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Les sentiers dans la montagne

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The Project Gutenberg eBook of Les sentiers dans la montagne

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Title: Les sentiers dans la montagne

Author: Maurice Maeterlinck

Release date: September 12, 2020 [eBook #63187]
Most recently updated: October 18, 2024

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
produced from images generously made available by The
Internet Archive/Canadian Libraries)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES SENTIERS DANS LA MONTAGNE ***

MAURICE MAETERLINCK

LES SENTIERS
DANS LA MONTAGNE

QUINZIÈME MILLE

PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11

1919
Tous droits réservés.

Copyright in the United States of America by Dodd, Mead and Co, Inc., 1919. All rights reserved.

OUVRAGES DE MAURICE MAETERLINCK

EUGÈNE FASQUELLE, Éditeur
DANS LA BIBLIOTHÈQUE CHARPENTIER A 3 FR. 50 LE VOLUME
La Sagesse et la Destinée (69e mille) 1 vol.
La Vie des Abeilles (83e mille) 1 vol.
Le Temple Enseveli (28e mille) 1 vol.
Le Double Jardin (22e mille) 1 vol.
L'Intelligence des Fleurs (36e mille) 1 vol.
La Mort (50e mille) 1 vol.
Les Débris de la Guerre (17e mille) 1 vol.
L'Hôte Inconnu (23e mille) 1 vol.
THÉÂTRE
Théâtre, Tome I.—La Princesse Maleine, L'Intruse, Les Aveugles 3 fr. 50
Tome II.—Pelléas et Mélisande (1892), Alladine et Palomides (1894), Intérieur (1894), La Mort de Tintagiles (1894) 3 fr. 50
Tome III.—Aglavaine et Sélysette (1896), Ariane et Barbe-bleue (1901), Sœur Béatrice (1901) 3 fr. 50
Joyzelle, pièce en 5 actes (13e mille) 3 fr. 50
Monna Vanna, pièce en 3 actes (12e mille) 2 fr. »
Monna Vanna, drame lyrique en 4actes et 5 tableaux, livret (musique de Henry Février) (9e mille) 1 fr. »
L'Oiseau Bleu, féerie en 6 actes et 12 tableaux (40e Mille) 3 fr. 50
La Tragédie de Macbeth, de W. Shakespeare. Traduction nouvelle avec une Introduction et des Notes (6e mille) 3 fr. 50
Marie-Magdeleine, drame en 3 actes (6e mille) 3 fr. 50
CHEZ DIVERS ÉDITEURS
Le Trésor des Humbles (96e édition). (Mercure de France) 3 fr. 50
Serres Chaudes (poésies). (Lacomblez, édit.) 3 fr. »
L'Ornement des Noces spirituelles, de Ruysbroeck l'Admirable, traduit du flamand et précédé d'une Introduction. (Lacomblez, édit.) 5 fr. »
Les Disciples à Saïs et les Fragments de Novalis, traduits de l'allemand et précédés d'une Introduction. (Lacomblez, édit.) 5 fr. »
Album de douze Chansons. (Stock, édit.) Épuisé.

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

20 exemplaires numérotés sur papier du Japon;
80 exemplaires numérotés sur papier de Hollande

LES SENTIERS
DANS LA MONTAGNE

I
LA PUISSANCE DES MORTS

Dans un petit livre qui est une sorte d'étrange chef-d'œuvre: la Ville enchantée, une romancière anglaise, Mrs Oliphant, nous montre les morts d'une ville de province qui tout à coup, indignés de la conduite et des mœurs de ceux qui habitent la cité qu'ils fondèrent, se révoltent, envahissent les maisons, les rues et les places publiques, et sous la pression de leur multitude innombrable, toute-puissante quoique invisible, refoulent les vivants, les poussent hors des portes, et faisant bonne garde, ne leur permettent de rentrer dans leurs murs qu'après qu'un traité de paix et de pénitence a purifié les cœurs, réparé les scandales et assuré un avenir plus digne.

Il y a sans nul doute sous cette fiction, qui nous semble poussée un peu loin, parce que nous ne voyons que les réalités matérielles et éphémères, une grande vérité. Les morts vivent et se meuvent parmi nous beaucoup plus réellement et plus efficacement que ne le saurait peindre l'imagination la plus aventureuse. Il est fort douteux qu'ils restent dans leurs tombes. Il paraît même de plus en plus certain qu'ils ne s'y laissèrent jamais renfermer. Il n'y a sous les dalles où nous les croyons prisonniers qu'un peu de cendres qui ne leur appartiennent plus qu'ils ont abandonnées sans regrets et dont, probablement, ils ne daignent plus se souvenir. Tout ce qui fut eux-mêmes demeure parmi nous. Sous quelle forme, de quelle façon? après tant de milliers, peut-être de millions d'années, nous ne le savons pas encore, et aucune religion n'a pu nous le dire avec une certitude satisfaisante, bien que toutes s'y soient évertuées; mais on peut, à de certains indices, espérer de l'apprendre.

*
*  *

Sans considérer davantage une vérité puissante mais confuse qu'il est pour l'instant impossible de préciser ou de rendre sensible, tenons-nous à ce qui n'est pas contestable. Comme je l'ai dit ailleurs, quelle que soit notre foi religieuse, il est en tout cas un lieu où nos morts ne peuvent pas périr, où ils continuent d'exister aussi réellement et parfois, plus activement que lorsqu'ils étaient dans la chair: c'est en nous que se trouve cette vivante demeure et ce lieu consacré qui pour ceux que nous avons perdus devient le paradis ou l'enfer selon que nous nous rapprochons ou nous éloignons de leurs pensées et de leurs vœux.

Et leurs pensées et leurs vœux sont toujours plus hauts que les nôtres. C'est donc en nous élevant que nous irons à eux. Nous devons faire les premiers pas; ils ne peuvent plus descendre, tandis qu'il nous est toujours possible de monter; car les morts, quels qu'ils aient été dans leur vie, deviennent meilleurs que les meilleurs d'entre nous. Les moins bons, en dépouillant leur corps, ont dépouillé ses vices, ses petitesses, ses faiblesses qui abandonnent bientôt notre mémoire aussi; et l'esprit seul demeure qui est pur en tout homme et ne peut vouloir que le bien. Il n'y a pas de mauvais morts, parce qu'il n'y a pas de mauvaises âmes. C'est pourquoi, à mesure que nous nous purifions, nous redonnons la vie à ceux qui n'étaient plus et transformons en ciel notre souvenir qu'ils habitent.

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*  *

Et ce qui fut toujours vrai de tous les morts, l'est bien davantage aujourd'hui que les meilleurs seuls sont choisis pour la tombe. Dans la région que nous croyons souterraine, que nous appelons le royaume des ombres et qui est en réalité la région éthérée et le royaume de la lumière, il y a eu des perturbations aussi profondes que celles que nous avons éprouvées à la surface de notre terre. Les jeunes morts l'ont envahie de toutes parts; et, depuis l'origine de ce monde, ne furent jamais aussi nombreux, aussi pleins de force et d'ardeur. Alors que dans le cours habituel des années, le séjour de ceux qui nous quittent ne recueille que des existences lasses et épuisées, il n'en est pas un seul dans cette foule incomparable qui, pour reprendre l'expression de Périclès, «ne soit sorti de la vie au plus fort de la gloire». Il n'en est pas un seul qui ne soit, non pas descendu mais monté vers la mort, tout couvert du plus grand sacrifice que l'homme puisse faire à une idée qui ne peut pas mourir. Il faudrait que tout ce que nous avons cru jusqu'à ce jour, tout ce que nous avons tenté d'atteindre par delà nous-mêmes, tout ce qui nous a élevés au point où nous sommes, tout ce qui a surmonté les mauvais jours et les mauvais instincts de la nature humaine, n'eût été qu'illusions et mensonges, pour que de tels hommes, un tel amas de mérite et de gloire, fussent réellement anéantis, à jamais disparus, à jamais inutiles et sans voix, à jamais sans action, sur un monde auquel ils ont donné la vie.

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*  *

Il est à peine possible qu'il en soit ainsi au point de vue de la survivance extérieure des morts; mais il est absolument certain qu'il en est autrement au point de vue de leur survivance en nous-mêmes. Ici rien ne se perd et personne ne périt. Nos souvenirs sont aujourd'hui peuplés d'une multitude de héros frappés dans la fleur de leur âge et toute différente de la pâle cohorte alanguie de naguère, presque uniquement composée de malades et de vieillards qui déjà n'étaient plus avant que de quitter la terre. Il faut nous dire que maintenant, dans chacune de nos maisons, dans nos villes comme dans nos campagnes dans le palais comme dans la plus sombre chaumière, vit et règne un jeune mort dans l'éclat de sa force. Il emplit d'une gloire qu'elle n'eût jamais osé rêver, la plus pauvre, la plus noire demeure. Sa présence constante, impérieuse et inévitable, y répand et y entretient une religion et des pensées qu'on n'y connaissait point, consacre tout ce qui l'environne, force les yeux à regarder plus haut et l'esprit à ne plus redescendre, purifie l'air qu'on y respire, les propos qu'on y tient et les idées qu'on y rassemble; et de proche en proche, comme jamais on n'en avait eu d'exemple aussi vaste, ennoblit, anoblit et relève tout un peuple.

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*  *

De pareils morts ont une puissance aussi profonde, aussi féconde et moins précaire que la vie. Il est terrible que cette expérience ait été faite, car c'est la plus impitoyable et la première en masses aussi énormes que l'humanité ait subie; mais à présent que l'épreuve est passée, on en recueillera bientôt les fruits les plus inattendus. On ne tardera pas à voir s'élargir les différences et diverger les destinées entre les nations qui ont acquis tous ces morts et toute cette gloire et celles qui en furent privées, et l'on constatera avec étonnement que celles qui ont le plus perdu sont celles qui ont gardé leur richesse et leurs hommes. Il est des pertes qui sont des gains inestimables et des gains où se perd l'avenir. Il est des morts que les vivants ne sauraient remplacer et dont la pensée fait des choses que les corps ne peuvent accomplir. Il est des morts dont l'élan dépasse la mort et retrouve la vie; et nous sommes presque tous à cette heure les mandataires d'un être plus grand, plus noble, plus grave, plus sage et plus vivant que nous. Avec tous ceux qui l'accompagnent, il sera notre juge, s'il est vrai que les morts pèsent l'âme des vivants et que de leur sentence dépend notre bonheur. Il sera notre guide et notre protecteur; car c'est la première fois depuis que l'histoire nous révèle ses malheurs que l'homme sent planer au-dessus de sa tête et parler dans son cœur une telle multitude de tels morts.

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