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Les grandes chroniques de France (3/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis

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V.


ANNEE: 870.


Des messages l'apostoile Adrien au roy Loys qu'il rendist le royaume
Lothaire à son nepveu Loys. Du contens le roy Loys, coment il envoya joyaux
à l'Eglyse de Rome et coment il prit Vienne.



Le roy Loys qui à Ais fu retourné, n'estoit pas encore bien guary de la

bleceure de sa jambe qu'il prist quant il chaï du solier, si comme

l'istoire ci devant conte, pour ce qu'il ne povoit pas bien endurer les

cures des physiciens. Et pour ce que la bleceure se tournoit à pueur et à

pourreture se fist-il tranchier toute la maladie[51], si en demeura plus

longuement en la ville qu'il ne cuida, car il acoucha du tout au lit et fu

aussi comme prest de la mort. En ce temps viendrent les messages de

l'apostoile à Ais, et de Loys l'empereur. Les messages l'apostoile furent

Johan et Pierre, cardinaulx de l'Églyse de Rome; les messages à l'empereur

furent l'évesque Vibode et li quens Bernart. Tel mandement apportoient au

roy Loys que de rien ne s'entreméist du royaume Lothaire son nepveu, qui

par droict devoit escheoir à l'empereur Loys son frère. Assez briesvement

leur rendit responce et congié, et puis si les envoia au roy Charles son

frère. Quand il fu guari de sa maladie et il put chevauchier, il se partit

et s'en alla à Renebourg[52]. Restice[53] le roy des Wandres qu'il tenoit

en prison[54] fit traire hors, et luy fit les yeux sachier, et puis

commanda qu'il fust tondu en une abbaïe. Après manda à ses fils Charlon et

Loys qu'il venissent à luy. Mais il ne y vouldrent pas venir, car il

sentoient bien qu'il avoit meilleure volenté à Charlemaine son frère que

vers eulx. De Renebourg se partit et s'en alla à Frenquefort vers le

commencement du caresme pour tenir le parlement pour le contens apaisier de

luy et de ses fils. Allèrent tant messages d'une part et d'autre que trève

fut donnée jusques au moys de may, que le père les assura qu'il n'auroient

par luy nul mal, et il promistrent d'autre part qu'il ne feroient nul mal

au royaume si comme il avoient commencié. Quant ce feust accordé et le

parlement feust fini, le roy se départi de Franquefort et s'en alla à

Renebourg.


Note 51:
La maladie
. C'est-à-dire:
La chair pourrie
.


Note 52:
Renebourg.
Ratisbonne.


Note 53:
Restice
ou
Ratislas
, prince de Moravie; le même qui

demanda à l'empereur Michel saints Cyrille et Methodius, pour prêcher

l'évangile à ses peuples.


Note 54:
En prison.
Le latin ajoute: «A Carlomanno per dolum

nepotis ipsius Restitii captum.»


Tout le mois de septembre se déporta le roy Charles en chasse de bois et

puis s'en vinst à Saint-Denis en France, pour célébrer la solennité des

glorieux martyrs. Le jour mesme, si comme on chante la messe, vindrent à

luy les messages à l'apostoile Adrien et ceux meismes qui au roy Loys

avoient esté; épistres luy apportaient à luy et aux évesques de son

royaume, qui contenoient moult espouventablement qu'il n'entrast au royaume

qui eut esté Lothaire son nepveu, car il appartenoit par droict héritage à

l'empereur Loys, qui son frère avoit esté. Au roy ne pleurent pas moult ces

nouvelles, ains porta moult griefs ce mandement. Tant luy prièrent les

messages et autres bonnes gens, qu'il osta Carlemaine, son fils, de prison

de Senlis et il luy commanda qu'il demourast avec soy. Les messages fit

conduire jusques à Rains et commanda que ses amis et son conseil feussent

là assemblés; et quand il lu là venu, il demoura entour huit jours, et aux

messages donna congié de repartir. Mais il envoïa avec eulx ses propres

messages à l'apostoile Adrien, Ansegesile l'abbé de Saint-Michel, et un

autre lay qui Liethart avoit nom. Par eulx envoia dons et offrandes à

l'autel de Saint-Pierre de Rome et des vestemens d'or et des couronnes d'or

à pierres précieuses. Luy-meisme alla avec les messages jusques à Lyon. Là

se départi de luy Charlemaine, son fils, sans son sceu, car il s'enfuit par

nuit et s'en alla au royaume de Belge. Grans tourbes de larrons et de

robeurs assembla, et fit par le pays si grant destruction et si grand

cruaulté qu'il n'est nul qui croire le peust, fors ceux qui ce virent et

souffrirent. Moult en fu dolent son père quand il le sceut, et dist: «Las!

quelle engendréure je ai faite, quand cil est larron qui peust estre

coronné de deux roïaumes! Pourquoi emble-il? Ne fust tout sien, s'il

vousist?» Mais pourtant ne voult-il pas retourner né laissier la voie qu'il

avoit entreprise, ains s'en alla à Vienne où Berte la femme Girart[55]

estoit, et assist la cité le plustost qu'il péust. Cil Girart n'éstoit pas

dedans, ains estoit ailleurs en ung fort chastel. Moult fu le pays d'entour

gasté et destruit pour ce siège. Tant fist le roy par sens et par engin,

qu'il mist discension entre ceux qui la cité gardoient, si que une grande

partie se tinst à luy. Mais quand Berte aperçut cette chose, elle manda

Girart son seigneur. Puis qu'il fust venu ne voult-il pas tenir la cité

contre le roy, ains la rendi maintenant, et le roy rentra liez et joyeux,

et célébra en la ville la Nativité Nostre-Seigneur.


Note 55:
La femme Girart.
Berte étoit femme de Girard de

Roussillon, si fameux dans nos anciens romans. Ce siége de Vienne a

beaucoup exalté l'imagination des poètes françois. Il forme le nœud

de la chanson de geste de
Gerard de Vianne
; il en est fait

également mention dans celle de
Gerard de Roussillon
.--«La

Chronique de Vezelay place à tort la mort de Girard en 847, et celle

de Berte en 844.»
(D. Bouquet.)


[56]Quant le roy eust ainsi la cité receue, il contraint Girart à ce qu'il

luy rendroit les chastiaux d'entour et les livreroit à ceux que le roy y

vouldroit envoier; et de ce luy donna bons ostages[57]; trois nefs luy

bailla, et luy souffrit qu'il s'en allast parmi le fleuve du Rosne, luy et

Berte sa femme, et leurs gens et leurs biens meubles. La cité bailla à

garder à Boson le frère la royne sa femme. De là se parti pour aller en

France, par Auxerre et par Sens retourna et s'en vinst droict à l'églyse

Saint-Denys. Quand Charlemaine son fils oy dire qu'il venoit, il s'en alla

à Maison luy et toute sa route: les chastiaux, les villes et le pays tout

dégasta. Après ce envoïa à son père quatre messages faussement et par

coverture, et luy manda que volentiers vendroit à luy à mercy et amendroit

vers Dieu et vers luy quanqu'il avoit meffait; mais tant seulement eust

merci de ceux qui avec luy estoient, né pour ce ne se voult oncques tenir

de mal faire. Le roy retint deux de ses messages et avec les autres deux

envoïa Gaulin, abbé de Saint-Germain, et le conte Baudouin qui serourge

estoit Charlemaine meisme. Par ces deux manda que seurement povoit-il venir

sé il vouloit. Lors faingni par tricherie et luy manda qu'il viendroit à

luy, et envoïa de rechief autres messages pour requerre ce qui ne pouvoit

estre; et, tandis, s'éloingna du pays et s'en ala vers la cité de Toul. A

ses barons le roy requit jugement de ceulx qui son fils luy avoient ainsi

soustraict et aliéné (qui estoit diacre de sainte Églyse), et qui si grand

tourment et destruction avoient faict en son royaume. Lors furent jugés et

condempnés à recevoir mort; et après commanda le roy que leurs terres et

leurs fiefs fussent pris et saisis en sa main. Après ce ordonna coment son

fils et tous malfaiteurs qui avec luy estoient au royaume, feussent pris et

chastiés. Si ne se tint pas tant seulement au jugement des pairs et des

barons, ains voult et requist qu'il feussent jugiés des prélats. Jugiés

furent et excommuniés selon la sentence de l'apostoile, qui commanda que

nul n'eut à eulx participation, n'en boire, n'en mangier, n'en nulle autre

chose, si comme il est contenu en l'épistre selon les saints canons qu'il

envoièrent à tous les prélas. Et meismement de son fils Charlon requist-il

jugement à tous les prélas de cette province[58] comme celui qui feust

diacre et eust fait serment à son père par deux fois dont il étoit parjure,

et avoit fait tant de tourmens en son royaume et telles desloyautés contre

son père. [59]En France retourna le roy vers le caresme; à Saint-Denis s'en

vint vers Pasques fleuries, et là célébra la résurrection. Après la feste

dut mouvoir à Saint-Morise pour aler encontre l'empereris qui ainsi lui

avoit mandé par ses messages; mais pour ce qu'il entendi certainement

qu'elle avoit pris jour de parlement à Loys son frère, le roy de Germanie,

à Trente, ne voult-il pas aller, ains retourna à Senlis[60]. Là vint à luy

Allard le message son frère le roy Loys, qui luy mandoit qu'il venist à luy

au parlement en la cité du Traict, et il viendroit d'autre part à

Renebourg[61] tantost coment il auroit envoié Charles son fils contre les

Wandres. Mais le roy Charles voulut ordonner l'estat de Loys son fils. Si

commanda que Boson frère à sa femme Richeut la royne, feust chambellan et

maistre sur tous les huissiers; et luy donna l'onneur et la terre Girart le

conte de Bourges. Bernart le marchis envoia en Aquitaine et luy bailla la

cure et l'ordonnance de tout le royaume. Avant, luy feist faire seremens,

et puis luy octroia Carcassonne, Arles-le-Blanc et Thoulouse.[62]


Note 56:
Annal. S.-Bertin. Anno 871.


Note 57:
Bons ostages.
C'est Girard qui donna ces ôtages au roi.

«A Gerardo sibi obsides dari jussit.»


Note 58:
De cette province.
De la province du diocèse de Sens, dans

lequel étoit situé le diaconat de Carloman.


Note 59: Ici le traducteur de Saint-Denis, guidé par le continuateur

d'Aimoin, a omis le récit des derniers événemens de l'année 871, tel

que le donnoient les Annales de Saint-Bertin. Il nous transporte à

l'année 872. Dans le texte des Annales, Charles, après avoir tenu un

plait, placit, ou parlement à Servais, vient célébrer la fête de Noël

à Compiègne. De Compiègne, il se rend au monastère de Saint-Lambert,

puis revient à Compiègne, et de là, comme dans la Chronique de

Saint-Denis, à Saint-Denis.


Note 60:
Senlis
.
Silvacum
a été pris ici pour Silvanectum.

Quelques-uns pensent que
Silvacum
est
Ville-en-Selve
, dans la

montagne de Reims; mais on s'accorde plutôt à le reconnoître dans

Servais
, proche de
La Fère
et à six lieues de Laon.


Note 61:
A Renebourg.
Le latin ajoute
Aquis
: c'est-à-dire:
Il
reviendroit d'Aix à Ratisbonne
.


Note 62: Cette dernière phrase est mal entendue. Le latin dit qu'avec

Boson, Charles envoya en Aquitaine Bernard et un autre marquis

également nommé Bernard, et qu'il confia à Boson l'administration du

royaume; qu'au comte de Toulouse Bernard il céda, après avoir reçu

ses sermens, Carcassonne et Rasez: «Eum (Bosonem) cum Bernardo,

itemquo cum alio Bernardo markione, in Aquitaniam misit, et

dispositionem ipsius regni et commisit. Bernardo autem Tholosæ

comiti, poat præstita sacramenta, Carcasonem et Rhedas concedens, ad

Tholosam remisit.» Ce premier Bernard étoit fils de Bernard, duc de

Septimanie, et étoit lui-même comte d'Auvergne. En 879, il devint

marquis de Gothie.



VI.


ANNEES: 872/873.


Coment le roy Loys rendit à l'empereris Angeberge sa partie du royaume
Lothaire, et puis des messages l'apostoile Adrien à l'empereur Basile de
Constantinoble; et coment Loys fu couronné; et coment Charlemaine le fils
Charles-le-Chauf eut les yeux crevés.



En ce temps manda Loys le roy de Germanie ses deux fils Charlon et Loys

qu'il venissent à luy; car il vouloit mettre paix et concorde entr'eux et

son aultre fils Charlemaine. Et quant il furent venus en sa présence, il

feist faire le serment aux deux parties et leurs hommes meismes; mais il

n'y eut né foy né loyauté, d'une part né d'aultre. Après les requist qu'il

ostoiassent avec Charlemaine leur frère sur les Wandres; mais oncques

accorder ne s'i vouldrent. Et quant il vit qu'il n'en feroient rien pour

luy, si ne laissa-il pas, pour ce, que il n'envoiast Charlemaine sur ses

ennemis à si grant ost comme il put rassembler. Après ce, mut au lieu et au

jour qu'il eust pris à l'empereris Angeberge. La fin fu telle qu'il rendit

sa partie du royaume Lothaire qu'il eut reçue encontre la partie du roy

Charles; si fist cette chose contre le serment qu'il eut fait et contre la

volenté et le sceu des barons du royaume Lothaire, qui à luy estoient

rendus et soubmis; dont fu lié par divers sermens dont l'un estoit jà

menti. Car le serment qu'il eust faict à l'empereris Angeberge fust tout

contraire à celuy qu'il avoit faict devant au roy Charles son frère et aux

barons du royaume. Après manda l'empereris au roy Charles qu'il venist

parler à elle à Saint-Morise de Chablies, si comme elle luy avoit mandé

devant.


Là ne voult pas aller, quand il sceut la besoigne et les convenances qui

avoient esté entre luy et le roy Loys son frère; mais il y envoia messages

qui riens ne firent né nulle certaineté ne luy apportèrent.


En ce temps advint que l'apostoile Adrien envoia messages en Constantinople

à l'empereur Basile et à ses deux fils Léon et Constentin pour la besoigne

que l'apostoile Nicholas son devancier avoit devant ce proposé et ordonné.

Ses messages furent Estienne, évesque de Néphese, Donez, évesque

d'Oiste[63], et Martin, diacre de l'églyse de Rome. Et si fu avecques eulx

Anastaise qui garde estoit des armoires et des écrins du palais[64]. Si

estoit un sage homme en paroles, en grec en latin; là fu grand concile

assemblé et fu appelé le huitiesme concile général. Là fu accordé le

contens et le schisme apaisié qui devant eust esté de la promotion[65]

Ignace et de l'ordonnement Foucin. Cil Foucin feust quassié et excomenié et

Ignace ordenné[66]. En ce concile feust aussi ordenné les images adourer

tout autrement que les anciens pères n'en avoient senti; dont les Grecs

contredirent aucunes choses en leur conseil; et quant à aucunes choses

s'accordèrent pour la faveur et pour la grace l'apostoile Adrien de Rome,

qui à eulx s'accordoit des images adourer.


Note 63:
D'Oiste.
D'Ostie.


Note 64: C'étoit le célèbre
Anastase le bibliothécaire
, auteur de

l'histoire ecclésiastique et du
Liber pontificalis
.


Note 65:
Promotion.
Il faut lire
déposition
.--
Foucin
, Photius.


Note 66:
Ordenné.
C'est-à-dire
restitué
.


A Rome vinst l'empereur Loys la veille de la Penthecouste et le lendemain

fu couronné par la main Adrien l'apostoile, en l'églyse Saint-Père. Et

quant la messe fu chantée, l'apostoile le mena meisme à grand compagnie de

chevaulcheurs jusques au palais de saint Johan de Latren. En grand hayne

avoient l'empereris Angeberge les plus haus hommes d'Ytalie pour son

orgueil. Pour eulx tous envoièrent à l'empereur Loys le comte Ginise[67] et

firent tant vers luy, qu'il luy manda qu'elle ne se meust d'Ytalie et

qu'elle l'attendist tant qu'il feust retourné. Mais elle ne tint guères ce

commandement, ains s'en ala après luy assez tost après ce. Si eust envoié

avant à Charles, le roy de France, l'évesque Guinbode, pour grace et amour

impétrer vers luy ainsi comme s'il ne sceut pas ce qui avoit esté faict

entre luy et Loys, son frère le roy de Germanie. A Pontliaire[68] vint au

roi cil message: il estoit lors alé en Bourgoigne pour aucunes besoignes.

Là oït nouvelles que Bernart Vitel[69] estoit occis par les hommes Bernart

le fils Bernart meisme. De Bourgoigne se départi et vint à Atigny, là tint

parlement ès kalendes de septembre. Et quant il eust là demouré pour

aucunes besoignes, il s'en ala pour chacier en la forest d'Ardennes. Au

mois d'octobre se meist en navire au fleuve de Meuse et s'en ala

Avau-Terre[70] en la cité du Traict. Là furent à parlement à luy les deux

grands princes des Normans, Roric et Rodulphes. A luy s'accorda Roric et se

départi en paix et en amour; mais Rodulphe s'en partit à contens et à

discorde. Le roy toutesvoies se garni et s'appareilla contre sa malice. De

là s'en retourna en France non pas par eaue si comme il y étoit alé, mais

par terre. Par Atigny[71] s'en vint à Soissons, en l'abbaïe Saint-Marc

célébra la Nativité Nostre-Seigneur. En ce temps trespassa de ce siècle

l'apostoile Adrien. Après luy fu en siège Johan, diacre de l'églyse de

Rome.


Note 67: Le latin est ici mal entendu... «In loco illius inbergæ

filiam Winigisi substituentes, obtinuerunt apud cumdem imperatorem ut

missum suum ad Ingelbergam mitteret, etc.»


Note 68:
Pontliaire.
«Ad Pontem-liudi.» ou
Lieupont
, en

Bourgogne.


Note 69:
Vitel.
«Nunciatur ab hominibus Bernardi filii Bernardi,

Bernardus qui Vitellus cognominabatur, occisus.» Il est bien

difficile aujourd'hui de distinguer ces trois
Bernards
.... Mais le

surnom de la victime étoit sans doute
le viaus
.


Note 70:
En Avau-Terre.
Comme nous disons:
Dans les Pays-Bas
.


Note 71:
Attigny.
Le latin dit:
Gundulfi-villam
.


[72]Maint fil de discorde et ennemi de paix estoient encore au royaume de

France et en autres royaumes, qui s'attendoient que les maulx et

tribulations qui avoient esté faictes à sainte Églyse au royaume de France

et aux autres régions par Charlemaine le fils du roy Charles, feussent

recommanciés par luy-meisme. Pour lesquels cas qui devant estoient advenus

avoit le roy compilées et faictes aucunes loys par le conseil d'aucuns

sages hommes, ainsi comme ses devanciers vouloient faire, qui moult

estoient profitables à garder la paix de saincte Églyse et du royaume, et

avoit moult estroitement commandé que elles feussent moult fermement

gardées et tenues. Après ce, fist assembler les évesques en la cité de

Senlis, où ce Charlon son fils estoit en prison, et leur commanda qu'il le

desordonnassent selon ce que leur saincts canons enseignent à faire de tels

cas; car il estoit clerc et diacre. Ainsi le firent et le desposèrent de

tous les degrés de saincte Églyse; mais toutes-voies ne demoura-il pas

excommenié. Après ce fait se pourpensèrent les desloyaus ennemis de la

paix, qui estoient de sa suite et de son conseil, et leur sembloit que pour

ce qu'il ne portoit mes né nom né habit de clerc, de tant povoit-il plus

légièrement monter à nom et en pouvoir de roy. Alors commencièrent à

assembler et à faire coulpes et machinations plus hardiment que devant, et

à traire compaignons de leur accort non mie tant seulement de France, mais

d'autres régions. Si estoient tels leurs propos qu'il le vouloient traire

hors de prison au plus tost qu'il verroient qu'il auroient temps et lieu

convenable à ce faire. Et après, se il apercevoient que il se voulust tenir

de mal faire, il le couronneroient à roy par dessus son père. Ainsi eust

été fait par adventure sé le conseil n'y eut esté mis: car il fu mestier

qu'il fust traict hors de prison et mené avant par les évesques qui pas ne

l'avoient jugié, et fust atiré que la sentence par quoi il avoit esté jugié

à mort fust relaschiée et assouagiée, par quoi il peust avoir temps de se

repentir; en telle manière toutes-voies qu'il n'eust povoir né licence de

faire les maux qu'il pensoient. Et quant il fut traict hors de prison et

amené devant tous, ceux qui là furent commencièrent à crier que il eust les

iex crevés. Pour ce que tous ceux qui pensoient à mal faire pour couverture

de li feussent du tout hors de leur espérance et que saincte Églyse et le

royaume demourast en paix bonne et seure, et que jamais ne feust troublée

pour luy.


Note 72:
Annal. S.-Bertini, anno 873.


En ce temps vint à Franquefort Loys le roy de Germanie. Là meisme célébra

la Nativité de Nostre-Seigneur avant qu'il s'en partit. Après y tint

parlement entour les kalendes février, et manda à ses deux fils Charlon et

Loys qu'il y feussent, et à tous les hommes feutables qui avoient esté du

royaume Lothaire. Et tandis comme il demeuroit, advint une merveilleuse

adventure, car le diable prist semblance du bon ange et vinst à Charlon

l'un des fils du roy Loys, et li dist que Diex s'estoit courroucié à son

père et de ce qu'il le vouloit occire pour la raison de Charlemaine son

frère, et que il[73] li devoit tollir le royaume et à luy donner. Charlon

qui moult fust épouvanté de cette advision, se leva tout effraié et s'en

fust en ung moustier qui près estoit de la maison où il gisoit; si ne fut

pas merveille s'il fut éspoenté, car il y a telle différence entre l'ange

Dieu et du deable, quant il faint semblance et clarté du bon ange, que cil

qui a veue la vision de l'ange Dieu demoure en joie et en bonne espérance,

et cil qui a veue la vision du mauvais ange demoure en paour et en

tristèce. Le deable le suivit et entra au moustier après li, et li dist:

«Pourquoi as-tu paour? né pourquoi me fuis-tu? Tu pues bien savoir, sé je

ne venisse de par Dieu pour toy annoncier ce qui adviendra par temps, que

je n'osasse pas entrer après toy en ce moustier qui est la maison de Dieu.»

Tant li dist de telles paroles et de semblables que il prit communion, de

la main du deable, que Dieu li envoioit par luy, si comme il disoit; et

tantost comme il l'eut receue, le deable li entra au corps. Tantost vint à

son père qui séoit au milieu de son parlement avec ses aisnés fils et ses

barons et ses prélas. Lors le prist le deable à tourmenter et dist devant

tous qu'il vouloit guerpir le siècle, et que jamais à sa femme n'abiteroit.

Lors traict l'espée et la lessa cheoir à terre, et quant il voult descendre

le baudré, le deable le commença trop fort à tourmenter, et lors saillirent

avant les évesques et les barons et le tindrent à force. De ce fu le père

moult ému et tous ceulx qui là estoient. En l'églyse le menèrent, et

tantost se revesti l'archevesque Luiberz pour la messe chanter, et quand ce

vint au point de l'évangile, il commença à crier à haute voix:
Ve, ve,
ve,
et toujours cria ainsi continuellement jusques à tant que la messe

fust chantée. Le père qui moult étoit dolent le lessa aux évesques et à ses

autres amis et commanda qu'il fust mené par les sains lieux des martyrs et

des confesseurs, que par leurs mérites et par leurs dessertes sé il

plaisoit à Dieu peust estre ramené en son sens. Si se pensa qu'il le

envoieroit à l'églyse Saint-Père de Rome; mais il entrelessa cette voie

pour aucunes autres besoignes.


Note 73:
Il.
Dieu.



VII.


ANNEES: 873/874.


Coment Charles-le-Chauf assit les Normans en la cité d'Angiers. De la paix
que le roy Loys fit aux Wandres pour Charlemaine son fils aidier, et coment
Charles-le-Chauf fit venir à merci les Normans, qui avoient assiégé Angiers
et de maintes autres choses.



En ce temps repaira l'empereur Loys en la cité de Capue. Si estoit jà mort

Lambert-le-Chauve[74]. Et estoit venu à grant ost un patrice de l'empereur

des Grecs en la cité d'Ydronte[75], pour aider à ceulx de Bonivent, qui luy

promirent qu'il li rendroient une somme d'avoir pour le treuage que il

soloient devant ce rendre aux empereurs qui estoient roys de France. Lors

manda l'empereur Loys à l'apostoile Jehan qu'il venist à luy en la cité de

Capue[76], si que par luy fust à luy réconcilié son compère[77] Adelgise.

Si tendoit à ce l'empereur que son serment fust sauvé par la présence

l'apostoile (car il avoit juré qu'il prendroit à force cil Adelgise avant

qu'il partist du siège, né oncques prendre ne le polt).


Note 74:
Lambert-le-Chauve.
C'étoit le lieutenant d'Adalgise, duc

de Bénévent.


Note 75:
Idronte.
Latiné:
Hydrontus
. C'est
Otrante
.


Note 76:
Capue.
Le latin porte:
In Campaniam
.


Note 77:
Son compère.
Le compère du pape.


Charles le roy de France assembla son ost en ce contemple[78] et commanda

qu'il s'en alast tout droict vers Bretaigne. Pour ce le fist que il ne

vouloit pas que les Normans, qui avoient assis la cité d'Angiers,

s'aperceussent qu'il alast sur eulx, car tost s'en fussent fui en tel lieu

où il ne les peust pas contraindre. Puis qu'il fust meu en cette besoingne

vint à luy un message qui luy conta que son frère Loys le roi de Germanie

avoit fait par quoi Charlemaine estoit eschappé de Saint-Père de Corbie où

il estoit en prison, et s'estoit à luy accompagné en son contraire et en sa

nuisance par le consentement de deux faux moines et de sa gent meismes. De

ce fu le roy moult courroucié; mais pour ce ne laissa-il pas la besoigne

que il avoit emprise; ains s'en ala à Angiers et assit les Normans qui jà

avoient destruit maintes cités et maint chastel et maintes églyses, et

abbaïes si destruites et arses qu'il avoient tout rasé à terre. D'autre

part estoit Salemon le duc de Bretaigne[79], et li et son ost estoient

logiés sur un fleuve qui est appelé Maene. Et tandis comme le roy Charles

estoit à ce siège, le duc Salemon envoia à lui Bigon son fils, à grant

compagnie des plus nobles hommes de Bretagne, au roy se recommanda et luy

jura feauté devant tous les barons. Et le roy tint le siège devant la cité

si longuement et si asprement, qu'il les dompta et les contraint si que les

plus grans vindrent à lui à merci. Tel serement qu'il leur demanda firent,

tels ostages laissèrent comme il voult et tant comme il en demanda, et à

telle condiction que il istroient tous de la cité en un jour, et que jamais

en son royaume mal ne feroient né ne consentiroient à faire. Au derrenier

luy requistrent qu'il souffrist qu'il habitassent en une isle de Loire,

jusques au moys de février, et que il eussent marchié de viandes. Et après

ce mois ceulx qui crestiens estoient et qui la crestienneté vouldroient

tenir vraiment et loyaument, viendroient à luy, et ceulx qui encore

estoient païens et voudroient estre crestiens fussent baptisés à sa

volenté. Et ceulx qui la crestienneté refuseroient se partissent du

royaume, né jamais pour mal faire n'y retourneroient, si comme il avoient

juré. A ce s'accorda le roy et leur octroia cette requeste. Quant ils orent

la cité vidiée, le roy et les prélats et le peuple entrèrent enz à grant

dévotion. Les corps sains St. Aubin et St. Lucin, qui avoient esté repos en

terre pour la paour des Normans, remistrent en leurs fiertres

honorablement. Des Normans prit le roy tous ostages, puis se partit du pays

et s'en ala droict au Mans, du Mans à Evreux et puis à Neufchastel[80]; de

là s'en tourna vers la cité d'Amiens, de là s'en ala à une ville qui a nom

Audrieu[81]. Si estoit jà la saison entour les kalendes de novembre. En

chaces le roy se déporta un peu de temps, puis s'en vint à Soissons. La

Nativité Nostre-Seigneur célébra en l'abbaïe Saint-Marc.


Note 78:
En ce contemple.
Dans ces entrefaites; dans ce temps-là

même.


Note 79: Le latin dit: «Ultrâ Meduenam fluvium in
auxilio

residente.»


Note 80:
A Neufchatel.
«
Castellum novum apud Pistas.
» C'est

aujourd'hui Pitres, au confluent de l'Andelle et de la Seine, à peu

de distance du
Pont-de-l'Arche
.


Note 81:
Audrieu.
«
Audriacam-villam
.» C'est
Orreville
, près de

Doullens, sur les bords de la rivière d'Autie.


[82]En cette année, qui estoit celle de l'Incarnation huit cent

soixante-quatorze, fu l'hiver si lonc et si fort de gelées et de nois, que

nul homme qui lors vesquit n'avoit oncques veu si fort. Entour la

Purification tint le roy parlement à Saint-Quentin en Vermandois. Les

jeunes de la quarantaine fit en l'églyse Saint-Denis et léans meisme

célébra la Résurrection. Vers le moys de juing tint général parlement dans

la ville de Ducy. Là meisme receut les dons et les présens qu'on luy avoit

accoutumez à faire ainsi comme chacun an. De là se parti et s'en ala à

Compiègne. En cet esté fu si très-grant la sécheresse qu'il ne fu pas foin

et blé. [83]En ce point, advint que Rodulphe ung prince des Normans, qui

tant de maux avoit fait au royaume Charles et qui à luy ne voult pacifier

si comme l'istoire à la dessus conté, fu occis au royaume de Loys son

frère, et plus de cinquante Normans qui avec luy estoient. Cette nouvelle

fu apportée au roy Charles qui pas n'en fu courroucié.


Note 82:
Annal. S.-Bertini, anno 874.


Note 83:
En ce point.
Ce qui suit est placé dans les Annales de

Saint-Bertin, à l'année précédente, et immédiatement avant le récit

de la levée du siège d'Angers par les Normands. C'est dans cette

ville que Charles-le-Chauve apprit la mort de Rodolphe ou Raoul.


Incidence.
--En ce temps s'espandit planté de langoustes par Allemagne,

par France, par Espagne, si que cette pestilence put estre comparée à une

des plaies d'Egypte. Au roy Loys de Germanie, qui son parlement devoit

tenir en la cité de Mez, vint un message à grant haste et li dist: «Que

s'il ne se hastoit de secourre Charlemaine son fils, en la cité de Marc[84]

contre les Wandres, jamais ne le verroit.» Tantost après ces nouvelles s'en

vint à Renebourg; mais avant qu'il se partit livra-il Charlemaine

l'Aveugle, fils le roy Charles son frère, à Lambert l'archevesque de

Mayence, et li manda qu'il luy fist donner sa soustenance en l'abbaïe

Saint-Aubin, qui est en la cité meisme; et par ce monstra-il bien qu'il li

desplaisoit les maux que cil Charles, qui son neveu estoit, avoit fait aux

églyses et au peuple, et contre son père meismes tant comme il pot régner

né avoir pouvoir de roy. Quant il fu venu à Renebourg, il envoia ses

messages aux Wandres et fit paix à eulx au plus honorablement que il pot,

pour son fils oster de péril. Les messages d'une gent qui sont appelés

Behemes[85] mist en prison pour ce qu'il estoient à luy venus par tricherie

comme messagiers, et ainsi comme pour luy et sa gent espier.


Note 84: Marc. «
Monachia.
» C'est Munich.


Note 85:
Behemes.
Bohémiens.


[86]
Incidence
--Au roy Charles de France vindrent diverses nouvelles

de Salemon, duc de Bretaigne. Les uns disoient qu'il estoit mort et les

autres qu'il estoit malade; mais les plus vraies estoient de sa mort en la

manière que nous tous dirons. La vérité si est que il estoit haï des plus

nobles hommes de Bretaigne, Pascuitan et Urfan[87], et d'aucuns François à

qui il avoit fait vilainies et griefs. Ceulx et mains autres le pristrent

ung jour en chassant, luy et son fils Bigon. Son fils pristrent et le

mistrent en prison; mais Salemon eschapa et s'en fuit en une ville qui en

leur langue est appelée Pancheron[88], et s'enfouist en un moustier pour

soy garantir. Pris fu de ses hommes meisme et livré à Fulcoart et aux

autres François. Les iex li crevèrent et lendemain fu trouvé mort. Si

semble que ce fust vengeance de Dieu pour punir sa grant desloyauté, car il

avoit chacié Héripone, son droit seigneur, jusques dans un moustier et

l'avoit occis dessus l'autel meisme.


Note 86:
Annal. S.-Bertini, anno 874.


Note 87:
Pasquitan et Urfan.
Comtes de Vannes et de Rennes.


Note 88: C'étoit un lieu du comté de
Poher
, dans le duché de Rohan.


En ce temps envoia Loys le roy de Germanie message au roy de France

Charles, son frère. Ce message fu Charles son fils meisme et autres

messagers avec luy, et li mandoit que volentiers auroit à luy parlement sur

le fleuve de Muese[89]. Le roy Charles le receut volentiers, et fu pris

jour de parlement en lieu déterminé. Mais puis qu'il fu meu luy convint-il

demorer; car une maladie le prit en cette voie, qu'on appelle flux. Et pour

ce refu pris un autre jour ès kalendes de décembre, sur ce fleuve de Muese,

en une ville qui a nom Haristalle. (Au jour du parlement assemblèrent les

deux frères. Des besoignes du parlement se taist l'istoire et pour ce nous

en convient taire.) Au retour se mist le roy Charles, et s'en vint à

Saint-Quentin en Vermandois et puis par Compiègne. Là célébra la Nativité

Nostre-Seigneur, et le roy Loys fit cette feste meisme à Ais-la-Chapelle.

De Ais se parti pour tenir parlement à Franquefort qui siet par delà le

Rin. [90]Et le roy Charles s'en vint au commencement du Caresme en l'abbaïe

de Saint-Denis en France. Laiens meisme célébra la solempnité de la

Résurrection. La royne Richeut, qui laiens estoit avec luy, accoucha

droictement le mercredi devant Pasques par nuict; mais l'enfant mouru

tantost comme il fu baptisé. Laiens accompli la royne les jours de sa

gésine[91], et le roy s'en parti après la feste et s'en ala à Bar[92].

Après retourna à Saint-Denys aux Lethaines des Rovoisons[93]: puis s'en

parti et s'en ala à Compiègne la vigile de Pentecoste. Lors tint parlement

Loys de Germanie à Tribures[94], droictement en may. Et pour ce qu'il ne

put parfaire ce qu'il cuida, il rassigna parlement là meisme au moys

d'aoust. Vers le moys d'aoust s'en ala le roy Charles vers Ardennes, à une

ville qui a nom Ducy. Là oï certaines nouvelles de la mort Loys son nepveu,

l'empereur d'Ytalie. Pour cette raison mut tantost et s'en ala à Ponty[95]

et commanda à tous ceulx qui estoient ses feutables et de son conseil qu'il

venissent à luy. De là s'en ala à Langres et attendi ceulx qu'il béoit

amener avec luy en Ytalie. La royne Richeut envoia à Senlis[96] par la cité

de Rains. Son fils Loys envoia en cette partie du royaume qu'il avoit reçue

comme Loys son frère, après la mort Lothaire son neveu. Aux kalendes de

septembre mut et s'en ala par Saint-Morise de Chablies; après passa les

mons de Montjeu et entra ès plaines de Lombardie.


Note 89:
De Muese.
Il falloit
de Moselle
.


Note 90:
Annal. S.-Bertini, anno 875.


Note 91:
Les jours de sa gesine.
Le temps du repos qui suit

l'enfantement. Le latin dit: «Illaque, dies purificationis post

parturitionem expectante.»


Note 92:
Bar.
Erreur: le latin dit: «Ad Basivum perrexit.» C'est

Baisieux
, à deux lieues de Corbie et de Buissy.


Note 93:
Rovoisons.
Rogations.


Note 94:
Tribures.
Maison royale entre Mayence et Oppeinheim, sur

les bords du Rhin.


Note 95:
Ponty.
Pontyon.


Note 96:
A Senlis.
C'est-à-dire à
Servais
.



VIII.


ANNEES: 875/876.


Coment Charles-le-Chauf vint en Lombardie, et coment le roy Loys son frère
envoia ses fils contre luy et entra en sa terre. Coment Charles-le-Chauf fu
couronné à empereur de Rome, et du concile des prélas en la cité de Mez en
la présence l'empereur.



Bien sceut Loys le roy de Germanie les nouvelles de la mort de Loys

l'empereur d'Ytalie son neveu, et que le roy de France Charles son frère

estoit jà là meu pour cette chose. Tantost envoia Charlon son fils contre

luy. Et le roy Charles aussi ala encontre, quant il sceut qu'il venoit;

mais cil qui pas ne l'osa attendre s'enfui. De ce fu le père moult

courroucié né pour ce ne voult pas la besoigne entrelaissier. Ains envoia

Charlemaine son autre fils à grant gent. Le roy Charles, qui plus grant

force que li avoit, vint encontre à bataille; mais Charlemaine, qui bien

sceut qu'il n'avoit pas pouvoir à son oncle, requist paix. Foy et serment

donnèrent l'un à l'autre et puis cil s'en retourna. Quant le roy Loys de

Germanie sceut qu'il n'avoient rien fait contre leur oncle, il meisme prit

son fils et son ost et s'en vint devant Attigny. Si le fist par le conseil

Enguerran qui chambellan avoit esté au roy Charles, mais par la royne

Richeut eut été getté de court; (et ce fit-il par mal de luy[97] que il

véoit bien que le roy n'estoit pas au pays et qu'elle estoit seule

demourée.) Lors manda la royne les plus grans hommes du royaume son

seigneur, et leur fist jurer qu'il iroient contre le roy Loys. Le serement

firent, mais il ne le gardèrent pas comme faux et mauvais. Car il meisme

gastèrent le royaume qu'il avoient juré à garder. Après que le roy Loys ot

ainsi adomagié le royaume Charles son frère, tandis comme il n'estoit pas

au pays, par l'aide et le conseil des plus grans hommes du royaume meisme,

il s'en ala à Attigny et fit la feste de la Nativité; puis s'en ala par la

cité de Trèves à Franquefort et amena avec luy aucuns des barons du royaume

Charles son frère, qui à luy s'estoient joint et alié. Là demoura tout le

Caresme jusques après la résurrection. Avant qu'il s'en partist oï

certaines nouvelles de la mort la royne Ermentrus[98] sa femme, qui estoit

trespassée à Renebourg. Le roy Charles, qui en Lombardie estoit, manda les

barons d'Ytalie qu'il venissent à luy, mains vindrent et aucuns non. A Rome

s'en ala par le commandement l'apostoile Jehan qui mandé l'avoit, moult le

receut honorablement quant il fu là venu, en la seizième kalende de janvier

de l'Incarnation huit cent soixante-seize: [99]moult biaux présens et

riches offrit à l'autel Saint-Père, et l'apostoile Jehan li mist sur le

chief la couronne impériale, et fu appelé Auguste et empereur des Romains.

De Rome se parti et s'en ala à Pavie. Là tint parlement et ordenna de ses

besoignes. Boson, le frère Richeut sa femme l'empereris, fist duc et garde

de la terre, et li lessa tels gens comme il requist et telle compagnie.

Lors se parti l'empereur, les mons passa et s'en vint à Saint-Morise de

Chablies. Si se hasta moult de retourner, pour faire la feste de la

Résurrection en l'églyse de Saint-Denys en France, et l'empereris Richeut,

qui en la cité de Senlis[100] demouroit, ala encontre luy tantost comme

elle en oï nouvelles. Si passa parmi Rains et Chalons, parmi Langres et

Besançon, jusques à une ville qui a nom Warnifontène[101]. Avec l'empereris

retourna par les cités devant dites à Compiègne; de là s'en vint à

Saint-Denis pour faire les festes de la Résurrection. Lors manda les

messages l'apostoile Jehan, c'est à savoir Jehan de Touscane et Jean

d'Arete, et Ansegise de Sane[102]. Par leur conseil et par l'autorité

l'apostoile ordenna ung concile général de prélas en la marche de Lorraine,

en une ville qui a nom Pontigon. Cil Boson dont nous avons parlé que

l'empereur avoit laissié en Ytalie pour la garde, et qui frère estoit sa

femme, espousa Ermangart la fille l'empereur Loys. Puis que l'empereur

Charles s'en feut retourné en France, par le conseil Evrat le fils

Bérangier, en laquelle garde la demoiselle demouroit, sans le sceu

l'empereur[103].


Note 97:
Par mal de luy.
Par la haine qu'il portoit à la reine.


Note 98:
Ermentrus.
Le latin la nomme
Emma
.--
Renebourg
,

Ratisbonne.


Note 99:
Annal. S. Bertini, anno 876.


Note 100:
Senlis.
Lisez
Servais
.


Note 101:
Warnifontem.
«Warnaril-fontana.»


Note 102:
Sane.
Le latin porte
Senonensem
; Sens.


Note 103: Le latin porte: «Par le conseil de Béranger, fils

d'Evrard,» et ajoute: «
Iniquo conludio
in matrimonium sumpsit.»


Quant le terme du concile approcha, l'empereur Charles et les messages

l'apostoile murent et s'en alèrent par Rains et par Chaalons, et quant tous

furent rassemblés, prélas et autres personnes, et il furent revestis des

aornemens de saincte Églyse, et tapis et carpites[4] furent estendus et le

tiexte des Évangiles fust mis sus ung leutrin, droict devant le siège où

l'empereur devoit seoir, en plein senne[5], il entra au concile vestu de

draps à or, à la guise de France, luy et les messagiers l'apostoile Jehan.

Lors commencièrent une anthienne
Exaudi nos Domine
. Après fu chanté le

Te Deum
et le
Gloria
, et dit à la fin l'oraison l'évesque Jehan de

Toscane. Atant s'assit l'empereur et tous les prélats. Lors se dreça cil

Jehan message l'apostoile en plein concile, et commença à lire les épistres

l'apostoile que il envoioit au concile. Après en lut une autre de la

primacie Ansegise l'archevesque de Sens, qui contenoit telle sentence:

«Qu'il eut pouvoir d'assembler concile et de faire autres semblables choses

par toute la France et Allemagne toutes les fois que mestier en seroit, par

l'auctorité l'apostoile, et que les décrès du siège de l'apostole fussent

manifestés par luy, et ce que l'en feroit fu par luy mandé à la cour de

Rome; et plus, que s'il avenoit que l'on eust mestier de conseil sur aucun

grief cas, si que il convenist que l'apostoile en ordennast ou donnast

sentence, que par luy fust la besoigne requise et rapportée. Lors

requistrent les prélas que l'en leur laissast lire la lettre ainsi que elle

estoit envoiée. A ce ne s'accorda pas l'empereur, ains leur demanda qu'il

respondroient au mandement l'apostoile? Et il respondirent que volentiers

obéiroient au mandement, mais que les droicts et les privilèges de leurs

éveschiés, qui estoient donnés selon les canons, leur feussent gardés.

Moult s'efforça de rechief l'empereur et les messages à ce qu'il

respondissent simplement et absolument à ce que l'apostoile mandoit de la

primacie en l'églyse; mais oncques autre response que la première n'en

porent avoir; fors que tant que Frotaire l'archevesque de Bordiaus

respondit par flaterie ce qu'il cuidoit qui deust plaire à l'empereur, pour

ce qu'il estoit venu de Bordiaus à Poitiers et de Poitiers à Borges, contre

les droits des canons, par le déport et par l'assentement du prince. Lors

s'esmu l'empereur et dict que l'apostoile avoit donné son pouvoir à

Ansegise au concile et que il tendroit son commandement. Lors prit

l'épistre tout enroulée luy et le message et la baillèrent à Ansegise, et

luy fit apporter une chaire, et la fit mestre par dessus tous les évesques

du royaume de cà les mons, de lès Jehan de Toscane message l'apostole qui

séoit de lès luy; et commanda à Ansegise qu'il passast tout oultre par

dessus tous les autres qui avant devoient séoir par ordre, et séist en la

chaire. Lors commencia à crier devant tous l'archevesque de Rains, que

c'estoit contre les rieules[106] et contre les droicts des saints canons;

mais toutes-voies demoura l'empereur en son propos. Après ce, requistrent

les prélas de rechief qu'il eussent l'exemplaire de l'épistre qui à eulx

estoit envoiée; né oncques avoir ne la porent, et en telle manière se

départi le concile sans rien plus faire en cette journée.


Note 104:
Tapis et carpites.
Les
carpites
ou
carpetes
étoient

des tapis de pieds. (Voyez Ducange au mot
Carpetta
.) Le latin

porte: «
Domo ac sedilibus palliis protensis.
»


Note 105:
Senne.
Synode, assemblée solennelle. (Suite du chapitre

VIII.)


Note 106:
Rieules.
Règles.


En la dixième kalende de ce moys meisme assemblèrent les prélas. En ce

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