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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis
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      Note 673: 
Gesta Lud. jun., § 15.
      Note 674: 
Sécille. Cilicie.
      Note 675: 
Farci fluvius
, traduisent ridiculement les 
Gesta. Fauces
Orontis
Orontis
, dit très-bien le latin de 
Guillaume de Tyr
.
XI.
ANNEE: 1147.
Coment le prince d'Antioche reçut le roy de France et ses gens en sa cité,
moult honnorablement, et puis le voult traïr.
moult honnorablement, et puis le voult traïr.
[676]Raimons le prince d'Antioche oï la nouvelle que le roy Loys de France
estoit arrivé en sa terre et près de luy: grant joye en eut, car il avoit
moult désirée sa venue. Il prist avec luy des greigneurs barons de sa terre
et belle compaignie d'aultres gens et luy alla au devant: grant joye luy
fist et grant honneur, dedens la cité d'Antioche le mena luy et toute sa
gent. Le clergié et le peuple de la ville le receurent à procession moult
honnorablement et liement. Le prince se péna de faire quanqu'il cuida qui
deust plaire au roy. En France mesme quant il oï dire qu'il estoit croisié
luy avoit-il envoié grans présens et riches joyaulx pour ce qu'il avoit
espérance que par l'ayde des François il deust conquerre cités et chasteaux
sur ses ennemis et croistre bien en loing la puissance de la cité
d'Antioche, bien cuidoit estre seur que la royne de France Alienor luy
deust aydier et mettre son seigneur en telle volenté; cuar ele venoit en
celui pélerinage, et estoit niepce le prince, fille de son frère ainsné le
conte Guillaume de Poictiers. De tous les barons de France qui avec le roy
estoient venus n'en y eut oncques nul à qui le conte ne fist grant honneur;
et donna grans dons à chascun selon ce qu'il estoit. Par les hostels les
alloit veoir, de parolles s'acointa à chascun moult honnorablement et
débonnairement. Tant se fioit en l'ayde du roy qu'il luy fu jà advis que
les cités de Halape, Césaire et les autres forteresses aux Turs qui près de
luy estoient venissent légièrement en sa main. Sans faille ce peust bien
estre advenu qu'il pensoit, sé le roy eust eu volenté de ce enprendre, car
les Turs avoient grant paour de sa venue, si qu'il ne pensoient mie à tenir
contre luy leurs forteresses, ainsois avoient certain propos de tout
laissier et de fouyr s'il adressoit celle part.
      Note 676: 
Guill. de Tyr, liv, XVI., § 27.
Le prince qui la volenté le roy avoit essaiée par plusieurs fois privéement
n'y trouvoit mie ce qu'il voulsist. Un jour vint à luy devant ses barons et
luy fist les requestes au mieulx qu'il sceut. Maintes raisons luy monstra
que s'il vouloit à ce entendre, moult feroit grant proffit à son ame et
acquerroit la louenge du siècle, et la crestienté accroistroit de trop
grant chose. Le roy se conseilla et puis luy respondi qu'il estoit voué au
sépulcre, et que mesmement pour là aller s'estoit-il croisié et que depuis
qu'il estoit parti de son pays il avoit eu mains encombriers, pour ce
n'avoit talent de prendre nulles guerres jusques atant qu'il eust son
pellerinage parfait; et après ce, il orroit volentiers parler le prince et
les autres barons de la terre de Surie, et par leur conseil feroit à son
pouvoir le profit de la besongne Nostre-Seigneur.
Quant le prince oï qu'il ne feroit rien vers luy de ce qu'il pensoit, trop
le prist à mal. Et tant comme il put pourchassa contre le roy et de le
courroucier se péna en toutes manières, si que la royne sa femme mist-il en
tel point qu'elle le voulut laissier et se départir de luy. Maintes gens
firent assavoir au roy que le prince luy pourchassoit mal. Tantost eut
conseil à ses hommes celéement et par leur accord s'en yssi de nuit de la
cité d'Antioche si que ne le sceurent pas tous; dont n'eut mie telle
procession au départir comme il avoit eu à l'entrée. Assez y eut gens qui
dirent par la terre[677] que le roy n'avoit pas fait son honneur de s'en
partir ainsi du pays.
      Note 677: L'auteur des 
Gesta
 ajoute: 
Nec immerito
. Et Guillaume
      de Tyr semble pencher pour cette opinion défavorable. Nos chroniques
      ont jugé convenable de passer ce que dit d'Alienor Guillaume de Tyr:
      «Uxorem enim in idipsum consentientem, quæ una erat de fatuis
      mulieribus, aut violenter, aut occultis machinationibus, ab eo rapere
      proposuit. Erat... mulier imprudens, et contra dignitatem regiam
      legem negligens maritalem, tori conjugalis fidem oblita.»
      (Lib. XVI, c. 27.)
XII.
ANNEE: 1147.
Coment l'empereur d'Alemaigne s'en parti de Constantinoble, li et son ost
qui remés li fu, et ala parfaire son pélerinage en la sainte cité de
Jherusalem.
qui remés li fu, et ala parfaire son pélerinage en la sainte cité de
Jherusalem.
[678]Conrat l'empereur d'Allemaigne avoit séjourné tout l'iver en la cité
de Constantinoble et l'empereur Manuel luy avoit assez fait mains
compaignies et mains honneurs, si comme il afferoit à si haut homme. Quant
le nouveau tems fu venu, l'empereur Conrat eut volenté de parfaire son
pellerinage et d'aller en Jhérusalem. L'empereur Manuel luy fist
appareiller la navie telle comme elle avoit mestier à luy et à ses gens;
grant plenté de riches dons luy envoya au départir. Il entra en mer et les
barons avec luy qui demourés estoient. Si eurent bon vent si que il ne
demoura guères qu'il arrivèrent au port d'Acre. En la ville séjournèrent un
peu, et puis montèrent ès chevaux et vindrent en Jhérusalem. Le roy
Baudouin et le patriarche Foucher luy vindrent au devant à grant compaignie
de chevaliers, de barons et de bourgeois. Les clercs furent revestus et le
menèrent à procession dedens la cité, le peuple le receut à grant joye.
      Note 678: 
Gesta Lud. jun., § 16.--Guill. de Tyr., lib. XVI, § 28.
En celle saison mesme arriva au port d'Acre un vaillant homme du royaume de
France bon crestien et de grant cuer, conte de Tholouse; Alphons avoit nom,
fils le bon conte Raymont qui fu si bon prince et fist de si grans euvres
au premier ost des barons quant il prisdrent Antioche et Jhérusalem. Moult
avoit-on cestui attendu longuement en la terre de Surie. Car il avoient
espérance qu'il leur deust tenir grant lieu contre les ennemis de la foy.
De soy estoit-il saige et de grant emprise; mais encore l'honnouroit-on
plus en la terre de Surie pour son père que pour luy. Grans biens eust fait
au pays, mais trop tost fu désavancié: car quant il vint d'Acre pour aller
en Jhérusalem pour véoir le sépulcre et les autres sains lieux, et vint en
la cité de Césaire qui siet en la marine, illecques un fils du déable, l'en
ne scet qui ce fu né pour quoy il le fist, mais il l'empoisonna de venin
qu'il mist en sa viande. Tantost fu mort le preudomme; grant deul en firent
riches et povres par toute Surie.
XIII.
ANNEE: 1147.
Coment le roy de France vint en Jhérusalem pour son voiage acomplir. Et
coment il firent une assemblée en la cité de Acre, pour traitier du preu de
la crestienté.
coment il firent une assemblée en la cité de Acre, pour traitier du preu de
la crestienté.
[679]En la cité de Jhérusalem vint la nouvelle que le roy de France estoit
parti d'Antioche et s'en venoit tout droit vers la terre de Triple. Le roy
de Jhérusalem eut conseil à ses barons et envoya contre luy le patriarche
Foucher, pour luy prier et requerre que sans demourance se tirast vers la
saincte cité où l'empereur d'Allemaigne et le roy Baudouin l'attendoient.
Sans faille il s'attendoient et se doubtoient que le prince d'Antioche ne
s'accordast à luy et le fist retourner vers la sienne terre, ou que le
conte de Triple qui son cousin estoit ne le fist demourer en son pays. La
terre qui oultre mer estoit que les crestiens tenoient à ce jour estoit
toute partie en quatre baronnies. La première estoit devers midi, c'estoit
le royaume de Jhérusalem qui commençoit d'un ruisseau qui est entre Gibelet
et Barut[680]; ce sont deux cités de la terre de Fenice qui sient en la
marine: et finist ès désers qui sont oultre le Daron, si comme l'en va vers
Egypte. Je appelle le royaume baronnie, pour ce qu'il estoit ainsi petit.
La seconde baronnie estoit devers Bise, c'estoit la conté de Triple, et
commencoit au ruisseau que je vous ay dit[681], et duroit jusques à un
autre ruisseau qui est entre Marlenée[682] et Valenie, ce sont deux cités
près de la marine. La tierce estoit la terre d'Antioche qui commençoit de
ce dernier russel et duroit vers soleil couchant jusques à la cité de Tarse
en Sécile[683]: la quarte baronnie estoit la conté de Roches qui commençoit
d'une forest que l'en appelle Marris et duroit devers Orient oultre le
fleuve d'Eufratte jusques en Payennie. Ces quatre princes estoient grans
hommes et puissans.
      Note 679: 
Gesta Lud. jun.
, § 17.--
Guill. de Tyr., lib.
 XVI, § 29.
      Note 680: Les anciennes villes de 
Biblos
 et 
Beryte
.
      Note 681: L'ancien 
Tamyras
.
      Note 682: 
Marlenée.
 Les Gesta disent 
Marnelia
, et Guillaume de
      Tyr 
Maraclea
; ce doit être 
Margat
. L'ancienne 
Marathus-Valenie
,
      l'ancienne 
Balanca
.
      Note 683: 
Secile.
 Cilicie.--
Roches.
 Edesse.
Quant il oïrent parler premièrement de la venue l'empereur d'Allemaigne et
du roy de France, chascun d'eux eut grant espérance que par la venue d'eux
peust bouter ses ennemis les Turs arrières, et les termes de son povoir
mettre bien avant; car n'y avoit celluy d'eux tous qui n'eust en sa marche
bien près de Turs et bonnes cités et fortes que désiroient moult à
conquerre s'il eussent peu. Et pour ce estoient tous en grant suspens pour
eux accroistre; et chascun avoit envoyé lettres et riches joyaux à ces deux
grans princes et aux barons mesmes pour les attraire vers soy. Le roy
Baudouin cuidoit avoir meilleur droit en ce que le roy de France venist
vers luy que les autres n'avoient, car il estoit parti de son pays pour
visiter les sains lieux de Jhérusalem, d'autre part l'empereur estoit jà là
qui l'attendoit. Si estoit droit doncques que le roy deust plus tost aller
là que demourer ailleurs pour son pellerinage parfaire, et prendre conseil
entre luy et l'empereur des besongnes de la crestienté. Toutes voies pour
ce qu'il se doubtoit que les autres barons ne le receussent, envoya-il à
luy le patriarche, si comme je vous ay dit, qui luy monstra moult bien par
maintes raisons qu'il devoit mieux aller en Jhérusalem qu'ailleurs. Le roy
le creut et s'en alla sans demourance jusques en Jhérusalem. Là le
receut-on à moult grant feste: tous ceux de la ville luy yssirent hors à
l'encontre et mesmement les clers à toutes les processions.
Le roy et les autres barons le menèrent par les sains lieux qu'il avoit
moult désiré à véoir.
Quant il eut faites ses oroisons, à son hostel le menèrent qui fu riche et
habandonné. La court fu plenière et habondant de toutes choses[684]. Le
lendemain prindrent conseil l'empereur, le roy de France et le roy de
Surie, le patriarche et les autres qui là estoient, des affaires de la
terre, coment il seroient menés. Et par la volenté de tous fu accordé que
l'en prist un jour qu'il assemblassent tous en la cité d'Acre et
regardassent tous en quelle manière il pourroient mieux faire le preu de la
crestienté. Le jour vint, si s'assemblèrent tous les grans hommes qui venir
y peurent.
      Note 684: 
Gesta Lud. jun.
, § 18.
XIV.
ANNEE: 1147.
Des noms de ceulx qui furent à ceste assemblée en Acre, pour faire la
besoigne Nostre-Seigneur.
besoigne Nostre-Seigneur.
[685]Conrat l'empereur d'Allemaigne fu à ce parlement et messire Othes son
frère qui preux estoit et clerc, et évesque de Frisingue; Estienne évesque
de Mez en Loheraine; Henry évesque de Toul frère le conte Thierry de
Flandres; Theodins qui né estoit de Thiesche terre, évesque de Port[686],
qui par le commandement l'apostole estoit légat en l'ost l'empereur. Des
princes de l'empire y fu Henry duc d'Ostrice frère l'empereur et un autre
duc qui avoit nom Guelphes, riche homme et puissant; Ferry le duc de Souave
nepveu de l'empereur, fils de son frère ainsné qui fu empereur, et bien
gouverna l'empire par sens et par vigueur; Hernault le marquis de Véronne
et Bertous de Andes qui puis fu duc de Bavière; Guillaume le marquis de
Montferrat serourge l'empereur; le conte de Blandras qui avoit la seur au
marquis Guillaume espousée; ambeduis estoient haulx hommes de Lombardie.
Tous furent avec l'empereur, des autres y eut assez.
      Note 685: 
Guill. de Tyr, liv.
 XVII, § 1.
      Note 686: 
De Port.
 «Portuensis.»--
Tiesche.
 Allemande.
De l'autre part fu Loys le roy de France, et Geuffroy l'évesque de Lengres,
Arnoul évesque de Lisieux, Guillaume de Florence prestre cardinal de
l'églyse de Rome, au titre Sainte Chrysogone, légat du pape en l'ost du roy
de France; le conte Robert du Perche qui estoit frère le roy; Henry le fils
du viel conte Thibaut de Champaigne, jeune homme vaillant et large et de
grant cuer, et avoit à femme la contesse Marie fille le roy de France. Avec
eux estoit le conte Thierry de Flandres, riche prince et puissant, serourge
estoit le roy Baudouin. Si estoit là Yves de Neesle en l'éveschié de Noyon,
un home biaus et saige; mains autres preudomes eut du royaume de France que
l'on ne peut mie tous nommer. De la terre d'outre mer fu le roy Baudoin et
sa mère la bonne dame, saige et vigoreuse et de bonne contenance. Évesques
y avoit assez; il y fu Fouchier le patriarche de Jhérusalem, Baudouin
archevesque de Césaire, Robert archevesque de Nazareth, Roger évesque
d'Acre, Bernard évesque de Saiette, Guillaume évesque de Baruth, Adan
évesque de Belinas[687], Girard évesque de Bethleem, Robert maistre du
temple, Raymont maistre de l'ospital.
      Note 687: 
Belinas.
 L'ancienne 
Panéas
.
Des barons y furent Manassier, le connestable le roy Baudouin, Elinans de
Tabarie, Gérard de Saiette, Gaultier de Césaire, Payen sire de la terre
outre le fleuve Jourdain, Hunfrois de Thoron, Guillaume de Baruth. Assez en
y eut d'autres qui tous estoient assemblés dedens la cité d'Acre pour
prendre conseil en quelle partie on pourroit mieux faire la besongne
Nostre-Seigneur de affébloier ses ennemis et de croistre le povoir des
crestiens.
XV.
ANNEE: 1147.
Coment le conseil fu pour aler assegier la cité de Damas.
[688]Maintes paroles y eut dites en ce conseil et pluseurs raisons
monstrées, pour mener l'ost des crestiens en diverses parties. Mais au
dernier s'accordèrent tous à une chose et fu ferme le conseil à ce que on
iroit assegier la cité de Damas. Le ban fu crié que à un jour qui fu mis
venissent tous appareillés, chascun selon son povoir, en la cité de
Tabarie. Ce fu en l'an de l'Incarnacion Nostre-Seigneur mil cent
quarante-sept, le quinzième jour de may. Ces haulx hommes qui venus
estoient en pellerinage et les autres du royaume de Jhérusalem, et tous à
cheval et à pié, vindrent en la cité de Tabarie[689] qui est appellée en
l'évangile Césaire Phelippe. La vraye croix fu là apportée, si comme il
estoit de coustume au temps de lors, car elle alloit la première ès grans
besongnes. Illec parlèrent les grans hommes à ceux de la terre qui bien
sçavoient l'estre du païs et mesmement la situation de la cité de Damas.
Ceux donnèrent conseil aux barons que on mist peine que les jardins de
Damas fussent premièrement pris, car il ataignoient une grande partie de la
ville et moult y a grant forteresse où les Turs de la ville se fioient
trop. Bien sembloit estre voir que sé l'en povoit les jardins prendre, la
cité ne se tendroit pas longuement. Le lendemain il murent tous ensemble et
passèrent le mont de Libane qui est moult renommé en l'Escripture, et si
est entre ces deux cités Belinas et Damas. Et quant il furent descendus de
celle montaigne il vindrent jusques à une ville qui a nom Daire. Illec se
logièrent tous ensemble. Moult fu beau l'ost à veoir, car il y avoit grant
plenté de pavillons tous neufs et de maintes manières. Près estoient de la
cité de Damas à quatre lieues ou à cinq, si qu'il povoient véoir tout
plainement la ville. Les Turs mesmes qui dedens estoient montoient ès murs
et sur les tours, pour regarder l'ost dont il avoient trop grant paour.
      Note 688: 
Gesta Lud. jun.
, § 19.--
Guill. de Tyr, liv.
 XVII, § 2.
      Note 689: Il falloit ajouter avec le 
Guill. de Tyr
 latin: 
Et de là
à Panéas qui est
à Panéas qui est
, etc.
XVI.
ANNEE: 1147.
Coment la noble baronie des crestiens assegièrent la cité de Damas par les
jardins, dont il orent moult à faire.
jardins, dont il orent moult à faire.
[690]Damas est la greigneur cité d'une terre qui a nom la Mendre Surie, qui
est appellée par autre nom la Fenice de Libane, dont le prophète dit: Le
chief de Surie Damas un sergent d'Abraham la fonda qui estoit appellé
Damas; de luy fu elle ainsi nommée. Elle siet en un plain de quoy la terre
est are[691], stérile et brehaigne, sé ce n'est tant comme les
gaigneurs[692] la font fertille et plentureuse, par un fleuve qui descent
de la montaigne qu'il mènent par conduis et par chaneaus, là où mestier
est, devers la partie d'orient. Ès deux rives de ce fleuve croist moult
grant plenté d'arbres qui portent fruit de toutes manières. Si comme il fu
jour et l'ost des crestiens fu armé ainsi comme il estoit devisé, de toutes
leur gens ne firent que trois batailles. Le roy d'oultre mer avoit la
première, pour ce que ses gens sçavoient mieux le pays que les pellerins
estranges qui y estoient venus. La seconde fist le roy de France pour
secourre, sé mestier fust, à ceux qui les premiers alloient. L'arrière
garde fist l'empereur et ceux qui de sa terre estoient. En celle manière
s'en allèrent vers la cité, et estoit vers le soleil couchant celle part
dont nos gens venoient. Les jardins estoient devers bise qui durent bien
quatre lieues ou cinq, tous plains d'arbres si grans et si espés que ce
sembloit une grant forest, selon ce que chascun y a son jardin clos de murs
de terre: car en ce pays n'a mie plenté de pierres. Les sentiers y sont
moult estrois d'un vergier à autre; mais il y a une commune voye qui va à
la cité où va à paine un homme atout son cheval chargié de fruit. De celle
part est la cité trop forte pour les murs de pierres dont il y a tant et
pour les ruisseaux qui cueurent par tres-tous les jardins et pour les
estroictes voyes qui sont bien clouses deçà et delà. Accordé fu que par là
s'en iroit tout l'ost vers la cité pour deux choses: l'une ce fu que sé les
jardins estoient pris, la ville seroit ainsi comme desclose et demie prise;
l'autre si fu qu'il y avoit là grant plenté du fruis tous meurs par les
arbres qui grant mestier aroient en l'ost, et pour les eaues qui celle part
couroient, dont l'ost avoit bien mestier et pour les hommes et pour les
chevaux.
      Note 690: 
Gesta Ludov. jun.
, § 20.--
Guill. de Tyr, liv.
XVII, § 3.
      Note 691: 
Are.
 Aride.
      Note 692: 
Gaigneurs.
 «Agricolæ.»
[693]Le roy Baudoin commanda que ses gens se missent dedens les jardins:
mais trop y eut grant force à aller par là; car derrière les murs de terre,
deçà et delà des sentiers, y avoit grant plenté de Turs qui ne finoient de
traire par archières qu'il avoient faictes espesséement, et à ceux ne
povoient avenir les nostres. Si en y avoit assez de ceux qui se mettoient
appertement en la voye contre eux et leur deffendoient le pas, car tous
ceux qui povoient armes porter s'estoient mis hors et deffendoient à leur
povoir que nos gens ne guaignassent les jardins. Il y avoit de lieux en
lieux bonnes tournelles et haultes que les riches hommes de Damas y avoient
fait faire pour eux logier, sé mestier estoit, quant il faisoient cueillir
leurs fruis; ycelles tours estoient lors moult bien garnies d'archiers qui
grant mal faisoient à nos gens. Et quant on passoit près de ces tournelles,
on gettoit sur eux de grosses pierres; moult estoient à grant meschief:
souvent les feroit-on de glaives par les archières des murs de terre qui
estoient deçà et delà. Assez en occirent en celle manière et hommes et
chevaux, si que maintes fois se repentirent les barons de ce que il avoient
empris asseoir la ville, de celle part.
      Note 693: 
Gesta Lud. jun.
, § 21.
XVII.
ANNEE: 1147.
Coment les nos gaignièrent les jardins et le fleuve à grant paine et
chacièrent les Tiers dedens la cité.
chacièrent les Tiers dedens la cité.
[694]Grant despit en prist sur soy le roy Baudouin et tous les barons. Bien
virent qu'il ne pourroient en telle manière passer jusques à la ville, sans
trop grant dommaige. Lors se tournèrent ès costés de la voye et
commencièrent à dérompre et à abattre les murs de terre. Les Turs qu'il
trouvèrent dedens la closture de ces mars sourprisrent, si qu'il ne les
laissèrent mie passer outre les autres murs, ainçois en occirent assez et
mains en retindrent pris. Ainsi le firent les nostres ne sçay en quans
lieux.
      Note 694: 
Guill. de Tyr, liv.
 XVII, § 4.
Quant les Turs, qui estoient espandus par les jardins, virent que les
nostres alloient ainsi abattant les murs et occiant la gent, trop furent
espovantés; si s'en fouirent vers la ville. Les jardins laissièrent et s'en
fouirent à grans routes dedens la cité. Lors allèrent les nostres tout à
bandon[695] parmi les sentiers; mais les Turs s'estoient bien pensés que
les nostres auroient mestier de venir au fleuve pour abeuvrer eux-mesmes et
leurs chevaux: et pour ce, si tost comme il s'apperceurent que la cité
seroit assiégée de celle partie, il garnirent moult bien la rive du fleuve
d'archiers et d'arbalestriers. De chevaliers y misrent assez pour garder
que les nostres n'approchassent du fleuve. Quant la bataille du roy
Baudouin eut presque passé tous les jardins, grant talent eut de venir au
fleuve qui couroit près des murs de la cité; mais quant il approchèrent,
bien leur fu contredicte l'eaue et furent par force les nostres reboutés
arrière. Après se rallièrent et emprisrent à gaigner l'eaue; aux Turs
assemblèrent et fu l'assault aspre et fier; mais les nostres furent
reboutés arrière. Le roy de France chevauchoit après à tout sa bataille et
attendoit pour secourre aux premiers quant mestier en seroit et qu'il
seroient las. L'empereur, qui venoit derrière, demanda pourquoi il estoient
arrestés; et l'en luy dist que la première bataille s'estoit assemblée aux
Turs qu'il avoient trouvé hors de la ville.
      Note 695: 
A bandon.
 A qui mieux mieux.
Quant les Thiois qui peu scevent de tous atiremens d'armes et sont une gens
qui rien ne peuvent souffrir[696] oïrent ce, tantost se désordonnèrent et
coururent tous à desroy; et l'empereur mesme y fu; parmi la bataille le roy
de France passèrent tous sans conroy jusques à tant qu'il vindrent aux
poignéis sur l'eaue. Lors descendirent tous de sus leur chevaux et misrent
les escus devant eux, et tindrent les longues espées, asprement coururent
sus aux Turcs, si que il ne leur peurent résister et ne demoura guères
qu'il laissièrent l'eaue et se misrent dedens la ville[697]. L'empereur
fist à celle venue un coup de quoy l'on doit à tousjours mais parler; car
un Turc le tenoit moult de près qui estoit armé de haubert. L'empereur fu à
pié et tenoit en sa main une moult bonne espée. Il féri le Turc entre le
col et la senestre espaule, si que le coup descendi parmi le pis au destre
costé. La pièce chéi qui emporta le col et la teste et le senestre bras.
Les Turcs qui ce virent ne s'arrestèrent plus illec, ainçois s'en fouirent
en la ville. Quant il racomptèrent aux autres le coup qu'il avoient veu, il
n'y eut si hardi qui n'eust paour, si que tous furent désespérés qu'il ne
se peussent tenir contre telles gens.
      Note 696: Le traducteur transforme en reproche une observation de
      Guillaume de Tyr qui n'avoit pas ce caractère: «Imperator... tam ipse
      quam sui de equis descendentes et facti pedites (sicut mos est
      Theutonicis, in summis necessitatibus, bellica tractare negotia).»
      Note 697: 
Gesta Ludov. jun.
, § 22.
XVIII.
ANNEE: 1147.
Coment l'ost fu délogié des jardins par le conseil d'aucuns princes
desloyaux et traitres de Surie qui firent entendant qu'il prendroient la
cité de l'autre part, dont elle n'avoit garde de assaut.
desloyaux et traitres de Surie qui firent entendant qu'il prendroient la
cité de l'autre part, dont elle n'avoit garde de assaut.
[698]Le fleuve et les jardins eurent nos gens gaignés tout à délivre[699].
Lors tendirent leur pavillons entour la cité. Grant doutance eurent les
Sarrasins en toutes manières; si montèrent sus les murs et regardèrent
l'ost qui trop estoit beau, quant il fu logié. Bien se pensèrent que si
grans gens avoient bien povoir de conquerre leur ville. Paour eurent moult
grant qu'il ne fissent aucune saillie soudainement par quoy il entrassent
dedens et les occissent tous. Pour ce prisrent conseil entre eux et fu
accordé que par toutes les rues de la ville de celle partie où le siège
estoit, l'en mist de bonnes barres de gros bois en plusieurs lieux. Pour ce
le firent que sé les nostres se mettoient dedens, tandis comme il
entendroient à copper les barres, que les Turs s'en peussent aller par les
portes et mener à sauveté leur femmes et leur enfans. Bien sembloit qu'il
n'eussent mie couraige de la ville deffendre moult longuement, s'il
estoient à meschief, quant il s'atournoient jà à fouir[700]. Assez estoit
légière chose de faire si grant fait que de prendre la cité de Damas, sé
Nostre-Seigneur y eust voulu ouvrer. Mais pour les péchés de la crestienté
et pour ce, par aventure, qu'il destinast celle grant chose à faire et
acomplir par autres gens en aucun temps, souffrit que la malice au déable
qui cueurt tousjours et est preste à mal destourba celle haute besongne.
Mains Sarrasins y avoit jà qui avoient troussé toutes les choses qu'il
prétendoient à emporter quant il s'enfuiroient. Mais les plus saiges de la
cité se pourpensèrent que des barons de la terre y avoit mains qui estoient
de trop grant convoitise; bien cogneurent que les cuers des crestiens qui
là estoient assemblés ne vaincroient-il mie par bataille, pour ce voulurent
essayer à vaincre les cuers d'aucuns par avarice. Si envoyèrent à ces gens
leur avoir qui est moult grant et leur promisrent et bien leur asseurèrent
que ainsi le feroient comme il leur promettoient, s'il povoient tant faire
que le siège se partist d'illec. Bien est voir que ces barons furent de la
terre de Surie; mais leur lignaiges né leur noms né les terres que il
tenoient ne nomme pas l'ystoire[701], espoir, pour ce qu'il y avoit encore
de leur hoirs qui pour rien ne l'eussent souffert. Ces barons qui avoient
empris le mestier Judas de pourchascier la traïson contre Nostre-Seigneur
vindrent à l'empereur et au roy de France et au roy de Jhérusalem qui moult
les créoient et leur disrent que ce n'avoit pas esté bon conseil d'assiéger
la cité par devers les jardins, car elle y estoit plus forte à prendre que
de nulle autre partie: pour ce disrent qu'il requeroient à ces grans
seigneurs et leur louoient en bonne foy que avant qu'il gastassent là leurs
peines et perdissent leur temps, il feroient l'ost remuer et asseoir la
cité en ce costé qui estoit tout droit contre celluy qu'il avoient assis.
Car, si comme il disoient, ès parties de la ville qui sont contre Orient et
contre Midi n'avoit né jardin né arbre qui destourber les péust à venir là;
le fleuve n'y couroit mie qui fust fort à gaigner. Les murs estoient illec
bas et fèbles, si qu'il n'y convenoit jà engins à drecier, ainsois pourroit
bien estre pris de venue.
      Note 698: 
Guillaume de Tyr, liv.
 XVII, § 5.
      Note 699: 
A delivre.
 Sans réserve aucune.
      Note 700: 
Gesta Lud. jun.
, § XXIII.
      Note 701: C'est-à-dire: Guillaume de Tyr.
Quant les princes et les autres barons les oïrent ainsi parler, bien
cuidièrent qu'il le déissent en bonne foy et en bonne entencion. Si les
creurent et firent crier parmi l'ost que tous se deslogeassent et
suivissent les barons qu'il leur nommèrent. Les traitres se misrent devant;
tout l'ost menèrent près de la ville jusques à tant qu'il furent en la
partie de quoy il scavoient de vray qu'elle n'avoit garde d'assaut et où
l'ost avoit plus grant souffrete de toutes choses, si qu'il ne pourroient
illec longuement demourer. Là demourèrent les barons et les princes et
firent l'ost logier tout entour. Si n'eurent guères demouré en celle place
qu'il s'apperceurent certainement que trahis estoient et que par grant
malice les avoit-on fait illec venir: car il avoient perdu le fleuve de
quoy si grant plenté de gens ne se povoient passer; et aussi les fruis des
jardins dont il avoient assez aise et délit.
XIX.
ANNEE: 1147.
Coment l'ost des Crestiens, vilainement traï, laissa le siège de Damas
pour la grant souffraite qu'il orent de vivres.
pour la grant souffraite qu'il orent de vivres.
[702]Viande commença du tout à faillir en l'ost, si que tous en eurent
grant souffrete et mesmement les pélerins des estranges terres: car il n'en
povoit point venir de Surie, et ceux en estoient povrement garnis pour ce
que on leur avoit fait entendant que la cité seroit prise où il en
trouveroient assez. Car elle ne se pourroit tenir en nulle manière, ce
disoit-on: pour ce ne se voulurent-il guères chargier de viandes. Quant il
se virent en tel point que toutes choses leur failloient qui mestier leur
avoient, trop furent courroucés et esbahis, né ne s'entremirent oncques
d'assaillir la ville, car ce eust esté paine perdue, et aussi de retourner
en la place où il se logièrent premièrement n'eust pas esté légière chose:
car si tost comme il furent partis, les Turs issirent hors hastivement
illec et tant y firent de barres de fors bois espès et longs, où il misrent
si grant plenté d'archiers et d'arbalestriers que ce eust esté plus légière
chose de prendre une fort cité que de demourer illec. Du demourer en la
place sçavoient-il de voir que ce ne povoit estre, car il ne povoient avoir
né à boire né à mengier. Pour ce parlèrent ensemble le roy de France et
l'empereur, et disrent que ceux de la terre en la foy desquels et en la
loyauté il avoient mis leur corps et leur hommes pour la besongne
Jhésucrist, les avoient trahis très desloyaument et les avoient amenés en
ce lieu où il ne povoient faire le profit de crestienté né leur honneur.
Pour ce s'accordèrent tous qu'il s'en retournassent d'illec el bien se
gardassent désormais de traïson.
      Note 702: 
Gesta Lud. jun., § XXIV.--Guill. de Tyr., liv. XVII, § 6.
En telle manière s'en partirent les deux plus haulx hommes et les plus
puissans de crestienté qui riens n'y firent à celle fois qui fust
profitable né honnorable à Dieu né au siècle. Moult commencièrent à
desplaire à ces grans hommes les besongues de la saincte terre né riens ne
vouldent puis entreprendre. La menue gent de France disoient tout en appert
aux Suriens que ce ne seroit bonne chose de conquerre les cités; car néis
les Turs y valoient mieux qu'il ne faisoient. Jusques au temps que celle
chose fust ainsi avenue demouroient volentiers les gens de France et assez
légièrement au royaume de Jhérusalem et mains grans biens y avoient fais.
Mais depuis ce temps ne peurent estre si d'accord à ceux du pays comme il
estoient devant; et quant il venoient aucunes fois en pellerinage si s'en
retournoient-il au plus tost qu'il povoient.
XX.
ANNEE: 1147.
Coment il fu enquis diligeamment par qui ceste traïson fu faite; et coment
toute la baronie fu mal encoragié vers ceux de Surie, qui ceste grant
félonnie avoient pourchacié.
toute la baronie fu mal encoragié vers ceux de Surie, qui ceste grant
félonnie avoient pourchacié.
[703]Pluseurs gens se misrent maintes fois en enqueste de demander aux
saiges hommes qui avoient esté a celle besongne pour savoir certainement
coment et par qui celle traïson avoit esté faicte et pourparlée. Celluy
mesmes qui ceste hystoire fist[704] le demanda pluseurs fois à maintes gens
du pays: diverses raisons en rendoit-on. Les uns disoient que le conte de
Flandres fu plus achoisonné[705] de ceste chose que nul autre, non pas pour
ce qu'il en sceust rien né qu'il consentist la traïson, car si tost comme
il vit que les jardins de Damas estoient gaingnées et le fleuve pris par
force, bien luy fu avis que la cité ne se tendroit pas longuement. Lors
vint à l'empereur et au roy de France et au roy Baudouin et leur pria moult
doucement qu'il luy donnassent celle cité de Damas quant elle seroit prise
et conquise. Ce mesme requist-il aux barons de France et d'Allemaigne qui
bien s'i accordèrent, car bien leur promettoit que bien la garderoit et
loyaument et bien guerroierait leur ennemis.
      Note 703: 
Gesta Lud. jun., § XXV.--Guill. de Tyr., lib. XVII, § 7.
      Note 704: C'est-à-dire: Guillaume de Tyr, dont on reproduit
      exactement le sommaire. «Memini me frequenter interrogasse et sæpius
      prudente-viros.... ut compertum historiæ mandarem præsenti, quænam
      tanti mali causa fuerit.... Quorumdam erat opinio quod comitis
      Flandrens sium factum quoddam occasionem præstiterat huic malo....»
      (Will. Tyr., lib. XVII, c. 7.)
      Note 705: 
Achoisonné.
 Inculpé, soupçonné.
Quant les barons de Surie l'oïrent dire, grans courroux en eurent et grant
desdaing de ce que le haut prince qui tant de terre avoit en son pays et
estoit là venu en pellerinage vouloit ores gaingner en celle manière l'un
des plus nobles et riches membres du royaume de Surie. Mieux leur sembloit,
sé le roy Baudouin ne la retenoit en son demaine, que l'un d'eux la déust
avoir. Car il sont tousjours en contens et en plais aux Sarrasins et, quant
les autres barons retournent en leurs pays, il ne se meuvent, car il n'ont
riens ailleurs. Et pour ce qu'il leur sembloit que celluy voulsist tollir
le fruit de leur travail, plus bel leur estoit que les Turs la tenissent
encore qu'elle fust donnée au conte de Flandres. Pour ce destourber
s'accordèrent à la traïson faire. Les autres disoient que le prince Raymont
d'Antioche qui trop estoit malicieux, puis que le roy de France se fu parti
de luy par mal, ne cessa de pourchascier à son povoir coment luy rendroit
ennui et destourbier de son honneur. Pour ce manda aux barons de Surie qui
estoient ses acointes et leur pria de cuer qu'il missent toute la paine
qu'il pourroient à destourber la louenge et le pris du roy, si qu'il ne
fist chose qui honnorable fust. Par sa prière avoient-il ce pourchascié.
Les tiers dient la chose ainsi comme vous oïstes premièrement, que par
grant avoir que les Turs donnèrent aux barons fu celle desloyauté faicte.
[706]Grant joye eut en la cité de Damas quant virent ainsi en aller si
grant gent qui contre eux estoient assemblés. Encontre ce tout le royaume
de Jhérusalem en fu courroucié et desconforté. Et quant ces grans hommes
s'en furent partis si fu assigné un grant parlement où assemblèrent tous
les haus barons et les meneurs. Là fu dit que bonne chose seroit qu'il
fissent un grant fait dont Nostre-Seigneur fust honnouré et par quoy l'en
parlast d'eux à tousjours mais en bien. Illec fu ramentu que la cité
d'Escalonne estoit encore au povoir des mescréans, qui séoit au milieu du
royaume, si que sé l'en la vouloit assiéger, de toutes pars pourroient
venir viandes en l'ost pour quoy ce seroit légère chose de prendre la
ville, qui longuement ne se pourroit tenir contre si grans gens. Assez fu
parlé entre eux de celle chose. Mais rien n'en fu accordé pour ce qu'il y
avoit destourbeurs qui mieux s'en amoient retourner que assiéger cités en
Surie. Si n'estoit mie de merveilles sé les estranges pellerins de France
et d'Allemaigne avoient perdu le talent de bien faire en la terre, quant il
véoient ceux du pays mesme qui Dieu et eux-mesmes avoient trahi, et le
commun proffit destourbé et empeschié, si comme il apparut devant Damas. Il
sembloit que Nostre-Seigneur ne voulsist rien faire de sa besongne par ses
gens, et se départist le parlement ains que nulle riens y eut empris.
      Note 706: 
Gesta Lud. jun.
, § 26.
XXI.
ANNEE: 1150.
Coment l'empereur d'Allemaigne s'en parti tantost de Jhérusalem, et s'en
ala en son païs; et le roy de France, quant il ot là séjourné un an, s'en
vint en France.
ala en son païs; et le roy de France, quant il ot là séjourné un an, s'en
vint en France.
[707]L'empereur Conrat vit que l'afaire de la terre d'oultre mer estoit en
tel point que ne povoient pas bien estre les barons d'un accord de faire né
d'emprendre chose qui vaulsist, si que les preud'hommes disoient que
c'estoit hayne de Dieu; et il avoit assez à faire d'entendre à gouverner
son empire. Pour ce fist appareiller sa navie, et prist congié de ceux qui
demouroient et s'en entra ès nefs et s'en revint en son pays. Mais ne
vesqui-il mie plus de deux ans ou de trois, ainsois mourut en la cité de
Paembert[708] et enterré moult honnorablement en la maistre églyse de
l'éveschié. Moult fu bon prince, piteux et débonnaire, grant de corps, fort
et biau chevalier, bon et hardy, bien entéchié de toutes choses. Ferry son
nepveu duc de Souave de qui vous oïstes dire qu'il estoit allé en ce
pellerinage avec son oncle, fu empereur après luy. Jeune homme estoit, mais
de trop grant manière fu saige et vigoreux.
      Note 707: 
Gesta Lud. jun., § 27.--Guill. de Tyr, liv.
 XVII, § 8.
      Note 708: 
Paembert.
 Les 
Gesta
 écrivent: 
Paembort
. C'est
Bamberg
, en Franconie.
[709]Le roy Loys de France quant il eut demouré en la terre un an entier et
ce vint au terme que on appelle au pays le passaige de mars, si fu en
Jhérusalem le jour de Pasques et sa femme et ses barons. Puis prist congié
au roy Baudouin, au patriarche et aux autres de la terre[710]. Les nefs
furent appareillées et il entrèrent ens, sans destourbier s'en vindrent en
France. Après ce que il fu revenu ne demoura pas longuement que la royne
Aliénor se délivra d'une fille qui eut nom Aalis.
      Note 709: Ici, l'édition des 
Historiens de France
, tome XII,
      p. 201, termine la lacune qu'elle a laissée dans le texte des
Chroniques de Saint-Denis
.
      Note 710: A compter de là, nos chroniques quittent Guillaume de Tyr
      et reviennent à l'
Historia gloriosi regis Ludovici VII.--Hist. de
France, t. XII
France, t. XII
, page 127.
XXII.
ANNEE: 1150.
Coment le roy aida Henry, fils le conte d'Angiers, à conquerre
Normandie, et cil li en fist hommaige; et coment il se révéla contre luy.
Normandie, et cil li en fist hommaige; et coment il se révéla contre luy.
Après ce que le roy Loys fu repairié de la voye de la terre d'oultre mer ne
demoura pas moult que Jouffroy le conte d'Anjou et Henry son fils qui
depuis fu roy d'Angleterre vindrent devant le roy de France et firent leur
complainte du roy Estienne d'Angleterre, et luy monstrèrent que il leur
tolloit par sa force le duchié de Normandie et le royaume d'Angleterre. Et
le roy qui vouloit tenir à droit tous ceux qui soubs luy estoient si comme
il appartient à dignité de roy, et garder à chascun sa droicture, manda ses
osts et entra en Normandie et la prist et puis la rendit à Henry le fils au
conte d'Angiers et puis le receut à homme lige de celle terre mesme. Et
celluy Henry, pour ceste bonté et ceste ayde que le roy luy avoit faicte,
luy donna par ottroy de son père le Vouquessin Normant qui est entre
Epte[711] et Andelle tout quittement. En celle terre sont ces chasteaux et
forteresses: Gisors, Néauffle, Estrepagny, Dangu, Gamaches, Haracheville,
Chasteauneuf, Baudemont, Bray, Tornay[712], Bucaille, Nogent sur Andelle.
      Note 711: «Inter 
Itam
 et Andelam.» C'est bien l'Epte, et non pas
      l'
Iton
, comme a traduit sans réflexion M. Guizot.
      Note 712: 
Tornay.
 L'
Hist. glor. regis Lud.
 porte 
Tornucium
.
      C'est donc plutôt 
Tourny
, aujourd'hui village à trois lieues des
      Andelys, que 
Gournay
, d'après la leçon préférée par dom Brial.
Par ceste manière que vous avez oï restora et rendi le roy Loys Normandie
au tricheur Henry, né pas n'apperceut la tricherie et la desloyauté qu'il
luy basti depuis et pourchassa. Car l'ystoire racompte qu'il se contint
vers luy selon le proverbe au villain qui dit que quant plus on essauce
felon et desloyal de tant plus s'enorgueillist.
En ceste manière ouvra celluy Henry vers le roy Loys son seigneur qui duc
de Normandie l'avoit fait; et comme orgueilleux et rebelle refusa à faire
et prendre droit en sa court. Le roy qui ceste chose prist en grief et en
eut grant desdaing s'en alla à grant ost au chasteau de Vernon et le prist;
puis en tolli un autre qui a nom le Neuf-Marché. Au derrenier quant celluy
tricheur Henry vit qu'il ne pourvoit durer, si se tourna à mercy en la
manière de tricherie de Regnart; et faignit vraye humilité affin qu'il
peust recouvrer ce qu'il avoit perdu: et promettoit faulsement que jamais,
jour qu'il vesquist, ne dresseroit la teste vers son seigneur. Et le roy
qui tousjours fu doux et débonnaire luy monstra lors mesme sa grant
débonnaireté, car il luy rendit les deux chasteaux qu'il luy avoit tolu.
XXIII.
ANNEE: 1152/1154.
Coment le roy fu desparti d'Aliénor, sa femme, pour cause de lignage, et
coment il espousa une autre qui eut nom Constance, fille l'empereur
d'Espagne.
coment il espousa une autre qui eut nom Constance, fille l'empereur
d'Espagne.
Après ce avint que je ne scay quels gens du lignage le roy vindrent à luy
et luy firent entendant, si comme voir estoit, qu'il y avoit lignage entre
luy et la royne Aliénor et que près estoient du monstrer par serment. Et
quant le roy oï ce, il respondi que contre Dieu né contre saincte églyse ne
la vouloit-il pas tenir à femme. Et pour ceste chose enquerre fist le roy
assembler au chasteau de Baugency le mardi devant Pasques-flouries Huon
l'archevesque de Sens, et fu en celle assemblée Sances l'archevesque de
Rains et Hues celluy de Rouen et celluy de Bourdeaux et plusieurs de leurs
évesques et des barons de France grant partie.
Lors se tirèrent avant grant partie de ceux qui le lignage vouloient
prouver, et firent le serment les cousins et les parens et dirent que le
roy et la royne estoient bien prochains parens; et ainsi furent départis
l'un de l'autre. Si avint après ceste séparacion que la royne Aliénor s'en
alloit en sa terre en Aquitaine; si la prist à femme le duc de Normandie
Henry qui depuis fu roy d'Angleterre. Et le roy Loys maria ses deux filles
que il avoit eues de la royne Aliénor; l'ainsnée qui Marie avoit nom donna
au conte Henry de Champaigne, et la mainsnée qui avoit nom Alaïs à son
frère le conte Thibaut de Blois.
Le roy qui selon la divine loy vouloit vivre qui commande que l'en prègne
femme selon la droicte ordonnance de saincte églyse et soient ambedeus une
mesme char, prist en espouse la fille l'empereur d'Espaigne, en espérance
d'avoir hoir masle qui après son décès gouvernast le royaume de France.
Celle dame qui Constance avoit nom envoya querre par Huon l'archevesque de
Sens. Quant il l'eut amenée, si l'oignit et couronna et elle et le roy en
la cité d'Orléans.
Après un peu de temps qu'il eurent esté ensemble conceupt la royne et
enfanta une belle fille qui fu appellée Marguerite, et depuis fu donnée en
mariage par l'atirement de la court de Rome à Henry le fils le roy
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