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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis

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(En ce temps n'avoit en France point de roy, car le roy Loys et la royne

Algine, sa mère, s'en estoient fuys au roy d'Angleterre, son père.) [218]Et

Hues-le-Grant et les autres barons de France envoyèrent Guillaume,

l'arcevesque de Sens, en Angleterre à la royne Algine, qui femme avoit esté

au roy Charle-le-Simple, et à Loys, son fils; et luy mandèrent que

seurement s'en retournassent en France, elle et Loys son fils, et il luy

feroient serement de loiauté et luy donneroient ostage. [219]Et le roy

Elphetains d'Angleterre qui jà avoit oïe la renommée du duc Guillaume, si

luy envoia ses messages, à tous grans présens et luy pria moult que il

restablisist, par l'accort aux barons, son nepveu Loys au royaume. Et puis

si luy prioit après, que il pardonnast son mautalent à Alain, le Breton,

pour l'amour de luy. Les prières le roy reçut le duc moult voulentiers; à

Alain pardonna son mautalent, et luy donna congié de retourner en son pays.


Note 218:
Hugonis monachi Floriacensis Chronicon, anno 936.


Note 219:
Historia Willelmi Gemetic., lib. III, c. 4.


Quant l'enfant Loys fu retourné en France, le duc Guillaume et le duc

Hues-le-Grant et les autres barons du roiaume le firent couronne

solempnelement en la cité de Loon.


[220]
Incidence.
--Au second an après le seizième jour des kalendes de

mars, furent vues compaignies toutes rouges parmi l'air; et commencèrent au

cos chantant; et durèrent jusques au jour. Le neuviesme jour de devant les

kalendes d'avril, les Hongres, qui estoient encore païens, vindrent en

France et commencèrent à dégaster Bourgoingne et Aquitaine.


Note 220:
Hug. monach. Floriac. Chron., anno 937.


Le roy Loys n'eut pas régné plus de cinq ans, quant les barons de France se

tournèrent contre luy. En celle année fu si grant famine que l'on vendoit

un septier de fourment XXIIII souls; [221]et quant le roy Loys vit qu'il ne

povoit durer ainsi, il manda au roy Henry d'oultre le Rin que moult

voulentiers aroit à luy parlement et volentiers aroit à luy amour et

alliance. Et il luy remanda[222] que en nulle manière il ne feroit cette

chose sans la voulenté et sans l'assentement Guillaume, duc de Normandie.

Et quant le roy oy ceste chose, il s'en ala au duc et luy requist conseil

et ayde vers ses barons, et le duc le reçut honorablement comme roy et

comme son lige seigneur et luy promist conseil et ayde vers ses barons.

Ensemble demourèrent ne scay quans jours. Un chevalier qui Tigris avoit nom

envoyèrent, tandis, au roy Loys d'oultre le Rin; et puis se mirent après à

grant gent, et, pour celle besoingne, appelèrent avec eulx deulx princes de

France, le duc Hues et le comte Herbert.


Note 221:
Willelmi Gemet., lib. III, cap. 5.


Note 222:
Il lui remanda.
Le roi de Germanie lui manda.


Lors s'assemblèrent les deulx roys sur le fleuve de Meuse et se logèrent

l'un çà et l'autre là: et le duc Guillaume traveilla tant pour les deulx

parties, que les deulx roys fermèrent amour et alliance l'un vers l'autre

tout en la manière que il le devisa. A tant se départirent; si s'en

retourna le roy Loys en France, et moult mercya le duc Guillaume de ce que

il avoit fait pour luy.


[223]En son retour encontra le roy un message qui à luy venoit battant; qui

lui compta que la royne Engeberge avoit eu un fils. Moult en fu le roy lié.

Le duc pria, qui estoit encore avec luy, que il le levast des sains fons et

luy méist nom Lothaire; le duc luy octroia et moult en fu lié. Ensemble

s'en alèrent à Loon; là fu l'enfant baptisié. Du roy se parti le duc et

s'en ala à Rouen. Tout le clergié de la cité yssirent hors contre luy, et

chantoient:
Bien vingne qui vient au nom de Nostre-Seigneur!
et le

menèrent ainsi chantant jusques à l'églyse de Nostre-Dame. Là fist ses

oroisons dévotement, et de là retourna en son palais.


Note 223:
Willelm. Gemet., lib. III, c. 6.



II.


ANNEE: 941.


Coment le duc Guillaume voua être moine, et coment il establi Richart,
son fils, duc de Normandie.


[224]
Incidence.
En ce temps avint que deux sains hommes religieux se

départirent du Cambresis, d'une ville qui a nom Hapre. Si avoit nom l'un

Baudouyn et l'autre Godoin, et pour mener vie solitaire s'en alèrent à

Jumèges et commencèrent à coper haies et buissons à grant traveil de leurs

corps, et aplanèrent la terre pour faire habitacion. Si estoit cil lieu

près de l'abbaye de Jumèges, qui au temps de lors estoit gastée et

détruicte et sans habitacion pour les guerres qui orent esté au temps de la

persécucion. Lors avint que le duc Guillaume, qui lors chasçoit en la

forest, les trouva et leur enquist de quel pays il estoient là venus et

quel édifice c'estoit: car il estoient près de l'abbaye, si comme j'ai dit;

et les preudhommes lui comptèrent leur besoingne que il venoient à faire,

et luy offrirent du pain d'orge et de l'eaue en charité: et le duc

Guillaume ne le voult prendre, ains en eut desdaing pour la vilté du pain

d'orge et de l'eaue; et s'en parti le duc Guillaume et entra en la forest.

Tantost trouva un grant porc et l'escria[225]. Le porc qui estoit grant et

fort se retourna vers luy; et le duc, qui pas ne le redoubta, le reçut à

l'espée; si avint que la hante de l'espée brisa et le porc luy courut sus

et le débrisa et défoula malement, le duc touteffois sailly sus, et se

pourpensa à chief de pièce[226] que ce estoit pour le despit qu'il avoit eu

pour la charité des deulx preudhommes. Arrière retourna, leur requist la

charité que il avoit devant refusée, et promist à Dieu qu'il restoreroit le

lieu de Jumèges. Ouvriers y fist mettre pour le lieu nettoier et pour

copper arbres et buissons. L'églyse de Saint-Père, qui estoit descheue,

fist noblement rappareiller et recovrir: le cloistre et tous les offices

rappareilla et garni. Tandis[227], ses messages envoia à Gelot, sa serour,

la contesse de Poitiers, et luy manda que elle luy envoyast un nombre de

moines preudhommes religieux, pour mettre en celuy lieu; et la contesse,

qui moult fu liée et curieuse de ceste besoingne, luy envoia douze moines

et leur abbé, qui Martin avoit nom; si les prist du couvent Saint-Cyprien

de Poitiers. Au duc vindrent en la cité de Rouen; liement les reçut et les

mena en l'abbaye et donna à l'abbé et le lieu et l'abbaye en la ville, et

promist et voua à Dieu qu'il seroit moine en ce meisme lieu. Et eust

tantost parfait son veu sé l'abbé ne l'en eust destourbé pour ce que son

fils Richart estoit encore enfant: si se doubtoit que le pays ne feust

troublé par aucuns pervers hommes, par le deffaut de l'enfant. Et

touteffois fist-il tant vers l'abbé que il emporta une coulle et

estamine et les mist en son escrin, fermant à une petite clef d'argent

qu'il portoit à sa ceinture; dont, retourna à Rouen moult dolent qu'il ne

pouvoit faire ce que l'abbé luy avoit deffendu.


Note 224:
Willelm. Gemet. hist., lib. III, c. 7.


Note 225:
Et l'escria.
C'est-à-dire le fit lever, fit mettre les

chiens à sa poursuite. Le latin dit: «Quem festinè insequi cœpit.»


Note 226:
A chief de pièce.
A la fin. Au bout du compte.


Note 227:
Willelm. Gemet. hist., lib. III, c. 8.


Tantost après fist assembler un parlement des princes de Normandie et de

Bretaingne; et quant il furent tous assemblés, si descouvri son cuer. De ce

furent tous si esbahis qu'il ne sorent que respondre; au darrenier, quant

il furent revenus à eulx-meismes, si commencèrent tous ensemble à crier

tretous: «Très-débonnaire sire, pourquoy nous veulx-tu si soudainement

laissier; né cui laisseras-tu ta terre et ta seigneurie?» Lors respondi le

duc: «Je ay,» dit-il, un fils qui a nom Richart; si vous prie tous que sé

oncques m'amastes, que vous le me monstrez maintenant et que vous le

retenez à seigneur au lieu de moy; car ce que j'ay promis à Dieu de bouche,

je veux ce acomplir par fait.» A sa volenté s'accordèrent, tristes et

dolens, puisqu'il le convenoit faire. Tantost fu envoyé messages à Fescamp

pour l'enfant amener. Si luy fist chacun hommage, quant il fu venu, en la

présence du père humblement; et le père l'envoya à Baieux en la garde

Bethon, le prince des chevaliers, pour apprendre la langue danoise, pour ce

qu'il sceust donner appertement response aux siens et aux estrangers. Si

avons ces choses racomptées de l'abbaye de Jumèges, pour monstrer le saint

propos et la dévotion que le duc Guillaume avoit au lieu.


[228]
Incidence.
En ce temps avint que Suènes, le roy de Danemarche,

chasça Aigrolde, son père, du royaume; et cil qui eut oy parler du povoir

et de la valeur le duc Guillaume, s'en vint en Normandie par mer, à tout

soissante nefs garnies de bonnes gens armées. Et le duc le reçut bonnement

et luy donna la contrée de Coustance jusques à tant que son ost fu creu, si

qu'il peust recouvrer le royaume qu'il avoit perdu.


Note 228:
Willelm. Gemet. hist., lib. III, c. 10.



III.


ANNEE: 943.


Coment le bon duc Guillaume fu traï et martirié par Arnoul, le desloyal
conte de Flandres.



[229]Arnoul, conte de Flandres, qui estoit homme plain de trayson et de

boisdie[230], faisoit en ce temps moult de tors et de griefs à ses voisins.

Par son orgueil et par sa convoitise, au conte Herlouyn tolly le chastel de

Monstereuil. Cil Herlouyn avoit espérance que Hues-le-Grant, qui ses sires

estoit, ly deust aydier; mais quand il vit qu'il n'avoit de luy nul

secours, il s'en ala au duc Guillaume et le pria en plourant qu'il le

secourust contre le conte de Flandres, qui à tort le deshéritoit. Et le duc

assembla son ost, mist le siège devant le chastel, à force le prist et le

rendi au conte Herlouyn, et puis s'en retourna à Rouen. En ce temps

trespassa Franques l'arcevesque de la cité: si fu après luy un autre qui

Guimars avoit nom.


Note 229:
Id. id. c. 9.


Note 230:
Boisdie.
Fraude.


[231]Tant fu couroucié le conte Arnoul de Flandres pour ce chastel encontre

le duc Guillaume qu'il commença à traitier de sa mort entre luy et aucuns

des barons de France, et s'allièrent par serrement contre luy; et le

desloyaus traytre qui par trayson véoit à faire ce qu'il avoit en propos,

manda au duc que moult volentiers aroit à luy amour et alliance; et que,

pour l'amour de luy, pardonneroit à Herloyn son mautalent, et que sé ne

fust pour aucunes maladies qu'il avoit, il alast à sa cour meisme; et pour

ce luy prioit que il luy nominast un lieu où il peust aler et avoir à luy

parlement seur ceste besoingne. Et le duc, qui en toute manière désiroit à

prendre l'abit de moinage et à entrer en religion, et qu'il peust tout

avant laissier la terre, luy assena à Péquegni[231], sur l'eaue de Somme.

Là vindrent de deulx parties. Si fu l'ost du duc d'une partie de l'eaue, et

l'autre de l'autre. En my l'eaue estoit une ille; là s'assemblèrent les

deulx princes et s'entrebaisèrent, puis s'assistrent pour traitier de la

besoingne pourquoy il devoient estre venus; et Arnoul, qui la trayson Judas

avoit au cuer, detint longuement le duc en truffes. A la parfin, après

plusieurs baisiers et plusieurs seremens de paix et d'amour se départirent.

Si estoit jà vers le soleil couchant. Ainsi comme le duc dut entrer en sa

nef et trespassoit le flum, Heris, Basox, Robert et Riulphes, cil quatre

fils de Deable, le commencèrent à huchier que il retournast, car leur sire

avoit oublié à parler à luy d'un secret moult profitable. Quant le duc fu

retourné et il eut mis le pied hors de la nef, il sachèrent les espées et

martirièrent l'innocent, né ne pot avoir nul secours de sa gent pour l'eaue

qui estoit trop profonde, et il n'avoit nul vaissel. Le corps du saint

homme laissèrent, et tournèrent en fuie. Et Bérengier et Alain commencèrent

à crier, quant il virent occire leur seigneur né secourre ne le povoient. A

chief de pièce pristrent le corps et le dépoillèrent; la petite clef

d'argent trouvèrent pendant à la ceinture qui le trésor gardoit, c'est

assavoir la coulle et l'estamine dont il eust esté vestu en l'abbaye de

Jumèges, sé il fust retourné vif. En une bière mistrent le corps et

remportèrent à Rouen à grans pleurs et à grans cris. Encontre vint le

peuple et le clergié à pleurs et à soupirs, et l'emportèrent à l'églyse

Nostre-Dame. Si envoyèrent tantost querre l'enfant Richart à Baieux pour ce

qu'il feust à l'enterrement de son père. Là renouvelèrent les barons leur

serement à l'enfant et le baillèrent en la garde de Bernard le danois, et

vouldrent qu'il feust gardé dedens les murs de la cité.


Note 231:
Willelm. Gemet. hist., c. 11.


Note 232:
Pecquegny
, ou Piquigny, sur la Somme, en Picardie, à

trois lieues d'Amiens.--
Willelmi Gemet., lib. III, c. 12.


Mort fu le glorieux duc Guillaume, par seurnom Longue espée, en la

seiziesme kalende de janvier, en l'an de l'Incarnation Nostre-Seigneur neuf

cent quarante-trois.



IV.


ANNEE: 944.


Coment le roy Loys tint en prison Richart, fils le bon duc Guillaume. Et
coment il fu porté hors de prison dedens un faiscel de herbe.



[233]Après la mort le duc Guillaume, qui fu sacrefié par les mains des

traytres en pure innocence, ainsy comme un aigneau, Richart, son fils,

demoura pour la terre tenir. Enfant estoit bel et gracieux et bien morigené

de souveraine noblesse; et selon la manière son père demonstroit oudeur de

vertus ainsi comme le rameau qui est esrachié de l'arbre aromatique est

doux et fleurant. Et jà commençoit à venir à si grant perfection de valleur

et de sens, que ce que il povoit entendre de sens et de bien selon tel âge,

il retenoit en son cuer sans oublier. [234]Et quant les barons de France

oyrent parler de la démesurée trayson Arnould, conte de Flandres, et de la

mort le duc Guillaume, en y eut qui en furent dolens, et aucuns qui

estoient parçonniers de la trayson et qui avant ce faisoient semblans qu'il

fussent ses amis, descouvrirent leurs cuers et monstrèrent appertement le

mal qu'il avoient conçus. Le roy meisme cuida que grans honneurs luy

feussent escheus; au plutost qu'il peut s'en ala à Rouen ainsi comme pour

conseil prendre aux Normans de la vengeance du duc Guillaume. Si ne prenoit

or pas garde aux bénéfices et aux honneurs que le duc luy avoit faites, né

à la foy entérine que il luy avoit toujours portée. Anlech, Rodulphe et

Bernart, qui estoient tuteurs de l'enfant et gardes de la duchée, le

reçurent à grant honneur comme il afferoit à si grand roy et se mistrent à

luy et à sa volenté pour la fiance de leur petit seigneur. Et le roy, qui

vit la terre belle et plantureuse et plaine de bois et de rivière, fu meus

par convoitise et leur commença teles choses à promettre qu'il n'avoit

talent de tenir, et ce meismement que il béoit à retenir pour soy meismes.

Lors commanda que l'enfant Richart fust amené devant luy; moult le vit bel

et avenant et de noblesse fournie, et voult qu'il fust nourri en son palais

et que on luy quist autres nobles enfans pour luy faire compaingnie.

Maintenant, courut la nouvelle par toute la cité que le roy vouloit à

l'enfant sa terre tollir et qu'il l'avoit jà détenu en prison.


Note 233:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 1.


Note 234:
Id.--id., c. 2.


Tout maintenant s'armèrent les bourgeois et la chevalerie et coururent

parmi la cité tout foursenés, les espées et les glaives ès poins, et

vouloient jà entrer au palais pour le occire. Moult eut le roy grant paour

quant il vit ce. Par le conseil de Bernart le danois, prit l'enfant entre

ses bras et vint à l'encontre eulx; et quant il virent leur seigneur que le

roy tenoït, si se tindrent en paix; et le roy, qui volt du tout leurs cuers

apaisier, rendit à l'enfant sa terre et son héritage, sauf son droit et son

hommage et le reçut en grande foy et en loiauté, et promist aux bourgeois

que il leur rendroit bien introduit et bien aprins de la doctrine du

palais.


[235]Quant ces choses furent ainsi apaisiées, le roy retourna en France,

mais moult porta griefment la villenie que les Normans luy eurent faite, et

enmena l'enfant avec luy, c'est assavoir Richart, ainsi comme pour prendre

vengeance de la mort de son père. Et le traytre Arnoul, conte de Flandres,

se doubla moult que le roy ne courrust sur luy pour la félonie qu'il avoit

faitte. Avant envoya par ses messages dix livres d'or, puis vint à court et

se voult en telle manière escuser devant le roy et luy dist qu'il n'avoit

coupes en la mort le duc Guillaume, et promist que il banniroit hors la

contée de Flandres les homicides qui ce avoient fait, sé le roy luy

commandoit; puis si dist au roy que il luy déust ramembrer des dommages et

des reproches que les Normans luy avoient faits jadis à luy et à son père;

et pour ce, luy disoit-il, qu'il feust du tout hors du soupeçon et que plus

grant dommage ne luy avenist, le meilleur conseil estoit que l'enfant

Richart eust les jarès cuis et que il feust gardé à tousjours en prison, et

que les Normans feussent si forment constrains et agrevés de toltes et de

tailles que il leur convenist vuidier France par force et retourner en leur

pays. Le roy qui feust aveuglé par les dons du trayteur et par les

mauvaises paroles qu'il luy amonesta, le délivra du crime dont il déust

estre pendu, et destourna son mautalent sur l'enfant qui rien ne luy avoit

meffait, à l'exemple de Pilate qui Barrabas, le larron, laissa aler et

Jésus-Crist condempna à mort. Lorsque ce fu fait, estoit le roy à Loon; et

quant l'enfant fu venu de chascier et de jouer, le roy le prist forment à

menacier et à laidengier, et l'appela fils de putain[236], et luy dist que

sé il ne se chastioit, il luy feroit cuire les jarès et l'osteroit de tous

honneurs; et après commanda que il fust bien gardé si que il ne peust

eschapper.


Note 235:
Id.--id., c. 3.


Note 236: Ces mots sont, comme on le voit, anciens dans noire langue.

«Meretricis filium ultrò virum alienum rapientis eum vocavit.»


[237]Quant Omons, le maistre de l'enfant, eut oy les dures paroles et la

cruelle sentence du roy, il pensa bien en son cuer ce qu'il en pouvoit

avenir. Moult fu dolant et manda aux Normans, par un message, que le roy

avoit mis leur seigneur en estroite prison. Quant il oyrent ce, si firent

crier par tout Normandie que chascun jeunast trois jours et que sainte

Eglyse féist continuel oroison à Dieu, que il leur sauvast leur seigneur.


Note 237:
Willelmi Gemet. hist., lib. 4, c. 4.


Tandis, parlèrent ensemble Omons, le maistre de l'enfant, et Yvons, le père

Guillaume de Bellesme, et conseillèrent à l'enfant Richart qu'il se

couchast en son list comme s'il fust forment malade et si durement que l'on

cuidast qu'il deust mourir. L'enfant, qui fu sage, le fist ainsi et

faignist que il fust si malade comme jusques à la mort. Les gardes qui ce

virent ne firent pas grant force de luy garder, mais s'en alèrent l'un çà,

l'autre là où il avoient à faire. Si avint ainsi que en my la mayson où

l'enfant gisoit avoit un faiscel d'herbe; et Omons prist l'enfant et le lia

dedens, et puis troussa sus son col comme s'il portast l'herbe à l'ostel

pour les chevaux: ainsi s'en ala hors des murs, jusques à son ostel et luy

avint si bien que le roy mangeoit à celle heure, et la gent de la cité

communément. Si que il paroit trop pou de gens parmy les voies. Tantost

prist l'enfant et monta sur un cheval et s'enfuy jusques à Coucy. L'enfant

livra en garde au chastelain. Toute nuit chevaucha jusques au matin qu'il

vint à Senlis. Moult s'émerveilla le conte Bernart, quant il le vist si

matin, et luy demanda coment son nepveu Richart le faisoit. Moult fu lié

quant Omons luy eut la besoingne comptée. Tantost s'en alèrent à

Hues-le-Grant; la besoingne luy discovrirent et prinstrent de luy le

serement que il l'ayderoit à délivrer l'enfant. Grant gent assemblèrent et

s'en alèrent à Coucy et en ramenèrent l'enfant à Senlis, à grant joie.



V.


ANNEE: 944.


Coment le roy, par l'enortement le conte Arnoul, guerroya Normandie, et
coment Bernart le Danois l'apaisa, et obligea la bonne cité de Rouen à sa
volonté.



[238]Lors fu le roy moult dolent quant il sceut que l'enfant fu ainsi

soustrait. A Hues-le-Grant manda par ses messages et luy amonesta par sa

foy que il luy rendist l'enfant; et il luy manda que il ne le tenoit mie,

ains estoit en la garde de Bernart, son oncle, le conte de Senlis. Bien

sceut le roy que il ne luy seroit point rendu. Tantost manda Arnoul, le

conte de Flandres, qu'il venist à luy. De ceste besoingne parlèrent, et

quant il furent ensemble au darrenier, dist le conte Arnoul: «Nous savons

bien que le conte Hues-le-Grant a longuement esté de la partie aux Normans

et pour ce le convient attraire et aveugler par promesse. Ottroies luy

doncques la duchée de Normandie, dès le fleuve de Seine jusques à la mer,

et retiens à toy la cité de Rouen, si que celle perverse gent vuident

France par force quant il n'aront où fuyr né où il puissent habiter né il

n'aront de luy né secours né ayde.»


Note 238:
Willelmi Gemet. hist., lib. IV, cap. 5.


Le roy crut Arnoul le trayteur et manda Hugues-le-Grant qu'il venist à luy

parler à la Croix delez-Compiègne[239]; et quant Hues-le-Grant oy parler et

disputer de donner cités et contrées, sy fu tantost aveuglé, et volt miex

mentir son serement pour la convoitise de terre et de richesce que garder

sa foy et sa loiauté vers l'enfant Richart son ami. Avant qu'il se

départissent, jurèrent l'un et l'autre d'une part et d'autre la guerre

contre les Normans et assemblèrent leur ost. Le roy entra en Caux et

Hues-le-Grant en la cité de Baieux et commencèrent à desgaster la contrée

par embrasement et par rapines. Quant Bernart le Danois vit ce, tantost

envoya au roy message par le conseil Bernart le conte de Senlis, en telles

paroles: «Très-puissant roy, pourquoy desgate-tu ainsy le pays, quant la

cité de Rouen est en ta volenté? Prends débonnairement le service des

Normans, pour ce que tu puisses eschiver en lieu et en temps le péril de

tes ennemis, par leur ayde.»


Note 239:
A la croix deles Compiègne.
«Ad villam quæ dicitur

Crux
, juxtà Compendium.» Beneoit de Sainte-More nomme ce lieu

La Croix sus Getiezmer
. (Vers 14,416.)


[240]De cette parole que les messaiges luy apportèrent fu le roy moult lié;

à sa gent manda qu'il se tenissent de la terre dommagier, et puis s'en ala

à Rouen au plutost qu'il peust. Jusques aux portes alèrent à l'encontre le

clergié et le peuple, chantant: «Bien viengne cil qui vient au nom de

Nostre-Seigneur.» Au mangier s'assist le roy et le servoit Bernart le

Danois, et quant il vit que le roy estoit aucques lié, si commença à parler

en telle manière: «Très-noble roy, moult nous est grand honneur creue au

jour duy, car nous avons esté jusques cy soubs la seigneurie au duc et nous

sommes orendroit royal. Or tiengne Bernart le conte de Senlis son nepveu

Richart, et nous soyons soubs toy longuement et te servons comme seigneur.

Mauvais conseil te donna qui te loa à esmouvoir contre la noble chevalerie

des Normans; où fu si fors et si puissans hommes que tu ne peusse

espouventer par leur vertu? Saches que sont tous en ton commandement et

qu'il désirent tous à chevauchier avecques toy en tes besoingnes de bon

cuer et de bonne volenté. Si s'émerveillent moult, comment tu as armé

Hugues-le-Grant ton ennemy, de vingt mille hommes, celui meisme qui

tousjours eut à toy contens et guerre.»


Note 240:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 6.


Par ces parolles et par autres semblables fu le roy apaié; et manda à

Hues-le-Grant que il issist tantost de Normandie; et luy manda telles

parolles, que foie chose estoit de donner si grant povoir à aucuns sur la

gent dont il se peust aydier à son besoing et dont il peust user par droit

sans contredit. Moult fu Hues-le-Grant couroucié de ce mandement, mais

toutesfois s'en issi-il tantost de Normandie et commanda à sa gent qu'il se

tenissent de rapines. Après un pou, se parti le roy de Rouen et fist un

prévost en la cité, qui avoit nom Raoul et du seurnom la Torte, qui de par

luy receut les rentes et détermina les causes et les besoingnes. Si

mauvaisement se contint qu'il estoit plus cruel que les paiens. Tous les

moustiers et les églyses qui avoient esté arses au temps de persécucion

abattoit jusques aux fondemens et faisoit porter la pierre pour

rappareiller les murs de Rouen. Le moustier de Nostre-Dame de Jumèges

abatty, et l'eust tout abattu sé ne fust un clerc, Climent avoit nom, qui

en racheta deulx tours par déniers qu'il donna aux ouvriers. Les deux tours

demourèrent en estat jusques au temps l'archevesque Robert, qui celle

abbaye restora. Et quant le roy eut ainsi faite sa volenté si s'en retourna

à Loon.



VI.


ANNEES: 944/945.


Coment le conte Bernart le Danois et le roy Agrolde de Danemarche
prindrent le roy.



[241]Moult se doubta Bernart le Danois que le roy ne retournast avec

Hues-le-Grant, et qu'il ne feist plus grief aux Normans que devant. Pour ce

manda Agrolde le roy de Danemarche, qui encore demouroit à Cherbourch, que

il assemblast sa gent et la chevalerie de Costentin et de Baieux, et les

envoyast par terre; et il appareillast ses nefs et entrast en Normandie par

devers la mer et destruisist tout devant luy; si que il convenist que le

roy venist à luy à parlement; et ainsi pourroit vengier la mort le duc

Guillaume, son amy. Cil le fist volentiers: sa navie appareilla et entra en

la terre, par devers la marine. Tost fu la nouvelle sceue en France que les

Normans estoient retournés et qu'il avoient jà pris les pors et la marine à

grant multitude de nefs. Bernart le Danois et Raoul la Torte mandèrent au

roy ceste besoingne, et le roy assembla grant ost et s'en ala au plutost

qu'il peust à Rouen. Au roy Agrolde manda que il venist à luy à parlement

au gué qui est appelé Herluin, pour dire la raison pour quoy il dégastoit

ainsi son royaume. Moult plut ceste chose au roy paien, car il avoit grant

talent de vengier la mort du duc Guillaume. Quant il furent assemblés, si

disputèrent longuement de ce que le duc Guillaume avoit ainsi esté mort; et

un Danois regarda le conte Herlouyn, qui estoit sire du chastel, par quoy

le duc avoit esté occis; d'une lance le feri parmi le corps et le jeta mort

à la terre. Et Lambert, son frère et autres si coururent sus au Danois, et

les paiens les reçurent fièrement. Là eut grant bataille et fort; si en

occirent les Danois dix-huit des plus grans et des plus nobles, car il

estoient garnis et appensés[242] de mal faire, et le roy ne s'en prenoit

garde. Là eut faite grant occision de notre gent. Le roy meisme eut esté

prins; mais il monta seur un isnel[243] cheval, et, ainsi qu'il s'enfuyoit,

il chéy ès mains d'un chevalier. Moult le proia en promettant grans dons,

sé il le sauvoit des mains à ses ennemis; et le chevalier, qui pitié en

eut, l'envoia repostement en une isle. Et quant Bernart le Danois seut ce,

par ceulx qui luy rapportèrent, il envoia querre le chevalier et le mist en

prison. A la parfin recongnut-il coment il voloit sauver le roy par les

promesses que il luy faisoit; pris fu le roy et mené en prison à Rouen par

le commandement Bernart le Danois.


Note 241:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 7.


Note 242:
Garnis et appensés de.
Préparés par de longues réflexions

à....


Note 243:
Isnel.
Prompt. Comme l'allemand
snell
.


[244]Moult fu dolente la royne Engelberge quant elle sceut ceste

meschéance. Au roy Henry d'oultre Rin, son père, s'en ala et luy requist

qu'il assemblast son ost et asségeast la cité de Rouen, et délivrast son

seigneur de prison. Et il respondi que ce estoit à bon droit, pour ce que

il n'avoit pas gardé la foy et le serement qu'il avoit au duc Guillaume;

ains l'avoit brisié quant il avoit mis son fils Richart en prison. Lors

dist à sa fille qu'elle luy aidast par ses gens, car il avoit assez à faire

de ses propres besoingnes. Ainsi s'en retourna la royne Engelberge sans

rien faire. Lors s'en ala à Hues-le-Grant et luy proia moult humblement

qu'il méist paine à la délivrance de son seigneur; et Hues-le-Grant ala à

Bernart le conte de Senlis et l'envoia parler aux Normans pour prendre jour

de parlement à Saint-Cler-sur-Epte.


Note 244:
Willelmi Gemeticensis historia, lib. IV, c. 8.


Quant assemblés furent, si parlèrent longuement de la délivrance du roy. Au

darrenier dist Hues: «Rendez-nous notre roy et prenez son fils en ostage en

telle manière que nous assenblons cy une autre fois et que nous affermons

ensemble paix et alliance.» A ce s'accordèrent les Normans et reçurent les

ostages, c'est assavoir Lothaire, le fils le roy, et deulx évesques,

Hildric, l'évesque de Beauvais, et Guy, l'évesque de Senlis. Ces choses

ainsi faites, le roy s'en ala à Loon et les Normans s'en retournèrent à

Rouen.


[245]Un pou après, les Normans assemblèrent grant ost et ramenèrent de

Senlis l'enfant Richart, leur seigneur. Au terme qui fu mis assembla le roy

les prélas de France et Hues-le-Grant, et s'en vint à grant gent sur l'eaue

d'Epte. D'autre part, revinrent les Normans et amenèrent l'enfant Richart.

Tant alèrent messages d'une part et d'autre, que paix et alliance furent

fermées; à tant retourna le roy à Loon, et Richart et sa gent à Rouen.


Note 245:
Willelmi Gemet. hist., lib. IV, cap. 9.


[246]Raoul la Torte, que le roy avoit fait prévost de la cité, le

[247]commença malement à traictier luy et sa gent; constraindre les vouloit

à ce que il n'eussent chascun jour que vingt-deux deniers pour toutes

choses. Et le duc, qui moult en fu couroucié, le chaça hors de la cité, et

cil s'en ala à son fils qui estoit évesque de Paris. D'ilecque en avant eut

le duc Richart et tint la terre de Normandie; et le roy Aigrold s'en

retourna en Danemarche, et fist paix à Suène, son fils, qui du royaume

l'avoit chacié.


Note 246:
Id.-- id., c. 10.


Note 247:
Le.
C'est-à-dire:
Richard
.


Hues-le-Grant, qui bien véoit que le duc Richart proufitoit et amendoit en

sens et en force, fist tant, par l'assentement Bernart, son oncle, le conte

de Senlis, qu'il lui affia[248] sa fille, qui avoit nom Emma.


Note 248:
Luy affia.
Lui fiança, ou seulement lui promit. Wace

emploie la même expression:


Li dus out deus enfés d'une dame enorée,

Un fils et une fille, mes la fille est poisnée;

Ne pooit por l'aage estre encor mariée,

Mès li dus l'afia; ke li seroit donnée

Dès qu'ele porroit estre par raison mariée.


(Vers 3871 et suiv.)



VII.


ANNEE: 946.


Coment Othon, le roy d'oultre le Rhin, tint à grant ost sur les Normans
par le conseil le roy et Arnoul le conte de Flandres. Coment il assailli la
cité de Rouen, et coment il perdi son nepveu. Et coment il s'enfui.



Ceste chose espoventa moult le roy et plusieurs des barons de France, et

meismement le conte Arnoul de Flandres, homme plain de grant trayson et de

tricherie. Le roy regarda que ces deulx ducs, qui ensemble estoient joins

par affineté, le povoient moult grever; et pour ce envoya Arnoul, conte de

Flandres, par son conseil meisme à Othon, le roy d'outre le Rin, et luy

mandoit que s'il abatoit Hues-le-Grant du tout en tout, il luy rendroit

toute la terre de Normandie en sa main, et luy rendroit le royaume de

Loraine (que les hoirs de France tenoient au temps de lors.) Et cil, qui

moult fu lié quant il oy la promesse qu'il avoit tousjours désirée,

assembla son ost comme il put plus et si grant comme il convenoit à tel

besoingne. Les osts le roy Loys et les gens au conte de Flandres assembla

avec les siens et courut à grant force sur la terre Hues-le-Grant; et quant

il eust tout gasté ce que il trouva dehors les murs des chasteaux, il

retourna en Normandie.


Un sien nepveu envoia devant la grant chevalerie, pour espouvanter la cité;

si cuida que les Normans, qui dedens se tenoient, ne fussent de nulle

prestesse; aux portes commença forment à assaillir, et ceux dedens

ouvrirent soudainement les portes et leur coururent sus. Le nepveu le roy

Othon occistrent dessus le pont et tant des aultres qu'il en eschappa

petit. Après vint le roy Othon et le conte Amoul à toute leur gent; [249]et

quant le roy Othon vist que la cité estoit si fort, et il eut d'autre part

oy la mort de son nepveu et la desconfiture de sa gent, si commença à

conscillier sa gent privéement dedens l'abbaye Saint-Oyen[250], coment il

livreroit au roy le conte Arnoul, et puis à ordonner coment il s'en

pourroit plus surement retourner. Mais quant le conte Arnoul apperçu que il

béoit ce à faire, si fist trousser son harnois à mienuit et se mist à la

fuyte, luy et sa gent; si que les aultres, qui pas ne le savoient, avoient

grant paour de la freinte[251] de leurs chevaux.


Note 249:
Willelm. Gemet. hist., lib. IV, cap. 11.


Note 250: L'église de Saint-Ouen étoit alors dans le faubourg, comme

le remarque Guillaume de Jumièges. «Cum suis clam cœpit consultare

infrà ecclesiam sancti Petri sanctique Audoeni, quæ in suburbio sita

est civitatis.»


Note 251:
Freinte.
Le hennissement.


Au matin sceurent les deulx roys que le traytre s'en estoit alé. Tantost

firent trousser leurs harnois et s'en alèrent, sans plus faire, par là

meisme où il estoient venus et laissèrent le siège. Et les Normans issirent

hors et s'appareillèrent et les enchauscièrent longuement, et assez en

occistrent et pristrent. Celle fin dut bien avenir à celle besoingne qui

par le conseil Arnoul le traystre fu commencée.


[252]Hues-le-Grant, qui moult fu dolent de sa terre qui estoit gastée,

assist la cité de Poitiers. Tandis comme il tenoit le siège, leva un

estorbeillon, et commença à espartir et à tonner si forment et venter, que

ses paveillons furent desrompus d'amont jusque aval; et paour luy prist si

grant, luy et tout son ost, qu'il leur sembloit qu'il ne peussent eschapper

de ce pays: tantost tournèrent tous en fuye. Tout ce fist Nostre-Seigneur

par le mérite saint Hilayre, qui est garde et deffendeur de la cité, (jà

soit ce que son corps ne gise pas dedens. Mais qui vouldra son corps

aourer, si voist à St-Denys, en France, où il repose honourablement[253]).


Note 252: Notre traducteur quitte ici Guillaume de Jumièges et passe

au texte de Hugues, moine de Floury. (Voy.
Historiens de France
,

tome VIII, p. 323.)


Note 253: On voit que c'est ici le moine de Saint-Denis qui croit

devoir ajouter un mot au récit de Hugues, moine de Fleury.--
Voist
,

aille.


Incidence.
En ce temps plut sanc sur les ouvriers des champs.



Ci fénist l'istoire du roy Loys.







CI COMENCENT LES GESTES LE

ROY LOTHAIRE, FILS

LE ROY LOYS.






I.


ANNEE: 960.


Coment Lothaire, l'ainsné fils le roy Loys, fu couronné à Rains. Après,
coment Thibaut, le conte de Chartres, accusa faussement le duc Richart de
Normandie envers la royne Engeberge.



[254] En celle année meisme que ces choses avindrent mourut le roy Loys.

Enterré fu en l'églyse Saint-Remy de Rains. Tout le cours de sa vie se

démena en angoisses et en tribulution. Deulx fils eut de la royne

Engeberge, la sereur Othon qui puis fu empereur: Lothaire et Charles. Cil

Charles mena sa vie en privées besoingnes. Lothaire, l'ainsné, couronnèrent

les barons à Rains devant les ydes de novembre.


Note 254:
Ex chronico Hugonis monachi Floriacensis, anno 954.


En celle année mourut Gillebert, le duc de Bourgoingne; la duchée laissa à

Othon, le fils Hues-le-Grant; car cil Hues avoit sa fille espousée.


Bien sentit Hues-le-Grant que la fin de son temps approchoit. Les princes

de sa duchée manda et par leur conseil livra Hues, l'ainsné de ses fils, au

duc Richart de Normandie. De ce siècle trespassa vieux et plain de jour ès

kalendes de juingnet. Enseveli fu en l'églyse Saint-Denys, en France. Trois

fils eut de sa femme, la fille Othon, roy de Saissoingne, Hues, l'ainsné,

Othon et Henry; cil Hues fu fait duc de France, Othon duc de Bourgoingne,

si comme nous avons dit, et Henry, son frère, refu duc après sa mort.


Incidence.
--En ce temps mut contens entre Ensegise, l'évesque de Troies,

et le conte Robert. Au derrenier le geta, le conte Robert, de la cité et

l'évesque s'en ala en Sassoingne à l'empereur Othon. Grant plenté amena des

Sesnes et assist la cité de Troies et le conte Robert. Du siège se

despartirent les Sesnes et alèrent en proie vers la cité de Sens; mais

l'archevesque Archambaut et le vieus conte Renart leur furent au-devant à

grant gens à un lieu qui a nom Villers et les occistrent et Herpon leur

prince. Cil Herpon s'estoit vanté qu'il ardroit les églyses et les villes

qui sont sus la rivière de Venene[255], et qu'il ficheroit sa lance en la

porte St-Lyon; mais il fu tout autrement, car il et sa gent furent prins et

presque tous occis; son corps firent porter[256] en son pays en Ardenne;

car sa mère, Warna, l'avoit ainsi devisé. L'archevesque Archambault et le

vieus conte Renart le plainstrent et regrettèrent assez, tout fust-il par

eulx occis, pour ce qu'il estoit leur cousin. Et quant Brunon (compains

estoit de Herpon), un autre duc, vit qu'il fu occis et sa gent desconfite,

si se leva du siège et s'en retourna en son pays.


Note 255:
Venene
,
la Vaine
, rivière qui se perd dans l'Yonne,

justement à l'entrée de la ville de Sens.


Note 256:
Firent porter
. Le latin attribue ce transport aux

serviteurs de Herpon. «Reportatus est in patriam suam Ardennam à

servis suis.»


[257]En ce temps commença le conte Thibaut de Chartres à guerroier le duc

Richart de Normandie; et prit sa terre à gaster et à proier. Mais le duc ne

se souffri pas[258] longuement que il ne chastoiast sa présompcion; et

quant le conte veit qu'il ne pouvoit venir à chief par luy d'omme si

puissant, si se tirast à la royne Engeberge et luy commença à dire

mauvaises paroles et fausses du duc, et luy fist entendre que jà le roy

Lothaire, son fils, ne tendroit son royaume en paix tant comme il vesquit;

dont ce seroit le souverain conseil que elle féist tant en toutes manières

que si grant ennemi feust chacié du royaume ou occis. La royne, qui feust

déçue, cuida qu'il déist voir. Tantost manda à Bruns l'archevesque de

Couloingne et duc, son frère, qu'il aydast Lothaire, son nepveu, à garder

et à deffendre son royaume; et s'il pouvoient en nulle manière, qu'il

préissent Richart, duc de Normandie, car c'estoit le plus grant et le plus

fort ennemi du royaume. L'archevesque Bruns envoia tantost un évesque au

duc et luy manda qu'il ne laissast mie qu'il ne venist à luy à parlement en

Amienois, car il vouloit mettre paix entre luy et Lothaire le roy; et

feist, sé il pouvoit, que le royaume feust en sa pourvéance, et le duc qui

n'y pensa à nul mal pensa que ce fust voir. Tantost vint, et quant il fust

meus, deulx chevaliers luy vindrent au-devant qui estoient de la mesnie au

conte Thibaut de Chartres, desquels l'un luy demanda: «Noble duc, où

vas-tu? Veulx-tu estre duc de Normandie, ou estre pasteur de brebis hors de

ton pays?» Et le duc leur demanda à qui il estoient chevaliers; et l'un des

chevaliers luy dist: «Que te chaut à qui nous soions? tu scés bien que nous

ne sommes pas à toy.» Lors s'averti le duc et se pensa qu'il estoient

envoiés de qui que ce feust ou venus de leur volonté pour son bien et pour

le avertir. Honorablement les salua. Au départir donna à un une

armille[259] de fin or de quatre livres pesant; à l'aultre donna une moult

riche espée dont le pommel et l'enheudeure[260] estoient de fin or de ce

pois meisme. D'ilecques s'en retourna à Rouen et l'archevesque Bruns se

retourna à Couloingne, mas et confus de ce que sa trayson estoit ainsi

découverte.


Note 257:
Willelm. Gemetic. historia, lib. IV, c. 13.


Note 258:
Ne se souffri pas
. Ne patienta pas.


Note 259:
Une armille
. Un collier ou un bracelet. Plusieurs

manuscrits, et entre les autres le numéro 6 Suppl. franç., portent:

Un fermeillet
.


Note 260 L'
enheudeure
. La poignée.



II.


ANNEE: 962.


Coment le roy Lothaire et sa mère, par le conseil du conte Thibaut, se
pourpensèrent de trayson et de desloiauté contre le duc Richart de
Normandie.



[261]Bien vit le roy Lothaire et la royne sa mère que celle desloiauté, qui

contre le duc Richart avoit été pourparlée, estoit à noient venue; pour ce,

se pourpensa d'une autre manière de desloiauté par l'énortement et par le

conseil le conte Thibaut de Chartres, et manda au duc telles paroles:

«O tu, jusques à quant atendras-tu à moy rendre le service que tu me dois?

Ne scés-tu bien que je suis roy de France, et que tu me dois hommage et

services? N'auroient grant joie mes ennemis et les tiens sé guerre mouvoit

entre moy et toy? Regarde doncques et mets jus de ton cuer toute manière de

haines et de discordes et viens encontre moy hastivement, si que nous

fermons entre nous alliance et amour à tousjours mais, et s'esjoïsse le roy

du service de si grant duc, et le duc de la seigneurie de si grant roy.» Et

le duc luy remanda que volentiers viendroit à luy et qu'il feroit sa

volenté.


Note 261:
Willelm. Gemet. historia, lib.
IV, c. 14.


Quant le roy oï ce, si fu moult lié; lors manda les ennemis Richart, c'est

assavoir le conte Baudouyn de Flandres, Geffroy le conte d'Angiers et

Thibaut le conte de Chartres, et vint à tous ces trois contes sur la

rivière de Eaune[262], là où il dévoient assembler; et le duc fu d'autre

part de l'eaue avec sa gent. Toutesfois s'apensa-il et envoia aucuns de ses

plus privés oultre l'eaue en l'ost le roy pour savoir coment il se

contenoient. Si s'apperçurent tantost que cil trois ducs s'appareilloient

pour courre contre le duc; tantost s'en retournèrent et luy distrent et

loèrent qu'il s'en retournast isnellement, car il estoit traïs et que ses

ennemis s'appareilloient efforciement de courre sus luy et sus sa gent.

Lors assembla les siens entour luy et deffendi un pou le passage de l'eaue

contre ses ennemis. Toutesfois, pour ce qu'il se doubla de la force du roy,

s'en retrait et s'en retourna à Rouen.


Note 262:
Eaune
, rivière qui se jette dans la Béthune et dans

l'Arques, à peu de distance du Dieppe.


[263]Le roy, qui vit que son project estoit anéanty, s'en retourna à Loon

ainsi comme tout desvé. Ne demoura pas granment qu'il assembla grant ost de

Bourgoingne et de France, si entra en Normandie et assist la cité d'Evreux;

et toutesfois la prist-il par la trayson Gillebert Machel. Au conte Thibaut

la livra en garde pour destraindre le pays d'environ. Et quant il s'en fu

parti et mis el retour, le duc Richart le suivist et gasta toute la contrée

de Dunois et celle de Chartres. Et quant il eut ainsi gasté la terre au

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