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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis

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d'Angleterre et luy donna le roy Vouquessin le Normant que le roy Henry son

père luy avoit donné quittement, si comme l'ystoire a dessus devisé.


En ce temps donna Geuffroy de Gien une sienne fille par mariage à Estienne

de Sanserre, et ce fist-il par grant conseil, car il cuida bien qu'il le

deust deffendre du conte de Nevers, et avec la damoyselle luy donna Gien.

Et Hervieus fils de celluy Geuffroy vit que son père donnoit et mettoit en

aultrui main le chasteau qui sien devoit estre par héritage: si y mist

garde et deffence. Son père qui tout ce ne prisa riens, en revestit

Estienne de Sanserre et le mist en saisine et possession du chasteau.

Celluy Hervieus s'en alla au roy et se plaignit de son père qui ainsi le

deshéritoit. Après se complaignit de Estienne de Sanserre qui contre luy et

en son deshéritement avoit receu le chasteau et le tenoit contre son gré.

Le roy qui tousjours ama et soustint droit et justice ne voulut pas

souffrir que celluy Hervieus fust ainsi deshérité. Ses osts assembla et

chevaucha vers ce chasteau que celluy Estienne avoit trop bien garni de

chevaliers. Mais son corps avoit destourné[713]. Et le roy assiégea ce

chasteau et le fist assaillir à ses gens; assez tost le prist et le rendit

à Hervieus qui sien le disoit estre: atant s'en retourna le roy.


Note 713: «Sed selpsum absentaverat.»



XXIV.


ANNEE: 1160.


Coment la royne mourut de enfant. Et coment le roy espousa la fille le
conte Thibaut de Blois.



En la royne Constance engendra le roy Loys une fille. En traveillant de

cest enfant morut la dame par grant meschéance; pour la mort de laquelle le

roy fu en grant tristesse. Après ce que le roy eut un peu mis son deul en

oubli, luy conseillèrent les barons et les prélas qu'il se remariast, car

il n'est né droit né raison que le roy soit sans compagnie de loyalle

espouse. Le roy s'i accorda, car il regardoit en son cuer ce que

l'Escripture dit: que mieux vaut mariage que ardoir au feu de luxure[714].

Et pour ce qu'il doubtoit sur toutes riens qu'il ne demourast sans hoir

masle, il prist à femme la fille au conte Thibaut de Blois qui avoit nom

Ale. Celuy noble conte Thibaut estoit jà trespassé de ce siècle, et

stoient de luy demourés quatre fils et cinq filles, Henry le conte de

Troyes, Thibaut le conte de Blois, Estienne le conte de Sancerre, Guillaume

l'archevesque de Rains[715]; la duchesse de Bourgongne, la contesse de Bar,

la femme Guillaume Gouet qui avoit esté duchesse de Puille et la contesse

du Perche[716]. Et la dernière avoit nom Ale que dame Dieu essaulsa et luy

donna seigneurie sur toutes les autres, qui avant avoit esté dessoubs

eux[717], pour ce qu'elle estoit la plus jeune. Et elle fu telle qu'elle

faisoit à louer par dessus toutes les autres: car elle estoit de trop grant

sens et belle et plaisant et trop[718] bien faite de corps, et plaine de

grant chasteté. Et pour ce qu'elle fu si gracieuse et plaine de tant de

vertus desservi-elle estre essauciée en tel honneur. Ainsi fu ceste

vaillant damoiselle jointe par mariage au roy Loys, et l'espousa[719] Hues

l'archevesque de Sens le jour de la Saint-Berthélemy en l'églyse

Nostre-Dame de Paris et couronna le roy ce jour avec elle.


Note 714: Saint Paul, épit. 1er aux Corinthiens, c. VII. «
Melius est
nubere quam uri.
»


Note 715: Le texte latin de l'
Historia gloria reg. Lud.
porte

Senonensis
; et cela, comme l'a judicieusement remarqué dom Brial,

prouve que ce morceau historique fut composé avant l'année 1176,

époque de la translation de Guillaume
aux blanches mains
au siège

de Reims.


Note 716: Les quatre filles de Thibaut-le-Grand, comte de Blois et

palatin de Champagne, furent: 1°
Marie
, femme d'Eudes II, duc de

Bourgogne; 2° Agnès, femme de Rainaud II, duc de Bar; 3° Isabelle,

femme d'abord de Roger, duc de Pouille, puis de Guillaume Gouet,

quatrième du nom, seigneur de Montmirail et de tout le territoire

nommé de lui et de ses ancêtres le
Perche-Gouet
; 4° Mathilde, femme

de Rotron III, comte de Perche.


Note 717: «Quæ subjecta anteà ipsis fuerat.» L'auteur latin n'ajoute

pas le reste de la phrase, mais ne diroit-on pas que l'histoire de la

reine Alix de Champagne a donné la première idée du charmant conte de

Cendrillon?


Note 718:
Trop
a toujours un sens analogue à notre
extrêmement
.


Note 719: C'est-à-dire
la maria
.


Par convoitise du monde qui croist tousjours monta contens entre Névelon de

Pierrefons et Dreue de Mello qui les deux filles Dreue de Mons[720] avoient

espousées. Car Névelon de Pierrefons tollissoit à Dreue de Mello la moitié

de Mons qui sienne devoit estre par le mariage de sa femme; pour ce s'en

vint celluy Dreue parler au roy du tort que celluy Névelon luy faisoit et

luy pria et requist comme à son seigneur qu'il luy fist amender celluy

outrage. Le roy qui tousjours vouloit ceux qui soubs luy estoient fors et

fèbles, povres et riches tenir à droit, oï sa prière. Ses osts assembla et

chevaucha contre Mons et le prist à force; la tour et le baille fist

abattre et la moitié du chasteau rendit à Dreue de Mello qui estoit de son

droit héritage. Ne demoura pas moult après que celluy Névelon mourut. Le

roy donna sa femme par mariage à Enguerran de Trie et l'autre partie du

chasteau donna avec la dame.


Note 720: «
De Monceio.
» De
Moncy
.



XXV.


ANNEE: 1162.


Coment descort fu meu à Rome après la mort l'apostole, en eslisant un
autre pape.



En ce temps sourdit en l'églyse de Rome un discort trop lait et trop

villain. Il avint après le décès du pape qui lors estoit que les cardinaux

s'assemblèrent d'un cuer et d'une volenté, et esleurent par bon accord

Alixandre le tiers, un moult preud'homme et de haute vie. D'autre part les

clers Othovien[721] tant seullement firent élection de sa personne

desconvenable et contre tout droit, sans l'accord et sans le sceu des

cardinaux et des évesques; car tous les cardinaux s'assentoient[722] d'un

cuer et d'une volenté au pape Alixandre. Si estoit celluy Othovien plain

d'orgueil et de boban et convoiteux des choses terriennes. Et bien y

apparut quant il osa envahir et emprendre la dignité du siège saint Pierre,

outre l'élection des cardinaux. Et pour celle discorde s'en vint en France,

comme en son refuge, celluy honnorable pappe Alixandre (car plus n'a

l'églyse de Rome lieu où elle puisse fouir pour avoir garentise, au temps

de tribulacion). Premièrement s'en vint à Montpelier. Et quant le roy sceut

sa venue si se conseilla qu'il avoit à faire; et par l'ordonnance de son

conseil envoya à luy l'abbé Thibaut de Saint Germain des Prés.


Note 721: C'est-à-dire: Les clers d'Octavien.


Note 722: Le latin ajoute:
Duobus exceptis
.


Quant il eut faicte le besongne le roy pour quoy il estoit allé là, congié

prist au pape et s'en retourna par Clermont. Là prist une maladie moult

griesve. Jusques à l'abbaye de Vézelay s'en vint à quelque peine, si malade

comme il estoit, pour ce qu'il ne devoit pas en tel point en estrange terre

demourer. Et trois jours devant la feste Marie Magdalène dont l'églyse est

fondée vint là. En celle églyse avoit esté nourry d'enfance et y avoit pris

l'abit de religion, et là de celle maladie mourut. Après luy fu esleu Hue

en abbé de Saint Germain des Prés. Ces choses avindrent en l'an de

l'Incarnacion Nostre-Seigneur mil cent soixante-deux. Le devant dit pape

Alixandre s'aprocha de France et le receupt le roy Loys et tout le royaume

de France à seigneur et à pasteur de saincte églyse. Et par l'exemple du

roy Loys et du royaume de France le receurent[723] à grant honneur, comme

maistre et pasteur de sainte églyse, mains autres princes comme l'empereur

de Constantinoble et d'Espaigne, le roy de Jhérusalem, le roy d'Angleterre,

le roy de Hongrie et le roy de Sécille et tous les roys crestiens, fors

seullement l'empereur Ferry d'Allemaigne qui, selon l'acoustumée

desloyauté, se contenoit comme forcenné. Tousjours maintint celluy Othovien

contre les canons et contre tout droit, et luy obéit comme à apostole; et

plus, comme desloyaus et excommunié, mist en siège, après la mort de celluy

Othovien, damp Guy de Crémone, l'un des deus cardinaux qui à l'élection de

celluy Othovien s'estoit accordé secrètement contre droit. Par

l'ennortement de ces deux[724] s'en alla l'empereur à Rome à grant effort

de gens pour la cité gaster et destruire. Mais trop grant perte receut de

ses gens, non mie par la force des Romains mais par la vengence

Nostre-Seigneur, sans ayde de nul homme mortel.


Note 723: Ce mot doit avoir ici le sens de
recognurent
.


Note 724: Notre traducteur se néglige dans tous ces passages. Il

falloit:
De celui Guy
.


Escoutez grant merveille. Il avint que Nostre-Seigneur estendi sa main sur

l'ost de ce desloyal tirant, par la corrupcion de l'air, de grans pluyes et

grans eaues qu'il espandit sur eux: par quoy trop grant multitude de

peuple, que de chevaliers que d'autres gens, du glaive de Dieu furent férus

et finirent leur chétive vie. Entre lesquels Conrat le fils l'empereur et

Regnaut archevesque de Coulongne moururent. Si fu le corps de luy despecié

et boully et sallé et puis porté et mis en sépulture en la cité de

Coulongne. L'empereur pour la paour qu'il eut de ceste mortalité laissa le

siège et s'en vint fuiant jusques en Touscane: en chemin se mist parmi

Lombardie, mais ceux de la terre luy firent assez de honte et le chacièrent

de leur pays. Et ainsi s'en alla fuiant jusques en Frise. De là se partit à

bien petite compaignie ainsi comme en larrecin et passa les mons si comme

il peut. Si très-durement fu celluy desloyal espoventé et esbahy de la

grant multitude de gens qu'il perdit en cest ost, que de barons que

d'évesques que d'autre menu peuple, qu'il n'y osa plus arrester; mais s'en

vint fuiant en Allemagne.



XXVI.


ANNEE: 1163.


Coment le roy Loys ala à ost sus le conte de Clermont et son fils et
autres tyrans qui persecutoient les églyses et les povres et les pélerins;
et coment le roy les desconfist et prist.



Il advint en ce tems que le conte de Clermont en Auvergne et Guillaume le

conte du Puy son nepveu et le viconte de Polignac avoient acoustumé à

demener leur vie en rapine et en roberies, comme ceux qui roboient les

églyses et les pélerins et essilloient les povres gens. Les griefs et les

maux que ces desloyaux faisoient ne peuvent plus souffrir l'évesque de

Clermont en Auvergne né celluy du Puy, et pour ce qu'il ne povoient

contraster à eux né à leur force eurent conseil qu'il s'en vendroient

clamer au roy Loys. A luy s'en vindrent tout droit et luy prièrent pour

Dieu qu'il mist conseil à amender les maux que ces tirans faisoient à Dieu

et à saincte églyse.


Et le doux roy débonnaire, quant il eut oï la complainte des desloiautés

que ces tirans faisoient, assembla son ost hastivement et chevaucha en ces

parties tout encouragié de venger la honte et le dommage de saincte églyse.

Si estoit trop griefve ceste chose de prendre guerre contre tels gens qui

estoient riches et aisés et en leur pays et à merveilles bien garnis

d'avoir et de gens. A eux se combati en champ et par l'aide de Dieu et de

saincte églyse laquelle il deffendoit, luy avint si grant honneur lui les

desconfist et prist en champ de bataille et les emmena avecques soy en

chetivoison. Si les tint en prison tant qu'il luy pleut et luy jurèrent en

la parfin qu'il cesseroient des maux qu'il avoient acoustumé à faire. Bons

hostaiges donnèrent, atant furent délivres.



XXVII.


ANNEE: 1166.


Coment le desloyal conte Guillaume de Chalon persécuta l'églyse Saint-Père
de Cligny, et en fist grant occision par les Brebançons. Et coment le roy
en prist la vengence, car il deshérita le conte et fist pendre les
homicides à hautes fourches.



Après ceste noble vengence avint en Bourgongne un des plus cruels fais et

des plus horribles à oïr qui oncques avint en la terre des crestiens. Car

le desloyal conte de Chalon osa Dieu tenter à ce qu'il prist durement à

assaillir et à grever la noble églyse Saint-Père de Cligny; trop assembla

grant peuple d'une manière de gent que l'en appelle Brebançons. C'est une

gent qui Dieu ne croit né aime, né congnoistre veut la voye de vérité. Par

la force de ces desloyalles gens alla rober la devant dicte églyse de

Cligny. Le convent de léans yssit contre icelluy tirant sans lance et sans

escu et sans armes fors seullement des armes de Dieu, c'est des ornemens de

la saincte églyse, à tous les sanctuaries et les croix et les textes des

sainctes évangiles, et avec eux estoit grant plenté du peuple de la ville

et du pays d'environ.


Quant celle excommuniée tourbe de Brebançons vit les moynes venir contre

eux ainsi appareilliés, si leur coururent sus et les despouillèrent tous

des sains vestemens, en la manière de bestes sauvages et de loups enragiés

qui cuerrent à quelque viande qu'il trouvent quant la fain les destrainct;

ainsi coururent celle gent excommeniée aux barons et aux bourgeois et en

occirent bien largement jusques à cinq cens ou plus. La renommée de ceste

félonnie qui oncques mais n'avoit esté oïe jusques adont s'espandi par

diverses contrées et vint jusques en France au roy Loys. Et tantost comme

il oït, si fu tout esmeu de pitié et de compassion, pour la honte de Dieu

et de saincte églyse, de prendre vengence de ceste orgueilleuse cruauté. Et

tantost bani[725] ses osts et se hasta d'aller contre le cruel tirant pour

le destruire.


Note 725:
Bani.
Fit crier le ban de.


Quant le desloyal sceut la venue du roy et de son ost si ne l'osa attendre,

mais laissa sa terre comme fuitif. Et si comme le roy passoit par la

province de la terre de Cligny à tout son ost, les femmes et les

bourgeoises qui demourées estoient vefves de leurs seigneurs par celle

guerre, les valetons et les fillettes qui chéus estoient orphelins luy

venoient à l'encontre et luy chéoient tous aux piés plourans et crians à

haux cris et luy monstroient leur perte et leur dommaige et luy prioient

qu'il eust pitié et mercy d'eux et mist conseil en leur affaire qui ainsi

alloit malement. Tant luy disrent illec qu'il menèrent le roy et tout son

ost jusques à plourer et les encouragèrent plus de destruire celle

excommeniée gent. Né ce ne fu pas merveille; car tu véisses illec les

petits orphelins qui encores alaitoient et pendoient aux mamelles des

mères, et véisses les pucelles orphelines et desconfortées des soulas de

leur pères que ces desloyalles gens avoient occis, crier et plourer trop

douloureusement. Tu n'oysses pas Dieu tonnant tant estoit l'air rempli de

pleurs et de cris et de braieries de petits enfans. Que dirai-je plus? Le

roy tout eschaufé d'acomplir son propos s'en entra en la terre de cest

excommunié le conte de Chaalon et sans nul empeschement et sans nul

destourbier prist le mont Saint-Vincent et puis Chaalons, et toute la terre

à ce tirant, et en bailla la moitié au duc de Bourgongne et l'autre au

conte de Nevers. Des desloyaux Brebençons fist grant justice: car autant

que il en peut prendre né tenir en fist-il pendre aux fourches tout

incontinent. Il en y eut un qui voulut sa vie racheter par grant avoir;

mais oncques le roy ne le voult escouter, ains commanda qu'il fust pendu

avec les autres en vengence de saincte églyse. Après ceste noble vengence

s'en retourna le roy en France.



XXVIII.


ANNEE: 1166.


Coment le roy defendi l'abbaïe de Vezelay contre le conte de Nevers et
contre les bourgeois de Vezelay, hommes de l'abbaïe qui estoient allés
contre l'églyse. Et coment il ot un fils de la royne Ale sa femme, qui ot
nom Phelippe Dieudonné.



Ainsi délivra l'églyse de Vezelay des bourgeois mesme de la ville qui par

grant orgueil se rebellèrent contre l'abbé de léans qui est leur droit

seigneur. Commune firent contre luy et le guerroièrent moult longuement, et

assaillirent l'églyse et l'abbaye à armes; et s'estoient entre jurés que

jamais jour de leur vie n'obeyroient à celle églyse. Et tout ce firent par

le conseil au conte de Nevers qui trop estoit mal adversaire à celle

églyse. L'abbé et les moines garnirent les tours du moustier pour eux

défendre des grans assaux que les orgueilleux bourgeois leur faisoient et

se misrent dedens, car il ne povoient à eux durer: car les bourgeois qui

trop éoient leur seigneurie les assailloient trop durement et tiroient

asprement contre eux d'arcs et d'arbalestres. Et si longuement les tindrent

enclos par leur grant effort que le pain leur faillit et qu'il ne vivoient

sé de char non. A ce furent menés que une partie des moynes faisoit le guet

par nuyt et l'autre partie lassée de deffendre se dormoit tant comme elle

avoit de loisir. Grant pièce furent ainsi en telle détresse. Et quant

l'abbé vit que ces desloyaux bourgeois ne se refrenoient de riens de leur

félonnie, ains ne faisoient sé enforcier non plus, et eux plus assaillir,

si eut conseil et conduit par ses amis: en repost s'en yssi et s'en alla au

roy Loys qui lors estoit à Corbie. Sa complaincte fist de ses bourgeois

mesme qui conspiracion avoient faicte contre luy et assis l'avoient en sa

maison mesme et luy faisoient tant de griefs comme il povoient. Quant le

roy en fu certain par l'abbé et par autres, si envoya l'évesque de Lengres

au conte de Nevers qui celle machinacion maintenoit. Et luy manda qu'il

fist la commune despécier. Mais le duc qui estoit orgueilleux mist arrières

le commandement du roy né n'en tint compte, car les bourgeois de Vezelay ne

desvoya né ne destourba de riens de leur folle emprise.


Et quant le roy vit ce, si assembla son ost, tout entalenté de vengier

l'églyse et le despit que le conte faisoit de contredire son mandement. Si

chevaucha par grant desdaing contre le conte. Le conte qui sceut sa venue

luy manda tantost par l'évesque d'Ausseurre qu'il se contendroit à sa

volenté de la commune deffaire. Après ce mandement vint encontre le roy

jusques à Moret et luy jura et promist que jamais en sa vie à la commune ne

s'assentiroit, ains la deffendroit à son povoir. Après la fiance et la

seurté qu'il eut prise du conte, départit ses osts et s'en ala jusques à

Ausseurre. Là furent mandés les bourgeois de Vezelay et jurèrent devant le

roy que tousjours mais se contendroient à la volenté du roy et de l'abbé

Poinçon et ceux qui après luy seroient et qu'il despéceroient leur commune

né jamais ne la restabliroient. Et pour l'amende de cest outraige donnèrent

à l'abbé, par le commendement du roy, soixante mille soubs. Et ainsi fu la

paix d'eux et de l'abbé faicte et réformée. Ne scay quans jours après avint

que le conte Guillaume de Nevers recommença à assaillir celle églyse et à

contrallier pour aucunes coustumes qu'il clamoit à tort sur celle églyse

que l'abbé li nioit; pourquoy il avint que la paour de Dieu oubliée leur

soustrait-il leur viande. Et quant les moynes se virent en tel point qu'il

n'avoient que mengier, il s'en allèrent tous à Paris, aux piés du roy à

pleurs et à larmes se gettèrent et se complaignirent des tors et des griefs

que le conte leur faisoit. Et le roy pour la pitié qu'il en eut contraignit

le conte par force à tenir ferme paix et seure à l'églyse de Vezelay.


Pour tels biens et euvres de miséricorde que le roy fist par plusieurs fois

à celle églyse et aux autres dont il souffrit et endura mainte guerre, luy

donna Dieu digne guerdon de tant de bonnes œuvres comme il avoit faictes en

ce monde.


Ce fut un biau fils qu'il engendra par la volenté de Nostre-Seigneur en la

royne Ale sa femme, qui fu appellé Phelippe Dieudonné. Car par les mérites

du père le donna Dieu au royaume de France[726]. Et ce fu cil Phelippe qui

tant fu saige et vigoreux qu'il se deffendist de ses ennemis et conquist

Normandie, Anjou et Poictou et Auvergne, sur le roy Henry et Richart son

fils et les chassa en Angleterre.


Note 726: C'est ici que s'arrête le texte du dernier continuateur

d'Aimoin. Il finit en donnant le nom des trois parrains et des trois

marraines du Philippe-Auguste. Les voici: Hugues, Hervée et Eudes,

abbés de St-Germain, de St-Victor et de Ste-Geneviève; Constance,

sœur du roi Louis, et deux veuves de Paris. «Duæ viduæ Parisienses

matrinæ exstiterunt.» Ce fait m'a paru curieux.


De cestuy Phelippe parlera dès ore mais l'ystoire. Et si n'entrelaissera

pas l'ystoire à parler du père jusques à ce point qu'il trespassa de ce

siècle. Car puis que l'enfant Phelippe fu né, régna-il longuement jusques à

tant qu'il fu couronné en la cité de Rains. Mais à son couronnement ne fu

pas le père, car il estoit jà malade et féru de paralisie, si comme

l'histoire dira ci-après plus plainement.




Ci fine l'istoire du roy Loys, fils au gros roy Loys.



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