint

Ypolite, avoit merveilleusement grant dévocion et grant amour. Jà n'éust si

grant besoing pour quoy il fust au pays qu'il ne venist à sa feste, qui est

au mois d'aoust, deulx jours devant l'assompcion Nostre-Daine. Pour ce que

la feste fust encore plus solempnel, pour la présence de si grant homme,

estoit en my le couvent, et tenoit cuer avec le chantre tout revestu d'une

riche chappe de pourpre que il avoit fait faire pour soy proprement; et

tenoit en sa main le royal ceptre, et alloit par my le cuer de renc en

renc, chantant et exortant son couvent à chanter comme cil qui ardemment

amoit Dieu et sainte églyse. Si s'esjoïssoit avec les esjoïssans et

chantoit avec les chantans et par grant melodie de voyes faisoit prières

aux oreilles du souverain juge, de cuer et de bouche, et ainsi estoit

adés[334], jusques à tant que la messe estoit chantée.


Note 332 Cette phrase se retrouve dans toutes les chroniques

anciennes.


Note 333: A compter de là, notre traducteur suit, non pas les

paroles, mais le sens du
Liber de reliquiis ecclesiæ
Sancti-Dionysii
, publié par Duchesne, tome IV, p. 146. Le passage

auquel se rapporte notre traduction est transcrit dans le tome X des

Historiens de France, p. 380.


Note 334:
Adés.
Toujours.


Maintes belles chartres donna à l'églyse; la première, si fu que il

l'affranchi de maintes mauvaises coustumes, que ses sergens alevoient en la

ville et dehors[335]. Et si donna sa court et son palais que les autres

roys avoient tousjours eus léans, et y venoient tenir leur court aux festes

solempnels, comme à Noël et à l'Epiphanie et à Pasques et à la Pentecouste;

et de ce les franchi si que nuls roys ne puet né ne doit jamais i tenir

court, pour ce que le couvent soit en paix et qu'il puisse mieux entendre à

Dieu, faire prier pour le roy et pour l'estat du royaume; [336]et voult que

l'églyse fust absoulte du grief de tous ses voisins et meismement de

Bouchart à la Barbe qui lors tenoit un chastel en fié de l'églyse en une

île de Saine, de par sa femme, et sa femme d'un sien mary qu'elle eut eu

devant, qui avoit nom Hues Basset. Moult genoit cil Bouchart l'églyse et

ses hommes. Au roy s'en complaint l'abbé Vivien, qui l'églyse gouvernoit

pour le temps de lors. Amonesté fu que il se cessast de ces griefs; et pour

ce que cesser ne se volt, le roy, par le conseil de ses palatins[337],

commanda que le chastel feust abatu; et pour ce que le roy savoit bien que

cil Bouchart estoit esmeu contre l'églyse, il ordonna pour bien de paix,

par la volenté de l'abbé et du couvent, et permist qu'il fermast une

forteresse à trois miles de Saint-Denis[338] qu'il appelent Montmorency de

lez la fontaine Saint-Walery; par tel condicion que cil Bouchart et tous

ceux qui, après luy, seroient seigneur de celle forteresse, feroient

hommage à l'églyse du fié qu'il tenoit de par sa femme en la devant dite

isle, et au chastel de l'églyse et aux autres lieux. Et, avec tout ce, fu

adjousté que les fiévés[339] qui demourroient à Montmorency se metroient en

ostage en la court l'abbé deux fois en l'an: à Pasques et à la feste

St-Denys; né en nulle manière ne requerroient congié d'issir hors de laens

jusques à tant qu'il eussent respondu et rendu raison des choses de

l'églyse qui avoient esté soustraites, aménuisiées ou prises par Bouchart

ou par ses hommes, et qu'il auroient faite plenière satisfacion, selon

droit, au martir saint Denys de toutes ces choses, à la volenté de l'abbé

et du couvent. Et quiconque seroit trouvé en meffait vers l'églyse, et

s'enfuyroit après pour garantie à Montmorency, dedens les quarante jours

que Bouchart ou ceus qui après luy seront, seroit amonesté de par l'abbé

pour la justice de ce fait, il en ainenra le maufaiteur par devant l'abbé,

en sa court, pour justicier, par devant luy. Et se le maufaiteur ne se

veult ottroier aux condicions nommées, Bouchart ou ses successeurs le

boutera hors de toute sa seigneurie et le doivent avoir comme ennemy de

l'églyse jusques à tant qu'il s'abandonnera à justice de l'abbé. Toutes ces

condicions jura Bouchart pour luy et pour tous ceulx qui après luy

vendroient, en la présence du roy et des barons.


Note 335: Voyez la charte dont il s'agit, Hist. de France, tome X,

p. 581.


Note 336:
Ex chronicâ anonymâ.
Voyez Histor. de France, tome X

p. 303. Voyez aussi pour les détails l'autre charte de Robert,

reproduite dans le même volume, p. 593.


Note 337: Plusieurs manuscrits ont au lieu de ces derniers mots:
De
son plaisir
.


Note 338:
De Saint-Denis.
La charte dit: «Tribus leugis a castello

Sancti-Dionysii.» Ce château étoit Montjoie, et ce que l'on ignore

communément, c'est que ce château de Montjoie a été l'occasion du cri

de guerre de nos vieux rois de France:
Montjoie Saint-Denis!


Note 339:
Les fiévés.
Ceux qui relevoient du fief.


Après, conferma la chartre du roy Dagobert, fondeur de l'églyse, qui

commence au dessoubs de Mont-martre, au lieu proprement où le martir fu

décolé, et dure jusques à la voie commune qui mène à Louvres, que quanques

est contenu dedens celle enceinte est au pouvoir et au droit de l'églyse en

toutes justices et en tous cas, soit en voies communes et privées. Maintes

autres belles chartres donna à l'églyse qui ne sont pas cy nommées.


De ce siècle trespassa ce glorieux roy, en l'an de l'Incarnacion mil et

trente et un; et fu ensépulturé au cimetière des roys, c'est l'églyse

Saint-Denys qu'il avoit tant amée et honorée.


[340]
Incidence.
--Par l'enticement des fils au deable, commença contens

entre le jeune duc Richart et son frère Robert, qui, pour luy grever, se

mist au chastel de Falaise. Et le duc assembla son ost et assist le

chastel, longuement y fist assaillir; mais à la parfin firent-il paix

ensemble, et revint le conte Robert à sa subjeccion. A tant se despartirent

en bonne paix, et le duc Richart desparti son ost et retourna à Rouen, et

assez tost après mourut-il et plusieurs autres de sa gent, et cuida l'en,

certainement, que il fussent empoisonnés. Un petit fils eut qui avoit nom

Nicolas; à lettres fu mis en enfance, et fu puis moine de Saint-Oen de

Rouen et gouverna l'abbaïe glorieusement plus de cinquante ans après la

mort l'abbé Herfast.


Note 340:
Willelm. Gemet. hist., lib. VI, cap. 2.


[341]La duchée tint après le duc Robert. Jà soit ce qu'il fust fier et

couragieux vers les rebelles et vers ses ennemis, si estoit-il doulx et

humble vers l'églyse et vers ses ministres.


Note 341:
Id.--id., c. 3.



Ci fine l'istoire du bon roy Robert





CI COMMENCENT LES GESTES

DU ROY HENRI.






I.


ANNEE: 1031.


Coment la royne Constance voult déshireter Henri, son ainsné fils, du
roïaume, et voult faire roy de Robert, son mainsné fils. Et coment le roy
Henri humelia l'orgueil de sa mère et de tous les traitres.



[342]Des hoirs Robert, roy de France, estoit l'ainsné Henri. La royne

Constance, qui pas ne l'amoit comme mère ains le haioit comme marastre,

s'efforçoit en toutes manières de luy deshireter de la couronne, et de

couronner en lieu de luy Robert, son frère, duc de Bourgoingne. Pour ce,

s'enfui-il au duc Robert de Normandie, et luy requist, par la foy que il

luy devoit, que il fust en s'aide, envers sa mère, qui deshireter le

vouloit. Et le duc le reçut moult honorablement et luy donna de beaux dons;

et pou de temps après, luy donna armes et chevaux et l'envoia à son oncle

Mangier, le conte de Corbueil, et luy manda que il commençast et

contrainsist tous ceulx de son païs qu'il verroit qui seraient rebelles à

venir à l'hommage de Henri, leur seigneur. Il meisme mist bonne garnison de

chevaliers par tous les chasteaux de France qui près de luy estoient; et

ceulx qui à l'hommage le roy ne voloient venir, contrainst et humilia si

que par force les y convint venir pour faire sa volenté.


Note 342:
Willelm. Gemet. hist., lib. VI, cap. 7.


(Ainsi parolent une manière de croniques; et si, n'est-ce pas chose

contraire à ce que un autre dit, qui ainsi parole: Que)[343] la royne

Constance eut du roy Robert trois fils et une fille. Le ainsné fu cil

Henri, le second Robert et le tiers Hues, qui fu puis évesque d'Aucère; et

la fille eut nom Adelinde, qui fu puis femme Regnault, le conte de Nevers.

(Et puis si dient, en continuant la matière)[344], après que le roy Robert

fu mort, que la royne Constance prist et saisi grant partie du royaume,

comme Senlis, Sens et le chastel de Béthizy et de Melun, le Puisat[345],

Dammartin, Poissy et mains autres chasteaux et cités. Et tant avoit jà fait

qu'elle avoit à elle alié maint baron de France et de Bourgoingne qui

avoient laissié et adossé le roy Henri, leur droit seigneur; et

espéciaument Huedes, le conte de Champaingne, à qui elle avoit donné une

partie de la cité de Sens; si béoit en toutes manières à faire couronner

son mainsné fils, Robert, le duc de Bourgoingne. Et le roy Henri, qui

estoit chevalereux, vit que sa mère le vouloit ainsi deshireter, que par

elle, que par ses aides. Si assembla son ost et fist tant que par ses armes

et par sens, il abati l'orgueil de sa mère, et seurmonta tous et humilia

ceulx qui estoient contre luy. Et la première de ses batailles si fu contre

su mère, et fu le chastel de Poissy le premier qu'il recouvra. Après assist

le Puisat, et puis Meaux, et puis Melun et tous les autres aussi. Et quant

la mère vit la force et la vigueur de luy, si luy fu tart que elle se fust

accordée: à luy fist si bonne paix qui tant comme elle vesqui puis luy

porta foy et loïauté. Tantost après courut le roy sur Huedes, conte de

Champaingne, et luy tolli le chastel de Gournay et la moitié de Sens, que

sa mère luy avoit donnée, et le renvoïa arrière en sa seigneurie. Et après

courut sus Baudouyn, conte de Flandres[346], et assist longuement aucuns de

ses plus fors chasteaux; et à la parfin les prist-il et les abatti.


Note 343: Cette seconde chronique est entrée dans la continuation

d'Aimoin et dans le texte d'Hugues de Fleury. Voyez
Aimoni, lib. V,
c. 47
.


Note 344:
Hug. Floriac. chronicon, anno 1031.
(Voyez Historiens de

France, tome XI, p. 158.)


Note 345:
Le Puisat.
Latinè:
Pateolum
. Le
Puiset
, entre Étampes

et Orléans.


Note 346: Le texte d'Hugues de Fleury est ici mal rendu. Celui-ci dit

que le roi, de concert avec le marquis de Flandres Baudouin, renversa

Merville, château de Hugues Bardoul, et qu'après un siège de deux

ans, il entra dans le château de
Petuera
. «Post hæc verò, cum

marchione
Flandrensium Balduino, Hugonis Bardulfi castellum

Merisvillam evertit; et Petueram castrum, biennali obsidione

conclusum, suam redegit in potestatem.»


[347]En ce temps avint que Huedes, le conte de Champaingne, dont nous avons

parlé, assembla grant ost et grant orgueil contre les Allemans et les

Lorrains. Bataille y eut grant et périlleuse. En la parfin fu-il desconfi

et fu occis en fuyant devant la cité de Troies. Deux fils avoit: Thibaut,

Estienne. Thibaut, l'ainsné, eut Chartres et Tours, et son frère Troies et

Meaux.


Note 347:
Hug. Flor., anno 1037.


Assez tost après commencèrent cil deux frères à mouvoir guerre contre le

roy Henri, et le roy se combati premier contre Estienne, le mainsné, et le

desconfi et chaça assez légièrement, et prist, en celle bataille, le conte

Raoul. Après vainqui Galleran de Meulant[348] et saisi toute sa terre.

Après ces choses, le roy esmeut Geffroy, le conte d'Anjou, à guerroier

contre Thibaut, l'ainsné des fils le conte Huedes de Champaingne. La cité

de Tours assist, par l'assentement le roy; et le conte Thibaut vint là à

tout son povoir; et le conte Geffroy ala contre luy à grant force, et se

combati à luy et le prist à la parfin, et sept cent soixante chevaliers; et

assez tost après prist la cité de Tours.


Note 348:
Meulant. Medandicum
ou
Meldanticum
.


En ce temps fonda le roy Henri l'églyse de Saint-Martin-des-Champs de lez

Paris: et Geffroy, le conte d'Anjou, en fonda une autre[349] de la

Sainte-Trinité au chastel de Vendosme.


Note 349:
Une autre.
Hugues de Fleury dit:
Cœnobium
.



II.


ANNEES: 1031/1035.


Coment le duc Robert de Normandie ala au saint voïage d'outremer, et
coment il mouru au retourner.



(Robert, le duc de Normandie, dont l'istoire a dessus parlé, homme plain de

bonnes graces et de toutes bonnes meurs, ne forlignoit pas de la lignée

dont il estoit descendu, ainsi s'efforçoit plus et plus d'ensuivre les

nobles fais de ses ancesseurs; moult estoit renommé par victoires et par

œuvres de miséricorde. Mais pour ce que n'est pas notre entencion de

retraire les fais des Normans, fors par incidences et là où elles

s'afferront, ne voulons-nous pas tous ces fais descrire; car trop y aroit à

faire. Mais touteffois en donnons nous aucunes choses qui touchent en notre

matière, au plus briefment que nous porrons.)


[350]Au temps que Suènes, le roy de Danemarche, chaça Adelred, roy

d'Angleterre, hors du pays, s'en vint cil fuitis en Normandie au duc

Robert, (la cui sereur il avoit eu à femme,) et amena ses deulx fils avec

luy, Edouard et Alvret. En pou de temps après s'en repaira et laissa ses

deulx fils en la garde le duc Robert leur oncle. Et le duc les garda moult

honorablement et les ama autant comme ses fils, et moult avoit grant

compassion et grant pitié de leur essil. Pour ce manda au roy Suènes, qui

le royaume d'Angleterre tenoit lors, que bien estoit temps désoremais qu'il

eust pitié de ses nepveux, et que il leur rendist leurs terres pour l'amour

de luy; mais il ne voult oïr ses prières, ains s'en retournèrent les

messages sans rien faire. De ce fu le duc moult couroucié et moult honteux.

Tous ses princes manda tantost et fist appareillier grant navie de tous les

pors de Normandie, et les nefs aempli de bonne chevalerie et de gens toute

esleue, et fist tout assembler à Fescamp sur le rivage de la mer. Lors

s'espandirent en mer et furent boutés par tempeste qui les mena jusques à

une isle qui a nom Giersé. Et croy que ce fu fait par la divine ordenance,

pour le roy Edouart qui avoit à régner; que Dieu ne vouloit pas qu'il

regnast par effusion de sanc. Longuement demourèrent en celle isle, dont le

duc meisme fu si couroucié qu'il se tourmentoit tout de dolour et de

tristesse; et puis qu'il vit qu'il ne pourroit passer en Angleterre, si

fist la navie retourner droict au mont Saint-Michiel. [351]L'une partie de

la navie livra à Rabel, un très bon chevalier, et luy commanda à passer et

destruire Angleterre[352] par feu et par occision.


Note 350:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, c. 10.


Note 351:
Id.--id., c. 11.


Note 352:
Angleterre.
Le latin dit:
Britanniam
, et, par ce mot,

il falloit entendre la Petite-Bretagne.


[353]En ces entrefaites, vindrent les messages Chanut qui tenoit le royaume

d'Angleterre, et mandoit au duc qu'il estoit tout prest de rendre à ses

nepveux la moitié du royaume d'Angleterre, qu'il avoit convenancié, car il

estoit grevé de maladie. Et le duc fist tantost mander la partie de sa

navie qu'il avoit envoiée, si ne voult pas mouvoir en Angleterre si comme

il avoit commencié, jusques à tant qu'il fust retourné d'oultre-mer où il

désiroit moult à aler sur toutes riens, pour visiter le saint sépulcre et

les sains lieux de Jhérusalem. Robert, l'archevesque de Rouen, et tous ses

barons manda, et leur découvri ce qu'il proposoit à faire. De ce furent

tous esbahis et se doubtèrent moult que le pays ne fust troublé, pour le

deffaut de sa présence. Guillaume, son fils, fit venir devant tous et les

pria qu'il le receussent à seigneur pour luy et le tinssent désormais pour

duc de Normandie. Touteffois, pour ce que faire le convenoit,

accomplirent-il sa volenté; mais moult furent réconfortés de ce que

l'enfant leur demouroit, tout fust-il encore tendre et de jeune aage. Ainsi

le reçurent à seigneur et luy firent hommage.


Note 353:
Willelm. Gemet. hist., lib. VI, cap. 12.


Quant le duc eut ainsi tout ordené si connue il le désiroit, il livra son

fils en la garde de bons tuteurs et de sages, jusques à tant qu'il fust en

aage de terre tenir. A tant prist congié à toute sa gent à grans pleurs et

à grands gémissemens, et mut en son voïage à moult noble compaingnie. Moult

faisoit grant aumosnes et larges, chascun jour, aux povres notre Seigneur;

les orphelins et les veuves estoient relevés de ses richesses. Tant erra

par mer et par terre qu'il vint à Jhérusalem[354]. Qui pourroit racompter

les larmes dont il lava le saint sépulcre par quatre jours continuels et

les grans offrandes d'or et d'argent qu'il y offri? Et quant il eut visité

les sains lieux de Jhérusalem, si se mist au retour et revint jusque à la

cité de Nice. Là meisme le prist une maladie dont il acoucha au lit de la

mort, et trespassa de ce siècle à la joie de paradis, si comme l'en cuide,

plain de bonnes euvres; et sa sépulture fust en l'églyse de Nostre-Dame

dedens les murs de la cité, en l'an de l'Incarnation mil et trente-cinc.


Note 354:
Id.--id., c. 13.



III.


ANNEE: 1035.


Coment pluseurs guerres et occisions sourdirent en Normandie, et
deboutèrent l'enfant Guillaume de la duchée.



(Puisque nous avons descripte la fin et la mendre partie des fais le grant

duc Robert de Normandie, avenant chose est doncques que nous racomptions

aucunes choses par incidence des fais le duc Guillaume, son fils, qui fu

appelé Guillaume le Bastart: coment il eschiva les las et les agais de ses

ennemis, et coment il les dompta tous et mist soubs piés.)[355] Si come

vous avez oï demoura jeune et orphelin; mais toujours croissoit et amendoit

en bonnes mœurs par l'enseignement de ceux qui en garde l'avoient. A son

commencement le faillirent pluseurs et se tournèrent contre luy, et

s'abandonnerent à toutes rapines et à si grans dissencions que maint

milliers d'ommes en furent occis; [356]comme Hue de Monfort contre Gauchier

de Ferrières, dont l'un et l'autre en furent occis; et le conte Gillebert

refu occis en traïson par Raoul de Gaci[357]; et Turor, le maistre le duc

meisme, refu aussi occis par traïson par les eschis[358] du pays.


Note 355:
Willelm. Gemet. hist., lib. VII, cap. 1.


Note 356:
Id.--id., c. 2.


Note 357: Le latin est ici fort abrégé: «Gillebertus, comes Ocensis,

filius Godefridi comitis, callidus et fortis tutor Willelmi pueri sed

domini, quodam mane dum equitans loqueretur cum compatre suo

Wascelino de ponte Erchenfredi, nil mali suspicans, occiditur cum

Fulcoio filio Geroii. Hoc vero malum, dolosis hortatibus Rodulphi de

Waceio filii Roberti archiepiscopi factum est, per manus crudeles

Odonis Grossi et Roberti filii Geroii.»


Note 358:
Les eschis.
Les bannis.


Partout frémissoient guerre et dissencions et occisions: si ne doubtoient à

faire nul mal, pour ce jeune duc qui encore estoit en enfance. Et à ce, se

print garde Rogier Tohins, home estrait et descendu de mauvaise racine[359]

qui, au temps que le duc meut à aller oultre mer, estoit alé en Espaingne

où il fist mainte proesce sor les Sarrazins, (car il estoit home fier et

orgueilleux et preux aux armes.) Moult eut grant despit de ce que

Guillaume, l'enfant, estoit entré en la duchée après la mort de son père,

et dist que bastart ne devoit pas être héritier, né avoir né commandement

né seigneurie seur luy né seur les autres barons de Normandie. Et sans

faille, le duc Robert l'avoit engendré en une pucelle qui avoit nom

Herleve[360], fille de Fulbert, son chamberlent; ainsi estoit despis le

jeune duc Guillaume de tous les nobles homes du pays, et meismement[361] de

ceulx qui estoient descendus de la lignié de Richart. Si commença guerre

contre luy Rogier Tohins, par l'ayde que il avoit des nobles homes du pays.

Mais par une chose fu desavancié. Car il tenoit en despit tous ses voisins

et leur tolloit et gastoit leurs terres, et meismement la terre d'un sien

voisin Honfroy de Vielles; mais cil ne le souffri pas longuement, ains

envoya contre luy Rogier de Beaumont, son fils, et sa meisnie et sa gent.

Et quant Rogier Tohins le vist venir si ne le prisa noient, ains se combati

à luy, et fu occis en la bataille et ses deux fils, Elinard et Herbers.

Robert de Grant-Mesnil, qui là fu, reçut une grant plaie mortelle dont il

mouru trois jours après. [362]Et Rogier de Beaumont, qui ot eu victoire,

rendi graces à Dieu, et tant de temps comme il vesquit puis, s'estudia à

mener bonne vie et à faire bonnes euvres; et fonda une abbaïe de son propre

demaine qui est appelée Préaux et si se maintint bien et loiaument envers

le duc Guillaume et envers tous homes.


Note 359: Contre l'avis des éditeurs du 11ème volume des Historiens

de France, je pense que le traducteur de Saint-Denis s'est ici

trompé, et qu'il auroit fallu lire: «
De stirpe Malahulci
.» De la

race des Malehout, peut-être la même que celle des
Malaterra
.


Note 360:
Herleve.
Plus connue sous le nom d'
Harlote
ou

Arlette
. Wace la fait fille d'un bourgeois de Falaise:


A Faleize out li dus hanté...

Une meschine i ot amée

Arlot ot non, de Burgeis née

Meschine ert encore et pucele. (Vers 7991.)


Note 361:
Meismement.
Surtout. De
Maximè
.


Note 362:
Willelm. Gemet. hist., lib. VII, c. 4.


Tandis, croissoit et amandoit le duc Guillaume en sens et en forces. Si

s'averti coment sa terre estoit gastée et troublée par ses barons meismes.

Lors manda tous ses barons et ses princes et les atrait à amour tant comme

il pot, et les pria et commanda qu'il ne féissent, l'un à l'autre, chose

qui fust contraire à raison. Par le conseil de ses barons fit garde et

tuteur de soy et prince de sa chevalerie Raoul de Gaci et pluseurs de

nobles homes qui bien et loiaument luy obéirent volentiers et luy aidèrent

à plaissier ses ennemis.



IV.


ANNEES: 1044/1049.


Coment le jeune duc Guillaume recouvra sa duchée par l'aide du roy de
France. Et coment ses traitres furent desconfis et occis en bataille.



Mais les fils au deable, qui tousjours s'esjoïssent des guerres et des

dissencions[363], s'en alèrent en ce point au roy Henri et tant l'esmurent

par leur desloiauté contre le duc Guillaume,[364] qu'il dist que il ne

seroit en bonne paix de cuer, tant, comme le chasteau de Tillières

demourroit en ce point. Si ne regardoit or pas à l'onneur né à la

courtoisie que son père luy avoit jadis faite. Lors s'accordèrent les

princes de Normandie qui vers leur seigneur estoit loïaus, que l'on

s'accordast à la volenté le roy pour eschiver le contens et la guerre. A ce

s'accordèrent que le roy requerroit, dont il se repentirent puis.


Note 363: Guillaume de Jumièges ajoute ici, après avoir parlé des

auteurs de ces menées: «Quos nominatim litteris exprimerem, si

inexorabilia corum odia declinare nollem.» Cette réticence est

curieuse, et doit nous laisser penser que fréquemment l'obscurilé

dans les noms propres, chez les historiens du 11ème siècle, a été

calculée.


Note 364:
Willelm. Gemet. hist. lib. VII, c. 5.


Mais quant Gillebert Crespin, à qui le duc Robert avoit baillié le chastel

en garde, vit qu'il avoient ce esgardé que le chasteau fust rendu au roy,

il entra ens et le tint contre le roy, tout appareillié du deffendre. Là

vint le roy, mais moult fu courroucié de ce que le chasteau luy fu véé.

Arrière s'en retraist et assembla grant gent de Normandie et de France, et

assist le chastel moult efforciément; mais le duc proia tant Gillebert

Crespin que il convint qu'il le rendist au roy. Ce fist-il triste et

dolent, et maintenant que le chasteau fu rendu, fu le feu bouté et esprins

partout et fu ars en la présence de tous ceux qui là estoient.


De là se parti le roy, et assez tost après entra en la contée d'Auge[365]

et ardi une ville le duc, qui avoit nom Argenthom[366]. Au retour se mist;

par celle voie meime qu'il estoit alé vint droit au chasteau de Tillières

et assez tost le restora et le garni moult bien de gent: et si avoit-il dit

qu'il ne seroit restoré de ça un an. [367]Le duc Guillamne s'apperceu bien

du péril qui est en nourrir et essaucier felon et traiteur; car Guy, le

fils Renaut le conte de Bourgoingoe, le traïst en la parfin; si avoit esté

nourri en enfance avec luy, et luy avoit-il donné le chastel de Brioc[368],

pour ce qu'il le peust mieux lier à luy en amour et en loiauté; et tant

fist par sa malice que il perverti plusieurs des plus nobles hommes de

Normandie et les assembla contre le duc, leur droit seigneur. De ceste

alliance fu parçonnier Nigel de Coustances; si estoit au service le duc et

alié à luy par serement.


Note 365:
D'Auge.
Le latin porte:
Oximensem comitatum
, et Wace,

Wismes
. C'est
Exmes
, capitale au pays d'Auge (Pagus Oximensis).

Variantes,
Huiges
,
Eu
.


Note 366:
Argenthom.
Latinè:
Argentomum
. C'est
Argenton
, près

d'
Exmes
.


Note 367:
Willelm. Gemet. hist., lib. VII, cap. 17.


Note 368:
Brioc.
Variantes:
Brionne
. Wace dit aussi:


Et quant il l'ot fet chevalier

Li donna Briunne et Vernon

Et altres terres envirun.

(Vers 8765.)


Cepedant Guillaume de Jumièges nomme ce lieu:
Castrum Brioci<
; mais

la mention de la
Rille
, que nous allons trouver tout-à-heure,

prouve qu'il s'agit bien ici de
Brionne
.


Le duc, qui sagement regarda que les siens meismes l'avoient traï et du

tout guerpi, et chascun jour s'efforçoient de s'aider de ses villes

meismes, se doubta moult qu'il ne fust osté de sa seigneurie par force, et

que les traiteurs ne féissent seigneur de celuy qui telle envie luy

portoit. Henri, le roy de France, requist par nécessité, et le pria, comme

à son seigneur, que il luy aidast contre ses ennemis; et le roy, à qui il

souvint des bénéfices que son père luy avoit fais, assembla ses osts, en la

contée d'Uisme entra et vint jusques à Valdune[369]. Là trouva les ennemis

le duc, qui estoient trente mille par nombre; et le roy n'avoit avec luy

fors environ trois mille chevaliers. Le duc revint d'autre part à tout son

effort; sur les traiteurs coururent hardiement, et en pou d'eures en firent

si grant occision que ceulx qui ne furent occis au champ, s'enfuyrent et

furent noïés en l'eau d'Olne[370]. Beneureuse fu celle bataille où tant de

traiteurs furent occis, et tant de chasteaux et de forteresses trébuchèrent

en un jour.


Note 369:
Valdune
, dans le pays d'
Uimes
, ou
Hiesmes
. On ne

retrouve plus sur les cartes le nom de Valdunes; heureusement Wace,

qui connaissoit parfaitement cette partie de Normandie, nous en donne

exactement la position:


Valedumes est en Oismeis

Entre Argences et Cingueleis;

De Caun i puet-l'en cunter

Treis leugs el mein cuider.


Note 370:
Olne.
L'Orne.


De celle bataille eschappa cil Guy, qui celle traïson avoit bastie, et se

feri au chastel de Brioc; mais le roy et le duc allèrent après et

assistrent le chastel et garnirent les deulx rivages d'une eaue qui a nom

Risle. Quant Guy vit qu'il avoient ainsi les rivages garnis et que c'estoit

noient de vouloir eschapper, et d'autre part il sot que le chastel estoit

jà à l'afamer, si fist requerre pardon de son méfait, et le duc eut pitié

de luy, par le conseil de sa gent. Le chastel prist en sa main et luy

commenda qu'il demourast en sa maison avec sa propre mesnie tant seulement.

Lors furent hors de leurs espérances tous ceulx qui contre luy s'estoient

tournés; et meismement quant il virent que partie des chasteaux où il

avoient leur refuge furent abatus et l'autre partie fust garnie en la main

le duc. Lors vindrent à luy en mercy, et luy obéirent comme à leur

seigneur. Puis que les chasteaux et les forteresses furent ainsi abatues,

ne fu plus nul si hardi qui s'osast croler contre le duc. Si eut le duc

ceste victoire (par le roy Henri,) en l'an de l'Incarnacion mil quarante

sept.


Incidence.
--[371]En ce temps tenoit la contée de Montrueil Guillaume

Guerlant. Descendu estoit de la lignée le grant Richart. Un jour s'en vint

à luy un chevalier qui avoit nom Robert Bigot, et luy dist qu'il estoit

povre et qu'il ne se povoit chevir en ce pays; et puis luy demanda congié

d'aler en Puille où il auroit sa vie plus honorablement. Et le conte luy

dist: «Qui te fait ce faire?» Et cil respondi: «La povreté que je suefre.»

Et le conte respondi: «Sé tu me veulx croire, tu demourras en cest pays,

car tu verras tel temps dedens quatre-vingt jours en Normandie que tu

pourras ravir et prendre quanque tu vouldras, que mestier te sera sans nul

contredist.» Le chevalier le crut et demoura en telle manière. Ne demoura

pas puis longuement qu'il fu de l'hostel le duc et eut s'amour et

s'accointance, par un sien cousin qui avoit nom Ricnart. Un jour parloit le

duc privéement; si avint que entre les autres paroles luy dist le chevalier

ce que le conte Guillaume luy avoit dit. Mander le fist le duc maintenant,

et luy demanda pourquoi il avoit dit teles paroles. Cil ne le pot noier né

esclairier l'entencion de sa parole; et le duc luy dist tout couroucié:

«As-tu donc pourchacié et fait par quoy Normandie soit par toi troublée, et

que je sois deshérité par ton pourchas, qui proméis au chevalier

souffraiteux tant de proie et de rapines? Ainsi ne sera pas sé Dieu plaist;

ains aurons paix pardurable par le d'on de notre créateur. Si te commande

que tu vuide tantost Normandie et que tu ne sois si hardi que tu retournes

tant comme je vive.» Et cil s'en parti tantost et s'en ala honteusement en

Puille à un sien escuier; et le duc donna la contée de Montrueil à son

frère Robert. Ainsi humilia le duc ses orgueilleux parens qui luy venoient

de par son père; et ceulx qui luy appartenoient de par sa mère, qui humbles

estoient et débonnaires, essauçoit et élévoit.


Note 371:
Willelm. Gemet. hist., lib. VII, cap. 19.



V.


ANNEE: 1054.


Coment le roy, par l'enticement des envieus, guerroia Normandie, et coment
ses gens furent desconfis et occis par les Normans.



[372]Puis que les Normans orent conquist Neustrie, ne fust un jour que les

François ne leur portassent envie. Les roys esmouvoient encontre eulx et

leur faisoient entendre que il tenoient les terres que il avoient tollues à

leur ancesseurs. Par les paroles d'envieux fu le roy Henri si meu contre le

duc Guillaume, qu'il entra en Normandie à deulx paires d'osts: l'une de

fors chevaliers esleus envoia par devers Caux et la livra en conduit à

Huedes, son frère; l'autre mena il meisme en la contée d'Evreux, et en fist

chevetain Geffroy Martel. Le duc, qui vit ainsi son païs destruire, fu

moult dolent. Une partie de ses chevaliers envoia contre ceulx qui estoient

entrés en Caux, et il meisme prist l'autre et vint là où le roy estoit.

Ceulx qui en Caux furent envoies vindrent à Mortemer[373], là où les

François estoient. Là les trouvèrent où il ardoient tout et roboient et

honnissoient les femmes à force. Ensemble se combatirent d'ambedeulx pars

moult cruellement, et dura la bataille dès le matin jusques à nonne, sans

cesser, et trop en y eut d'occis d'une part et d'autre. Mais à la parfin,

les François, qui sans raison destruisoient le païs, furent desconfis (tout

ainsi comme le champion est plutost vaincu quant il se combast pour

mauvaise cause, que celuy qui se combast pour la bonne.)[374]


Note 372:
Will. Gemet. hist., lib. VII, c. 24.


Note 373:
Mortemer-sur-Eaulne
, entre Aumale et Neufchatel.


Note 374: Notre bon traducteur, que les rodomontades de l'historien

normand impatientent, se permet de rappeler la seule raison qui lui

semble plausible de l'infériorité de courage des François, dans cette

circonstance.


Moult fil le duc lié de ces nouvelles et pour ce qu'il vouloit le roy

espouvanter, envoia-il un message près des herberges sur une haulte

montaigne. Quant il fu nuit, haultement commença à crier; et ceus qui

faisoient le gait s'en allèrent celle part, et luy demandèrent pourquoy il

crioit et qui il estoit. «Je ay nom,» dist-il, «Raoul de Toene, et vous

apporte dures nouvelles. Allez à Mortemer, et menez chars et charettes, et

rapportez les corps de vos amis qui là sont occis. François estoient venus

pour esprouver la chevalerie des Normans, mais il l'ont trouvée plus grant
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