← Retour

Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis

16px
100%
il ne pot trouver qui le voulsist deffendre né garder. De là se parti

atant, et s'en ala à Compiègne; là célébra la Nativité et Résurrection.


Note 176:
Annal. Bertinianæ, anno 881.


Note 177:
Stroms.
J'ignore la position de ce lieu, que le manuscrit

646 de St-Germain écrit
Scortius
.


[178]Avant qu'il s'en partist, oï nouvelles que le roy Loys, son cousin,

fils le roy Loys de Germanie[179] qui noient profitablement vivoit au

royaume et à saincte Eglise, estoit mors. A luy vindrent les barons de la

partie du royaume qui ot esté Lothaire, et se vouldrent rendre à luy, en

telle manière que il leur consentist à avoir ce que son père et son aïeul

Charles-le-Chauf en avoit tenu; mais il n'ot pas conseil de les recevoir,

pour le serement qui entre luy et Charle avoit esté fait. Son ost assembla,

le conte Thierry fist chevetain, oultre Loire[180] s'en ala contre les

Normans; et puis jusques à Tours aussi, comme pour recevoir en son ayde les

princes et la gent de Bretaingne contre les Normans. Tandis que il

demouroit là le prist une maladie, en une litière se fist couchier et

porter jusques à l'églyse Saint-Denis; mors fu laiens et ensépulturé avec

les autres roys qui laiens gisent, et si comme l'istoire dist, il fu plains

de toutes ordures et de toutes vanitez[181]: et ces choses avindrent au

moys d'aoust.


Note 178:
Annal. Bertinianæ, anno 882.


Note 179: Ce qui met tant d'obscurité dans l'histoire de ces

temps-là, c'est la ressemblance des noms et leur peu de variété.

Ainsi, maintenant, il faut distinguer deux Charles, deux Carlemaine

et deux Louis, tous fils de deux Louis. Le premier, Louis-le-Bègue

fils de Charles-le-Chauve; le second, Louis, fils de

Louis-le-Débonnaire.


Note 180:
Loire.
Il falloit ici, comme dans le latin,
Seine
.


Note 181: Le manuscrit de Saint-Germain 646 n'a pas supprimé, comme

celui que Duchesne et dom Bouquet ont suivi, cette flétrissure du roi

Louis III. «Vir plenus omnibus immundiciis et vanitatibus, infirmatus

est corpore, etc.» Le ménestrel du comte de Poitiers raconte

autrement sa mort: «Il avint une autre fois à ce chaitif roy Loys que

ainsi come si baron le menoient à force à Tours contre les Normans

qui la terre dégastoient, il et si grant paour que la mort l'emprist,

et l'en convint rapporter en litière, etc.» (Manusc. du roi, n° 9633,

f° 64.)



VI.


ANNEE: 882.


Coment Carlemaine retourna du siège, après la mort son frère, pour aler
contre les Normans. Coment il leur rendi treu en pacifiant à eus. Coment il
furent desconfis devant Paris, par la vertu saint Germain. Coment il
gastèrent Laonnois et coment le roy Carlemaine les desconfist.



Tout maintenant que le roy Loys fu mort et enterré, les barons du royaume

mandèrent à Carlemaine qui devant Vienne tenoit siège, que il s'en venist

hastivement et laissast une partie de sa gent contre Boson; car son frère

estoit mort; et il estoient jà tous appareilliés pour ostoier contre les

Normans qui avoient prins la cité de Trèves et de Couloingne; et les

églyses et les abbayes, qui ès cités et entour estoient, avoient arses et

destruites, et l'églyse Saint-Lambert du Liège[182]: et de là s'en estoient

alés à Aix-la-Chapelle, et avoient gastées les églyses de l'éveschié de

Tongres et d'Amiens et de Cambray et une partie de l'arceveschié de Rains,

et jà estoient venus jusques à Mez. Et s'estoit à eus combatu Wales,

l'évesque de Mez; et estoit issu hors à bataille contre eus, tous armé luy

et sa gent; tout fust-ce contre l'office et la dignité d'évesque. Mais

besoing l'avoit contraint à ce; occis avoit esté et sa gent desconfite et

chaciée. Après ce luy mandèrent les barons qu'il venist liement, et que il

estoient tous appareilliés de le recevoir à seigneur, et de eus mettre en

sa seigneurie. Ainsi le fist comme il le mandèrent. Et peu de temps après

qu'il fust parti du siège de Vienne et qu'il s'apareilloit d'aler contre

les Normans, droitement au moys de septembre, luy vindrent nouvelles par

certains messages que il avoient la cité prinse, et que Richart qui frère

estoit Boson en avoit mené sa femme et sa fille en la contrée d'Ostun.


Note 182:
Du Liège.
Le latin ajoute:
Et Promiæ
.


En ce temps issi Hastingues et les Normans dessus le fleuve de Loire, et

s'en alèrent sur la Marine. Et quant Charles, le roy d'Austrasie[183], fust

venu à tout son ost contre les Normans, et il fu aucques près de leur

forteresse, si luy failly le cuer et fist paix à eus, par le conseil

d'aucuns de sa gent: meisme en tele manière que Godefroi qui sire estoit de

celle gent recevroit baptesme, il et ses Normans, et auroit Frise et toutes

les honneurs que Roric avoit devant tenues. Et par dessus tout ce donna-il

grant somme d'or et d'argent que il avoit prins et tollu el trésor

Saint-Estienne de Mez et aux autres églyses, à Sigefrois et Curmones et à

leur compaingnons: et plus grant lascheté de cuer fist-il encore, à

souffrir que il démourassent là meisme, à la nuisance du royaume son cousin

et du sien meisme. Quar cil Sigifrois assist puis la cité de Paris à tout

quarante mille Normans. Mais cil Gozlin de quoy l'istoire a dessus parlé,

qui évesque estoit de celle cité et abbé de Saint-Germain, et le conte Eude

qui puis fu roy de France, la deffendirent si bien, par les mérites

Nostre-Dame Saincte-Marie, et par les suffrages Saint-Germain qui leur

furent en ayde, que oncques prendre ne la purent, ains s'en partirent

atant. En ce comtemple, prinstrent les moines le corps sainct Germain qui

jusques alors avoit esté en la cité, et l'en enportèrent en l'abbaye[184],

et les Normans dégastèrent tout, et essillèrent et ordoièrent toute

l'églyse; mais par les mérites des glorieux confesseurs en y eut assez de

mors, et les autres s'en alèrent mal et confus à grant paour. Et de ce fu

le conte Eude merveilleusement lié, qui bien vit et apperçut les grans

miracles que le glorieux confesseur fist à ce siège. Dont il fu si devot

vers luy après, que il fist faire un riche vaisel d'or et de pierres

précieuses, où son glorieux corps repose encore jusques au jour d'huy.


Note 183:
Le roy d'Austrasie.
Le latin dit: «Nomine imperator.»

C'est Charles-le-Gros.


Note 184: Il falloit d'après le latin: «Les moines
déposèrent
le

corps de saint Germain dans le monastère du saint Pontife, situé dans

la ville de Paris.»


A Hues le fils le jeune Lothaire abandonna Charle les trésors et les

richesses de l'églyse de Mez, contre le droit des canons qui dient que on

les doit garder à l'évesque qui aprez doit venir.


Engeberge, la femme Loys l'empereur d'Ytalie, que l'empereur avoit envoyé

en Allemaingne, envoia-il à Rome à l'apostole Jehan, qui ce mandé luy avoit

par Liétart, l'évesque de Verziaus. Ainsi se départi des Normans et ala en

la cité de Garmaise pour tenir parlement ès kalendes de novembre. A ce

parlement vint l'abbé Hues, et requist au roy Charle que il rendist à

Carlemaine, si comme il luy avoit promis, celle partie du royaume que Loys

son frère avoit reçue ainsi comme en garde. Au départir n'emporta-il nulle

certaineté de sa requeste; mais moult fu grant dommage au royaume que cil

Hues n'estoit pas présent; quar Carlemaine n'ot pas force de gent par où il

peust contrester aux Normans, pour ce meismement que aucuns des barons se

retrayrent, quant il luy durent aydier. Et pour ce en prisrent-il hardement

d'aler jusques à la cité de Laon; car il n'estoit qui les contredéist. Ce

qu'il trouvèrent entour prisrent et ardirent, et ordenèrent qu'il iroient

par Rains et puis par Soissons, et par Noyon s'en retourneroient à Laon. Et

puis après quant il auroient la cité prinse si prendroient tout le royaume.

En ce point que Halmar, l'arcevesque de Rains, oy ces nouvelles, moult ot

grant paour: car tous ses hommes deffensables estoient lors avec le roy

Carlemaine. Par nuit se leva comme cil qui moult estoit malade, si prist le

corps saint Remy et les aournemens de l'églyse de Rains, et se fit porter

en une chaière porteresse, si comme sa maladie le désiroit, oultre le

fleuve de Marne en une ville qui a nom Esparnay. Les chanoines et les

moines s'enfuyrent çà et là où il purent. Et les Normans firent ce qu'il

avoient devisé, et vindrent jusques aux portes de Rains: ce qu'il

trouvèrent dehors les portes robèrent, et aucunes petites villes d'entour

mistrent en feu et en flambe. Mais oncques dedans la cité n'entrèrent, tout

ne fust-elle oncques défendue; car la vertu de Dieu et la mérite des corps

sains qui dedans estoient la deffendirent. Carlemaine le roy des Frans qui

oy dire que les Normans venoient et qu'il fesoient tant de maux, lors

s'appareilla et ala contre eus à tant de gens comme il pot assembler;

forment se combati et en occist grant partie de ceulx qui les proies

enmenoient à leurs compaingnons vers la cité de Rains, et les autres fist

flatir et noier en la rivière d'Aisne; les proies qu'il enmenoient

rescoust, la plus grant partie et la plus fort se mist en une ville qui a

nom Avaulx[185]. Ceulx ne pouvoient sa gent assaillir sans grant péril pour

le lieu qui fors estoit, et pour ce se retraystrent. Quant ce vint vers le

vespre, il se hebergèrent aux villes voisines, et quand les Normans virent

que il fu anuitié et que la lune fu levée, il issirent de cette ville et

s'en retournèrent arrière, par celle voix meisme qu'il estoient venus.[186]


Note 185:
Avaux.
Aujourd'hui sur l'emplacement d'
Ecry
ou

Erchery
.


Note 186: Ici s'arrête le manuscrit d'abord trouvé dans l'abbaye de

St-Bertin, et qui a fait surnommer
Annales de Saint-Bertin
la

chronique qui y étoit renfermée. Il est certain que le nom et la

patrie des auteurs de ces annales sont également incertains. Depuis,

on a retrouvé le même texte dans d'autres manuscrits et au milieu

d'autres monumens historiques. Il avoit même été déjà publié avec

quelques additions importantes, à la suite de la compilation dite

d'Aimoin, sous le titre de continuation de ce dernier. Ce qui suit

est emprunté à la chronique désignée sous le nom de
continuateur
d'Aimoin
. On pourroit aussi bien l'appeler le continuateur des

Annales de Saint-Bertin
.


En celle tempeste meisme que Hastingues et ses Normans se foursenoient

ainsi, maint corps sains furent ostés de leurs propres lieux et raportés en

France. Saint Amand fu porté à divers lieux, et au darrain il fu mis à

Saint-Germain-des-Prés dessoubz Paris, où il repose encore jusques au jour

d'uy. Et fu aporté lors avec le corps saint Agofroy son frère, et le corps

saint Thurion, arciprestre de l'églyse de Dol en Bretaigne.



VII.


ANNEE: 884.


De la mort le roy Carlemaine et de son fils Loys-Fai-noient. Coment
appelèrent en aide l'empereur Charle les barons, contre les Normans, et
coment il revindrent en France. De la mort Loys-le-Fai-noient. Coment les
barons couronnèrent le roy Eudes pour l'enfant garder qui fu appelé le roy
Charles-le-Simple.



(Mort fu le roy Carlemaine; mais comment né quant il mourut ne parole pas

l'istoire, et pour ce nous en convient taire.) [187]Après luy régna son

fils qui par surnom fu appelé Fai-noient. Sy fu ainsi surnommé ou pour ce

qu'il ne fit nule chose que l'on doive mettre en mémoire ou pour ce que il

traist une nonnain de l'abbaye de Chiêle et l'espousa par mariage, si comme

aucuns disoient; que c'est l'un des grans pechiés que nul homme puisse

faire.


Note 187: L'histoire de ce roi
Louis Fai-noient
est entièrement

fausse; on doit supposer que par l'effet d'une transposition on aura

mis sur le compte d'un fils de Carloman qui mourut sans enfans, ce

qui se rapportoit soit à son frère, soit à son père.


Au temps de ce Loys retournèrent les Danois en France, qui au royaume

avoient fait moult de maulx au temps son père Carlemaine, [188]qui à eus

avoit fait accort en telle manière que il leur deust rendre, chascun an,

douze mille besans d'argent, par telle condicion que il tenissent paix au

royaume douze ans. Mais il ne tindrent pas celle condicion, car tantost

comme il sorent que Carlemaine fust mors, il retournèrent à grant ost, et

disoient qu'il n'avoient faitte nulle paix aux François, mais au roy tant

seulement. Grans dolours et grans persécutions firent lors au royaume; et

pour paour d'eulx s'enfuyrent les gens de religion à tous les corps sains

là où il cuidoient estre plus asseur. Lors appelèrent en leur ayde ceulx de

France et d'Austrasie l'empereur Charle qui fils ot esté le roy Loys de

Germanie. Les Normans assist en un fort lieu; à la parfin fist paix à eulx

en telle manière que Godefrois, le roy de celle gent, seroit baptisié et

aroit à femme Gille la fille le roy Lothaire, et qu'il tendroit la duchée

de Frise. Baptisié fu, et le tint sur fons l'empereur meismes. Un autre roy

des Normans qui Sigefrois avoit nom fist issir de son royaume par dons

qu'il luy donna[189]; et puis revint au royaume de France par la

mauvaistié qu'il sentoit au roy Loys Fai-noient. [190]Et plus grant dolour

y eust que devant, sé ne fust Hues qui par France estoit appelé abbé, qui

les chastoia et défoula durement; car il se combati à eulx à pou de gent,

et estoient multitude sans nombre, et en fist si grant occision que à

paines en demoura-il un seul pour porter aux autres la nouvelle de leur

confusion. Par celle desconfiture furent les Danois si chastoiés et si

humiliés que il se tindrent en paix une pièce. Un pou après mourut cil

Hues, et pou de temps après fu mors ce roy Loys que l'istoire appelle

Fai-noient
. Un petit fils laissa qui estoit alaitant en bersueil qui

estoit appellé Charles-le-Simple[191]. (Cil Charles-le-Simple fu mort ou

chastel de Péronne en prison si comme nous dirons cy après.) Et quant les

barons virent qu'il n'avoit pas aage à terre tenir, si se conseillièrent

que il feroient; car il avoient oy dire que les Normans devoient revenir en

France. De Robert, le conte d'Anjou, estoient demourés deux fils; cil

Robers estoit descendu du lignage de la gent de Saissoingne, et l'avoient

les Normans occis. De ces deulx frères avoit nom l'ainsné Eudes et l'autre

Robert, ainsi comme le père. L'ainsné des deus eslurent les barons de

France et de Bourgoingne et d'Aquitaine, et jà soit ce qu'il[192] en alast

moult encontre, pour l'enfant garder et pour le royaume gouverner. A roy le

sacra et enoint Gautier, l'arcevesque de Sens. Tant comme il régna fu moult

débonnaire, viguereusement governa le roiaume; bien nourri l'enfant et

toujours fu loial vers luy. Mors fu, dont ce fust dommage. Si reçut le

roiaume Charles, qui puis fu appelé le Simple. En son temps vindrent

Normans de rechief et entrèrent par devers Bourgoingne jusques à

St-Florentin. Et Richart, le duc de Bourgoingne, assembla son ost et leur

ala à l'encontre en la contrée de Tonnoire; grant multitude en occist et le

remenant s'enfuy.


Note 188: Ce qui suit est traduit des
Annales
dites
de Metz
, anno

884. (Voy.
Historiens de France
, tome VIII, page 65.)


Note 189: Tout ce qui précède se rapporte à l'année 882, et a déjà

été raconté. C'est toujours Louis III, frère de Carloman, dont la vie

et la mort sont confondues avec celles de Carloman.


Note 190:
Aimoini Continuatio, lib. V, cap. 41.


Note 191: Charles-le-Simple étoit le troisième fils de

Louis-le-Bègue.


Note 192:
Qu'il.
C'est-à-dire:
Lui Eudes
.


Incidence.
En ce temps fu mouvement et croulléis de terre près de la cité

de Sens au terroir de Sainte-Coulombe, en la quinte ide de janvier.





CI COMMENCENT LES GESTES LE

ROI CHARLE-LE-SIMPLE.


§


ANNEE: 898.


Ci commence l'istoire de Rollo qui puis fu appelé Robert, et des ducs de
Normandie qui de luy descendirent.



([193]Grant temps avant, estoient en France venus les Normans par maintes

fois, si comme l'istoire a devisé en plusieurs lieux: si avoient fait moult

de maulx au royaume et en l'empire, et dura cette dolour par fois plus de

XL ans. Mais au temps de ce roy Charles-le-Simple fu la grant persécution

au royaume et en l'empire; car les Normans retournèrent à si grant force et

à telle multitude qu'il ne povoient estre nombrés.) Par mer vindrent et

arrivèrent en Neustrie par grant navire. [194]Francques, l'archevesque de

Rouen, qui bien sceut que telle gent venoit, regarda l'estat de la cité et

les murs qui estoient decheus et abatus, si pensa que c'estoit plus seur

d'acquerre leur paix et leur amour en aucune manière que leur mautalent: à

eulx s'en ala et fist tant qu'il ot leur bonne volenté. Tantost vindrent et

amenèrent leur navie par Seine jusques aux murs de la cité. Sagement

regardèrent le siège de la cité et la contrée d'environ, et virent que le

lieu leur estoit moult profitable par mer et par terre. Pour ce

establirent, tout d'un accort, que ce fust le siège et le chief de toute la

contrée. Si esleurent un d'eulx, qui avoit nom Rollo, et le firent prince

et seigneur sor eulx tous. [195]Quant Rollo se vit souverain de toute sa

gent, si se prist à pourpenser comment il pourroit destruire la cite de

Paris et confondre et estaindre crestienté. [196]En trois parties divisa sa

navie par trois grant rivières qui chéent en la mer, si comme par Seine,

par Loire et par Gironde. Ainsi s'espandirent par toute France, si n'estoit

nul qui appertement leur osast contrester. Le jour de la saint Jehan

prinstrent et ardirent la cité de Nantes et martirièrent l'évesque Guimard

dessus l'autel qui sa messe chantoit. Lors vindrent plus avant et

s'espandirent par tout le pays; la cité d'Angiers embrasèrent et puis

assistrent la cité de Tours, mais à celle fois fu garantie par les prières

monsieur saint Martin. Son corps avoient porté, un peu avant que ce

avenist, en la cité, et les païens ardirent l'abbaye qui estoit delez la

ville: et s'enfuyrent les moines et les clercs. Et puis fu le corps

monsieur saint Martin porté en la cité d'Aucuerre. Aussi fu destruit et

abattu en Acquitaine le palais Charlemaine qui estoit en un lieu appelé

Cassinoge[197].


Note 193: Les chapitres qui suivent immédiatement ne sont numérotés

dans aucuns manuscrits. Je me suis surtout réglé dans l'ordre que

j'ai suivi sur la belle leçon exécutée pour Charles V, et cotée

aujourd'hui n° 8,395.


Note 194:
Willelmi Gemeticensis monachi historia Normanorum
,

lib. 2, cap. 9. Ou cette intervention de l'archevêque Francon doit

être reportée à trente années au-delà, ou bien ce fut un autre

archevêque de Rouen, sans doute Jean, qui conclut avec Rollon

l'arrangement dont parle ici Guillaume de Jumiéges. Wace raconte la

même chose. (Vers 1158 et suivans.)


Note 195:
Will. Gemet. hist., lib. 2, cap. 10.


Note 196:
Ex fragmento historiæ Franciæ
. Ce fragment est inséré

dans le tome VIII des
historiens de France
, page 300.


Note 197:
Cassinoge.
Ou Chasseneuil, palais de nos rois dont nous

avons déjà parlé.


Quant Rollo et les Danois orent ainsi tout le pays destruit, si entrèrent

en leurs nefs et s'en alèrent par la rivière de Saine et passèrent par

Auvergne et en la parfonde Bourgoingne, et détruisent tout lu pays jusques

à Clermont en Auvergne. Après, retournèrent par la province de Sens et

vindrent jusques en l'abbaye Saint-Benoît-de-Flory; mais deulx jours avant

qu'il venist là, soient bien les moines que il devoient venir; lors

prisrent le corps monsieur saint Beneoist et l'emportèrent en la cité

d'Orléans et le reposèrent en l'églyse de Saint-Agnan jusques à tant que

ceste pestilence fust passée. En l'abbaye vint Rollo et sa gent: les moines

qu'il trouvèrent laiens et aucuns sergens de l'églyse occirent, le moustier

robèrent et puis ardirent tout.



§


ANNEE: 898.


Coment S. Beneoit se apparut au conte Sigillophes et luy dist que il
allast hardiement sus les Normans. Et coment S. Beneoit le conduisoit parmi
la presse des batailles. Et coment il ot victoire.


En celle nuit meisme apparut saint Beneoist à un conte qui avoit nom

Sigillophes qui estoit advoué de l'églyse et luy dist ainsi: «Haa! conte,

coment es-tu plain de si grant couardise et de mauvaistié que tu n'as pas

deffendue l'abbaye de Flory dont tu dois être deffendeur et advoué, et dont

les sergens Nostre-Seigneur que les païens ont occis gisent à terre sans

sépulture?» Et le conte luy demanda: «Sire, qui es-tu?--Je suis,» dit-il,

«Beneoît qui des parties de Bonivent voult estre ça translaté, et ay laissé

mon propre lieu de Montcassin pour cest lieu de Flory, pour ce que la

lumière et la discipline de religion resplandist en toute France pour la

présence de mon corps. Liève dont sus tantost, et soies fors et hardis, et

enchasse les paiens qui mon moustier ont ars et mes moines occis, et sont

ainsi eschappés dont ce est grant honte.» Et le conte respondi: «Sire,

comment pui-je ce faire que tu me commandes, et rescourre les proies de tes

ennemis quant je n'ay pas temps d'assembler gens?» Et le saint père luy

dist: «Ne te chaut sé tu as peu de chevaliers, mais prens tant seulement

ceulx que tu as avec toy et ton escu, si enchauce les paiens et n'aies

nulle paour, car je seray avecque toy et te deffendray; et saches que tu

retourneras vainqueur et auras très-bonne et grant victoire.» Lors

s'esveilla le conte et commença à penser en soy meisme de celle avision.

Tantost se leva et s'arma et suivit les paiens à tant de gens comme il pot

assembler; en eulx se feri hardiement et leur rescoust la proie et les

prisonniers qu'il enmenoient; et retourna à grant joie luy et sa gent sans

nul mal. Après s'en ala en l'abbaye et fist enterrer par grant dévotion le

corps des moines qui occis estoient.


Ceste novelle vint au roy Charles, coment le conte Sigillophes avoit

rescous la proie aux Normans à peu de gent, et estoit retourné à grant joie

sain et haitié. Mander le fist le roy, et quant il fu devant luy, si luy

compta tout ainsi comme il avoit fait; si en appela Dieu à tesmoing que à

celle heure qu'il se combatoit, messire saint Beneoist monta sur son cheval

et le gouverna et tint parmi le frain, tant comme la bataille dura, et

tournoioit l'escu contre ses ennemis et le ramena sain et haitié, luy et

tous les siens. Le roy fu moult liés de ces nouvelles et glorifia moult

nostre Seigneur, puis ala à l'abbaïe Saint-Beneoist-de-Flory: grant deuil

fit quant il vit la destruction de celuy lieu; si largement y donna de ses

biens que le moustier fust presque tout restoré dedans un an. Une petite

chapelle estoit fondée au chastel en l'onneur saint Père qui oncques du feu

ne fu bruslée né mal mise.


En cel an meisme, oient conseil les moines qui revenus estoient, que il

rapporteraient le corps monsieur saint Beneoist en une nef parmy Loire, de

la cité d'Orléans où il avoit esté porté, et le remestroient arrière au

moustier, en son propre lieu qui pas n'avoit esté ars par la volonté nostre

Seigneur. Au commencement des Avans establirent lieu et temps de ce faire.

Lors furent assemblés évesques et abbés et s'en alèrent à Orléans pour

apporter le saint trésor. En une nef le mistrent qui tantost s'esmut sans

ayde et sans gouvernement de nul homme, et s'en ala fendant contremont

Loire, dès Orléans jusques prez de l'églyse Saint-Beneoist; si fu le jour

que ce avint devant les nonnes de décembre. Et quant la nef vint au port

desous l'abbaïe, grand nombre d'évesques, d'abbés, de moines et de peuple

coururent au devant, qui tous chantoient: «Bien soit venu qui vient au nom

de nostre Seigneur!»


Si avint en celle journée merveilleux miracle; que tous les arbres qui

estoient restraint par la grant gelée et par la grant froidure que il

faisoit comme en celle saison, florirent, et porriers, pommiers, haies et

buissons qui fleurs doivent porter. Le corps saint reçurent devotement et

le mirent en l'églyse Saint-Pierre; et quant il orent le service célébré,

si se départirent à grant joie.



§.


ANNEE: 898.


Coment Rollo assist la cité de Chartres. Et coment Richart duc de
Bourgogne et l'ost des François et le conte de Poitiers vinrent sur luy et
destruirent moult de ses gens, tant qu'il s'en fui.



[198]En ce point envoya le roy Charles Franques, l'archevesque de Rouen, à

Rollo, le tyran, pour demander trèves de trois mois. Données furent, mais à

la fin des trèves recommença le tyran à destruire tout le pays ainsi comme

devant. [199]Par Estampes s'en ala jusques à Chartres; forment commença à

estreindre la cité et assaillir. Et tandis comme il estoit en ce point,

vint sur luy Richart le duc de Bourgoigne et l'ost des François et Ebalus

le conte de Poitiers. Rollo et les siens les reçurent hardiement, et

fièrement se combatirent d'ambedeulx pars, quant Asselins, évesque de la

cité, issi hors soudainement à tant de gent comme il pot avoir, si portoit

en sa main la chemise Notre-Dame. Si les assaillirent par derrière, et

moult en firent grant occision. Et quant Rollo vit que luy et sa gent

estoient à si grant méchief, si aima mieux à fuyr et à donner lieu à ses

ennemis, que soy combatre en tel péril; si s'en fuy tant plus par sens que

par paour. Une partie de son ost s'en fu sur une montaigne devant les

François qui les enchasçoient; et Ebalus le conte de Poitiers, qui tard

estoit venu, les acceint[200] quant il furent sur la montaigne, si que il

ne s'en peussent fuir né eschapper. Quant ce vint vers la mienuit, les

Normans descendirent et s'enfuyrent parmi l'ost. Lors cuida le conte Ebalus

que Rollo fust couru sur eulx; si eut moult grant paour et se bouta en la

maison d'un foulon et reposa là toute nuit. Au matin s'apperçurent les

François que les Normans estoient eschappés, des esperons brochèrent après.

Quant il les eurent trouvés, il ne s'osèrent embatre à eulx, car il avoient

fait entour eulx un parc et une forteresse d'arbres et de charrettes et

d'autres choses, si qu'il ne povoient pas venir à eulx sans grant péril.

Lors s'en retournèrent atant, et les Normans, qui eschappés furent,

s'enfuyrent à leur seigneur. [201]Moult fu Rollo courroucié et forcené pour

la mort de sa gent: son ost assembla et les exorta moult à prendre

vengeance de leurs compaignons et à dégaster tout le pays. Que vous

compteroit-on plus? Ainsi comme des lous affamés se férirent les païens au

peuple crestien, les églyses ardoirent, le peuple menèrent en chetivoison

et les femmes aussi; partout estoit pleurs et cris et lamentations.


Note 198:
Willelmi Gemeticensis chronicon, lib. II, c. 15.
Le

traducteur de Saint-Denis abrège le récit original.


Note 199:
Id. id., c. 16.


Note 200:
Acceint
, entoura.


Note 201:
Willelm. Gemet., liv. II, c. 17.



§.


ANNEES: 911/912.


Coment Rollo receut baptesme, et fu son parrin Robert le duc
d'Aquitaine, et luy mist son nom et eut à femme Gille la fille
du roy de France.



Quant François virent que France estoit tournée à tel dolour, si s'en

allèrent au roy et se complainstrent tous d'une voix de luy-meisme, que le

peuple crestien et toute France estoit en telle persécucion par son deffaut

et par sa paresse; moult fu le roy esmeu pour ces paroles. Tantost envoia

Francques, l'archevesque de Rouen, à Rollo, et luy manda que sé il et sa

gent vouloient recevoir le baptesme loyaument, il luy donneroit Gillette sa

fille par mariage et toute la terre de la rivière d'Epte, jusques en

Bretaingne. Au tirant s'en ala l'archevesque Francques et luy compta ce que

le roy luy mandoit et moult luy amollia et luy chastoya son cuer, car il

estoit paravant son acointe moult grandement. Et, si comme Dieu l'avoit

ordonné, Rollo reçut liement ce mandement, par le conseil de sa gent, et

prist jour de parlement, au roy à Saint-Cler-sur-Epte[202]; si donna trèves

de trois mois, et convenança que dedens ce terme il feroit au roy ferme

paix. Au jour et au lieu nommé vindrent d'une part et d'autre, si fust le

roy deça la rivière d'Epte et le conte Robert qu'il eut avec luy amené; et

Rollo et sa gent refurent par delà de la rivière. Tant allèrent messaiges

entre deulx que paix fu faicte selon les convenances qui orent esté mises.


Note 202:
Saint-Cler-sur-Epte
, aujourd'hui bourg du département de

Seine-et-Oise, ancien Vexin, à sept lieues de Mantes.


Toute la terre de Neustrie luy donna le roy et Gillette sa fille par

mariage et, par-dessus, toute Bretaingne; et commanda le roy aux deulx

princes de cette contrée, Berengier et Alain, qu'il entrassent en son

hommage. Tout le pays jusques à la mer estoit tourné en gastine[203]; si

que nul n'estoit qui osast terre labourer, et estoient les haies et les

buissons par tout creus, par la longue persécution et pour les continues

assaux des païens. Après ces choses ainsi faictes retourna le roy en France

et envoia à Rollo Robert, le conte de Poitiers. Quant Rollo fu venu à

Rouen, l'arcevesque Franque appareilla les fons pour le baptisier. Robert,

le duc d'Aquitaine, le leva de fons: son nom luy mist et fu appelé Robert.


Note 203:
Gastine
, désert.


Puis que Rollo fu baptisié, il honora moult sainte églyse et crut moult

dévotement en la foi crestienne. Tous les sept premiers jours qu'il demoura

en aubes, donna chascun jour grans dons aux églyses: le premier jour donna

grant terre à l'églyse Notre-Dame de Rouen; le second jour à Notre-Dame de

Baieux; au tiers jour à l'églyse Notre-Dame d'Evreux; au quart jour à

l'églyse de Saint-Michel-en-Péril-de-Mer; au cinquiesme jour à l'églyse

Saint-Père et Saint-Oyen qui sont en la cité; au sixiesme jour, à l'églyse

St-Père et St-Acadie-de-Jumèges; et au septiesme jour donna Berneval et

toutes les appartenances à l'églyse Saint-Denis le martire, l'apostre de

France.


Au huitiesme jour qu'il ot les armes mises jus, il commença à donner à ses

princes et à ses chevaliers la terre qu'il avoit conquise: et quant les

païens virent que leur sire estoit crestien, il guerpirent les idoles et

coururent au saint baptesme d'un cuer et d'une volenté; et le conte Robert

d'Aquitaine retourna en France lié et joiant, quant il ot accompli la

besoingne pour quoy il estoit alé. Et le duc Robert, nouvellement converti,

fist grant appareil comme pour espouser la fille du roy, si l'espousa à la

loy crestienne en l'an de l'Incarnation neuf cent et douze. Après establi

ses lois et ses drois par toute Normandie et fu la terre si seure et si

bien gardée qu'il n'estoit nul qui rien y osast méfaire. [204]Une pièce de

temps vesquit Gillette, la duchesse, avec son seigneur; morte fu sans hoir,

et le duc Robert reprist, après mort, une dame qui ot nom Pompée[205] que

il avoit avant laissée. De celle avoit un fils qui Guillaume avoit nom;

vaillant et sage et bien entechié[206]. Le duc Robert qui moult estoit jà

affoibloié des travaux et des batailles ou il avoit toute sa force

dégastée, se pourpensa et ot délibération à qui il pourroit sa terre

délaissier. Lors assembla tous ses barons et les deulx princes de

Bretaingne, Alain et Berengier. Son fils Guillaume, qui moult estoit beaux

et avenant, fist venir devant tous et leur commanda que il le préissent à

seigneur et le féissent prince de toute Normandie qui, jusques à ce temps,

estoit appelée Neustrie, et leur dist en telle manière: «A moi appartient

que je le vous livre pour seigneur et à vous que vous luy portez foi et

loiauté.» Quant il ot ce dit, si parla à eulx moult doulcement et les

enseigna moult de paroles et commanda que chacun luy feist hommage en sa

présence. Après ces choses vesquit environ cinq ans et mouru vieux et

debrisié.


Note 204:
Willelmi Gemet., lib. II, c. 22.


Note 205:
Pompée
, latinè,
Poppa
. Rollo l'avoit eue pour maîtresse

avant d'épouser la princesse Gilette. Le roman de Rou dit de
Poppa
:



Liquens Berengiers ot une fille mult bele,

Pope l'apele l'en, mult est gente pucele....

Rou l'en a fait sa mie, qui mult l'a désirée;

D'ele fu né Wiliam, qui ot nom Lunge-Espée.


(
Vers
1340.)


Note 206:
Entechié.
Instruit, morigéné.



§.


ANNEE: 923.


Coment Hebert le conte de Vermendois prist par traïson, en semblance
d'amour, le roy Charle-le-Simple et le mist en prison.



Incidence.
[207]Es kalendes de février furent vues en l'air compaignies

ainsi comme de gens armés: et sembloit que l'une chassast l'autre parmy

l'air; et fu signe et demonstrance des choses qui puis avindrent au

royaume; car en cel an meisme fu si grand dissencion entre le roy et les

barons que pour ces guerres meismes y ot faicte mainte occision, mais à la

parfin cessèrent ces guerres par la voulenté Nostre-Seigneur. Au tiers an

après, mourut Richart, le duc de Bourgoingne, et fu enseveli en l'abbaye

Saincte-Colombe de lez la Cité de Sens, en l'oratoire Saint-Simphorien le

martir.


Note 207:
Chronicon Lugonis Floriacensis monachi. A° 918.


[208]Entour un an après la mort le duc Richart, mut contens entre le roy

Charle-le-Simple et le prince Robert dont l'istoire a dessus parlé, qui

frère eut esté le roy Heudes. La cause de la guerre fu pour ce que Robert

disoit que il n'avoit pas eu partie du royaume qui lui estoit eschéue du

descendement de son père; un pou du royaume saisi par force; et pour ce

qu'il semblast que il peust encore mieux faire et par auctorité d'aucune

seigneurie, fist-il tant vers aucuns des évesques, en partie par losangerie

et en partie par don et en partie par menace, que il le couronnèrent, et de

ceptre et de couronne. Puis assembla son ost et vint à bataille contre le

roy à Soissons, mais en celle bataille le occirent les barons de la partie

le roy. Si ne furent pas sa gent si esbahis qu'il ne se combatisseut

forment et longuement puis encore qu'il furent certains de sa mort; mais

quant le roy s'en retournoit de celle bataille, si luy vint à l'encontre

Hebers, le conte de Vermandois; homs étoit le plus desloiaux de tous les

desloiaux; au roy parla faulcement en semblance d'amour, et le pria de

herbergier au chastel de Péronne. Le roy, qui par simplesse ne pensoit à

nul mal, si le crut et fist sa requeste; et quant le desloyaux Judas le

tint en sa forteresse, si le prist et le mist en fort prison. Tout ce

fist-il pour ce que Robert, qui en la bataille avoit esté occis, avoit sa

serour à femme; et de celle fu né Hugues-le-Grand.


Note 208:
Hugo Floriac. A° 922.



I.


ANNEE: 923.


Ci comence du roy Raoul, coment il fu coroné à roy et vertueusement
governa le roïaume.



Quant Charle-le-Simple fu ainsi emprisonné par trahison, si demoura l'estat

du royaume moult périlleusement. Lors s'accorda que un sien filleul, qui

avoit nom Raoul et eut esté fils Richart, le duc de Bourgoingne, fust

couronné. A ce s'accorda Hugues-le-Grant et les autres barons de France. Si

fu cil Raoul couronné à Soissons. Grant pièce de temps demoura Charle en

prison. Maint mal et maint grief y souffri, et à la parfin mouru-il et fu

enseveli en l'églyse Saint-Foursin. Son fils Loys, que il avoit eue de

Algine, la fille au roy d'Angleterre, s'enfui à son aioul, car il se

doubtoit moult que autelle meschéance ne l'y avenist comme à son père; et

si sembloit que il feust plus seurement oultre-mer en estrange région que

en son propre royaume et entre ses gens meisimes. Vingt-sept ans régna

Charle-le-Simple. [209]Au temps du roy Raoul moult vindrent paiens en

Bourgoingne; grant partie du pays dégastèrent; François et Bourguignons

alèrent encontre, et fu celle bataille en un lieu qui a nom Kallos li

mons[210]. Mais moult y eut occis de crestiens; toutes voies eurent-il

victoire. (Le roy Raoul gouverna le royaume douze ans noblement et

vertueusement; et deffendi sainte Eglyse, et voult que le povre eust aussi

audience, en requérant son droit, comme le riche.) [211]Dessoubs ce Raoul

eut Hues-le-Grant le nom d'abbé, après son père le conte Robert, et tint

l'abbaye de Saint-Germain: et furent laiens, en son temps, trois déans: le

premier eut nom Armaire, le second Gobert et le tiers Albon. En ce temps

morut le roy Raoul. Enseveli fu en l'églyse Sainte-Colombe de Sens.


Note 209:
Ex chronico Hugonis Floriacensis, anno 926.


Note 210:
Kallos li mons.
Hugues de Fleury dit:
In monte Chalo
,

et le continuateur d'Aimoin:
Kalomonte
.


Note 211:
Aimoini continuatio, lib. V, cap. 42.



II.


ANNEEs: 931/933.


Des bones meurs Guillaume, duc de Normandie; et coment il eut victoire sur
tous ceulx qui le vouloient grever.



[212]Après la mort Rollo, qui en baptesme fu appelé Robert, tint la duché

de Normandie son fils Guillaume, dont l'istoire a fait là dessus mencion.

La foy crestienne gardoit de tout son pouvoir loiaument; moult lui avoit

Dieu donné de graces, car il estoit grant et bien fourmé, beau de face, les

ieus vairs et clairs. Débonnaire estoit et de ferme volenté à ses amis, et

à ses ennemis horrible et fier comme un lyon: en bataille fors comme un

géant, si n'apétiçoit pas entour lui sa seigneurie, ains la croissoit de

toutes pars: et pour ce conçurent maint des barons de France hayne et envie

contre luy. En ce temps se vouldrent soustraire de son fié et de sa

seigneurie les deulx princes de Bretaingne Alain et Berengier, qui au temps

le roy Robert, son père, luy avoient fait hommage, et se vouldrent monstrer

amis du royaume de France[213]; mais le duc entra tantost en Bretaingne; le

pays dégasta, et abati les forteresses. Tant mena Alain qui estoit

principal de cette félonie, qu'il le chasça en Angleterre, et Bérengier

fist vers luy paix.


Note 212:
Willelmi Gemetie, lib. III, cap. 1.


Note 213:
Et se vouldrent monstrer amis.
Dom Bouquet a lu:
Et se
vodrent mettre nu à nu de sor le roiaume de France.
Je pense que

j'ai reproduit le véritable texte de la traduction; mais cette

traduction est mauvaise. Il falloit: Et se disposent à faire la

guerre au roi de France. «
Regi Francorum ulterius disponentes
militare


[214]Après ce lui sourdi autre guerre de ses gens meismes; car Riulphe,

l'un de ses princes, le cuida chascier de Normandie. Grant gens assembla,

le fleuve de Seine trespassa soudainement, et dedens la cité de Rouen

assist le duc Guillaume qui dedens estoit à peu de gens, comme cil qui pas

ne s'en prenoit garde. Si pensoit à ce le traître qu'il l'occiroit et se

mettroit en saisine de la terre. [215]Et quant le duc se vit ainsi

entreprins des siens meismes, il se commença à pourpenser quel conseil il

pourroit prendre qui fust à son honneur et à sa sauveté, et par quoy il

chastoyast les siens de telle présomption. En la fin issi hors par

l'enticement Bothone[216] un sien amy qui assez luy disoit de laides

paroles pour luy encouragier. A tout trois cens chevaliers armés courut sus

ses ennemis; parmy les tentes se feri et fist d'eulx moult grant occision.

Et les autres s'enfuyrent et se rependirent parmi les bois et là où il se

peurent le miex sauver. Et Riulphe, qui vit la desconfiture de sa gent, se

mist avec ceulx qui fuyoient et eschappa en telle manière. Après la

bataille nombra le duc sa gent et trouva qu'il n'en y avoit nuls perdus. Le

lieu où telle desconfiture fu est encore aujourd'huy appelé
Le Pré de la
bataille
[217].


Note 214:
Villelm. Gemet., lib. III, c. 2.
Ce Riulphe étoit comte

de Cotentin.--Wace, vers 2120:


Riouf fu uns Normanz qui mult se fist doter,

Quens fu et sage et pros, bien sout mal en arrier;

Quais fu de Costentin entre Vire et la mer.


Note 215:
Id.-- id.-- c. 3.


Note 216: Bothone. «A quodam Bothone procuratore suo indecenter

lacessitus.
Les poètes françois Wace et Beneoît de Sainte-More

entrent dans d'autres détails sur
Bothon
. Il étoit, dit Beneoît,

comte du Bessin, et fut le
maître
du jeune Guillaume Longue-Epée.

Beneoît ne cite que les reproches de Bernart le Danois, mais Wace

nous a conservé ceux de Boton:


Willame, dist Boton, tu dis grant avillance,

Encore n'as feru né d'espée né de lance,

Et jà t'en veille fuir, mult as dit grant enfance....

Cuars es, dist Boton, par le cors saint Fiacre, etc.

(Vers 2175.)


Note 217:
Le pré de la bataille.
M. Le Prévost, dans les notes du

roman de Rou, a remarqué que jusqu'à la fin du XVIIIème siècle on

avoit continué de désigner sous ce nom le boulevard occidental de

Rouen.


Au retourner de celle bataille, luy vint un message de Fescanp qui luy dist

qu'il avoit un nouvel fils d'une noble dame qui avoit nom Sporte, qu'il

avoit espousée. Moult fu lié de ces nouvelles; tantôt manda à Herie,

l'évesque de Baieux, que il le baptisast ès sains fons et que il luy méist

nom Richart. L'évesque, qui moult en fu lié, fist son commandement et puis

envoia l'enfant pour nourrir à Fescanp.


Pour les victoires que le duc avoit de ses ennemis, estoit jà la renommée

de luy espandue par diverses régions, si que les contes et les barons du

royaume venoient de diverses parties et hantoient sa court; et il les

honoroit tant et donnoit de si beaux dons que quant il se partoient de lui

il s'en alloient en grant liesce. De la renommée de luy furent si esmeus le

duc Hues et Guillaume le conte de Poitiers, et le conte Herbert, que il

vindrent à luy en la forest de Lyons, où il se déduisoit en chasces de

bestes sauvages moult lyement; à grant appareil les reçut tant comme il

vouldrent demourer avec luy. Souvent disputèrent de moult de besoingnes et

de maintes ordenances de choses temporeles. Entre ces choses et ces paroles

luy requist Guillaume le conte de Poitiers une sienne seur qui avoit nom

Gellot par mariage; et le duc luy octroia volentiers par le conseil

Hues-le-Grant. Là meisme l'espousa à grant feste et puis l'enmena en son

pays.


Pour la noblesse du duc et pour sa grant renommée desiroit moult aussi le

conte Herbert que il eust à faire à luy et que hoirs ississent de luy qui

fussent de son lignage. Tant parla le duc Hues de ceste besoingne, que le

conte Herbert luy donna sa fille, et le duc Guillaume la prist et l'espousa

et puis la mena à Rouen à grant compaingnie de sa gent.



Ci fine du roy Raoul et du bon duc Guillaume de Normendie.





CI COMENCENT LES GESTES

DU ROY LOYS, FILS

CHARLE-LE-SIMPLE.





I.


ANNEE: 936.


Coment le duc Guillaume de Normandie et les barons de France envoièrent en
Angleterre querre Loys, le fils Charle-le-Simple; et coment il fu coroné en
la cité de Laon.
Chargement de la publicité...