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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis
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les anciens du pays tesmoingnent que nul n'y assemble qui paix y puisse
faire sé ce n'est moult par grant adventure.
Note 479:
Planches sur une eau.
Suger dit:
Plancas Nimpheoli.
C'est
Néaufle
, près de la rive occidentale de l'Epte, à une petite
lieue de Gisors.
Sur celle rivière où il n'avoit nul gué où nul peust passer se logèrent les
osts d'une part l'un, et d'aultre part l'autre. Par grant conseil furent
esleus les plus haus hommes et les plus sages de France qui au roy anglois
furent envoyés et passèrent par dessus ung pont qui près d'illec estoit et
estoit si foible et de si grant vieillesse qu'il croulloit. Si estoit
merveille que ceulx qui par dessus passoient à haste ne trébuchoient aval.
Quant là furent venus ceulx qui la parolle du roy devoient porter, pour la
querelle dont le contens estoit, l'un commença à parler sans le roy saluer,
moult saigement par la bouche de tous[480], et dit en telle manière.
Note 480:
Par la bouche de tous.
Suger dit:
ore comitum;
c'est-à-dire à peu près, il me semble,
au nom des pairs de France
,
juges entre les deux rois. Ce passage est important. Pour le mot
insalutato rege
, dom Brial propose de corriger:
Salutato
. «Vix
enim credibile est,» ajoute-t-il, «adeò incomptos fuisse mores
illorum temporum, ut regem orator nulla prævia salutatione, ausus
fuerit alloqui.» Cette observation n'est pas judicieuse. L'usage
parfaitement établi étoit alors que les envoyés du roi de France près
d'un vassal rebelle ne le saluassent pas et lui tinssent de la part
de leur maître les plus insolens discours du monde. Tous les romans
de chevalerie composés à cette époque en font foi. Dans ce temps-là,
le
salut
étoit un acte de sincère et loyale amitié, il avoit pour
but d'appeler la protection de Dieu sur celui auquel on l'adressoit.
Comment donc deux ennemis se seroient-ils mutuellement salués?
«Cogneue chose est, sire roy, que quant vous éustes receue la duché de
Normandie de la main du roy de France, comme celle qui est de son propre
fief, que entre les aultres choses et par dessus toutes les aultres
convenances fust ce espéciallement fait, accordé et juré du chasteau de
Bray et de Gisors, que par quelque marché ou convenance qu'il advenist, le
quelque soit de vous deux eust de l'ung de ces deux chasteaux la saisine,
et que dedens les quarante jours qu'il l'aurait receu, il seroit tenu à
abattre le chasteau pour l'attirement des convenances qui avoient esté
jurées. Et pour ce que vous ne l'avez ainsi fait, veut le roy de France et
commande que vous le faciez. Et ce que vous ne luy avez fait veut que vous
luy amendiez par convenable loy. Et comme roy et loy convegnent une mesme
seigneurie, grant deshonneur est au roy quant il trespasse loy. Et s'aucun
des vostres est tel qu'il l'ose nyer né dire contre, nous sommes près du
prouver et de l'attendre par loi de bataille et par le tesmoingnage de deux
barons ou de trois.»
Après ces paroles s'en retournèrent les messagiers. Mais il n'estoient
encores guères que retournés quant ne scay combien de Normans vindrent
devant le roy de France et commencèrent vergongneusement à nier ces
convenances et à dire quanqu'il peurent pour malmetre et laidir la cause,
et requéroient que la querelle fust menée par droit; mais ne requéroient
aultre chose que la besongne délayer et mettre en respit, si que la vérité
ne fust descouverte et manifestée à tant de barons et de preudes hommes
qu'il avoit là assemblés. Avec ces messagiers furent autres envoyés au roy
anglois de par le roy de France, qui offrirent au dernier celle querelle
par loy de bataille, par la main Robert, conte de Flandres, qui depuis fut
roy de Jhérusalem[481]; si estoit merveilleux chevalier et moult noble aux
armes.
Note 481: Le latin est mal rendu: «Robertum Hyerosolimitanum,
palaestritam egregium.» Robert II ne fut jamais roi de Jérusalem.
Quant le roy anglois et ses gens eurent oye celle offre, il ne
l'ottroyèrent né ne contredirent en aucune manière; et les messages furent
retournés pour dire ce qu'il avoient trouvé. Si renvoya tantost arrières le
roy Loys, comme cellui qui moult estoit courageux et hardy, grant et
vertueux de corsage; et partoit un tel jou[482] au roy anglois, qu'il
abattist le chastel, ou il se combattist à lui cors à cors, pour la foy
deffendre qu'il avoit vers luy faussée et mentie comme son homme lige. Et
si luy dist et fist dire par dessus que à celui devoit estre la paine et le
travail de la bataille à qui la gloire et le mérite devoit estre de la
victoire. Et disoit: «Traient soy arrière vos gens du rivage du fleuve tant
que nous puissons passer, afin que le lieu seur donne à chascun plus
seurté: ou, sé mieulx lui plaist, donne chascun de nous hostaiges des plus
haulx barons de son ost de combatre corps à corps sans avoir ayde de ses
gens. Et se tirent arrière vos gens seulement tant que nous soyons passés,
car aultrement nous ne pourrions passer l'un à l'autre.» Si en y eut aucuns
de nostre ost qui par seule ventance crioientet disoient que la bataille
des deux roys fust sur le pont qui à paine se soustenoit, tant estoit viel
et croullant. Et ce mesme requéroit et vouloit le roy Loys par la légèreté
et la hardiesse de son cuer.
Note 482:
Partoit un tel jou.
Ancienne façon de parler que Dom
Brial n'a pas comprise. Elle est empruntée aux
Jeux-partis
,
chansons dialoguées dans lesquelles on soutenoit deux manières de
résoudre la même question.
Partir un jeu
, c'étoit précisément
poser un dilemme
.
A ce respondi le roy Henry: «Je ne prens mie la chose si en gros que je
perde pour telles parolles mon chasteau qui tant me vault et qui si bien
siet, et me mette en telle adventure.» Toutes ces choses refusa et debouta
et dist encore: «Quant je verray que je me doive deffendre du roy de France
je ne l'eschiveray pas, comme cil qu'il offre et qui ne peut ores advenir,
pour le grief du lieu.»
Pour ceste responce du roy Henry furent moult esmeus les François, si qu'il
coururent aux armes et le roy d'aultre part et aussi les Normans d'aultre.
Et commencièrent à courre l'ung à l'autre jusques aux deux fleuves qui
l'ost départoient. Si que ce tant seullement qu'il ne peurent passer le
fleuve destourna grant dommaige et grant occision qui à ce jour fust
advenue. Et quant la nuit approcha si s'en départirent et s'en allèrent les
Anglois à Gisors et les François à Chaumont. Mais si tres-tost comme le jour
parut les François qui pas n'oublièrent la honte du jour de devant, et pour
l'ardeur de chevalerie dont il estoient esprins, s'armèrent et montèrent
sur leurs coursiers et s'en allèrent devant Gisors et se pénèrent moult de
monstrer aux fers des lances lesquels valent mieulx et de combien sont
mieulx prisés les adurés d'armes[483] de ceulx qui ont apris le repos. Car
les Normans qui alors issirent contre eulx furent arrière reboutés parmi la
porte moult honteusement.
Note 483:
Les adurés d'armes.
Les guerriers vieillis sous le
harnois. L'expression de Suger est moins pittoresque. «Quantum
præstent multo marte exercitati, longâ pace solutis.»
En ceste manière commença la guerre entre les deux roys qui dura près de
deux ans. Si en fu le roy anglois plus grévé que celluy de France pour ce
qu'il luy convenoit garnir les marches de Normandie de grant plenté de
chevaliers et de sergens, pour la terre deffendre. Et le roy Loys ardoit
tandis la terre et la destruisoit, et gastoit tout le pays sans
entrelaissier; et par l'ayde des Flamens et des Pohiers[484], et des
Voquessinois et des aultres contrées qui marchissoient à la Normandie[485].
Si avint depuis que Guillaume fils au roy Henry fist hommaige au roy Loys,
et le roy luy augmenta son fief de cellui chasteau, par paix et par amour
espécial; et par raison de ce revindrent depuis en leur ancienne amour.
Mais avant que ce peust estre y eut mains mors et destruis qui coulpe n'y
avoient[486].
Note 484:
Pohiers.
C'est-à-dire des habitans de Ponthieu. Suger
dit: «Flandrensium, Pontivorum, Vilcassinorum et aliorum
collimitantium.....» Voilà le sens du mot Pohier bien déterminé.
Note 485: Le manuscrit du roi, n° 8305.5-5 ajoute ici:
Et quant li
rois Henris vit qu'il ne la porroit deffendre, si eut conseil qu'il
la laissast à Guillaume son fils. Si avint, etc.
rois Henris vit qu'il ne la porroit deffendre, si eut conseil qu'il
la laissast à Guillaume son fils. Si avint, etc.
Cela n'est pas dans
le latin, comme Dam Brial l'a remarqué.
Note 486: Cette réflexion du traducteur vaut mieux que celle de
Suger: «Quod antequam fieret, mirabilis ejusdem contentionis
occasione, et execrabilis hominum perditio mirabili punita est
ultione.»
IV.
ANNEE: 1109.
Coment Guy, sire de la Roche Guyon, fu murtri en traïson en son chastel.
Et coment les barons de Vouquessin prisrent le chastel et les traitres
dedens, et coment illec furent justiciés.
Et coment les barons de Vouquessin prisrent le chastel et les traitres
dedens, et coment illec furent justiciés.
Sur le rivage de Saine est ung tertre merveilleux sur cui fu jadis fermé
ung chasteau trop fort et trop orgueilleux[487], et est appellé la Roche
Guyon, en si haulte entrée et ferme que à peine peut-on voir jusques au
soumet du tertre. Le sens de celluy qui le chasteau compassa premièrement
fist au pendant du tertre et au trenchant de la roche une cave à la
semblance d'une maison, qui avoit esté faicte par destinée, si comme les
anciens disoient, et illec, si comme les fables dient, souloient
anciennement prendre les respons de Appolin par une petite entrée, ainsi
comme par un petit huisset[488].
Note 487: Le latin dit:
Horridum et ignobile castrum
.
Note 488: Notre traducteur est ici la dupe des souvenirs classiques
de Suger, qui ne manque guère de citer les poètes anciens quand
l'occasion ou le prétexte s'en présente. «Antrum, ut putatur,
fatidicum in quo Apollinis oracula sumantur, aut de quo dicit
Lucanus:
«............. Nam quamvis Thessalas vates
Vim faciat fatis, dubium est quid traxerit illuc,
Aspiciat Stygias, an quod descenderit umbras.»
Le sire de ce chasteau avoit nom Guy, jeune bachelier estoit et preux aux
armes. Si avoit laissée et mise jus toute la traïson de ses prédécesseurs,
comme cellui qui honnestement et comme preud'homme prétendoit à vivre sans
tollir et sans embler. Et si eust-il fait par adventure s'il eust vescu
longuement. Mais par l'euvre et la traïson du félon des félons fut
désavancié; si vous diray coment. Il avoit un serourge[489] qui Guillaume
avoit nom, Normant estoit de nation et l'un des plus desloyaux traictres
que l'on sceust; moult estoit son amy et son famillier si comme celluy Guy
cuidoit; mais il estoit moult aultrement. Car celuy traitre le cuidoit
surprendre en son chasteau par traïson, si comme il fist depuis. Il advint
ung dimenche au soir, si comme il avoit gardé son point, qu'il entra en une
églyse à grant compagnie d'autres traitres qu'il avoit amenés avec luy tous
armés de haubers dessous les chappes[490]. Celle églyse où ceulx entrèrent
avec les premiers qui là alloient pour Dieu prier estoit bien près de la
maison d'icelluy Guyon par la Roche qui trenchée estoit. Et le traitre si
armé comme il estoit sous sa chappe faisoit aucunesfois semblant d'aourer
et toutesvoyes regardoit par où il pourroit entrer à celluy Guyon, tant
qu'il apparceut un huys par où celluy Guyon venoit en l'églyse. Si
s'adressa incontinent vers luy et entra dedens à force luy et sa desloyalle
compaignie. Si tost comme il furent dedens sachièrent les espées et courut
ce traitre à icelluy Guyon et frappe et refrappe forment sur celluy qui
garde ne cuidoit avoir de nullui et l'occist.
Note 489:
Serourge.
C'est une faute; il falloit
gendre
.
Note 490:
Dessous les chappes.
«Loricatus sed cappatus.» La
cappa
est ici un manteau.
Et quant sa femme, qui tant estoit preude et saige, vit ce, si se traist
par les cheveux comme esbahie et se prist à esgratigner et à despécier son
visaige comme femme hors du sens. Après couru à son mary sans paour de mort
et sur luy se laissa cheoir et le couvrit de soy-mesme encontre les coups
des espées et commença à crier en telle manière: «Moy,» dist elle «très
desloyal murtrier occis, qui l'ay desservi et laisse monseigneur.» Les
coups et les plaies que les traitres donnoient à son mary recevoit
elle-mesme, et disoit: «Doulx amy, doulx espoux, que as-tu fait à ces gens?
dont n'estiez-vous pas bons amis ensemble, comme gendre doit estre vers son
seigneur, et sire vers son gendre? Quelle forsennerie est-ce? Vous estes
tous enragiés et hors du sens.» Et les traitres la prisrent par les cheveux
et l'arrachèrent de dessus son mary toute navrée et detrenchiée de glaives,
et la laissèrent toute enverse ainsi comme morte. Après, retournèrent à son
seigneur et le occirent tout incontinent et le firent mourir de cruelle
mort; et aussi tous les enfans qu'il peurent léans trouver escervellèrent à
la roche.
Quant il curent ce fait, si cerchèrent partout leans s'il trouveroient plus
nullui. Lors leva la tête la povre dame qui à une part gisoit toute
estendue; et quant elle congneut son seigneur qui jà estoit mort et gisoit
tout despécié parmi la salle, si s'efforça tant pour la seue[491] amour
qu'elle avoit vers luy, qu'elle vint à luy si despéciée comme elle estoit
tout rampant à guise de serpent: et si sanglant comme il estoit le commença
à baiser ainsi comme sé il eust esté vif. Et à ploureuse chançon luy
commença à rendre ses obsèques en telle manière: «Mon chier amy, mon chier
espoux, qu'est-ce que je voy de vous? avez-vous ce desservi par la
merveilleuse continence que vous meniez avec moy et en ma compaignie, ou
parce que vous aviez délaissée et mise jus la félonnie et la desloyauté
vostre père et vostre ayeul et vostre besayeul?» Autant dist seulement et
puis chéi pasmée comme morte. Si n'estoit nul qui l'un de l'autre sceust
despartir, tant estoient touilliez en leur sang.
Note 491:
Seue.
Sienne; de
sua
.
Au dernier, quant le desloyal murtrier les eut gettés et habandonnés comme
porceaux et se fu saoullé de sang humain à guise de beste sauvage, si se
refrena atant. Adont commença à regarder et à louer le chasteau plus qu'il
n'avoit oncques mais fait, et à remirer le siège et la force de la Roche et
se conseilloit à luy-mesme coment il pourroit grever et espoventer les
François et les Normans. Son chief mist hors par une fenestre et appella
les nais[492] du pays et leur promist à faire moult de biens s'il luy
vouloient faire hommaige et luy tenir foy. Mais oncques n'y eut nul qui
dedens voulsist entrer avec luy.
Note 492:
Nais.
Natifs.
Assez tost fut oïe la nouvelle de cest horrible fait, et le lendemain
espandue par tout Vouquessin, dont les barons et chevaliers du pays furent
tous esmeus de ire et de mautalent; et pour ce qu'il se doubtoient que le
roy Henry d'Angleterre ne fist secours aux traitres et se garnist de la
forteresse, assemblèrent chevaliers et sergens chascun selon son pouvoir et
s'en allèrent devant la Roche hastivement, que nul n'en peust issir né ens
entrer. Et le chemin devers Normandie garnirent de leur autre ost pour les
Normans que il ne leur envoiassent secours, et mirent grant garnison de
sergens et de gens à pié au pié de la Roche: et quant il eurent ce fait, si
mandèrent la besongne au roy Loys et luy mandèrent qu'il leur mandast sa
volenté qu'il feroient des traitres. Et le roy leur manda qu'il fussent
fais mourir de laide et villaine mort. Quant l'ost eut jà sis devant le
chasteau ne scay quans jours, et le traitre vit qu'il ne faisoient se
croistre non de jour en jour, si se doubta moult et mesmement quant il
apperceut l'orrible cas qu'il avoit fait. Lors fist tant qu'il parla à
aucuns des barons de l'ost et leur commença à promettre moult grans dons en
telle manière qu'il fissent paix à luy et que il demourast au chastel par
aucune manière de paix, et tousjours mais seroit en leur service et au
service le roy de France. Mais il refusèrent du tout en tout ses parolles
et ses promesses et luy reprochèrent sa desloyalle traïson et que tantost
en seroit vengence prinse.
Quant il oï ce, si fu tout abattu et vaincu de paour et leur dist que s'il
vouloient luy assigner terre en aucun lieu et luy donner seurté tant qu'il
s'en fust allé, il leur livreroit le chasteau. Asseuré fu par serment de ce
et luy jurèrent plusieurs; mais peu y eut de François qui jurassent ce.
Pourloignée fu l'issue du traitre pour l'achoison de la terre asseoir et
pour veoir où il la pourroient trouver[493]. Et quant ce vint au lendemain
que les jurés entrèrent au chastel, si les suivirent plusieurs de ceulx de
l'ost les uns après et les aultres par tropeaux; et tant y en entra en
telle manière qu'il furent presque tous léans. Lors commencièrent à crier
les derniers qu'il leur livrassent les murtriers pour les mettre à mort, où
il mourroient avecques eulx comme consentens de leur traïson. Lors
commencièrent les jurés à contrester moult durement pour leurs sermens
acquitter. Mais ceulx qui bien avoient la force sur eulx leur coururent
sus, les espées traites, et commencièrent à occire et à despécer les
traitres, si que à plusieurs chéoient les entrailles hors; et parmi les
fenestres de la salle furent plusieurs gettés tous vifs contre val tout
hérissés de pilles et de sayettes, et furent receus de ceulx d'aval aux
poinctes des espées et de lances agues et detenus en l'air, ainsi comme sé
la terre les refusast à recevoir. Du maistre traitre firent désacoustumée
vengeance pour sa desmesurée traïson; car il luy tirèrent des entrailles le
cuer gros et enflé de traïson et de desloyaulté, et l'enhastèrent[494] en
une perche et puis le mistrent en ung lieu où il fu depuis mains jours pour
démonstrer sa mortelle traïson. Les charoingnes de luy et d'une partie de
ses compaignons prindrent, et les lièrent sur cloyes et puis les gettèrent
en Saine. Pour ce le firent qu'il s'en allassent contreval flottant jusques
à Rouen et que ilec fust démonstrée la vengeance de leur mortelle traïson,
et que ceulx qui France avoient un peu de temps ordoiée, d'une desmesurée
pueur conchiassent Normandie leur naturel pays[495].
Note 493:
Pourloignée
, etc. On retarda le moment de la sortie du
traitre, sous prétexte de la nécessite de déterminer le lieu de son
refuge.
Note 494:
L'enhastèrent.
L'embrochèrent.
Note 495: «Et qui Franciam momentaneo fœtore fœdaverant, mortui
Normanniam deinceps, tanquam natale solum, fœdare non desistant.»
Notre traducteur a rendu ce passage au moins aussi bien que
M. Guizot: «Et afin aussi que ces
criminels
, qui vivans avoient un
moment souillé la France de
leur présence corrompue
, morts en
infectassent
à tout jamais
la Normandie,
comme la terre natale de
telles gens
telles gens
.»
V.
ANNEE: 1109.
Coment Phelippe, frère le roy de bast, fils la contesse d'Angiers, se
révéla contre luy par la force de son lignage; et coment il l'assist au
chastel de Meung, et coment il se rendi et coment le roy luy sousplanta
Montlehéry qu'il cuidoit avoir.
révéla contre luy par la force de son lignage; et coment il l'assist au
chastel de Meung, et coment il se rendi et coment le roy luy sousplanta
Montlehéry qu'il cuidoit avoir.
Souvent advient que pour bien faire est, encontre, mal rendu par la
mauvaistié et par la perversité du monde. De celle mauvaistié estoit
entachié Phelippe le fils de la contesse d'Angiers, frère de bast du roy
Loys, de par son père le roy Phelippe, qui l'avoit engendré en icelle
contesse qu'il avoit longuement maintenue par-dessus sa loyalle espouse.
Et luy avoit le roy donné la seigneurie du chasteau de Montlehéry et de
Meun-sur-Loire[496], qui sont au cuer du royaume, par la requeste de son
père le roy Phelippe qu'il ne voulut oncques en rien courroucer. Celluy
Phelippe mist arrière tous les bénéfices qu'il avoit receus du roy son
père, et se prist à rebeller contre luy par la fiance de son lignage; car
Amaury de Montfort estoit son oncle qui trop estoit noble chevalier et
hault homme et puissant, et son frère Fouques, le conte d'Angiers, qui
depuis fu roy de Jhérusalem, et sa mère, la contesse, qui à merveille
estoit vaillante et saige, et assez plus puissante que nul de ceulx, et qui
tant avoit fait par l'art et par l'engin dont telles femmes sont aprises,
qu'elle avoit si déceu son premier seigneur, le conte d'Angiers, qu'il la
servoit et n'osoit contredire chose qui fust contre sa volenté, comme
celluy qui estoit ensorcelle, si comme l'en disoit. Une seule chose
souslevoit moult la mère et le fils et toute leur lignée et les mettoit en
vaine espérance; c'estoit sé il mésavenist au roy Loys par aucun
trébuchement, si que l'autre frère Phelippe fust appelle au royaulme
gouverner, et ainsi fust toute leur progénie appellée à la dignité du
royaulme de France.
Note 496:
Meun-sur-Loire.
Le latin dit
Meduntensis
, Mantes.
Plusieurs fois fut semons celluy Phelippe de par le roy qu'il venist à
court pour faire ce qu'il devoit; mais oncques venir ne daingna, ains
refusa moult orgueilleusement le jugement de la court. Né pas ne se tenoit,
tandis, de praer[497], né de tollir aux bonnes gens né d'assaillir les
églyses. De ce fu le roy moult couroucié. Et jà soit ce qu'il le fist
envis, il assembla grans gens et s'en alla hastivement l'assiéger au
chasteau de Meun. Si luy avoit jà mandé celluy Phelippe et les siens moult
orgueilleusement qu'il le feroient lever du siège à force et qu'il
n'entreroit jà en la ville; mais de ce mentirent-il, car il s'en yssirent
tous avant et se destournèrent contre sa venue: et le roy entra dedens
délivréement et chevaucha avec sa compagnie parmy le chasteau jusques à la
tour et l'assiégea. Et quant il eut commencé à dresser les engins et ceulx
de la tour l'apperceurent, si eurent moult grant paour et furent tous
désespérés de leurs vies. Et quant il eut forment le siège tenu, si se
rendirent à sa mercy.
Note 497:
Praer.
Piller; de
prædari
.
Entredeux advint que la contesse sa mère et le conte Amaury de Montfort,
pour la paour qu'il avoient de perdre l'autre chasteau de Montlehéry, en
donnèrent la seigneurie à Huon de Crecy, par un mariage qu'il firent de luy
et de la fille le conte Amaury de Montfort. Et par ce cuidèrent faire un
tel encombrement au roy que la voye de Normandie lui fust tollue, par la
force de celluy Huon et par la force Guyon de Rochefort, son frère, et par
la force le conte Amaury de Montfort, sans aultres griefs et dommaiges
qu'il li povoient faire chascun jour jusques à la cité de Paris, si que
néis ne poroit il aller en nule manière jusques à Dreues.
Tantost comme celluy Hues de Crecy eut sa femme espousée, si s'en alla
hastivement pour soy mettre en saisine du chasteau. Mais le roy, qui bien
sceut ce complot, fut là venu aussi tost ou plus comme celluy qui en toutes
manières s'en estoit hasté. Ceulx de la terre manda et attira à luy par
espérance de sa débonnaireté et de sa franchise, et pour ce mesmement que
il avoient espérance que il les mist hors la cruaulté de celluy Huon et du
servage qu'il leur convenoit dessous luy souffrir qu'il redoubtoient moult.
Ainsi furent ne scay quans jours l'un contre l'autre à grans assaux, Huon
pour avoir le chasteau et la forteresse, et le roy pour contredire. Mais,
tandis, advint que Hues fu conchié[498] par ung trop beau barat; que Milles
de Bray, le fils au grain Millon, fu illec amené par conseil. Aux pieds du
roy se mist et luy pria que celluy chastel, qui sien devoit estre par
héritage, luy fust rendu; et prioit moult doulcement le roy et son conseil
qu'il ne revestit nulluy de son héritage; mais luy rendist comme le sien
par descendue de son père, par telle convenance que tousjours mais féist de
son chasteau et de luy comme de son serf et de la sienne chose.
Note 498:
Conchié.
Dupé, trompé.
Le roy, qui à toutes gens vouloit faire droit, oï sa prière. Adont manda
les bourgois de la ville par-devant luy et leur offry Millon, leur
seigneur; et par ce présent les appaisa de tous les courroux qu'il avoient
avant eus. Tantost mandèrent à Huon qu'il s'en issist hors du chasteau ou
sé non sceut-il qu'il mourroit, car encontre leur seigneur naturel ne
tendroient né foy né serment. Quant Hue oï ce, si fut moult esbahi; tantost
s'en fouyt et se tint moult à guery et eschappé quant il n'y perdi fors que
les siennes choses, comme celluy qui grant paour avoit de perdre le corps;
et pour la petite joye qu'il avoit eue du mariage souffrit-il puis longue
honte du deshéritement et du mariage que de sa chevalerie et de son aultre
harnois. Et apperceut au dernier, comme hors chacié et dégetté laydement,
quelle honte dessert celluy qui contre son seigneur revelle
orgueilleusement.
VI.
ANNEE: 1110.
Coment Hue du Puisat deshérita le conte de Chartres, et coment le roj li
aida, et de la plainte de celui Huon au roy de par les églyses, et coment
le roy fist garnir le chastel de Thouri.
aida, et de la plainte de celui Huon au roy de par les églyses, et coment
le roy fist garnir le chastel de Thouri.
Ainsi comme le mauvais arbre retrait à la racine et à l'écorce dont il est
issu, ainsi faisoit Hue du Puisat, homme cruel et desloyal et entachié de
la mauvaistié et de la traïson de ses antécesseurs et de la sienne propre.
Qui, après ce qu'il eust receu la seigneurie de Puisat, après Guyon, son
oncle et son père mesme[499], qui trop desmésuréement fu orgueilleux,
reprist aussi les armes, au commencement de la voye du sépulcre, et se
pénoit en toutes manières de retraire à la malice son père, si que ceulx à
qui son père avoit fait honte et dommaige si leur en faisoit-il encore
plus. Et ce le mettoit en trop grant orgueil de ce qu'il avoit trop fait de
maulx aux abbayes et aux povres églyses; et n'estoit nul qui l'osast
contredire. Mais à la parfin tresbucha-il par son orgueil si comme vous
orrez cy-après.
Note 499: «Hugues du Puiset, dont il s'agit ici, étoit petit-fils
d'Evrard, par Hugues le vieux, son père, le même qui sur la fin de
l'année 1092 fit emprisonner Yves de Chartres son évêque, et qui en
partant en 1106 pour la terre sainte, laissa la régie de ses terres à
Gui son frère. Celui-ci étant mort vers l'an 1108, eut pour
successeur Hugues, son neveu, dans la châtellenie du Puiset et la
vicomté de Chartres. Le lignage d'outremer nous apprend que Evrard et
Hugues le vieux devinrent successivement comtes de Jaffa.»
(Note de dom Brial.)
A ce fu son orgueil mené que ne craignoit né le roy des cieulx né le roy de
France. Si assailli de guerre la noble contesse de Chartres et son fils
Thibaut, qui moult estoit jeune d'aage et preux aux armes; et leur roba,
ardi et gasta leurs terres jusques à Chartres; et la contesse et son fils
se deffendoient de luy au mieulx qu'il povoient, mais lentement et
laschement, né oncques n'osèrent approcher de Puisat pour fourfaire de plus
près que huit lieues ou de plus, car de trop grant hardiesse et de trop
grant fierté estoit ycelluy Hue au temps de lors et si craint que plusieurs
le servoient qui bien peu l'amoient et lui aidoient à sa guerre maintenir
là où il voulsist. Et quant la contesse et le conte Thibaut virent qu'il ne
pourroient longuement durer contre lui, si s'en allèrent au roy et luy
commença la contesse à prier et requerra moult humblement qu'il la voulsist
secourre et luy représenta et mist devant les services qu'elle luy avoit
aultres fois fais, par quoy il estoit tenu de luy ayder. Après luy compta
illec mesmes mains grans dommaiges et maintes grans hontes que ycellui Hue
et son père, son ayeul et son besayeul, avoient fait aucunes fois au
royaulme. Et parla la saige dame en telle manière:
«Remembrez vous, sire, de la honte que l'ayeul de Hue fist jadis à vostre
père Phelippe contre son serment et contre la loy de son hommaige qu'il
rompit; pour quoy vostre père ala assiéger le Puisat son chasteau, pour
celle honte venger et pour aultres tors qu'il luy avoit fais; dont il le
fist lever à force trop laydement. Et par la force de son desloyal lignaige
et l'emprise qu'il avoit contre luy faicte chacèrent luy et son ost jusques
à Orléans et pridrent en celle desconfiture le conte de Nevers et Lancelin
de Baugenci, et avecques ceulx plus de cent de ses chevaliers; et fist
encore plus grant et plus desmesurée honte qui oncques mais n'avoit esté
oïe; car il emprisonna aucuns des évesques et leur fist assez de laidure et
de honte.» Après disoit la dame, en reprochant, pourquoy ce chasteau avoit
esté fermé premièrement enmy la terre aux sains[500], par la royne
Constance, pour estre garde et défence de celle terre. Si n'estoit pas fait
né fondé d'ancien temps; et coment icelluy l'avoit retenu tout à luy, de
quoi il ne servoit de rien fors que de faire honte et laidure à luy et aux
siens. «Or maintenant, s'il vous plaist, pourrez venger là vostre honte et
celle de votre père pour ce que les Chartains et les Blesois et les Dunois
par la cui force il souloit guerroyer luy sont du tout faillis, entalentés
de luy nuyre et de le déshériter et d'abattre le chasteau. Et sé vous,
sire, vos tors, vos hontes et les aultrui dont il a bien desservy à estre
puny et chastié ne voulez amender, si voullez les tors et les travaux qu'il
a fais aux églyses en la terre aux Sains et les déshéritemens qu'il a fais
aux vefves, aux orphelins et à ceulx qui à lui marchissent prenre sur vous
et en faictes comme de vous.» Par telles plaintes et par aultres fu le roy
si esmeu qu'il respondi qu'il se conseilleroit.
Note 500: «In medio terræ sanctorum.» Suger.
Après ce, fist le roy assembler ung parlement à Melun: là vindrent mains
archevesques et clers et maintes gens de religion auxquels iceluy Hue avoit
biens et possessions ravi et dévoré comme loup enragié, et destruisoit
encores tous les jours. Tous chéirent aux piés du roy et luy crièrent mercy
à une voix, si comme il gisoient à ses piés contre son gré, car moult le
grevoit qu'il ne se levoient, et luy prioient qu'il mist à mesure et
délivrast leurs provendes[501] de la terre de Beauce que il tenoient
franchement par le don de ses prédécesseurs. Et puis luy supplioient en
plourant qu'il délivrast la terre de ses povres provaires et les ramenast
en franchise que icelluy tirant avoit amenés en servage, et qu'il reformast
en sa première franchise la partie de l'églyse que luy et les aultres roys
sont tenus à deffendre. De bonne volenté receut le roy leurs prières et
tantost comme le parlement fu départi et l'archevesque de Sens, l'évesque
d'Orléans et le vaillant Yves, évesque de Chartres s'en furent partis, si
envoya le roy le moyne Sugier de Saint-Denys, qui depuis fu abbé, au
chasteau de Thoury en Beaulce qui est de celle églyse mesme, et que celuy
Sugier tenoit lors en sa main et luy commanda qu'il fist ce chasteau bien
garnir et enforcer et bien garder, que icelluy Hue ne l'ardist, tandis
comme il le feroit semondre pour venir à sa court. Car par ce chasteau
tendoit à assaillir le chasteau de Puisat ainsi comme son père avoit jadis
fait.
Note 501:
Provendes
ou prébendes. Bénéfices ecclésiastiques.
VII.
ANNEE: 1110.
Coment le roy assiégea le chasteau de Puisat, et puis du merveilleus
assaut d'ambedeus pars. Et coment le chastel fu pris par force, et Hue
emprisonné en la tour de Chasteau-Landon, et le chastel abattu.
assaut d'ambedeus pars. Et coment le chastel fu pris par force, et Hue
emprisonné en la tour de Chasteau-Landon, et le chastel abattu.
Quant le chasteau de Thoury fu bien garni et le roy eut fait juger Hue de
Puisat pour son deffault, car il ne daingna venir à sa semonce, si meut à
grant ost et vint jusques à Thoury. Le chasteau de Puisat fist requerre à
celluy Huon dont il estoit forclos par droit jugement. Et quant il vit
qu'il n'en feroit rien si se hasta du chasteau assiéger, et les sergens
dont il y avoit grant plenté aussi. Là péust-on véoir fier assault et
périlleux lancéis d'arcs et d'arbalestres d'une part et d'aultre qui
chéoient aussi espessement comme pluye, et les escus perçoient
soudainement; si faisoient saillir les estincelles des clers heaulmes des
grands coups que il s'entredonnoient. Et si comme les royaulx les eurent
rebouttés par force dedens la porte du chasteau, et les enclos furent
montés aux deffenses, si véissiez merveilleus assaux et périlleux aux plus
hardis gens du monde de saiettes et de quarreaux et de gros fusts et grans
lancéis de pieux agus. Et ceux de dedens lançoient sur les royaulx et par
force les firent reuser. Mais assés recouvrèrent cuer et force et se
couvrirent des escus et des huys et de quanqu'il povoient trouver. Et ainsi
recommencèrent l'assault à la porte périlleux et fort. Et firent les
royaulx amener charrios tous chargés de busche sèche et bien ointe de sain
et de gresse pour le feu boutter dedens et eulx ardoir. Et ainsi les
empoindrent à la porte et pour ce mesmement qu'il leur fissent deffence
pour les grans coups recevoir pour les grans monceaux de busche qui dessus
estoient. Et tandis comme les uns entendoient à alumer et les aultres à
estaindre par grant contens, vint le conte Thibaut qui pas n'avoit oublié
les hontes et les domaiges que il avoit eus par luy. Si se hastoit moult
d'assaillir le chasteau par ses bacheliers et par ses sergens de celle part
que l'en vient devers Chartres. Et tandis comme il hastoit ses gens de
monter contre mont le pendant des fossés, si ne garda l'euvre qu'il les vit
tresbucher contreval à trop grant meschief au parfont du fossé et se doubta
moult qu'il ne fussent mors ou occis; car les chevaliers qui par dedens
avironnoient la deffence du chasteau sur les grans destriers venoient
jusques aux murs et feroient ceulx qui montoient amont les fossés et les
faisoient tresbuchier jusques au font des fossés. Et jà estoient les
royaulx presque tous mas et faillis et ceux de dedens avoient jà presque
tout laissé l'assault et fait retraire, quant la divine puissance, à qui la
cause estoit et la vengence vouloit du tout traire à soy, suscita et esmeut
l'esperit d'un chanu prouvaire du pays qui avecques la communaulté de ses
paroisses estoit venu en l'ost, à qui Dieu donna faire, contre toute
opinion, ce que le conte Thibaut armé et toutes ses gens ne peurent faire.
Isnellement alla celluy prestre montant jusques à la suef[502], une escu
devant son pis dont il estoit couvert et mussé. Là commença à despecer
petit à petit la cloison et mettre jus; et quant il vit qu'il faisoit ce si
légèrement si commença à appeller ceulx qui emmy le champ estoient encore
tous armés, à la cloison despecer; et luy coururent aider à bonnes haches
trenchans et commencèrent à dérompre et à despecer tout; et advint une
grant merveille ainsi comme il advint jadis à Jhérico qui fu droit signe de
jugement Nostre-Seigneur; car ainsi comme sé tres-tous les murs fussent
chéus à un seul coup entrèrent dedens et l'ost du roy et les gens du conte;
dont il advint qu'il y eut moult grant plenté de ceux dedens mal mis et
blécés et entreprins, pour ce qu'il ne peurent eschiver la force de leurs
ennemis qui de toutes pars accouroient; et les aultres et Hue mesme qui
virent qu'il n'estoient pas bien asseur, dedens la forteresse des murs se
férirent en une tour de bois qui séoit dessus la mote. Et quant il
apperceut la force des gens qui de toutes pars acouroient à la tour et
lançoient dars et quarreaux, si se doubta moult et se rendi tantost et fui
pris et tous les siens et mis en bonnes prisons.
Note 502:
Suef.
Palissade. De
Sepes
.
Et quant le roy eut eu celle victoire et il eut mis en prison mains haus
hommes et riches, si habandonna l'avoir de la ville et fist bouter le feu
partout et ardoir tout le chasteau. Mais il commanda touteffois que la tour
demourast en estant, jusques à un terme qu'il mist: pour ce le fist qu'il
oï dire que le conte Thibaut tendoit à acroistre et eslargir ses marches
pour un chasteau qu'il vouloit fermer en la chastellenie du Puisat, en une
ville qui a nom Alonne[503]. Si avoit jà oublié et mis arrière le grant
bénéfice que le roy luy avoit fait. Car jà n'eust peu advenir né attaindre
là où il estoit de sa besongne sé par lui n'eust esté. Du tout en tout luy
deffendoit le roy à fermer ce chasteau; et le conte luy offroit à
desrainier par droit de bataille par la main de Andry de Baudemont le
maistre de sa terre[504], que le roy luy avoit eu ce en convenance. Et le
roy encontre ce offroit à deffendre par gaige de bataille là où il voudroit
par la main Anseaux de Gallande son séneschal que oncques ne luy avoit eu
ce en convenance. Si demandèrent ces deux barons maintes cours à faire
celle bataille, mais oncques n'en peurent nulle trouver.
Note 503:
Alonne.
Aujourd'hui petit village de Beauce, au diocèse
de Chartres.
Note 504:
Le maistre de sa terre.
«Terræ suæ procuratorem.»
Après ce que le chasteau fut abattu et Hue emprisonné en la tour du
chasteau Landon, le conte Thibaut ne voulut pus la besongne atant laisser,
ains esmut grant guerre contre le roy par l'aide du roy Henry d'Angleterre
son oncle et de ses aultres parens. Et commença à gaster sa terre et à
fortraire ses barons par dons et par promesses; et du pis qu'il povoit
faisoit et pourchacioit à luy et à son royaume. Et le roy d'aultre part qui
tousjours fu preux et vigoureux aux armes luy recouroit sus et luy gastoit
et habandonnoit sa terre par l'aide de ses aultres barons et mesmement par
l'aide de Robert le conte de Flandres son oncle, un merveilleux chevalier
et renommé d'armes entre Crestiens et Sarrasins, dès le commencement de la
voye du saint sépulcre.
VIII
ANNEE: 1111.
Coment le conte Thibaut commença guerre contre le roy, et coment le roy
lui mist le siège à Meaux; et coment le roy desconfist sa chevalerie de lès
Laigni, et coment le conte ralia à luy les riches hommes contre le roy.
lui mist le siège à Meaux; et coment le roy desconfist sa chevalerie de lès
Laigni, et coment le conte ralia à luy les riches hommes contre le roy.
Un jour avint que le roy eut mené son ost devant la cité de Meaulx sus le
conte Thibaut. Le conte qui dedens estoit issi hors à bataille ordonnée. Et
le roy qui ce vit luy couru sus par grant desroy, ainsi comme tout forsené
de maltalent et de yre, et le fist ressortir par droicte force vers la
cité, et luy et les siens; né pas tant ne les redoubta qu'il ne les
chassast à force de cheval très parmy les pons, et le conte Robert de
Flandres et les aultres barons avecques luy. Et les contraignirent si ès
brans d'acier qu'il en firent plusieurs tresbuchier et noyer en l'eaue qui
de leur gré s'i gettoient et laissoient chiéoir, tant craignoient les cous
des espées. Merveille vous semblast se vous véissiés le roy demener,
l'espée au poing, mouvoir les bras et enchanteller[505] l'escu. Car avis
vous fust que Hector[506] fust revenu. Sur le pont tremblant luy véissiés
faire les assaus et les envaïes en guise de géant et soy efforcier de
passer parmy tous ses ennemis et là où il avoit greigneur péril et plus
grant presse, et vouloit prendre la ville à force malgré tous ses ennemis.
Et si eust-il fait sans doubte sé ses ennemis ne se fussent dedens reboutés
et les portes fermées. D'une aussi grant victoire escreut-il son nom et sa
louenge une aultre fois qu'il vint devant Laigny sur Marne à tout son ost.
En la praierie dessus Pomponne encontra la chevalerie le conte Thibaut;
assés tost la desconfit et fist tourner en fuite. Et quant il s'en vinrent
fuiant jusques à un pont qui est assés près de celle place, si en y eut de
tels qui pas ne se doubtèrent à mettre en plus grant péril pour l'entrée du
pont qui moult estoit estroite qu'il redoubtoient moult; si se misrent en
plus grant péril de mort que se il feussent en terre seiche, car il se
mettoient ès flos de la parfonde rivière où il périlloient et noyoient et
gettoient leurs armes et défouloient l'un l'autre. Et pis s'entrefaisoient
que leurs ennemis meisme ne faisoient, pource qu'il vouloient tous ensemble
monter sur le pont et il n'y povoit entrer que un seul. Et de tant comme il
s'entr'angoissoient plus, de tant se retardoient il plus. Dont il avint que
ceux qui les derniers estoient en furent les premiers et les premiers les
derniers. Si estoit l'entrée du pont açainte d'un fossé qui leur donnoit
grant force et grant avantaige. Car les royaulx qui forment les
estraignoient ne povoient entrer sé non les uns après les autres. Si estoit
à leur domaige, car plusieurs s'efforçoient d'entrer sur le pont. Et ceulx
qui en aucune manière y povoient entier trébuchoiont pour la presse des
royaux ou des leurs. Et quant il se relevoient si faisoient ce mesme à
aultre faire. Et le roy qui à sa bataille les chaçoit à espérons
destraignoit à l'espée ceulx qu'il ataignoit et les faisoit tresbucher au
flot de Marne à la force du cheval. Et ainsi comme les désarmés flotoient
légèrement pardessus l'eau, ainsi les armés afondoient, pour la pesanteur
des armes, et en y eut il assez de noyés; et pluseurs en y eut qui après la
première fois qu'il furent plungé furent retrais[507] avant qu'il eussent
trois fois plungé. Par telles manières d'assaux et de poignéis destraignoit
le roy le conte et souvent le desconfisoit et ardoit sa terre et gastoit,
en Chartrain et en Brie, comme celluy qui autant prisoit sa deffence comme
sa paresse et sa présence comme son absence. Mais le conte qui redoubtoit
trop la paresse et la mauvaistié de ses hommes auxquels peu se fioit, prist
à fortraire les barons du roy par dons et par promesses et les alia à luy
par une espérance où il les mettoit, de ne scay quelles querelles dont il
se plaignoient du roy qu'elles leur seroient rendues avant qu'il fist au
roy nulle paix. Si en furent ces deux, Lancelin le conte de Dampmartin et
Payen le sire de Montjai, et estoit leur terre assise aussi comme en un
quarrefour qui donnoit seur trespas d'aller et de venir à Paris. Par telle
ochoison enlaça il Huon[508] le sire de Baugency qui avoit espousé la
ousine germaine le roy qui avoit esté fille Hue-le-Grant son oncle. Plus
fist-il, que par angoisse et par détresse mist son proufit avant son
honneur, pour le roy grever, car il donna en mariage la noble seur du conte
de Vermendois[509] à Millon le seigneur de Montlehéry, celluy à qui le roy
rendit le chasteau, si comme nous avons devant dit. Et par ce rompi l'amour
et l'aliance de luy et du roy, et empescha le chemin de Paris à Orléans, et
mist trouble au cuer et en la chambre du royaume de France et le
destourbier aux trespassans qui jadis y avoit esté; et après ce qu'il eut à
soi trait ses cousins, c'est assavoir: Hue de Crécy et le seigneur de
Chasteaufort, adont par-eut il si estoupé Paris et Estampois et si grans
guerres mis partout que nul ne povoit passer de l'un lieu à l'antre se par
bonne chevalerie ne fust gardée et deffendue la voye. Et puis que le conte
Thibaut et les Briois et Hue de Troyes son oncle si eurent délivre pas[510]
de venir et aller contre les Parisiens et les Senlicois par decà le fleuve
de Saine, et Mile de Montlehéry par delà, adont fu trop laidement la voye
tollue, et au païs le conseil et l'aide qu'il cuidoient avoir de ceus qui
aidier leur pouvoient. Tout ainsi estoit des Orléannois que les Chartrains
et Dunois tenoient trop de court et en destroit par la force Raoul de
Baugency. Mais le roy qui trop estoit vertueux de cuer et de corps se
deffendoit au fer et à la lance, et leur couroit sus vertueusement et leur
faisoit moult grant dommaige en leurs terres par un peu de bonnes gens
qu'il avoit. Si n'estoient pas espargnés à son nuisement les trésors
d'Angleterre né les richesses de Normandie, car le noble roy Henry
d'Angleterre se pénoit de le grever de toute sa force et sa terre
destruire. Mais le noble lyon ne se plaissoit[511] pour luy né pour tous
es aultres, né ne s'esmoioit né que la mer feroit, sé tous les fleuves la
menaçoient à soustraire et à tollir toutes leurs iaues et leurs fontaines.
Note 505:
Enchanteller.
Mettre l'escu en chantel; c'est-à-dire le
relever sur le côté gauche. En terme de blason, on place encore
l'ecu en chantel
. C'est le même mot que l'italien
canto
, côté.
--Les éditions imprimées, toujours horriblement fautives, et celle de
dom Bouquet ont mis
chanceller l'escu
.
Note 506:
Hector.
Dans le moyen-âge, Hector étoit bien plus renommé
qu'Achille; parce qu'on connoissoit mieux le siège de Troyes par
Darès que par Homère.
Note 507: Suger dit: «Loricati pondere suo semel mersi, antè trinam
demersionem, comitum suffragio retrahuntur, rebaptizatorum
opprobrium, si talis esset occasio, referentes.»
Note 508:
Huon.
Il fallolt
Raoul
, qui espousa Mathilde, fille
d'Hugues-le-Grand, lequel étoit frère de Philippe Ier.
Note 509: C'est la leçon de la plupart des mss. du texte de Suger.
Mais il eut fallu préférer celle qui porte
sororem suam
.
Note 510:
Délivre pas.
Chemin libre.
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