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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis

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conte Thibaut, si s'en retourna en Normandie. Et le conte Thibaut rassembla

son ost et assist un chastel qui a nom Hermeville; si séoit en la terre du

duc; et le duc, qui estoit sage et pourveu, trespassa par nuit la rivière

de Seine et vint au matin soudainement sur ses ennemis. En leur ost se feri

et occist de la gent le conte Thibaut six cent quarante personnes; et les

autres s'enfuirent que navrés que blessiés et se repostrent en bois et en

valées, là où il porent mieus. Le conte meisme eschappa à paines, et

s'enfuy reponnant à pou de gens, mas et confus, jusques à Chartres. Et si

comme Nostre-Seigneur rent à chascun sa desserte, luy avindrent deulx

autres meschiefs avecques celle perte, car en celuy meisme jour fu son fils

mort et la cité de Chartres arse. Et le duc, qui repaira[264] au champ de

la bataille, eut moult grant pitié de ceulx que il vit occis, et commanda

qu'il fussent enterrés et les navrés fussent portés à Rouen au plus souef

que l'en pourroit et livrés aux mires. Ainsi fu fait; et quant il furent

garis, il les en renvoya sains et haitiés au conte Thibaut.


Note 263:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 15.


Note 264:
Repaira.
Resta, fit séjour.



III.


ANNEE: 962.


Coment le duc Richart envoia querre secours contre le roy à Héralt, roy de
Danemarche, lequel luy envoia grant plenté de gens d'armes qui ardirent et
destruirent grant partie de France.



[265]Bien véoit le duc les maies volentés que le roy avoit à luy et les

agais que il luy bastissoit par les conseils et par le pourchas le conte

Thibaut, et d'autre part les barons de France forcenés contre luy, ainsi

comme tous d'un accort: si ne sceut que faire s'il ne quéroit secours

d'aucuns gens.


Note 265:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 16.


Pour ceste chose envoya ses messages à Héralt, le roy de Danemarche, et luy

prioit que il le secourust et que il luy envoyast si grant plenté de gent

que il peust donner et abatre l'orgueil des François. Le roy receust les

messages liement et leur donna dons; et remanda au duc qu'il luy envoleroit

secours prochainement. Bien luy tint son convenant; car il appareilla

tantost grant navie et bien garnie de jeune bachelerie et de toutes

manières d'armeures. De leur pays se départirent et singlèrent tant par mer

qu'il arrivèrent là où Saine chiet en la mer.


Moult fu lié le duc quant il sceut leur venue. A l'encontre leur alla et

vint avec eulx contre mont Saine jusques à Gondolfosse[266]. Là

s'arrestèrent jusques à tant qu'il oient ordené comment il dégasteroient

France.


Note 266:
Gondolfosse.
Aujourd'hui
Gefosse
, lieu situé entre

Vernon et Bonnières, sur la Seine. En latin:
Givoldi fossa
et

Ginoldi fossa
. Le roman de Rou:


A Guiefosse alèrent, illau se herbergèrent....


(Vers 4916.)


De leurs nefs issirent à grant tumulte et à grant noise: par le pays

s'espandirent et ardirent et destruirent quanqu'il trouvèrent avant eulx.

Les hommes et les femmes traynoient enchayennés; les villes et les cités

roboient; les chasteaux et les forteresses trébucheoient et metoient en

gastines. Partout oïssiés crier et braire communément; et quant la terre le

conte Thibaut feust gastée, si entrèrent après en la terre le roy; et ce

qu'il ravissoient vendoient-il aux Normans et leur donnoient pour petit de

prix; mais en la terre de Normandie ne faisoient-il nul mal.



IV.


ANNEES: 962/991.


Coment le roy Lothaire ala à amendement au duc Richart de Normandie, et
coment il fermèrent pais et aliance ensemble.



[267]Tandis comme ces persécutions se faisoient au royaume de France, les

prélas s'assemblèrent et furent en concile à Loon. En la parfin envoyèrent

l'évesque de Chartres au duc Richart pour enquerre la raison de quoy si

grant cruauté venoit de si bon crestien et de si débonnaire prince; et

quant l'évesque eut entendu que c'estoit pour la cruauté le roy et pour la

desloyauté du conte Thibaut qui luy avoit osté la cité d'Evreux, si demanda

trièves des païens et les eut, de telle manière que dedans le terme des

trièves le prélat amenroit le roy en aucun lieu déterminé pour faire

amendement au duc de quanque il avoit mespris vers luy.


Note 267:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 17.


Bien sceust le conte Thibaut la nouvelle de ceste besoingne et que le roy

requeroit paix au duc. Si se doubta moult que le fais et la paine de toute

la desloiauté n'eschéist sur luy. Au duc envoya un moine et luy manda que

moult se repentoit de ce qu'il avoit oncques vers luy mespris et que moult

volentiers vendrait à sa court et luy rendroit la cité d'Evreux. Moult fu

le duc lié de ce mandement: puis luy manda qu'il venist à luy seurement; et

il vint à sa court et lui rendi sa cité. Ensemble fermèrent paix et amour;

et luy donna le duc grans dons au départir. Quant le terme du parlement

approcha, que les prélas durent amener le roy à Gondolfosse, le duc fist

faire grans loges en l'ost des païens. Là descendi le roy et les prélas et

les barons. Au duc amenda toutes les mesprisons dont il s'estoit mesfait

vers luy, et donnèrent les uns aux autres serement de paix et d'alliances

à tousjours mais. Et ces choses ainsi profitablement faites, se départirent

d'une part et d'autre. Et le duc converti plusieurs des païens à la foy

crestienne, puis les envoya en Espaingne sur les Sarrazius, où il

destruirent dis-huit cités[268].


Note 268: Le texte de cette dernière phrase est mal traduit. «Alios

in paganismo permanere disponentes, ad Hispanias transmisit. Ubi

plurima bella perpetrantes, decem et octo diruerunt urbes.» Waco n'a

pas commis ce contre-sens.


[269]En ce temps morut Emma la duchesse, sans nul hoir, qui eut esté fille

Hues-le-Grant. Après un pou de temps espousa le duc une moult noble dame de

la gent de Saissoingne qui avoit nom Gunor. En celle engendra trois fils:

Richart, Robert et Mangier; et deux autres fils et trois filles: la

première, qui eut nom Emma, espousa puis Aldelrede, le roy d'Engleterre. De

celle issirent deux fils, Counars et Alurés[270]. La seconde, qui eut nom

Helduys, espousa Geffroy, le conte de Bretaingne. De celle issirent OEudes

et Alain, qui puis furent ducs; et la tierce, qui eut nom Maheut, fu

espousée au conte Heudon, dont l'istoire parlera cy-après[271]. [272]Cil

vaillant duc Richart mouteplioit tousjours en bonnes œuvres et restoroit et

édifioit églyses. A Fescanp fonda une églyse de grant beauté et de

merveilleuse grandeur en l'honneur de la sainte Trinité et l'ournaet garni

de riches aournemens; et celle de Saint-Oyen restora, qui est en la cité de

Rouen, et celle aussi de Saint-Michel, qui est au Péril-de-Mer[273], et

establi laiens un couvent de moines pour servir Nostre-Seigneur.


Note 269:
Willelm. Gemet. hist., lib. 4, cap. 18.


Note 270:
Counars et Alurés.
Le latin dit: «Edwardum et Alvredum,

Godwini longo post tempore dolis interremptum.»


Note 271:
Ci-après.
Guillaume de Jumièges dit: «Mathildis de quâ

sermo in posteris orietur.» Ce qui semble différent.


Note 272: Ici notre auteur traduit la chronique d'Ademar de

Chabanois, dont on trouve un extrait dans le tome 8 des Historiens de

France, p. 235.


Note 273:
Au péril de mer.
Adémar do Chabanois fait sur ce nom la

remarque suivante qui rappelle la topographie des romans de la Table

ronde:
Et in ea Normannia quæ anteà vocabatur Marcha Franciæ et
Britanniæ, monasterium Sancti-Michaelis, etc
.


[274]En ce temps mourut Hues, l'archevesque de Rouen. Après luy fu Robert,

qui fu fils le duc Richart[275].


Note 274:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 19.
(Voy. Historiens

de France, tome X, p. 184.)


Note 275: Et de
Gunnor
.


Li secuns fu à lettres mis:

Robert ot nun, bien fu apris;

Arcevesque fu de Ruen

Emprès l'arcevesque Huen.


(Wace. Vers 5408.)


[276]Ne demoura puis granment que le roy Lothaire assembla grans osts et

voult à soi retraire le roïaume Lothaire qui au temps le roy Loys son père

eut esté soustrait au royaume. Jusques à Ais-la-Chapelle ala où l'empereur

Othes et sa femme estoient. Lors, si les surprist que il s'embati sur eulx

au palais, à celle heure que il se devoient asseoir au mangier. Au palais

entra sans contredit de nulluy. L'empereur et sa gent et sa femme vuidèrent

le palais et s'enfuyrent; et cil burent et mangièrent ce qu'il y avoit

appureillié; et Lothaire et sa gent robèrent le palais et toute la

province; puis s'en retourna en France sans suite de ses ennemis et sans

contredit.


Note 276:
Ex chronico Hugonis Floriacensis.
(Histoire de France,

tome 8, p. 323.)


L'empereur Othes, qui moult fu dolens de ce que Lothaire l'eut ainsi

surprins, rassembla ses osts. En France entra et vint devant la cité de

Paris. Devant la cité fu occis un sien neveu et maint autre de sa geut. Les

forbours de la cité ardirent et gastèrent. Vanté s'estoit l'empereur Othes

que il ficheroit sa lance en la porte de Paris; et le roy Lothaire se

pourchaça[278] et appela en son ayde Hues-le-Grant, qui duc estoit de

France, et Henry, le duc de Bourgoingne. Sur Othes et sur sa gent

coururent; et la gent Othes ne les purent souffrir, si se mistrent à la

fuite et cil les enchascèrent jusques à Soissons et par force les firent

flatir en la rivière d'Aigne. Et pour ce que du royaume ne savoient pas les

gués, se noïèrent, et plus en y eut de noïés que d'occis, si que la rivière

redonda par-dessus les rives pour la plenté des corps noïés; et pour ce ne

laissa pas Lothaire à eulx chascier; ains les enchauça continuelment trois

jours et trois nuis jusques à une rivière qui court de lez Argonne[272] et

moult en y eut d'occis en celle chace. A tant retourna le roy à grant

victoire, et l'empereur Othes s'enfuy à grant confusion; né puis ne fu si

hardi que retournast en France, ains s'accorda au roy et fist paix, en

celle année meisme, en la cité de Rains. Et luy dona le roy en bénéfice le

roiaume Lothaire, contre la volenté Hues-le-Grant et Henry, le duc de

Bourgoingne, et de tous les barons; et ce fu une chose qui trop durement

courouça les barons de France.


Note 277:
Se pourchaça.
Se donna du mouvement, se mit en quête. De

même dans
Garin Le Loherain
, tome 1er, p. 180:


«Sire, dist-il, entendez envers mi:

Porchasciés
s'est Fromons, ce m'est avis;

Il a tant fait que il a feme prins.»


Note 278: Hugues de Fleury dit: «Usque ad fluvium quod fluit juxta

Ardennam
sive
Argonnam


[279]En ce temps fu Gautier, doyen de l'abbaïe St-Germain, dessoubs Hues le

duc de France. Après luy fu un autre qui avoit nom Auberis; mais

Hues-le-Grant, qui tendoit à plus grant chose, laissa l'abbaïe qui moult

estoit jà dommagiée et venue à néant, en temporalité et en spiritualité,

par le deffaut de pasteur et de gouverneur. Et le vaillant Galles la prist

après en cure, par la prière du roy Lothaire et le duc Hues meisme qui

moult de biens y fist.


Note 279:
Aimoini continuatio, lib. V, c. 44.


Maladie prist le roy Lothaire au lit; acoucha et trespassa de ce siècle

vieux et plain de jours, en l'an de l'Incarnacion Nostre-Seigneur neuf cent

quatrevins-six. En l'abbaïe St-Remy de Rains fu mis, et fu mors au

trentième an de son règne et gouverna le royaume bien et viguereusement.



§.


Du roy Loys, fils de Lothaire.



Après le roy Lothaire fu le roy Loys couronné. Jeune estoit d'aage. Luy

régna neuf ans. Mors fu sans hoir en l'an de l'Incarnation neuf cent neuf

vingt et sept. Enseveli fu en l'églyse Saint-Cornille de Compiengne. (De

luy né de ses fais ne parole pas l'istoire, ains s'en taist atant; et pour

ce, nous en convient taire.)



§.


De Charles, frère au roy Lothaire.



Après le roy Loys vint au royaume Charles, le frère Lothaire, dont

l'istoire a dessus parlé, qui menoit sa vie en privées choses. Recouvrer

cuida la lignée de ses ancesseurs pour ce que son nepveu le roy Loys estoit

mort sans hoir; mais faire ne le pot, pour la force Hues Cappet qui en

celle année meisme se rebella contre luy. Et la raison si estoit pour ce

qu'il[280] avoit espousée la fille Herbert, le conte de Troies. Grant ost

assembla et assist la bonne cité de Laon où Charles et sa femme estoient;

et il issi hors contre luy à tout son ost, et ardi et craventa leur

herberges. Quant le duc vit qu'il ne le porroit ainsi seurmonter, si fist

tant qu'il trait à son accort l'évesque de la cité de Laon qui avoit nom

Asselins et qui du conseil Charles estoit. Une nuit que Charles et sa gent

se dormoient, ouvri les portes de la cité et reçu dedens Hues-le-Grant et

sa gent, pris fu et lié Charles et sa femme et mené en prison en la cité

d'Orléans. L'istoire ne l'appelle pas roy, pour ce qu'il n'avoit oncques

esté couronné.


Note 280:
Pour ce qu'il.
Pour ce que Charles avoit épousé, etc.


Par la force le duc Hues tant demoura en prison en la tour d'Orléans, que

sa femme eut deulx enfans: Loys et Charles, et deulx filles: Ermengart et

Gerberge. Ermengart fu mariée à Aubert, conte de Namur. (Puis que le duc

Hues vit que les hoirs et la lignée le grant Charlemaines fu destruite et

ainsi comme faillie et que il n'eut mais nulluy qui le contredéist,) si se

fist couronner en la cité de Rains.



Ci faut la génération du grant empereur et roy Charlemaines.





[281]Cy faut la lignée du grant roy Charlemaines et descent à la lignée et

aux hoirs Hues-le-Grant, que l'en nomme Cappet, qui duc estoit de France au

temps de lors. Mais puis fu elle recouvrée[282] au temps le bon roy

Phelippe-Dieudonné. Car il espousa, tout appenséement pour la lignée

Charles-le-Grant recouvrer[283], la royne Ysabelle, qui fu fille le conte

Baudouin de Henaut. Et cil Baudouin fu descendu de madame Ermangart, qui fu

fille Charles, le conte que le roy Hues Cappet fist tenir en prison à

Orléans, si comme l'istoire a là-dessus compté[284]: dont l'en puet dire

certainement que le vaillant roy Loys, fils le bon roy Phelippe, qui mort

fu à Monpencier au retour d'Avignon, fu du lignage le grant roy

Charlemaines; et fu en lui recouvrée la lignée Charlemaines, et son fils

aussi le saint hom qui fu mort au siège devant Thunes, et cil roy Phelippe,

qui maintenant règne et tous les autres qui de luy descendront, sé la

lignée ne deffaut, dont Diex et messire Saint-Denys la gart[285]!


Note 281: Ce préambule et le chapitre entier de Hugues Capet sont

omis dans le manuscrit de Charles V, n° 8395.


Note 282:
Puis fu-elle recouvrée.
Plus tard, la lignée de

Charlemagne rentra-t-elle en possession de la couronne.


Note 283:
Tout appenséement pour, etc.
Précisément dans l'intention

de faire rentrer la couronne dans la famille de Charlemagne.


Note 284: Le texte suivi par don Brial est, dans cette circonstance,

fautif.


Note 285: On voit par ces dernières paroles que c'est au roi

Philippe-le-Hardi qu'il faut reporter la plus ancienne traduction de

nos chroniques.





CI COMMENCENT LES FAIS

DU ROY HUES CAPPET.





§.


ANNEE: 995.


Coment fist guerre à Arnoul, conte de Flandres; et coment à tort fist
dégrader l'archevesque de Rains. Coment le pape escomenia tous ceux qui
l'avoient dégradé; coment il fu remis en son siège, et de la mort le roy
Hues.


(En la nouvelleté que le roy Hues fu couronné, en la manière que vous avez

oï),[286] ne luy voult obéïr Arnoul, le conte de Flandres. Dont le roy

assembla grant ost et ala contre luy, et luy tolly tout Artois et tous les

chasteaux et forteresses qui estoient sur une eaue qui a nom Lys. Lors fu

le conte Arnoul moult dolent pour son dommage et pour la male volenté du

roy. Au duc Richart de Normandie s'en ala et luy pria moult qu'il

pourchassast sa paix vers le roy et vers les barons de France. Et le franc

duc, (qui pas ne prenoit garde à la desloiauté du conte, par cui trayson

meisme son père avoit esté occis), s'en ala au roy à parlement, et fist

tant vers luy que il pardonna au conte son mautalent et luy rendi sa terre.


Note 286:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 19.


[287]En ce temps estoit archevesque de Rains un preudhomme qui avoit nom

Arnoul. Frère avoit esté le roy Lothaire de bast[288]. Moult luy portoit le

roy grant envie, pour ce qu'il estoit du lignage le grant roy Charlemaines,

et le vouloit du tout esteindre et anéantir. Pour luy dégrader fist

assembler un concile en la cité de Rains; et fist semondre Seguin,

l'archevesque de Sens et tous ses évesques. En ce concile fist abatre et

deposer l'archevesque Arnoul par mautalent de son frère Charlon que il

tenoit en prison; et disoit que un bastart ne devoit mie estre en telle

prelacion. En prison le fist mettre avec Charles, son frère, en la cité

d'Orléans. En lieu de luy fist mettre et ordener au siège un moine qui

avoit nom Gerbers. Cil Gerbers estoit grant clers et philosophe et avoit

esté maistre à Robert, le fils le roy Hues; mais à la déjection de Arnoul

et à la promocion de Gerbers ne se voult oncques accorder le vaillant

Seguin, archevesque de Sens; tout l'eust le roy commandé, qui forment les

contraingnoit à ce qu'il s'accordassent à sa volenté: mais les autres

s'accordèrent à ce, qui plus doubtèrent un roy terrien que le souverain roy

des roys. Mais l'archevesque Seguin, qui plus doubtoit Dieu que homme, en

reprist le roy devant tous et le contredist tant comme il peust. De ce fu

le roy si durement courroucé qu'il le fist jeter hors de l'églyse

Nostre-Dame vilainnement. Trois ans demoura Arnoul desgradé. A la parfin fu

ceste chose annonciée à l'apostole, qui moult le porta grief. Tous les

évesques qui avoient Arnoul desgradé escommenia et qui avoient Gerbers

ordené. Et envoia l'abbé Léon à Seguin, l'archevesque de Sens, et luy manda

qu'il assemblast un concile en la cité de Rains et rappelast, sans demeure,

Arnoul et le restablist en son siège. Quant le conseil fu assemblé à Rains,

Seguin, l'archevesque, fist le commandement de l'apostole; et fu l'appelé

Arnoul de prison et restabli en son siège. Et Gerbers, qui bien entendi

qu'il avoit receu contre droit l'archeveschié, s'en repenti moult et

forment disputa contre l'abbé Léon messagier à l'apostole. La disputoison

d'eulx, qui moult est profitable, trouveras escripte ès fais des apostoles

de Rome. Après fu ce Gerbers esleu à l'archeveschié de Ravennes, par

l'empereur Othes et le peuple de la cité. Par plusieurs ans tint

l'archeveschié, jusques à tant que l'apostole mourut; lors requist le

peuple de Rome que il leur fust donné et ainsi fu-il apostole.


Note 287:
Ex Orderici Vitalis ecclesiastica historia, lib. 1.

(Voyez Historiens de France, tome X, p. 234.) Le même texte se trouve

dans la continuation d'Aimoin, lib. V, c. 45.


Note 288:
De bast.
C'est-à-dire
bâtard
, quoiqu'en aient cru les

éditeurs du 10ème volume des Historiens de France. Dom Bouquet, comme

on sait, n'a poursuivi son excellent travail que jusqu'au milieu du

9ème volume. Ses successeurs, moins habiles que lui, sont, jusqu'au

12ème, doms Haudiquier frères, Housseau, Précieux et Poirier.


L'an de l'Incarnation de Nostre-Seigneur neuf cens quatre-vins dix-huit

mouru le roy Hues. Enseveli fu en l'églyse Saint-Denys avec les autres

roys. Poi plus d'un an gouverna le roiaume de France[289].


Note 289: Ces dates sont inexactes. Hugues Capet fu couronné en 987,

et mourut le 24 octobre 996.





CI COMMENCE L'ISTOIRE

DU BON ROY

ROBERT.







I.


ANNEE: 998.


Coment le roy Robert fu preudhome et bien morigené et bon clerc. Et coment
il fit plusieurs nobles sequences de l'églyse. Après, coment Melun fu livré
par traïson, et coment il fu recouvré par le roy.



[290]Auprès le roy Hues, gouverna le roïaume son fils, le roy Robert qui,

au temps, son père meisme, avoit esté couronné. Moult fu cil roy débonnaire

et attrempé, et l'un des mieux entechiés de tous les roys et des mieux

morigenés; preudom et loial, et moult aima sainte églyse. Bon cler fu et

merveilleux trouverre de beaux dis en sequences et en respons que l'en

chante en sainte églyse, comme la sequence du Saint-Esperit:
Sancti
Spiritûs adsit nobis gracia
; et le respons de la vigile de Noël:
O Judæa
et Jherusalem!
et ce respons des martyrs:
O Constancia martirum!
[291] et

ce respons de Saint-Père:
Cornelius Centurio
.


Note 290:
Ex chronicâ regum Francorum.
Des fragmens de cette

chronique renfermée dans le manuscrit du roi, fonds de Colbert

n° 1320, ont été données dans le tome X des Historiens de France,

p. 301.


Note 291: La chronique de St-Bertin s'exprime ainsi: «Ipse habuit

uxorem reginam nomine Constantiam quæ semel rogavit eum ut aliquid in

ejus memoriam faceret. Composuit igitur
R. O Constantia martyrum!

Quod regina propter vocabulum
Constantia
, suo nomine credidit esse

factum.»

(Hist. de France, tome X, page 299.)


Le jour de la feste Saint-Père un jour estoit à Rome: présens estoient

l'apostoile et les cardinaulx. Et le roy s'en ala à l'autel et mist dessus

une escro[292] ou cil respons estoit escript et noté; si l'avoit

nouvellement trouvé. Si cuidèrent tous qu'il eust fait une grant offrande;

et quant il y gardèrent si n'y trouvèrent autre chose. Et tout fust-il

grant cler, si fu il bon roy et vertueusement gouverna le roiaume et mist

soubs pié et plaissa[293] ses rebelles.


Note 292:
Escro.
Billet, papier, rollet. La formule la plus commune

des mandats, dans le moyen-âge, commence ainsi:
Baillés escroe de
telle somme à, etc.


Note 293:
Plaissa.
Maltraita.


[294]En sa nouvelleté avint que tandis comme Bouchart, le conte de Melun,

estoit à sa court, Gautier, un sien chevalier, et sa femme, en cuy garde le

chastel estoit demouré, le livra au conte Hues[295] par grans dons que il

luy donna. Au roy s'en complaint le conte Bouchart, et le roy manda tantost

au conte Hues, que il rendist au conte Bouchart son chastel que il luy

avoit mauvaisement soustrait. Cil qui se fia en la force du chastel pour la

rivière de Saine qui cueurt tout autour, remanda au roy que jà tant comme

il vivroit ne se rendroit né à luy né à autre.


Note 294:
Willelmi Gemet. hist., lib. V, c. 14.


Note 295: Hues, comte de Troyes.


De ceste response fu le roy moult couroucié. Au duc Richart de Normandie

manda qu'il venist à luy pour telle besoingne, et il y vint moult liement à

grant force de gent. Le chastel assist d'une part et le roy d'autre.

Drecier firent les engins et assaillirent forment et par jour et par nuit.

Si virent ceulx dedens que il ne le pouvoient longuement tenir contre la

force le roy: si orent conseil que il le rendroient sauves leurs vies.

Ainsi ouvrirent les portes et reçurent le roy et le duc dedens. Gautier,

qui le chastel avoit tray, livrèrent; et le roy le fist tantost pendre, luy

et sa femme, et puis rendi le chastel au conte Bouchart. Atant prist le duc

congié de retourner en son pays, et le roy le mercia moult de son secours.


[296]
Incidence.
--En celle année, qui fu neuf cent nonante et neuf,

commença Seguin, le vaillant archevesque de Sens, à restorer l'abbaïe

Saint-Pierre-de-Melun et y mist un abbé qui avoit nom Gautier. En ce temps

mouru le vieux Reinart, conte de Sens, qui maint mal avoit fait. Enseveli

fu en l'églyse Sainte-Colombe de Sens. Après luy tint la conté son fils

Fromont. Espousée avoit la fille Régnault, le conte de Rains[297].


Note 296:
Chronicon Hugonis Floriacencis.
(Historiens de France,

tome X, f° 220.)


Note 297:
Comte de Rains.
Quel pouvoit être ce Regnault, comte de

Reims, mentionné par Hugues de Fleury? C'est la première fois qu'il

est parlé d'un comte laïe de cette ville, et c'est sans doute une

erreur.


[298]
Incidence.
--En cel an trespassa Seguin, le honorable archevesque de

Sens, qui fu l'an de l'Incarnation mil. Après sa mort fu l'églyse vaquante

un an. Tout le peuple de la cité requéroit que le archediacre Leuthaire

fust ordené. Cil Leuthaire estoit moult noble home de lignage et noblement

aourné de meurs, mais plusieurs estoient contraires à luy, pour ce qu'il

béoient à la dignité; et meismement le conte Fromont, fils le vieus

Raihart, qui descendu estoit et né de mauvaise racine, contredisoit sa

promocion pour un sien fils qui Brun avoit nom, dont il béoit à faire

archevesque. Mais autrement avint si comme Dieu le volt; car quant tous les

évesques furent assemblés, il jetèrent jus toute paour terrienne, et par la

volenté de l'apostole, ordenèrent l'archediacre Leuthaire.


Note 298:
Hug. Flor. chronicon, anno 1000.



II.


ANNEE: 996.


Du duc Richart de Normandie; coment il ordena son fils Richart duc après
lui, et coment il mouru.



[299]Le duc Richart de Normandie, lesquieux tesches sont exemple de bonne

vie, estoit jà moult desbrisié. Tant amoit paix que tous ceux que il savoit

en contens, il ramenoit en concorde ou par luy ou par ses messages.

Débonnaire père estoit à toutes gens de religion, au clergié prest aydeur.

Humilité essauçoit et abaissoit orgueil; les povres soustenoit, les veuves

et les orphelins nourrissoit et deffendoit.


Note 299:
Willelm. Gemetic. hist., lib. IV, cap. 19.


Quant il senti qu'il affoibloioit, si appela, une heure, le conte Raoul,

son frère, et luy demanda conseil coment il ordoneroit de sa terre. Cil fu

moult esbahi quant le duc luy parla de telle chose; mais toutefois luy

conseilla qu'il ordenast du commun estat du pays. Ses nobles homs manda, et

fist devant tous venir son fils Richart et parla en telle manière: «Mes

chevaliers et mes compaingnons, je ay esté vostre sire jusques au jour

d'uy; mais puisque Nostre-Seigneur me vuelt à soy appeler, il me convient

de vous partir. Pour ce, vous prie sé vous oncques m'aimastes, que vous

obéissiez à mon fils, et que vous luy soyez loyaux ainsi comme vous avez

tousjours esté vers moy, car vous ne me povez plus avoir à seigneur.» Quant

il eut ainsi parlé en plourant, toute la sale fu remplie de cris et de

gémissemens, et quant ce fu passé si s'accordèrent à sa volenté: l'enfant

Richart reçurent à seigneur et luy firent feauté et hommage, et le duc

acoucha du tout, pour la maladie qui l'engregeoit. De ce siècle trespassa

plain de jours et rendi son esprit, entre les paroles d'oroison.


(De son fils Richart peut-on moult de bien dire. A son père retraioit en

graces et en vertus et en toutes bonnes tesches; et si ne fait pas moins à

loer du père en victoire et en discipline de chevalerie.) [300]En armes fu

moult esprouvé noblement, et sagement conduisoit ses osts en bataille et

gouvernoit, et tousjours acoustumément avoit victoire de ses ennemis. Et

tout fust-il ainsi abandonné aux choses temporels et au tumulte du siècle,

si estoit-il ferme et entier en la foy crestienne et envers ceux qui Dieu

servoient humbles et dévots; si que plusieurs églyses et abbaïes

mouteplioit en son temps, soubs luy et soubs sa seigneurie.


Note 300:
Id., lib. V, cap. 17.


[301]Un frère avoit le duc Richart qui Guillaume avoit nom; si luy avoit

donné la conté de Hiemes[302], mais il ne volt à luy obéir par aucuns

mauvais amonestemens, et se vouloit soustraire de son hommage. De ce le

chastia le duc aucunes fois par ses messages, mais amander ne se voult. A

la parfin le fist prendre et mettre en prison; touteffois eschappa-il en

derrenier par une corde que un sien chevalier luy pourchaça, et puis se

mist à la fuite. Par jour se reponnoit, qu'il ne fust apperçeu, et par nuit

fuioit tant comme il povoit.


Note 301:
Id., lib. V, cap. 3.


Note 302:
Hiemes.
C'est le comté d'
Hiesmes
, ainsi nommé du bourg

d'
Exmes
ou
Hiesmes
, à trois ligues d'Argenton. La chronique

latine, dont plusieurs fragmens sont transcrits dans les
Historiens
de France
, tome X, page 302, porte ici et plus bas:
Comitatum
d'Eu
. Guillaume de Jumièges écrit d'abord ici:
Oximensem
comitatum
; et plus bas:
Ocensem comitatum
. Wace de même distingue

le
premier fief de Guillaume
,


A Willealme a
Vuismes donné
.

(Vers 6123.)

du second, le
conté d'Ou
.


Touteffois se pourpensa-il que il assouageroit la débonnaireté de son

frère, et que mieux luy valoit qu'il se meist en sa mercy que requérir la

débonnaireté d'aucun roy ou d'aucun conte qui au derrenier luy vaudroit

petit. En ce propos demoura et s'en ala à son frère qu'il trouva chasçant

en un bois. A ses piés se laissa cheoir et luy requist mercy, en pleurant,

quant il luy eut compté coment il estoit eschappé de prison. Et le duc le

leva de terre, et tantost luy pardonna son mautalent et luy donna la

contée[303], et l'aima puis tousjours comme son frère, et luy donna à femme

Elveline, une noble pucelle, fille d'un haut homme qui avoit nom Turchel.

De celle femme eut trois fils: Robert, qui sa contée tint après luy, et

Guillaume, conte de Soissons, et Hues, qui fu puis évesque de Lisieus.


Note 303:
La contée.
Le mot est laissé en blanc. C'est l'
Ocensum
comitatum
de Guillaume de Jumièges.



III.


ANNEE: 1002.


Coment Edelred, le roy d'Angleterre, envoia grans gens d'armes en navie
pour destruire Normandie, coment les Normans les mirent tous à mort.



[304]
Incidence.
--En ce temps avint que Edelred le roy d'Angleterre qui la

seur du duc avoit espousée assembla grant navie et l'envoia sur le duc

Richart pour soy vengier d'aucuns contens qu'il avoit à luy. En celle

besoingne eslut les meilleurs de tout son règne et leur commanda qu'il

destruisissent toute la Normandie avant eulx sans néant espargnier, fors

que seulement l'églyse Saint-Michiel au Péril-de-Mer, car à si saint lieu

n'à si religieux ne doit nul s'adresser pour mal faire. Et leur commanda

que quant il aroient toute Normandie arse et destruite que il préissent le

duc Richart de Normandie et luy amenassent les mains liées darrière le dos.

Eux se partirent d'Angleterre et arrivèrent en Normandie au rivage de

Saine; de leur nefs issirent et boutèrent le feu ès villes et es hameaux

dessus la marine. Ceste nouvelle vint à Nigel, un prince de Costentin: lors

assembla la chevalerie et les gens de pié du pays; sur les Anglois

coururent et firent d'eulx si grant occision que il n'en demoura que un

tout seul qui aux autres racompta leur meschéance. Cil s'en estoit fuy et

se tenoit loing de la bataille; et quant il vit la dolour et l'occision de

leur gent, si s'en fuy à ceulx qui leur nefs gardoient et leur compta la

mortalité de leur gent; et ceulx s'assemblèrent tous en trois des meilleurs

nefs et des plus fors et se traistrent en un rigort de mer[305] à grant

paour de leur vie, leurs voiles tendirent et s'en fuirent arrière en

Angleterre; et quant le roy Edelred les vit, si leur demanda tantôt le duc

Richart; et il luy respondirent qu'il n'avoient oncques le duc veu, mais il

s'estoient combattus à leur grant malavanture à la gent d'une contrée si

fort et si cruel qu'il avoient tous ses chevaliers occis; et quant le roy

Edelred oï ces nouvelles, il eut grant honte et s'apperçu lors de sa folie.


Note 304:
Willelm. Gemet., lib. V, c. 4.


Note 305:
Rigort de mer.
Golfe, anse. «
In sinum maris
ne

conferentes.»


[306]Bien véoit Geoffroy, le conte de Bretaingne, la valeur du duc Richart

et coment il s'accroissoit tousjours en force et en richesse: si se pensa

que plus fors et plus seur en seroit s'il avoit l'amour et l'alliance de si

grant prince par aucune affinité. Par le conseil de sa gent, issi de

Bretaingne et s'en vint à sa court moult noblement; et le duc le reçut

moult honnorablement et le retint avec luy par aucuns jours; et quant il

vit que le duc l'eut si noblement receu, si demanda en mariage une sienne

sereur qui avoit nom Hadvis. Moult estoit belle et honneste et sage. Et le

duc luy octroïa moult volentiers, par le conseil de sa gent. Là meisme

l'espousa-il à grant solempnité. Après les nopces se parti le conte à grant

dons et retourna en son pays liément. En ceste dame engendra, puis, deux

fils: Huedes et Alains, qui puis furent hoirs de sa terre.


Note 306:
Willelm. Gemet., lib. V, c. 5.



IV.


ANNEE: 1011.


Du descort qui fu entre le duc Richart de Normandie et Huedes, le conte de
Chartres. Et coment le roy Robert les mist en pais.



[307]En ce temps espousa Huedes, le conte de Chartres, Maheut, une des

sereurs du duc Richart, et luy donna en douaire la moitié du chastel de

Dreux qui siet sur la rivière d'Avre[308]. Si avint que celle dame mouru

sans hoirs. Après sa mort volt le duc reprendre celle terre qu'il luy avoit

donnée en douaire; mais le conte Huedes qui moult estoit malicieux ne luy

voult laissier le chastel de Dreux, et le duc assembla son ost et s'en vint

sur la rivière d'Avre. Là fonda un chastel qui a nom Tillierres[309]; moult

le fist bien garnir et prist la garnison en la terre le conte Thibaut.

Après le livra en la garde le conte Noel de Coustance, et Raoul de

Thoen[310] et Rogier son fils; lors s'en départi et renvoya chascun en son

pays. Et le conte appareilla son ost et appella en son ayde le conte Huedes

du Mans et Galleran, le conte de Meulent; ainsi chevauchèrent toute nuit.

Au matin vindrent leurs coursiers à toutes leurs armes devant le chastel de

Tillières; et quant les barons qui dedens estoient les apperçurent, si

gardèrent les entrées du chastel de leur gent meisme, et puis issirent hors

contre eulx et les desconfirent en bataille en pou d'eures; si que il en y

eut d'occis la plus grant partie; et les autres s'en fuyrent là où il

porent mieux; le conte Huedes et le conte Galleran s'en fuyrent et se

mirent au chastel de Dreux; mais le cheval sur quoy le conte Huedes estoit

chay mors; et le conte s'en fui tout à pie jusques à un parc de brebis et

despouilla le hautbert de son dos et le couvri en un champ, au royon[311]

d'une charrue: et puis vesti le mantel d'un bergier et portoit les cloies

du parc, d'un lieu en autre, sor ses épaules pour soy plus desguyser, qu'il

ne fust apperçu de ses ennemis; et disoit aux Normans qui enchausceoient

les fuyans que il se hastassent, car cil n'estoient pas loing d'eulx. Quant

il furent oultrepassé, il prist un bergier pour soy conduire parmy les

bois. Au tiers jour vint au Mans à quelques paines, les piés et les jambes

escorchiés d'espines et des chardons.


Note 307:
Willelm. Gemet. hist., lib. V, c. 10.


Note 308: Notre traducteur n'est pas exact ici; Guillaume de Jumièges

ne dit pas que Dreux fût situé sur la rivière d'
Avre
, mais que le

duc de Normandie donna, avec la moitié du château de Dreux les

terrains qui touchoient au fleuve d'Avre. «Cui dux medietatem

Dorcasini castri dedit dotis nomine, cum terrâ super Arvæ fluvium

adjacente.» L'Arve se jette dans l'Eure, à une lieue au-dessous de

Dreux, et il s'agit ici sans doute des terrains renfermés entre

l'Eure et l'Avre; peut-être tout l'ancien Thimerais.


Note 309:
Tilliers
ou
Tillières
, situé sur la rivière d'Avre, à

une lieue de Verneuil.


Note 310:
Thoen
ou
Tony
, nom d'une famille ancienne dont le fief

seigneurial étoit
Tony
, près de Gaillon.


Note 311:
Au royon.
Au sillon. «Sub telluris sulco.»


[312]Quant le duc Richart vit que le conte Huedes estoit si esmeu contre

luy, et monté en telle forcennerie que il s'efforçoit en toutes manières de

luy tollir terre, si envoya ses messages à deux roys païens pour querre

secours: à Olau le roy de Noronce[313] et Lacman le roy de Souabe. Les roys

reçurent volentiers les messages et leur donnèrent beaux dons, et mandèrent

au duc par eulx meismes qu'il vendroient prochainement à grant gent, si

comme il firent: car il arrivèrent en Bretatngne à grant navie; et les

barons s'assemblèrent de toutes pars et cuidèrent les païens surprendre et

despourveus; mais ceulx qui bien seurent leur venue si s'appensèrent d'une

nouvelle malice; si firent fosses parfondes et larges par dessoubs et

estroites par dessus, parmy les champs où les Bretons devoient venir; et

ceulx qui vindrent isnellement sur eulx que il cuidoient avoir surpris

chéyrent en ces fosses et tant en y eut d'occis que pou en eschappa de

celle bataille. Et les païens passèrent plus avant et assistrent la cité de

Dol et la pristrent et ardirent; et occirent Salemon, avoué[314] du lieu.


Note 312:
Willelm. Gemet. hist., lib. V, cap. 11.


Note 313:
Noronce.
«Olaum scilicet Noricorum (rex).» Olaüs, roi de

Norwège.


Note 314:
Avoué.
Gouverneur, commandant.


Après ceste destruccion se retrairent en leurs nefs et singlèrent tant

qu'il vinrent là endroit où la rivière de Saine chiet en la mer. Contre

mont nagièrent jusques à Rouen et le duc Richart les reçut liément.


[315]De la persécucion que les païens eurent faite en Bretaingae fu le roy

Robert moult couroucié; et quant il fu certain que le duc Richart les avoit

mandés pour destruire le conte Huedes de Chartres si se doubta moult que il

ne s'espandissent par France. Tous ses barons manda à Coldres, et si manda

aussi le duc Richart et Huedes le conte de Chartres. La cause de la

discencion entendi et fist tant qu'il s'accordèrent à paix, en telle

manière que le conte Huedes rendroit le chastel de Dreux et le duc aroit la

terre qui siet sor la rivière d'Avre; et que le chastel de Tillières

demourroit en ce point en la main le duc et de ses hoirs. Ainsi fu faite la

paix. Et le duc s'en retourna lié et joyeux à ses deus roys. Largement les

soudoia, si retournèrent en leur pays, tout appareilliés de retourner à son

mandement. Mais ains que Olau, le roy de Noronce, s'en retournast,

guerpi-il la fausse créance des ydoles, il et une partie de sa gent, par la

prédication Robert, l'archevesque de Rouen, et fu baptisié par la main

d'iceluy Robert, et retourna en son pays moult lié pour la foi crestienne

qu'il avoit receu; puis la garda moult fermement tousjours. De sa gent

meisme fa puis traïs et martirié pour sa foy, et resplandist encore par

vertus et par miracles au pays de celle gent. (Et garissent les gens du

païs de vilaines maladies quant il le requièrent. Et est un autel fondé en

l'onnor de luy en l'églyse des Frères meneurs de Paris)[316].


Note 315:
Willelm. Gemet. hist., lib. V, cap. 12.


Note 316: Cette parenthèse, qui n'est pas traduite du latin, se

trouve dans un petit nombre de manuscrits. L'église des

Frères-Mineurs ou Cordeliers a été détruite vers 1792; elle étoit

placée tout prés de l'école actuelle de Médecine.



V.


ANNEE: 1026.


Coment le duc Richart prist à femme la fille le conte Geofroi de
Bretaingne, et eut trois fils de cette dame; et coment Richart, son fils,
fu duc après luy.



[317]Le duc, qui encore n'avoit esté espousé, desiroit moult avoir hoir

pour sa terre tenir. Au conte Geofroy de Bretaingne demanda une sienne

fille; Judith avoit nom; moult estoit belle dame et bien morigénée; et le

conte, qui moult en fu lié, luy amena jusques au mont Saint-Michiel. De

celle dame eut puis trois fils: Richart, Robert et Guillaume. Cil Guillaume

fu puis moine à Fescamp. Et si eut trois filles: la première eut nom Alis;

celle espousa Renaus, le conte de Bourgoingne, et en eut deux fils: Guy et

Guillaume. Et l'autre eut Baudouyn, le conte de Flandres. Et la tierce

mouru pucelle. Ce conte Geofroy de Bretaingne vint en ce temps à Rome en

pélerinage: toute sa terre et ses deux fils, Huedes et Alain, laissa en la

garde le duc Richart. Mort fu si comme il s'en retournoit.


Note 317:
Willelm. Gemet. hist., lib. V, c. 13.


[318]En ce temps espousa le conte Renaus de Bourgogne[319], une fille du

duc qui eut nom Adeline. Long-temps après avint que le conte Huedes de

Chaalons prist par trayson Josselin et le conte Renaus et Berart. Le duc

Richart, qui ce seut, manda au conte Huedes qu'il délivrast son gendre pour

l'amour de luy; mais cil ne le voult faire, ains commanda moult

orgueilleusement qu'il fust plus estroitement gardé que devant. Ces paroles

furent rapportées au duc. Tantost manda à son fils Richart qu'il

appareillast grant ost et entrast en la terre le conte de Chaalons pour

venchier[320] ceste honte. Cil le fist ainsi et assist le chastel de

Milmande[321], ceulx du chastel se tindrent et ceulx du dehors assaillirent

si fort qu'il prinstrent le chastel et ardirent femmes et enfans, et

quanqu'il avoit dedens: puis s'en alèrent à Chaalons et dégastèrent devant

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