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Paraboles et diversions

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IV
Pour servir, sous toutes réserves, à l’histoire de Galilée

Dans une maison où il a coutume de fréquenter, M. Coltat-Chamot, qui est notre ami, rencontra l’autre soir monseigneur Spada, prélat romain. J’eus le plaisir d’entendre une partie de leur conversation, qui fut intéressante. On me permettra de la reproduire. J’ose penser qu’elle jette un jour tout nouveau sur bien des choses : l’histoire de Galilée, la séparation de l’Église et de l’État, l’esprit des gens d’Église, le manque d’esprit des gens qui ne sont pas d’Église — et de moi, par conséquent.

M. Coltat-Chamot, qui va beaucoup dans le monde, s’y montre cependant anticlérical. Qu’on ne croie point que je l’en veuille blâmer : il y faut presque du courage, l’anticléricalisme étant beaucoup moins bien porté dans les salons que dans les réunions électorales. Il fut donc assez violent. Au bruit de ses propres paroles, M. Coltat-Chamot s’échauffait ; et bientôt, transportant la question sur un terrain plus large, il finit par rappeler, ainsi qu’on y pouvait s’attendre, l’obscurantisme féroce et ridicule des cardinaux et du pontife qui mirent Galilée à la torture, afin de l’obliger à reconnaître que la terre ne tourne pas.

Monseigneur Spada s’efforçait de montrer, par son maintien, la conviction, dont il est pénétré, que l’Église est éternelle. Et quand il lui fut permis de placer un mot, il murmura enfin, avec un bon sourire :

— , Galileo, il n’a pas été mis du tout à la tortoure !

— C’est de l’histoire, repartit M. Coltat-Chamot, fort indigné.

— L’histoire, continua le haut dignitaire ecclésiastique, elle n’a jamais, jamais été faite que par des Velches, qui n’étaient pas d’Église, et qui n’étaient pas Italiens, puisqu’ils n’étaient que de pauvres Velches ; et ils n’y ont rien compris du tout. , Galileo, il était Italien, et les cardinaux qui ont jugé Galileo, ils étaient tous Italiens : alors, ils ont fait tous ensemble une petite combinazione. Vous ne comprenez pas la petite combinazione ?

M. Coltat-Chamot, manifesta, par son étonnement mêlé d’incrédulité, que cet aspect de la question était pour lui plus qu’inattendu. Car il est fort certain que Galilée a été condamné par l’Inquisition, puisque le poète Ponsard lui-même l’a su et en fit un long poème. Et l’on ne saurait croire que cet astronome se laissa condamner par plaisir.

— Si, si, éminentissime seigneur français, poursuivit le prélat. Je vais vous expliquer toutes les choses, absolument toutes les choses :


» Galileo, c’était une personne très savante, et il avait démontré que la terre tourne. L’archevêque de Sienne le fit venir et il lui dit :

»  — Galileo, vous nous mettez dans le plus cruel embarras. Nous avons toujours dit que la terre, elle ne tournait pas. C’est inscrit dans la loi, telle que nous l’avons faite, que la terre ne doit pas tourner. Et si vous étiez brûlé comme hérétique, vous ne pourriez pas continuer vos études, ce qui serait un si grand malheur pour l’Italie ! Il faut que nous trouvions un petit arrangement.

» Galileo, il réfléchit une minute et il dit :

»  — Je ne puis cependant pas empêcher la terre de tourner.

»  — Justement, dit l’archevêque de Sienne, justement : ce n’est pas vous qui l’en empêcherez. Et alors qu’importe ce que vous dites !

» Galileo répondit :

»  — Je ne céderai qu’à la force !

»  — Voilà qui va bien, répliqua l’archevêque de Sienne, je vois que nous nous comprenons. Vous allez être incarcéré dans mon palais, pour qu’il soit prouvé que l’Église maintient toutes ses prérogatives, dont l’une veut qu’elle soit au-dessus de la science et n’ait point à lui obéir. Mais j’ai d’excellent vin, un bon cuisinier ; vous voudrez bien partager mes repas.

» Au bout de quinze jours, l’archevêque de Sienne dit à Galileo :

»  — Êtes-vous convaincu ?

»  — Je suis persuadé, répondit Galileo, que votre vin de Chypre est excellent. Mais j’aimerais mieux m’en aller. Il me semble que je pourrais me réfugier en France, par exemple, ou bien à Genève.

»  — Mon ami, dit l’archevêque d’un air triste, — car il est si pénible d’avoir à médire de son prochain ! — vous ne sauriez croire combien le clergé de France est peu éclairé. Le cardinal de Richelieu, qui pense tout savoir, vient de se prononcer contre vos doctrines. C’est un homme très dur : il vous mettra en prison comme hérétique, et les prisons de France sont froides, dépourvues de lumière et de commodités ; rien n’y est disposé pour vos travaux d’astronomie. Quant aux habitants de Genève, vous ne pouvez ignorer leur aveugle fanatisme : ils tiennent la doctrine de Copernic en grand soupçon, pour ce qu’elle n’est pas dans la Bible, et vous devez garder en mémoire qu’ils ont fait rôtir Michel Servet pour une hérésie bien plus petite que la vôtre. Suivez mon conseil : faites-vous juger à Rome. Vous y trouverez des gens charmants.

»  — Eh bien, j’irai donc à Rome, dit Galileo presque résigné. Mais vous m’assurez que j’y pourrai travailler ?

»  — Vous serez, affirma l’archevêque, l’honneur des États de l’Église.

» Galileo se rendit donc à Rome. Il fut donné à ce commencement de soumission une publicité suffisante. , quand il fut devant le sacré tribunal, il dit :

»  — Que voulez-vous que j’y fasse ? La terre tourne. Il faut donc qu’on me force à dire qu’elle ne tourne pas. Ce que je dirai, une fois forcé, n’aura plus aucune valeur.

» On fit venir le bourreau, avec tous ses outils. Il entra par une porte et sortit par l’autre. Et les cardinaux demandèrent :

»  — Vous avez vu la force ?

»  — Je l’ai vue, dit Galileo. Elle est habillée de rouge, et bien laide. Où est la déclaration que vous avez préparée ? Je la signerai ; votre contrainte m’y oblige.

»  — La voici, lui répondit-on.

» C’était un papier sur lequel était écrit, comme tout le monde le sait : « J’abjure et je maudis l’erreur et l’hérésie du mouvement de la terre ».

» Il signa, et dit encore :

»  — Mes chers seigneurs, pourtant, elle tourne !

» Et tous les cardinaux s’écrièrent :

»  — Mais nous le savons, nous le savons aussi bien que vous ! Le greffier de notre saint tribunal est astronome. Il a regardé dans toutes vos lunettes. Et il réclame l’honneur de vous aider dans vos calculs, et de servir sous vos ordres.

»  — Je suis donc libre ? demanda Galileo.

»  — Pas du tout ! La loi nous oblige à vous condamner à la prison perpétuelle.

»  — Il me semble alors, fit Galileo, que vous avez abusé de ma candeur.

» Les cardinaux prirent un air encore plus méchant et ajoutèrent :

»  — Mais on vous donnera comme prison un observatoire !

» Galileo devint donc directeur de l’observatoire de Rome, et le greffier du Saint-Office lui tenait ses registres. Cependant — et quatre ans s’étaient écoulés déjà — celui-ci entendit un jour Galileo qui soupirait :

»  — Je voudrais bien aller à la campagne.

»  — Vous voulez donc nous quitter ? fit le greffier en versant des larmes. Que le cœur des hommes est donc étroit à la reconnaissance ! Mais j’en parlerai au pape.

» Il en parla donc au pape.

»  — Où veut-il aller ? demanda le souverain pontife.

»  — Près de Florence.

» Le pape s’empressa d’accéder à ce désir et laissa ce grand homme partir pour la campagne, où il mourut en 1642, chargé d’ans et de gloire. Il était aveugle pour avoir trop regardé le soleil ; mais ce n’était pas la faute du Saint-Office. Tous les cardinaux avaient pour lui la plus grande admiration : d’abord parce que c’était un illustre savant, et ensuite parce qu’il savait ce que c’est qu’une combinazione.

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