Anciennes loix des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par Littleton, Vol. I
CHAP. I. De Parceniers, 315
II. Des Parcenieres suivant la Coutume, 340
III. De Jointenans, 351
IV. De Tenans en commun, 365
V. D'Etats sous condition, 393
VI. De Discens, 455
VII. Des Clameurs continuées, 479
VIII. De Délaissement, 513
IX. De Confirmation, 587
X. D'Attournement, 613
XI. De Discontinuance ou Interruption, 642
XII. De Remitter ou de Restitution, 684
XIII. De Garantie, 718
ANCIENNES
LOIX
DES FRANÇOIS,
OU
INSTITUTES DE LITTLETON.
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER.
DE FÉE SIMPLE.
SECTION PREMIERE.
Tenant en fée (a) simple est celuy qui ad terres ou tenements a tener a luy & a ses heires a touts jours, & est appel en Latin Feodum simplex, quia feodum idem est quod hæreditas, & simplex idem est quod legitimum vel purum, & sic feodum simplex idem est quod hæreditas legitima vel hæreditas pura. Car si home voile purchaser terres ou tenements en fée simple, il covient de aver ceux parols en son purchase, a aver & tener a luy & a ses heires: car ceux parols (ses heires) font l'estate d'enhéritance. Car si home purchase terres per ceux parols a aver & tener a luy a touts jours, ou per tiels parols, a aver & tener a luy & a ses assignes a touts jours, en ceux deux cases il ny ad estate forsque pur terme de vie, pur ceo que il fault ceux parols (ses heires) les queulx parols tantsolement font lestate denhéritance en touts feoffements & grants.
SECTION PREMIERE.—TRADUCTION.
Le tenant en fief simple se nomme ainsi, parce que ses terres sont héréditaires à perpétuité; car en Latin feodum simplex veut dire un fief héréditaire; une hérédité légitime & absolue. Si on veut donc acquérir un fonds, & le tenir à titre de fief simple, il est essentiel que le Contrat d'acquisition porte cette clause, à tenir par l'acquéreur & ses hoirs; car ces mots ses hoirs constituent l'hérédité; de sorte que si quelqu'un stipuloit seulement dans le Contrat qu'il auroit pour lui les fonds acquis à perpétuité, ou qu'il les auroit pour lui & pour ceux qu'il designeroit à perpétuité, en ces deux cas son fief ne seroit qu'à vie, parce qu'en toutes inféodations ou donations il n'y a que ces mots, ses hoirs, qui établissent leur hérédité, qui les rendent successifs.
ANCIEN COUTUMIER.
Un franc tenement est tenû sans hommage, sans parage, en fief lay. Chapitre XXVIII de Tenures.
REMARQUES.
(a) Fée.
La méthode suivie par Littleton dans la distinction qu'il fait des Tenures, ne peut convenir qu'aux différentes especes de Tenures connues sous nos Rois de la seconde race. Pour rendre ceci sensible, il convient de donner ici quelques notions de l'origine & de la nature des Bénéfices. J'aurai occasion dans la suite de traiter successivement des diverses regles établies pour y succeder, ainsi qu'aux Fiefs. Je traiterai des droits que les aînés & les filles y ont eus, des conditions dont leur cession pouvoit être susceptible, des formalités requises pour en transmettre, en reprendre ou s'en assurer la possession; je parlerai enfin de toutes les dépendances des Bénéfices & des Fiefs dont il m'a paru que l'on avoit jusqu'à présent ignoré les causes, ou auxquelles on en a assigné de fausses.
Deux choses m'ont presque empêché de me livrer à ces discussions, 1o. la crainte de passer pour plagiaire dans ce que je dirois de conforme au sentiment du profond Auteur de l'Esprit des Loix, 2o. celle de n'être point écouté lorsque je m'écarterois de ses principes; mais en même-temps plusieurs réflexions m'ont encouragé & rassuré.
Mr. de Montesquieu n'a lui même considéré son ouvrage sur les Loix féodales que comme un systême; on y trouvera, dit-il,[92] ces Loix plutôt comme je les ai envisagées que comme je les ai traitées. Il n'a donc ajouté ses observations à celles des Auteurs qui ont écrit des Fiefs avant lui, que pour la facilité de ceux qui, dans la suite, voudroient approfondir davantage cette matiere. Son Traité des Fiefs (car en terminant son ouvrage il lui donne ce nom[93] qu'il lui avoit d'abord refusé) finit, de son propre aveu, où les autres Ecrivains ont commencé. Or ce Traité, ainsi que les Capitulaires qui en sont le principal appui, ne s'étendent point au delà du dixieme siecle; & Brussel,[94] dont sans doute Mr. de Montesquieu a voulu parler sous ces termes: d'autres Ecrivains; cite peu d'autorités qui remontent au delà des dernieres années du onzieme siecle.[95] Il ne seroit donc point étonnant que l'objet de mon travail ayant été de m'assurer de l'état où les Fiefs se trouvoient dans les deux derniers siecles, dont M. de Montesquieu n'a point parlé,[96] mes recherches à cet égard m'eussent procuré sur ce qui a été pratiqué dans les temps précédens, des connoissances qui lui auroient échappé.
[92] Espr. des Loix, Liv. 30, Chap. 1, page 2.
[93] Espr. des Loix, Liv. 31, Chap. 34.
[94] Examen de l'usage des Fiefs.
Brussel est le seul qui ait donné aux Bénéfices une origine aussi ancienne que celle que Mr de Montesquieu leur attribue.
[95] Presque toujours il annonce comme du 11e. siecle ce qui n'est que du 12e. Voyez Sect. 11e. Chap. 1er.
[96] M. de Montesquieu passe souvent du 9e. aux 12e, & 13e. siecles, & présente comme suite d'un usage établi dès le 9e ce qui n'a été pratiqué que dans les deux autres. Voyez Liv. 31, Chap. 30 & 33.
On chercheroit, mais inutilement, le modèle des Bénéfices & des Fiefs François dans ce que César & Tacite racontent des Germains & des Gaulois.
Des jeunes gens courageux choisis par un Général, ou qui s'offrent à lui pour le soutenir dans le combat, qui dans le temps de paix vont chez d'autres Peuples chercher l'occasion de signaler leur bravoure,[97] ne portent assurément aucun trait de ressemblance avec les Bénéficiers qui, à raison de leurs dignités, étoient tenus au Service Militaire sous nos premiers Rois.
[97] Si civitas in quâ orti sunt longâ pace & otio torpeat, plerique nobilium adolescentium petunt ultrò eas nationes quæ tum bellum aliquod gerunt. Tacit. de Morib. Germ. pag. 454, in-folio, Commentaires de César, pages 185 & 186, Liv. 6.
Si l'on pouvoit assimiler les Bénéfices & les Fiefs aux chevaux, aux armes, aux repas,[98] dont les chefs Germains ou Gaulois récompensoient la Jeunesse qui les avoit suivis à l'Armée, on pourroit avec autant de fondement en rappeller l'institution au don que Dieu fit au Peuple d'Israël de la terre de Canaan,[99] & trouver dans les conditions qu'il y apposa les Droits de Suseraineté & de Commise.
[98] Espr. des Loix, pag. 6, Livr. 30, Chap. 3, 4e. vol. in-12.
[99] Basnage, Commentaire sur la Coutume de Normandie, pag. 140, v. 1e.—De la Roque, Traité de la Noblesse, Chap. 18, pag. 43.
Le Bénéfice a eu dans tous les temps des caracteres particuliers, qui ne permettent pas de le confondre ni avec les présens faits à la Noblesse Gauloise ni avec les Fiefs.
Les présens n'étoient que conséquens aux services; les services étoient volontaires, ils n'étoient point spécialement dûs à un Chef d'expédition, ni concentrés dans un certain ordre de personnes. Celui auquel on promettoit ces services ne pouvoit pas les exiger lors même qu'on s'y étoit engagé dans l'assemblée de la Nation;[100] mais si on se rétractoit de cet engagement on perdoit tout crédit parmi ses compatriotes: juste châtiment d'un homme sans parole, qui eût été trop modéré pour le traître qui par état auroit été obligé de la donner.[101] Il n'en étoit pas ainsi des Bénéficiers en France. Le Bénéfice y imposoit la nécessité de rendre certains services, mais ils n'étoient point bornés à la défense de la Patrie contre les ennemis du dehors; ils avoient encore pour objet la manutention de la tranquillité publique, la subsistance de la Maison du Souverain & celle de ses Officiers. Les personnes distinguées par l'antiquité de leur origine pouvoient seules obtenir ces Bénéfices, & en les acceptant ils s'assujettissoient à des devoirs auxquels ils ne manquoient jamais, sans s'exposer ou à perdre la vie ou à une dégradation flétrissante.[102]
[100] Commentaires de César, Liv. 6, pag. 185 & 186.
[101] On massacroit celui qui se rendoit le dernier a l'assemblée générale de la Milice.—Comment. de César, Liv. 5. in fin. pag. 165. Greg. Turon. Liv. 7, pag. 342, Chap. 42.
[102] Greg. Turon. L. 5, c. 39.
Le premier des Bénéfices dont les Historiens fassent mention, est celui que Clovis donna à Aurélien, Romain de nation, son Chancelier qui avoit épousé en son nom la Princesse Clotilde:[103] il consistoit au Gouvernement de Melun. Si d'un côté Clovis devenu maître d'un Empire étendu se trouvoit nécessité de confier une partie de l'administration à des hommes capables par leur élévation d'en imposer aux Peuples, d'un autre côté il ne devoit rien négliger pour prévenir les suites qu'auroit eu leur infidélité. De-là les Bénéfices furent d'abord amovibles. Sous Sigebert, Palladius est chassé du Gevaudan dont il etoit Gouverneur, & Romanus lui succede; Jovinus est dépouillé du Gouvernement de Provence, & le Prince le donne à Albinus.[104]
[103] Aimoin, Hist. Franc. Liv. 1, Chap. 14. Milidunum castrum eidem Aureliano cum totius ducatu regionis, jure beneficii, concessit.
[104] Greg. Turon. Liv. 4, Chap. 33 & 34.
Dans le même temps un Comte d'Auxerre envoie offrir de l'argent pour être continué dans sa dignité;[105] Mummol son fils la sollicite & l'obtient pour lui-même.
[105] Ibid. Liv. 4, Chap. 36.
Mais il ne faut pas confondre ces Bénéfices avec les Fiefs ni avec les autres récompenses que nos premiers Rois accordoient aux Leudes, auxquelles des Auteurs anciens & modernes ont aussi quelquefois donné le nom de Bénéfice. En effet, jusqu'à Charlemagne, on voit dans les Historiens contemporains & dans les Formules ou les Capitulaires tous les Biens de l'Etat clairement distingués en honneurs ou présens, en Biens-fiscaux, en Bénéfices des particuliers ou des Eglises, & en Aleux.
Les honneurs ou présens[106] n'attribuoient aux Seigneurs qui les possédoient aucune propriété, mais seulement la Jurisdiction & des rétributions sur les propriétés qui en ressortissoient, & je les appelle grands Bénéfices ou Bénéfices de dignité.
[106] Greg. Turon. Liv. 7, Chap. 33... Capitul. 69 & 71, Liv. 3.
Les Biens-fiscaux consistoient en Métairies[107] que le Roi s'étoit réservées dans le ressort des honneurs ou des grands Bénéfices. Le Roi les donnoit quelquefois à vie aux possesseurs des Bénéfices de dignité, alors ils s'appelloient Bénéfices du Roi,[108] & des Sergens, Servientes,[109] sur lesquels les grands Bénéficiers avoient inspection, étoient préposés à leur régie; ou bien le Roi les donnoit en propriété, & on les nommoit en ces deux derniers cas propres du Roi,[110] choses fiscales ou terres du fisc.[111]
[107] Du Latin medietas, parce qu'on les tenoit pour moitié de profit, & de là medietarii, Métayers.
[108] Capitul. 19 & 20, Liv. 3.
[109] On découvre ici l'origine du Service de Prévôté établi en Normandie. Il n'y a que ceux qui possedent des masures qui le doivent. Ces Sergens furent appellés ensuite præpositi, Prévôts. Voyez Section 79, & le Titre de grand & petit Serjeantie.
[110] Capitul. 34, Liv. 4. Si quis proprium nostrum quod investiturâ genitoris nostri fuit alicui quærenti nostra jussione reddiderit.... pro infideli teneatur, quia sacramentum fidelitatis, quod nobis promisit, irritum fecit.
[111] Traité d'Andely. Greg. Turon. L. 9. Si quid de agris fiscalibus, &c.
Les Bénéfices des Eglises ou des particuliers n'étoient que des jouissances cédées à vie.
Sous les Aleux étoient au contraire comprises toutes les possessions que l'on avoit à titre de propriété ou d'hérédité, aussi ne les désignoit-on souvent que par ces noms hæreditates, proprietates.
Les Sergens du Roi faisoient cultiver ces Métairies par des hommes libres ou par des esclaves. Les esclaves payoient pour prix de leur jouissance un cens ou impôt, & ils alloient à la Guerre.[112]
[112] Espr. des Loix, L. 30, c. 15.
Les hommes libres qui s'étoient chargés de l'exploitation d'une partie des mêmes fonds étoient aussi obligés de marcher contre l'Ennemi lorsqu'ils en étoient requis; mais au lieu de cens ils fournissoient aux grands Bénéficiers des armes, dont le nombre & la qualité étoient proportionnés à l'étendue des terres qu'ils faisoient valoir.
Les hommes libres qui étoient possesseurs d'Aleux, & ne tenoient rien du Domaine du Roi, étoient seulement soumis à la jurisdiction des Bénéficiers de dignité, & outre le Service Militaire ils étoient obligés de fournir des chevaux & autres voitures aux Commissaires que le Roi envoyoit en chaque Province quatre fois l'an[113] pour en connoître l'état, & aux Ambassadeurs lorsqu'ils y passoient.[114] Les Ducs ou Comtes, car l'on appelloit indifféremment ainsi les grands Bénéficiers,[115] conduisoient ces deux especes de Milice à la guerre, & décidoient de toutes les affaires civiles dans le district de leurs honneurs.[116] Leurs décisions ne pouvoient être réformées que par le Roi sur le rapport de ses Commissaires ou Envoyés.[117]
[113] En Janvier, Avril, Juillet, Octobre.
[114] Capitul. de l'an 864.
[115] Greg. Turon. L. 8, c. 30, Marculph. Liv. 1. Form. 8.
[116] Cujas de Feudis. Col. 1800, Leg. Rip. Chap. 55. & 90.
[117] Invenerunt missi innumeram multitudinem oppressorum quos Comites per malum ingenium exercebant, & quia aliqui comitum in repressione latronum segnis cogniti sunt, diversis sententiis eorum segnitionem castigavit. Nitardus in Vit. Ludov.... Si comes pravus inventus fuerit nobis nuncietur, Capitul. 11, Liv. 3. Aimoin, Liv. 5, Chap. 16. Ces passages prouvent contre M. de Montesquieu que si les Envoyés du Roi n'avoient pas sur les Comtes droit de correction, ils avoient celui d'inspection & de dénonciation.
Dès 757 ces Seigneurs se substituoient des Officiers[118] qui prononçoient pour eux dans toutes les affaires; mais leur pouvoir ne duroit qu'autant que le Duc ou Comte étoit maintenu dans sa dignité, car jusques-là il n'y avoit eu aucunes de ces dignités qui eussent été rendues héréditaires.
[118] On les appelloit Vicarii, Vice-Comites.
On trouve bien, comme le remarque M. de Montesquieu,[119] dans le Traité d'Andely entre Gontran & Childebert, que ces deux Princes s'engagent réciproquement à conserver les libéralités faites aux Leudes & aux Eglises par leurs Prédécesseurs; mais il n'est point question d'Honneurs ou de Bénéfice de dignité ni de Biens-fiscaux donnés en Bénéfices dans ce Traité.[120] Il concerne des Droits ou des fonds dépendans du fisc, cédés par le Roi en propriété ou en Aleu. Marculphe, qui vivoit quarante ou cinquante ans après le Traité, donne une Formule de ces sortes de cessions.[121] D'ailleurs M. de Montesquieu observe qu'en élevant Childebert au Trône, Gontran lui avoit secretement indiqué ceux qu'il admettroit en son Conseil, & ceux qu'il en écarteroit; ceux à qui il donneroit sa confiance; ceux dont il se défieroit; ceux enfin à qui il accorderoit des récompenses, & ceux qu'il dépouilleroit des honneurs dont ils avoient été gratifiés.[122] Si les libéralités munificentiæ, mentionnées dans le Traité, & que ces deux Princes promettent de conserver aux Leudes, eussent été de même espece que ces honneurs qui avoient été l'objet de leur conférence secrete, Gontran auroit-il exigé indéfiniment d'un côté qu'on les conservât à tous ceux qui en jouissoient, & d'un autre côté qu'on en dépouillât quelques-uns? Il y a plus, en même-temps que par le Traité les Princes garantissent aux Eglises & aux Leudes les libéralités des Rois précédens, ils stipulent que les Reines, Filles ou Veuves de Rois, pourront à leur gré disposer des Biens qui leur auront été abandonnés:[123] ce qui démontre que ce Droit de disposer accordé aux Eglises & aux Leudes affectoit des objets de même nature que ceux de ces Princesses, c'est à-dire, des portions du Domaine Royal exemptes de la jurisdiction des grands Bénéficiers.[124]
[119] Espr. des Loix, L. 31, c. 7.
[120] En voici les termes: Quidquid antefati Reges Ecclesiis aut fidelibus suis contulerint..... stabiliter conservetur. Et quid quid unicuique fidelium in utriusque regno per legem & justitiam redhibetur nullum ei præjudicium patiatur, sed liceat res debitas possidere atque recipere.... & de eo quod per munificentias præcedentium Regum unusquisque possedit, cum securitate possideat. Greg. Turon. L. 9, c. 20.
[121] Ut ipse & posteriores teneant & possideant & cui voluerint ad possidendum relinquant. Marculph. Form. 17, Liv. 1.
[122] Greg. Turon. L. 7, c. 33.
[123] Reginam.... & filias in suâ tuitione recipiat.... ut si quid de rebus agris fiscalibus.... pro arbitrii sui voluntate facere aut cuiquam conferre voluerint fixâ stabilitate in perpetuo conservetur. Ibid, L. 9, c. 20. Les Reines avoient eu ce droit de tout temps. La Reine Clotilde, dans le 5e. siecle, avoit donné à Anastase, Prêtre de l'Eglise de Tours, un fonds en propriété qui passa à ses Successeurs, Greg. Tur. L. 4, c. 12.
[124] Absque ullius introitu judicum. Form. 17, L. 1. Marculph.
Au reste, sous Charlemagne tous les Biens de l'Etat, à l'exception des Aleux, changerent de nom & de nature. Cet Empereur joignit le premier aux fonctions des Comtes l'administration de ses Domaines dont les Sergens avoient toujours été chargés.[125] Cette confiance de la part de ce Prince procura aux Seigneurs divers moyens de dégrader & d'usurper les terres du fisc.
[125] Eis (Comitibus) commisit curam regni.... villarumque regiarum ruralem provisionem. Nitar in vita. Lud. Pii. pag. 162.
Les Comtes avoient auparavant confié les Aleux qu'ils possédoient dans l'étendue de leurs honneurs ou Gouvernemens aux Sergens du Roi. Ceux-ci avoient d'abord partagé leurs soins entre les terres fiscales & celles des Comtes; mais bien-tôt après que les Sergens se virent totalement dépendans des Seigneurs, pour se rendre plus agréables à ces derniers, ils préfererent la culture de leurs Aleux à celle des Métairies royales. Ces Métairies royales devinrent en peu de temps incultes; les esclaves ou les hommes libres qui les exploitoient les abandonnerent insensiblement pour s'établir sur celles des Seigneurs, & pour les bonifier ils ruinoient les Aleux des particuliers qui en étoient voisins.[126]
[126] Auditum habemus qualiter & Comites & alii homines qui nostra beneficia habere videntur, faciunt servire ad ipsas proprietates, servientes nostros, & Curtes nostræ manent desertæ; ipsi vicinantes multa mala patiuntur. Cap. 19, L. 3.
Les Comtes pratiquoient encore d'autres fraudes; ils engageoient des hommes libres à reclamer des Biens fiscaux dépendans de leurs honneurs, comme s'ils avoient été usurpés à ces hommes libres, & les Comtes après les leur avoir restitués,[127] comme des propriétés qui leur appartenoient, se les faisoient vendre ensuite dans leurs Plaids à titre d'Aleux.
[127] Mr. de Montesquieu, Espr. des Loix, L. 31, c. 8, cite ce Capitulaire pour prouver qu'il y avoit des gens qui donnoient leurs Fiefs[127a] en propriété, & les rachetoient ensuite en propriété. Le Capitulaire ne contient rien de semblable; il dit que les Bénéficiers achetoient comme des Aleux des Bénéfices du Roi qu'ils avoient rendus auparavant en propriété aux vendeurs: expression qui n'a pas été comprise par Brussel;[127b] au lieu de rendre il traduit donner; mais le Capitulaire s'explique par le 34e. L. 4e. Collect. d'Ansegise, qui s'exprime ainsi: Si quis proprium nostrum alicui reddiderit sine nostrâ jussione, tantum nobis de suo proprio cum suâ lege componat. Les Seigneurs ne donnoient donc pas, mais restituoient les Bénéfices du Roi a ceux qui prétendoient avoir droit de les révendiquer, & qui pour cela demandoient jugement à ces Seigneurs.
[127a] Il appelle toujours Fiefs les Bénéfices de dignité comme les Bénéfices inférieurs.
[127b] C. 6, L. 2.
L'Empereur informé de cette manœuvre, qui ne tendoit à rien moins qu'à anéantir le fisc, rendit l'Ordonnance suivante.
Audivimus quod aliqui reddant beneficium nostrum ad alios homines in proprietatem & in ipso dato pretio sibi comparant ipsas res iterum in alodem: quod omnino cavendum..... & ne in aliquâ infidelitate inveniantur qui hoc faciunt caveant deinceps à talibus ne à propriis honoribus, à proprio solo... Extorres fiant.[128]
[128] Capitul. L. 3, c. 20.
Ce Capitulaire[129] prouve 1o. que les grands Bénéficiers du temps de Charlemagne, indépendamment des Bénéfices royaux, pouvoient posséder des honneurs en propres, propriis honoribus; le don de ces honneurs, à titre héréditaire, étoit cependant fort rare; 2o. que les Terres fiscales ou Bénéfices du Roi étoient très-distincts des honneurs qui ne donnoient par eux-mêmes que le droit d'administration de ces fonds.
[129] Capitul. 69, 71 & 73, L. 3, on trouve la preuve de ce que les Honneurs & les Bénéfices étoient très-différens les uns des autres.
Charlemagne érigeoit rarement les honneurs en hérédités. A l'exception des Principautés de Toulouse, de Flandres, d'Orange, on en trouve peu qui sous son regne ayent acquis cette prérogative. Cet Empereur, dans la vue de réprimer l'abus que les Seigneurs faisoient de l'autorité qu'ils tenoient des honneurs dont ils étoient décorés, soit pour véxer les hommes libres, soit pour dégrader les Bénéfices royaux dont ils étoient simples administrateurs, se détermina à attribuer aux Aleux des hommes libres les priviléges des Bénéfices, & à leur permettre de se recommander à lui pour obtenir l'administration des Bénéfices royaux. Ceci s'infere des termes dans lesquels le testament[130] de ce Prince est conçu: Homines uniuscujusque eorum (il parle ici de ses enfans) accipiant Beneficia unusquisque in regno domini sui & non in alterius.... hæreditatem autem suam habeat unusquisque illorum hominum in quocumque regno... & unusquisque liber homo post mortem domini sui licentiam habeat se commendandi ad quodcumque voluerit similiter & ille qui nondum commendatus est.[131]
[130] Vita Carol. Magn. in fin.
[131] Ces termes, qui nondum, &c. font entendre qu'il y avoit peu d'hommes libres alors, du moins parmi ceux qui avoient beaucoup d'Aleux, qui ne les eussent recommandés au Roi.
Or ce double avantage qu'avoit l'homme libre de posséder des Bénéfices du Roi ou des Biens du fisc à titre de Bénéfices, & de recommander au Roi ses Aleux, dût diminuer considérablement la Jurisdiction des Comtes. Elle ne pouvoit plus s'exercer sur ceux auxquels l'un ou l'autre de ces priviléges étoit accordé. Il en résulta encore que le nom de Bénefice étant également attribué aux concessions du fisc faites à ce titre & aux Aleux recommandés ou avoués au Roi, ce nom ne fut plus essentiellement opposé à celui de propriété ou d'hérédité. Les Aleux en effet, quoique recommandés, ne cesserent pas pour cela d'être patrimoniaux.[132]
[132] Dans la Formule 13 du L. 1er. de Marculphe on voit un Aleu recommandé conserver son hérédité; & une des Préceptions de Louis le Débonnaire qui est à la fin de la vie de ce Prince, s'exprime clairement sur l'hérédité des Aleux avoués au Roi. Hi... qui aut Comitibus aut vassis nostris se commendaverunt & ab eis terras ad habitandum acceperunt sub tali forma eas in futurum, & ipsi possideant & suæ posteritati derelinquant. Concess. Præcep. ad Hispan. in fin. Vit. Lud. Pii.
Louis le Débonnaire suivit d'abord les Réglemens de l'Empereur son pere. Insensiblement il permit aux Comtes & aux Vassaux de la Couronne de recevoir en son nom les recommandations des hommes libres,[133] & ces Seigneurs recouvrerent en partie leur ancienne autorité sur ces derniers. Jusques-là ils n'avoient osé donner aux hommes libres les Bénéfices royaux enclavés dans leurs honneurs que pour le temps de leur jouissance, puisqu'il n'y avoit eu encore aucune Loi qui eût réuni à perpétuité à leurs honneurs les Bénéfices royaux qui en dépendoient, ni qui eût rendu en leur faveur ces deux sortes de possessions héréditaires.[134]
[133] Noverint idem Hispani sibi licentiam à nobis concessam ut se in vassaticum Comitibus nostris more solito commendent, & si beneficium aliquod quispiam eorum ab eo cui se commendavit fuerit consecutus sciat de se illo tale obsequium seniori suo exhibere quale nostrates homines de tali Beneficio senioribus suis exhibere solent. Prima Præcept. in fin. vitæ Ludovici Pii, pag. 291.
[134] Les Capitulaires 34, 45 & 54 du Livre 4 de la Collection d'Ansegise, qui sont de Louis le Débonnaire, défendent aux Seigneurs la dégradation des Biens-fiscaux, leur défend de restituer à qui que ce soit les propres du Roi; ce qui prouve que ces Seigneurs n'en avoient pas encore la propriété.
Ils ne tarderent pas à obtenir une Loi qui leur procura ces avantages. Les divisions qui s'éleverent après la mort de Louis le Débonnaire entre ses trois enfans, fournirent à ces Seigneurs le moyen de faire ordonner par ces Princes que tout homme libre pourroit reconnoître ou le Roi ou les Leudes pour Seigneur. Les affaires de l'Etat avoient éprouvé trop de révolutions pour que le choix des hommes libres ne tombât point sur ces derniers.
Quoique ces hommes libres, en se recommandant au Roi, fussent exempts de la Jurisdiction des Comtes, ceux-ci conservoient cependant le droit de les conduire a la guerre, & ils étoient souvent exposés à être véxés. On les condamnoit à de grosses amendes lorsqu'ils s'absentoient, on les réduisoit en servitude faute de payement,[135] ou les Seigneurs les laissoient exposés au ravage des Normands, & ne s'occupoient qu'à en garantir leurs propres Vassaux. Les hommes libres en se mettant sous la protection de ces Seigneurs se rédimoient donc de toutes ces véxations. Ils obtenoient de plus des facilités pour le service & des secours toujours présens pour la conservation de leurs biens.[136]
[135] Capit. de l'an 812, Art. 1 & 3.
[136] Ecrits pour & contre les Immunités du Clergé, pag. 90 & 91, Tom. 1. Je ne cite cet Ouvrage qu'a cause des expressions que j'en ai empruntées.
Ce premier succès des Seigneurs fut bien-tôt suivi d'un plus essentiel. Le Traité de Mersen avoit bien rétabli leur droit de Jurisdiction sur la plupart des hommes libres; mais leur propre dignité n'étant encore que viagere, il y avoit lieu de craindre que les Aleux érigés en Bénéfices par le Roi étant héréditaires, les Propriétaires de ces Bénéfices alodiaux ne devinssent insensiblement plus puissans qu'eux. En effet l'homme libre en démembrant son Aleu érigé en Bénéfice, acquéroit autant & plus de vassaux parmi ses Pairs[137] que ces Seigneurs ne pouvoient s'en procurer en sous-bénéficiant à usufruit. Ceux ci solliciterent en conséquence l'hérédité des Biens-fiscaux ou des Bénéfices du ressort de leurs honneurs; Charles le Chauve la leur accorda en 877.[138] A ce moyen ils purent donner aux hommes libres, comme les Rois l'avoient fait, des portions des Biens dépendans de leur dignité, & qui ne faisoient plus qu'un avec elle. Tous ceux qui accepterent ces concessions dépendirent dès-lors absolument des Seigneurs. C'est ce qui a donné l'être à l'espece de Fiefs dont je parlerai sur la Section 13. Les Aleux qui furent seulement avoués aux Seigneurs, & érigés en Bénéfices par l'hommage qui leur en étoit fait, sans charge ni redevance, & sans perdre le droit d'être patrimoniaux, furent la source des Fiefs simples dont traite ce Chapitre.
[137] Si aut Comitibus aut vassis nostris aut paribus suis se commendaverunt, &c. Præcep. Concess. ad Hispan. pag. 295.
[138] Capitul. ann. 877, apud Carisiacum, Art. 9 & 10.
Je crois que ces notions suffisent pour indiquer l'origine des Bénéfices de dignité, celle des concessions faites des Terres du Fisc à titre de Bénéfice par le Roi ou par les Seigneurs aux hommes libres, & l'époque de l'érection des Aleux aux prérogatives des Bénéfices. Il est encore nécessaire d'observer que ce ne sont que les Bénéfices de cette derniere espece qui dans la suite ont été appellés fiefs[139] du mot fœdus, alliance. En effet si les Seigneurs après l'hérédité des Bénéfices enclavés dans leurs honneurs en accordoient partie en Fief aux hommes libres ou inféodoient leurs Aleux, c'étoit souvent moins en considération du service qu'ils en pourroient tirer pour la défense de l'Etat, que dans la vue de surpasser en puissance les autres Seigneurs, & de se rendre par-là sinon redoutables du moins plus nécessaires au Souverain.
[139] Ceci commença sous Charles le Gros en 888. Voyez la Constitution de ce Prince dans Brussel, Tom. 1, L. 1, c. 4. Les mots feodum ou beneficium y sont encore pris au même sens; ce qui fait voir que la premiere dénomination n'étoit pas alors fort ancienne.
SECTION 2.
Et si home purchase terres en fée simple & devy sans issue, chescun qui est son prochein cosin collateral del entire sanke, (a) de quel pluis long dégrée qu'il soit, poet inhériter, & aver mesme la terre comme heire a luy.
SECTION 2.—TRADUCTION.
Si un homme acquiert des terres en fief simple, & meurt sans enfans, son plus prochain parent collatéral de sang entier, c'est-à-dire, de pere & de mere, lui succedera jusqu'au dégré le plus éloigné.
ANCIEN COUTUMIER.
Le conquest vient au plus prochain du lignage; en l'échéance d'héritage qui ne vient pas droitement doit l'en toujours recoure à l'estoc, si que le plus prochain du lignage ait l'héritage. Chap. 25.
REMARQUES.
(a) De l'entire sanke.
J'ai retranché du Texte de l'Ancien Coutumier cette phrase: Il est à savoir. Si aucuns enfans sont procréés d'un meme pere & de diverses meres, se l'un d'eux se trépasse, sa succession retournera au frere aîné, qui en fera aux autres portion comme il devra.
Rouillé[140] qui avoit consulté les plus anciens exemplaires du vieux Coutumier de Normandie, n'y avoit point trouvé cette disposition. Quelques Copistes ignorans l'avoient sans doute insérée dans leurs manuscrits, sans faire attention qu'elle contredisoit ce qui précedoit & ce qui suivoit.[141] Au moyen du retranchement de l'addition faite au Coutumier depuis sa rédaction, son Texte s'accorde parfaitement avec celui de Littleton: tous deux admettent en effet en succession collatérale, quant aux acquêts, la préférence en faveur de la proximité du lignage; mais le dernier explique seul les divers dégrés de cette proximité. Il préfere à tous autres parens ceux qui le sont au défunt en même temps par son pere & par sa mere, & cette préférence avoit lieu chez les premiers François.[142] Saxones[143] Germani fratris posteros omnes ante ponunt descendentibus ab uterinis vel consanguineis quibusque. Ce n'a été que par abus qu'on a admis en Normandie les consanguins & les utérins à concourir avec les Germains.[144] Du temps de Terrien dernier Commentateur du vieux Coutumier, on regardoit encore comme une nouveauté cette concurrence de la part des utérins;[145] & Basnage, sur l'Art. 312 de la Coutume réformée, en vertu duquel seul le droit des utérins subsiste, ne peut s'empêcher d'avouer que cet Article a toujours fort déplu aux Normands.
[140] Rouillé, fo. 41, aux Notes sur ces mots, il est à savoir, &c.
[141] Additio nova ab incerto & forte suspecto authore inserta, cum in antiquissimis verisimilibus exemplaribus quorum magnam copiam ad hoc perquisivi, non inveniatur. Etenim prædicta verba non præsumuntur ex vero & primo originali emanasse attentâ eorum ineptitudine ac tenebrosâ materiâ quæ etiam videtur contradicere antecedentibus, ibid.
[142] Chap. de utili Doman. Andegav. L. 3, pag. 282, Leg. Saxon. Titr. 6, Sect. 7.
[143] Nota. Les Loix des Saxons ont été faites sur le plan de celles des Ripuaires, Espr. des Loix 3e. vol. pag. 298, & les Ripuaires étoient principalement suivies en Neustrie, Nempe Ripuaria vocata est Neustria, nec miranda Ripuariæ ac Franciæ Legum similitudo. Chap. de Doman. Franc. L. 1, pag. 41.
[144] Voyez Britton, c. 119, pag. 271.
[145] Terrien, c. 6, Départ. d'hérit. pag. 198.
SECTION 3.
Més si soit pier & fits, & le pier ad un frere qui est uncle a le fits, & le fits purchase terres en fée simple, & mort sans issue, vivant son pier; luncle avera la terre come heire al fits & nemy le pier, uncore le pier est pluis prochein de sanke, pur ceo que est un maxime en le ley (a) que inhéritance poet linealment discender, mes nemy ascender. Uncore si le fits en tiel case mort sans issue, & son uncle entra en la terre come heire a le fits, (si come il devoit par la ley) & après luncle dévia sans issue, vivant le pier, donques le pier avera la terre come heire al uncle, & nemy come heire a son fits; pur ceo que il veigne al terre per collatéral discent, & nemy per linéal ascention.
SECTION 3.—TRADUCTION.
Mais si un pere a un fils & un frere; que ce fils acquere des terres en fief simple, & meure sans enfans du vivant de son pere, l'oncle succédera à cet acquêt & non le pere, quoique plus proche; parce qu'il est de maxime que tout héritage peut bien descendre en la ligne du défunt, mais qu'il ne peut y remonter.
Si cependant l'oncle, après avoir succédé à son neveu, mouroit, son frere vivant encore, ce frere, pere du neveu du décédé, auroit la terre acquise par son fils, non comme héritier de ce fils, mais comme héritier de l'oncle de son fils, parce qu'en ce cas l'héritage lui écheoit collatéralement, & ne remonte point dans la ligne de celui auquel il succede.
ANCIEN COUTUMIER.
S'il n'y a aucun descendu de l'ayeul, l'héritage reviendra à lui, tant ce qui descendit de lui, comme le conquêts que les enfants ont faits. Chap. 25.
REMARQUES.
(a) Est un maxime en le Ley, &c.
Cette maxime est contraire à la Loi Salique,[146] où on lit que si un fils meurt sans postérité, le pere ou la mere lui succéderont. L'établissement des Fiefs a donc été la cause de la préférence des descendans sur les ascendans. En effet, lorsqu'un Seigneur accordoit des fonds à un vassal à titre de Fief, comme c'étoit sur-tout en vue du Service Militaire, il étoit naturel qu'il exclût de la succession de ce Fief les peres & les oncles,[147] qui par leur âge auroient été incapables de s'acquitter des charges stipulées en l'Acte d'inféodation. De-là vient cette regle que l'on a conservée dans le Livre des Fiefs composé sous Frédéric Barberousse en 1152, que les ascendans ne devoient point hériter des Fiefs,[148] Successio feudi talis est quod ascendentes non succedant.
[146] Si quis mortuus fuerit & filios non habuerit, si pater aut mater superfuerint ipsi in hæreditatem succedant. L. Sal. Tit. 62, no 1. de Alod.
[147] Espr. des Loix, L. 31, c. 34, p. 216, 4e. vol.
[148] L. de Feud. 2e. Tit. 5.
Cette regle renfermoit cependant une injustice; car lorsque le Fief étoit formé de l'Aleu du vassal, le fils qui avoit reçu de son pere cet Aleu, le transmettoit par son décès à des collatéraux qui, si ce Fief eût resté Aleu, n'auroient pu y succéder au préjudice du pere. Les Jurisconsultes se trouverent donc partagés à cet égard, les uns excluant les ascendans de la succession aux Fiefs acquis par leurs descendans, & leur conservant seulement celle des Fiefs formés de leurs Aleux; les autres au contraire étendant la préférence des collatéraux aux avancemens même que les enfans avoient reçus de leurs peres. Cette diversité d'opinions subsista jusqu'au temps où Beaumanoir écrivoit; & pour réparer le tort fait aux peres par ceux qui les excluoient de la succession aux Fiefs dont ils avoient avancé leurs enfans, il établit la maxime que les peres devoient succéder par préférence aux collatéraux, tant aux fiefs patrimoniaux qu'aux acquêts & aux meubles.[149]
[149] Beaumanoir, Cout. de Beauvoisis, c. 14, pag. 83, & Che que l'en dit que hiretage ne remonte point, che est à entendre. Si je ai pere & ai enfans & je muirs, mes hiritages descendent à mes enfans & non au pere; mes se il n'y a nul hoir oissu de moi nul qui me appartiegne de costé n'emporte le mien, avant de mon pere ou de ma mere.
Par ce nouvel ordre de succession qui fut presque généralement adopté, les conditions, les restrictions employées par les Seigneurs dans les Actes d'inféodation, se trouverent anéanties: une injustice fut donc employée pour réparer une autre injustice.[150]
[150] Il étoit tout naturel de distinguer la succession aux fonds inféodés par des Seigneurs, de celle qui avoit pour objet des fonds avoués aux Seigneurs quoique alodiaux.
Les Loix Angloises n'éprouverent point ces variations; l'abus qui subsistoit en Neustrie lorsque Raoul en prit possession s'y perpétua. Les Fiefs créés par les Seigneurs, comme ceux qui étoient formés des Aleux des vassaux, passerent aux descendans & aux collatéraux au préjudice des peres & des meres.
L'ancien Coutumier ayant été rédigé peu de temps après la réforme de cette Jurisprudence, admit au contraire le droit nouveau dans toute son étendue. La plupart des Fiefs, lors de sa rédaction, n'étoient plus régis en France par les conditions particulieres que les besoins ou le caprice des Seigneurs avoient imposées à leurs vassaux. Il rappella donc les Seigneurs & les vassaux aux Loix de Philippe Auguste, sous la domination duquel la Province étoit rentrée, & aux Réglemens que Saint Louis avoit établis pour les Fiefs que lui ou le Roi son ayeul avoient démembrés du fisc.
SECTION 4.
Et en tiel case lou le fits purchase terres en fée simple, & devie sauns issue, ceux de son sanke (a) de part son pier enhériteront come heires a luy devant ascun de sanke de part sa mere; més sil nad ascun heire de part son pier, donques la terre discendera a les heires de part la mere. Més si home prent feme enhéritrix de terre en fée simple, qu'eux ont issue fits & deviont, & le fits enter en les tenements, come fits & heire a sa mere, & puis devie sans issue, les heires de part la mere doyent enhériter les tenements & jammés les heires de part le pier; (b) & sil ny ad ascun heire de part la mere, donques le Seignior de que la terre est tenus avera la terre per eschéat. (c) En mesme le maner est, si tenements discendont a le fits de part le pier, & il enter & puis morust sans issue, cel terre discendra as heires de part le pier, & nemy as heires de part la mere. Et sil ny ad ascun heire de part le pier, donques le Seignior de que la terre est tenue avera la terre per eschéat, & sic vide diversitatem: lou le fits purchase terres ou tenements en fée simple, & lou ils veyent eins a tiels terres ou tenements per discent de part sa mere ou de part son pier.
SECTION 4.—TRADUCTION.
Et dans le cas où le fils après avoir acquis une terre en fief simple décede sans enfans, ses parens paternels en hériteront préférablement aux maternels. Si cependant il n'avoit aucuns parens paternels, les maternels succéderoient à cet acquêt; mais si un homme épouse une femme qui a des terres en fief simple, & s'il en a un enfant, le pere & la mere mourans, après la mort de cet enfant qui aura possédé ces terres comme héritier de sa mere, ses collatéraux maternels, dans le cas où il ne laissera point d'enfans, lui succéderont & non les paternels; & s'il n'a point d'héritiers maternels, le Seigneur de qui releve la terre s'en emparera à droit de deshérance.
Il en est de même lorsque le fils meurt sans postérité saisi de fiefs simples qui ont appartenu à son pere, car les héritiers maternels ne peuvent y rien prétendre, & ces fiefs retournent au Seigneur. Ainsi il y a une grande différence entre succéder à l'acquêt du fils ou à ses propres paternels ou maternels.
ANCIEN COUTUMIER.
Le frere que j'ai de par mon pere ne sera pas mon hoir du fief que je tiens de par ma mere, & ainsi l'on doit entendre des cousins.
L'en doit sçavoir que se l'héritage descend à alcun de par son pere & il a un frere oû un cousin de par sa mere tant seulement; cil frere ou cil cousin n'aura point icelui héritage, ains remaindra au Seigneur du fief dont les héritages ainsi succédés sont tenus & mouvans; il en est autrement des conquêts qui vont toujours au plus prochain du lignage.
Echéance d'aventure est quand le fief retourne au Seigneur par défaut d'hoir. Chap. 25.
REMARQUES.
(a) Ceux de son sanke.
La préférence du paternel sur le maternel, en fait des successions, tire son origine de la Loi Ripuaire, Tit. 58 de Alode, elle fait hériter les sœurs du pere du défunt avant la sœur de mere, à la différence de la Loi Salique,[151] où la sœur de la mere du défunt est préférée à la sœur du pere.
[151] L. 62, Sect. 6. Leg. Sal.
(b) Et jamés les heires de par le pier, &c.
La maxime qui conserve à chaque ligne son patrimoine n'est connue que depuis l'établissement des Fiefs héréditaires.[152]
[152] La Loi Salique ne la reconnoissoit pas, puisqu'elle admettoit le pere & la mere à succéder aux Aleux de leur fils sans distinction de la ligne d'où provenoient ces Aleux. Voyez la Remarque sur la Section 3, pag. 55, cette Loi y est citée.
Nous avons vu dans la premiere Section de notre Auteur, que pour faire passer la possession d'un Fief aux enfans de l'acquéreur, il falloit employer en l'Acte d'acquisition ceux parols (ses heires) parce que ceux parols tantsolement faisoient l'état d'inhéritance en tous féoffemens.
Les termes dans lesquels les inféodations étoient connues s'interprétoient donc en toute rigueur. Comme dans le cas où l'inféodation portoit seulement à tenir à lui (vassal) à toujours, elle n'étoit point transmissible aux héritiers; de même lorsqu'on y avoit stipulé qu'elle étoit en faveur du tenant & de ses hoires, il falloit être nécessairement de sa ligne pour y succéder.
Ainsi les conditions des Actes déterminoient seules la maniere de succéder aux Fiefs formés du domaine des Seigneurs, & de-là tant de diversités entre nos Coutumes. Chaque pays a fait, des conditions les plus usitées par les Seigneurs de son ressort, une regle générale de succéder. Dans les lieux où les Seigneurs inféodoient plus fréquemment sous la condition que les inféodations ne sortiroient point de la ligne du tenant, on a donné comme l'ordre commun de succeder, la distinction des lignes paternelles & maternelles. Ces deux lignes au contraire ont concurremment & subsidiairement succédé aux Fiefs dans les Provinces où les Seigneurs étoient dans l'usage de céder leurs Fiefs non-seulement à l'homme & à sa femme, mais à leur postérité, sans distinction de ligne.
(c) Per eschéat, &c.
Ce mot est tiré du Latin, excidere, accidere.
SECTION 5.
Item si soint trois freres, & le mulnes frere purchase terres en fée simple & devie sauns issue, leigné frere avera la terre per discent, & nemy le puisné, &c. Et auxy si soint trois freres & le puisné purchase terres en fée simple & devie sauns issue, leigné frere avera la terre per discent & nemy le mulnes, pur ceo que leigné est pluis digne de sanke. (a)
SECTION 5.—TRADUCTION.
S'il y a trois freres, & si le dernier acquiert des terres en fief simple, après la mort de celui-ci sans postérité, son frere aîné a cette terre & non le puîné, &c. Si c'est ce puîné qui décede saisi de terres de même nature, sans laisser d'enfans, l'aîné préférera encore le dernier puîné, parce que l'aîné est de sang plus digne.
REMARQUES.
(a) Leigné est pluis digne de sanke.
L'aînesse est un droit qui a toujours subsisté en Normandie. Richard II en 996 succéda à Richard sans Peur son pere, à l'exclusion de Robert son puîné; mais comme ce droit a une origine plus ancienne que celle qu'on lui a jusqu'ici attribuée, j'ajoute ici quelques preuves à celles que j'ai déjà données de cette opinion.[153]
[153] Discours prélimin. pag. 8.
On peut me faire à cet égard plusieurs objections. Voici les trois principales, auxquelles je réponds successivement.
1o. On dira, suivant Agathias,[154] que chez les premiers François les fils succédoient au trône de leurs peres; que la succession de Clovis fut partagée entre ses quatre fils.
[154] Agathias, L. 1, Tacit. de Morib. German. Hæredes tamen, successoresque sui cuique liberi.
Mais outre que cet Auteur n'ose[155] assurer si ce partage fut égal; en supposant même qu'il l'ait été, comme paroit le dire assez clairement Greg. de Tours, L. 3, c. 1, Thierry étoit bâtard, mais l'aîné; la Nation lui devoit les plus importantes conquêtes de son pere; la Souveraineté avoit toujours été élective chez la plupart des Peuples qu'il avoit vaincus, comme elle l'étoit chez ces Peuples du temps de César;[156] les Soldats lui étoient dévoués. Il n'étoit donc pas surprenant que si d'un côté il ne se prévaloit point des facilités que lui offroient l'affection des Troupes, l'éclat de ses Victoires, les Loix particulieres des Etats conquis, la jeunesse de ses freres, pour s'emparer de la Couronne; ceux-ci, d'un autre côté, ne lui ayent point objecté les défauts de sa naissance.[157]
[155] Quantum cognitione capere potui. Le partage ne fut pas égal; le bâtard se donna la suseraineté, Hist. de Fran. par Dan. ann. 511. En cela ce dernier Auteur est d'accord avec Coenalis, Fauchet, du Haillan, qui n'entendent le partage dont parle Grégoire de Tours que relativement au territoire.
[156] Comment. de César, L. 1, pag. 14 & 227.
[157] Du Tillet, pag. 15; du Haillan, de l'état de la Fran. L. 3, pag. 78, & d'autres après lui pensent que les bâtards succédoient au Trône; mais cette opinion n'a aucun fondement. Les Formules de Marculphe[157a] nous apprennent que le pere pouvoit faire une donation universelle à son fils naturel. D'où il suit que de droit, cette donation cessante, les bâtards n'avoient rien en la succession de leurs peres. S'il en eût été autrement, Saint Colomban auroit-il refusé de benir les enfans que Thierry avoit eus de ses maîtresses? Auroit-il osé dire à ce Prince qu'ils ne pouvoient prétendre jamais à porter le Sceptre?[157b] Aimoin, c. 94 L. 3, p. 147. Greg. Turonn. continuat. Fredegarii, L. 11, c. 36.
[157a] Formul. Art. 52.
[157b] Si l'on nie avec l'Abbé Vely que S. Colomban ait tenu ce discours, du moins on doit avouer que c'est un Auteur bien ancien qui le lui a fait tenir. Les mensonges se rapportent aux mœurs du temps, & en font preuve. Espr. des Loix, L. 30, C. 21.
Aussi après sa mort les considérations qu'ils avoient eu pour lui ne s'étendirent point à son fils Théodebert; ce jeune Prince fut contraint de prendre les armes contre ses oncles pour se conserver le Royaume de son pere.
2o. On objectera encore que Théobalde, fils & successeur de Théodebert, avoit pour héritier Childebert son oncle, & que cependant Clotaire, frere de ce dernier, s'empara de la succession.
Mais en cela Clotaire fut favorisé par différentes circonstances qui ne permettent pas de tirer de son exemple aucun argument contre ma façon de penser. En effet, Childebert étoit vieux, infirme, & n'avoit que des filles.[158] Clotaire étoit au contraire dans la force de l'âge, il jouissoit d'une santé parfaite, ses quatre fils étoient courageux & entreprenans; Childebert les redoutoit. Ce Prince aima mieux mourir tranquille possesseur de ses anciens Etats que de sacrifier pour les aggrandir un repos que ses petits neveux auroient infailliblement troublé, & que sa vieillesse & ses infirmités lui rendoient de plus en plus nécessaire.
[158] Agathias, L. 1, Childebertus jam senex, accedebat etiam summa infirmitas, neque ulla ei erat proles mascula quæ succederet in regnum; Chlotarius vero validus neque admodum senex, filios habebat quatuor animosos, ad accendendum promtos, senex suâ sponte hæreditatem cessit, veritus viri potentiam, &c.
3o. Le partage fait entre les enfans de Clotaire I n'est pas plus décisif contre le droit d'aînesse. Caribert & Gontran étoient d'une humeur très-pacifique; Chilpéric & Sigebert avoient le caractere opposé. Dès l'instant de la mort de leur pere ceux-ci prirent les armes, & s'autorisant du partage que Clovis avoit fait, ils forcerent leurs aînés à s'y conformer.
D'ailleurs à ces faits on peut opposer qu'après la mort de Clotaire II, Dagobert, son fils aîné, lui succéda seul, & qu'il ne donna à Caribert l'Aquitaine avec le titre de Roi que pour sa vie seulement. Chilpéric ayant voulu conserver ce titre après le décès de Caribert son pere, Dagobert pour l'en punir le fit empoisonner, & Boggis, cadet de Chilpéric, ne reçut de son oncle l'Acquitaine qu'à titre de Duché.
En 656 Clotaire III ne fit aucune part des Royaumes de Clovis II à ses deux freres.
Thierry, en 670, s'étant emparé du Trône par les soins de son Ministre Ebroin, Childeric l'en chassa & le confina dans un Monastere.
Sous nos Rois de la premiere race le droit d'aînesse a donc été connu. D'abord enfraint par la force, on n'eut point toujours dans la suite recours à la force pour le rétablir; ce qui ne seroit point arrivé si on eût regardé ce droit comme nouveau ou comme opposé aux anciennes Coutumes de la Nation.
Aussi ce droit y étoit-il conforme: c'étoit une maxime reçue parmi les Gaulois du temps de César[159] que la souveraine autorité fût indivisible, même dans les pays où il n'y avoit que des Magistrats élus pour un temps.
[159] Comment. de César, L. 2, pag. 51 & 58; L. 5, pag. 141, Tac. de Mor. German.
Or comment, sans admettre la prérogative de l'aînesse, ces Peuples auroient-ils pu concilier cette maxime de ne point diviser la Souveraineté avec cette autre maxime par laquelle, selon Agathias, les enfans des Rois étoient seuls admis à leur succession?[160]
[160] Filii patribus in regnum succedunt. Agath. pag. 8.
Dans les pays des Gaules, où la Royauté étoit héréditaire, on ne trouve point, ni avant ni sous la domination Romaine, plusieurs Rois associés au Gouvernement;[161] ce qui ne peut évidemment être que l'effet d'une Loi de préférence établie dès ce temps-là entre ceux qui pouvoient y prétendre. Cette Loi, violée par Thierry, fils de Clovis, & par quelques-uns de ses Successeurs, reclamée ensuite par Dagobert, par Clotaire III, par Childeric, cessa d'être suivie sous les Maires du Palais, mais elle ne fut pas oubliée pour cela.
[161] Duchesne, Hist. d'Anglet. & d'Irl. donne une liste des Rois Gaulois, pag. 88 & 89, Liv. 2. Leurs aînés succédoient seuls, pag. 98 & suivantes. Archigalo ayant été détrôné par les grands de son Royaume, & son frere Elidurus pris pour Roi à sa place; celui-ci eut des remords si vifs de ce qu'il portoit une Couronne qui n'appartenoit qu'à son aîné, qu'il força la Nation de le rappeler & de le reconnoître pour son Roi.
Charlemagne sçut bien la faire valoir contre son frere Carloman;[162] & lorsqu'il partagea ses Etats entre ses propres enfans pour prévenir les dissensions auxquelles l'irrégularité de ce partage pouvoit donner occasion, il requit l'approbation des grands du Royaume.
[162] Charlemagne ne voulut pas exécuter le partage fait par Pepin; il en fit un autre que bien-tôt apres il fit casser. Carloman étant mort, il s'empara de sa succession au préjudice de ses neveux. Daniel, Hist. de France.
Son fils Louis le Débonnaire prit la même précaution; mais moins rédouté que Charlemagne, il eut le chagrin de voir ses aînés se révolter contre lui,[163] & après son décès le dernier de ses enfans ne put obtenir aucune part en sa succession. En un mot, en consultant l'Histoire avec attention, on y observe que si l'on a porté des atteintes au droit d'aînesse, ce n'a été que par violence, dans des temps de trouble, ou lorsque la succession de nos Rois étoit composée de plusieurs Royaumes, & que les différens Peuples nouvellement soumis refusoient de reconnoître un même Souverain. Or c'est parce que ce droit étoit établi pour la succession au Trône[164] qu'il a été étendu par les Seigneurs à celle des Fiefs. Ces Fiefs, par leur premiere institution, n'étoient pas plus partables que la Couronne. La division des services qui y étoient affectés les auroit insensiblement anéantis, si le partage en eût été toléré.
[163] De gestis Ludov. Pii in annal. Nitardi, T. 2, capitul. de 816, T. 1. pag. 574. Collect. Balus.
[164] On ne peut tirer aucun argument contre cette opinion de l'Art. 9 du Traité de Mersen en 847; car les oncles n'avoient pu prétendre jusques là de préférence sur leurs neveux qu'à cause de leur âge, & si la succession au Trône eût été élective entre tous les Princes du sang indifféremment, comme le prétend l'Abbé Vély, Tom. 2, pag. 76, il auroit été inutile de défendre aux oncles dans le Traité de persister en leur prétention; puisqu'elle auroit été contraire à la Loi subsistante alors. On ne peut pas citer avec plus d'avantage la Lettre de Foulques, Archevêque de Rheims, à l'Empereur Arnoul, rapportée par Flodoard, L. 3, Hist. Ecclés. Remensis, c. 5, puisqu'en supposant que la Couronne, toujours héréditaire à l'égard de la maison régnante, eût néanmoins été en même-temps élective par rapport aux différens Princes de cette maison, Arnoul n'auroit pas eu prétexte de se plaindre de ce qu'on auroit substitué Charles le Simple, sur la naissance duquel il n'avoit que des doutes suggérés, à Eudes qui étoit ab stirpe regiâ alienus; & si l'on admet qu'Eudes étoit du sang royal, il s'ensuivra que ce n'étoit pas l'usage d'élire un parent, mais le plus proche, puisqu'on déplaçoit Eudes pour couronner Charles le Simple.
SECTION 6.
Item est a savoir, que nul avera terre de fée simple per discent come heire a ascun home, sinon que il soit son heire dentire sanke. Car si home ad issue deux fits per divers venters, & leigné purchase terres en fée simple & morust sauns issue, le puisné frere navera la terre, més luncle leigné frere, ou auter son procheine cosin ceo avera, pur ceo que le puisné frere est de demi sanke (a) a leigné frere.
SECTION 6.—TRADUCTION.
Un collatéral ne peut hériter du fief simple acquis, à moins qu'il ne soit parent de pere & de mere du défunt; ainsi qu'un homme ait deux garçons de deux femmes, que celui de la premiere femme acquiere un fief simple, & décede sans enfans, ce ne sera pas son frere de pere, mais son oncle frere de pere & de mere de son pere qui lui succédera, ou les descendans de cet oncle, parce que le frere de pere n'est que de demi-sang.
REMARQUES.
(a) De demi sanke.
Voyez la Remarque sur la deuxieme Section.
SECTION 7.
Et si home ad issue fits & file per un venter, & fits per auter venter, & le fits del primer venter purchase terres en fée, & morust sauns issue, la soer avera la terre per discent come heire a sa frere, & nemy le puisné frere, pur ceo que la soer est de le entire sanke a son eigné frere.
SECTION 7.—TRADUCTION.
Si un homme a un fils & une fille sortis de la même mere, & un fils d'une autre femme; que le fils de la premiere femme acquiere des terres en fief simple; s'il meurt sans enfans, la sœur aura cette terre & non le frere du second lit, parce que la sœur est de sang entier à son frere aîné.
SECTION 8.
Et auxy ou home est saisie de terres en fée simple & ad issue fits & file per un venter, & fits per auter venter, & morust, & leigné fits enter, & morust sauns issue, la file avera les tenements & nemy le puisné fits, uncore le puisné fits est heire a le pier, més nemy a son frere. Més si leigné fits ne entrast en la terre après la mort son pere, més morust devant ascun entrie fait per luy, donques le puisné frere poit enter, & avera la terre come heire a son pier. Més lou leigné fits en la case avantdit entrast après la mort son pere & ad ent possession, donques la soer avera la terre, quia possessio fratris de feodo simplici facit sororem esse hæredem, (a) més si sont deux freres per divers venters, & leigné est saisie de terres en fée & morust sauns issue, & son uncle entrast come prochein heire a luy, quel auxy morust sauns issue, ores le puisné frere puit aver la terre come heire al uncle, pur ceo que il est de lentire sanke a luy, coment que il soit de demi sanke a son eigné frere.
SECTION 8.—TRADUCTION.
Et encore si un pere a d'un premier mariage un fils & une fille, & d'un second mariage un fils; dans le cas où le pere mourra saisi d'un fief simple acquis, & où son fils aîné, après y avoir succédé, décedera sans enfans, la fille aura le fief & non le frere de pere du défunt; car le frere puîné auroit bien été l'héritier de son pere s'il n'eût pas eu de frere, mais il n'est pas l'héritier de son frere de pere, tant que celui-ci a une sœur de pere & de mere.
Si cependant le fils aîné n'avoit pas pris possession du fief de son pere au temps de son décès, le puîné, à titre d'héritier de son pere, auroit ce fief; mais si l'aîné a appréhendé la succession du pere, la fille, quant au fief simple, préférera son frere cadet, parce que la possession que le frere a eue du fief en rend sa sœur héritiere. Cependant s'il y avoit dans une succession deux freres de pere, l'aîné ayant succédé au fief simple, & l'ayant transmis par son décès à son oncle frere de pere & de mere de son pere; après la mort de cet oncle sans enfans, le cadet succéderoit au fief comme héritier de son oncle, quoiqu'il ne fût que de demi-sang à son frere.
REMARQUES.
(a) Possessio fratris, &c. facit sororem hæredem.
Cette maxime est une suite de la Section 2 qui exclut les utérins lorsqu'il y a des enfans de sang entier ou germains du dernier possesseur.[165] Cependant comme on concluroit peut-être de cette maxime qui admet les filles à succéder aux Fiefs au préjudice des utérins ou consanguins mâles, que les Loix recueillies par Littleton ne sont pas aussi anciennes que je les prétends, parce que, selon Brussel, les filles n'ont été admises à succéder aux Fiefs[166] sous nos Rois de la seconde & sous les premiers Rois de la troisieme race, qu'à défaut de mâles, tant de la ligne directe que de la collatérale. Je vais établir que le droit des filles à la succession aux grands Bénéfices, à défaut de mâles plus proches qu'elles, est bien antérieure aux époques qu'on a jusques ici données à l'établissement de ce droit; & que la faculté qu'ont eue les filles de succéder dans la suite aux Fiefs ne s'étendoit pas encore à tous les Fiefs indistinctement au commencement du dixieme siecle.
[165] Elle contient aussi le droit de représentation.
[166] Brussel, c. 7, Tome 1, pag. 89. Il est bon de se rappeller que cet Auteur & M. de Montesquieu donnent toujours aux Bénéfices le nom de Fief.
Les Bénéfices de dignité n'ont été rendus héréditaires que sous Charles le Chauve en 877;[167] & déjà les filles avoient succédé à des Bénéfices: un seul exemple nous rendra raison de cet usage.
[167] Espr. des Loix, L. 31, c. 25, pag. 187. Capit. Carol. Calvi apud Carisiacum. Art. 3. Balus. 2e. Vol.
En 793 Charlemagne avoit investi Guillaume, surnommé Court-Nez,[168] de la Principauté d'Orange à titre héréditaire, & Hélimbruge sa fille lui succéda.[169] Il n'y avoit point alors d'autre Loi qui admît les filles aux successions à défaut de mâles que la Loi Salique. Hélimbruge ne fut donc admise à celle de son pere qu'en vertu de cette Loi.
[168] Abregé des grands Fiefs.
[169] En l'an 860 ou environ.
Cette conséquence paroît d'autant plus certaine que depuis le commencement de la Monarchie jusqu'à Charlemagne, tous les dons faits par les Rois à perpétuité avoient toujours suivi les regles prescrites par la Loi Salique pour la succession aux Aleux,[170] & que depuis 877, temps auquel les Bénéfices sont devenus patrimoniaux, il n'y a plus eu une seule Province où les filles ayent été privées des successions aux Bénéfices par des mâles d'un dégré plus éloigné.
[170] On en trouve la preuve dans la Formule de Marculphe, citée sur la Sect. 1ere. Ut ipse & posteriores, &c.
Il est vrai que Brussel[171] observe que la succession de Guillaume V, Comte de Toulouse, échut à Raimond son frere, quoique le premier eût laissé une fille; mais cet Auteur n'a pas fait attention, 1o. que Raimond succéda à Guillaume IV en 1091,[172] & non à Guillaume V, qui ne mourut qu'en 1126, sans postérité; 2o. Le pays de Toulouse avoit toujours suivi, avant sa réunion aux Domaines de nos Rois, la Loi des Wisigoths, Loi qui faisoit succéder les femmes à la Couronne.[173]
[171] Brussel, C. 7, L. 1, pag. 89. M. de Montesq. le copie, L. 31, c. 33. Espr. des Loix, pag. 209.
[172] Abregé des grands Fiefs.
[173] Espr. des Loix, L. 18, c. 22, pag. 172, Tom. 2.
Or il n'est pas possible de concevoir comment, après cette réunion, la Loi des Wisigoths auroit été abrogée à l'égard du Gouvernement de Toulouse, sur-tout après qu'il avoit été rendu héréditaire, puisqu'il étoit alors d'un usage général en France que les filles succédassent à tous les autres Bénéfices de pareille espece.
On voit, en effet, en 905[174] Attalane hériter du Comté de Mâcon, quoiqu'elle eût deux cousins germains, Gisalbert Comte de Châlons, & Manassez Comte de Dijon; Hermangarde succéder au Duché de Bourgogne en 952; Gerberge sa fille en 955; enfin Almodis devenir Comtesse de la Marche en 1032 par le décès de son frere Bernard, par préférence à son cousin fils d'Elie, Comte de Périgord.
[174] Abregé Chronolog. des grands Fiefs.
Si donc Philippie n'a point succédé au Bénéfice de Guillaume IV son pere, il ne faut point l'attribuer à ce qu'elle n'en avoit point le droit; mais plutôt à ce qu'étant mineure, Raimond son oncle, Prince très-courageux, qui jouoit un grand rôle parmi les Croisés, trouva des facilités pour s'emparer de ses Etats. Aussi après la mort de Raimond, Philippie fit revivre son droit. Bertrand, fils de Raimond, ne succéda point à son pere; & Bertrand, second du nom, à son retour de la Terre-Sainte, n'obtint le Comté que parce que Guillaume V, veuf de Philippie, n'avoit eu d'elle aucuns enfans.
Loin donc que Brussel dût s'appuyer sur ce qui s'étoit passé à l'égard de Philippie pour prétendre que le même usage subsistoit en France pour tous les autres Bénéfices; il auroit dû conclure, au contraire, de l'exemple même de Philippie, que cette exclusion n'avoit pas lieu, & que ce n'avoit été qu'en violant la Loi générale que Raimond avoit exclu cette Princesse de la succession de son pere.
Du même principe qui appelloit les filles à la succession des Bénéfices donnés en propriété (parce qu'en ce cas le fisc ne s'y étant rien réservé, ils se trouvoient compris dans la classe des Aleux) il s'ensuivit que dès que les hommes libres eurent fait ériger leurs Aleux en Fiefs[175] par les Seigneurs, leurs filles en hériterent.
Mais il n'en fut pas de même à l'égard des Fiefs créés par les Seigneurs, & démembrés ou de leurs propres Aleux, ou de leurs Bénéfices. Les filles ne furent admises à la succession des Fiefs de cette derniere espece que lorsque la condition en étoit exprimée en l'Acte d'inféodation, comme je le dirai sur le Chapitre de Fée tail. Ceci fournit une nouvelle preuve de ce que les Loix Angloises viennent des François: car si ces Loix fussent nées en Angleterre, elles ne se seroient point écartées des mœurs anciennes au point d'exclure de la succession aux Fiefs, en certains cas, les femmes qui de tout temps avoient été jugées capables en Angleterre non-seulement de porter les armes, mais même de commander les armées.[176]
[176] Il y a apparence que les femmes n'ont eu droit au Trône d'Angleterre que par abus. Les femmes des premiers Bretons, selon Tacite, Vie d'Agricola, & L. 12 & 14 de ses Annales, obtenoient le commandement des Troupes; mais cet Auteur ne dit pas qu'aucunes ayent eu l'Empire, Neque enim sexum in imperiis discernunt, ne s'entend ici que de l'office de Général pour lequel on ne faisoit point distinction de sexe, solitum quidem, ajoute Tacite, Britannis fæminarum ductu bellare. En effet, Bondouique, à l'occasion de laquelle il rapporte les mœurs des Bretons, n'étoit pas leur Reine, comme Duchêne, Hist. d'Angleterre, L. 3, p. 143, le suppose; elle étoit seulement issue de sang royal, generis regii. Toutes les femmes de cette Nation étoient exercées comme elle aux armes, & les femmes des Germains ne le cédoient point en cela à celles des Bretons. Tacite rapporte plusieurs traits de bravoure des premieres: elles assistoient aux combats; on les donnoit en ôtage; on les consultoit sur les affaires d'Etat; mais à l'exception des Peuples appellés Sitones, aucuns ne les élevoient au Trône.
Au reste, par ce que je viens de dire, il est aisé de concevoir que l'hérédité des Bénéfices n'a point été la source de la faculté que les filles ont eu d'y succéder, mais que la Loi Salique leur ayant de tout temps accordé cette prérogative à l'égard des Aleux à défaut de successeurs mâles plus proches qu'elles du défunt,[177] tous Bénéfices, dès qu'il y en a eu de patrimoniaux, ont dû être assimilés aux Aleux, conséquemment soumis à la Loi qui régissoit cette sorte de Biens. Cette Loi a dû conserver encore son empire sur les Fiefs formés de l'Aleu du vassal; mais elle n'a pu avoir son application à des Fiefs dont l'établissement n'avoit eu pour principe que la bienfaisance des Seigneurs. Aussi Littleton, dans le Chapitre suivant, fait-il de la distinction entre le Fief simple ou absolu & le Fief conditionnel. Tous les enfans du possesseur héritent du premier quel que soit leur sexe; le mâle n'y a de préférence qu'en dégré égal, & il ne peut être privé de cette préférence que par un dérogatoire clairement exprimé lors de la concession. Au second, ce n'est ni le mâle ni la femelle qui succede par préférence, c'est le sexe que le Seigneur a désigné. La succession du Fief simple absolu n'est bornée que par l'extinction de la ligne du vassal; celle du Fief conditionnel ne va point au-delà du dégré, ou de la ligne, ou du sexe fixé par le Seigneur.
[177] Voltaire, Hist. Univers. Usages du temps de Charlemagne, paroît ignorer que la Loi Salique admettoit les filles aux successions à défaut de mâles, & en conséquence il dit qu'on ne pouvoit déroger à cette Loi qu'en réservant les filles à partage de la maniere exprimée en la Formule 2 de Marculphe. Cette Formule n'avoit lieu que lorsqu'il y avoit des freres, elle étoit inutile quand il n'y en avoit pas; les filles alors succédoient de droit. Ceci est démontré par la Formule 12 de Marculphe, L. 2, la 49e. de l'Appendix de cet Auteur, & encore par ce que Grég. de Tours, L. 9, c. 33, rapporte de la fille d'Ingeltrude, à qui on ajugea la quatrieme partie des biens de son pere, sa mere & ses neveux, fils de son frere, s'étant restrains aux trois autres parts.
Si M. de Montesquieu avoit connu cette distinction entre le Fief absolu & le conditionnel, ainsi que la différence de ces Fiefs avec le Bénéfice, il n'auroit pas dit[178] que les Fiefs ont passé aux enfans, & par droit de succession, & par droit d'élection; que chaque Fief a été comme la Couronne, électif & héréditaire. Il auroit reconnu dans le Fief absolu & héréditaire un Aleu qui, devenu Fief, avoit conservé le droit d'hérédité de tous temps inhérent aux Aleux: il auroit reconnu dans le Fief conditionnel qu'il a cru électif, un Fief qui originairement faisoit partie du domaine d'un Seigneur, & dont il avoit arbitrairement restraint ou étendu la succession. Il auroit vu que la succession à la Couronne avoit commencée par être élective,[179] & que son dernier état a été celui où elle est restée héréditaire, au lieu que les Bénéfices n'ont jamais été électifs, mais d'abord amovibles,[180] ensuite viagers, enfin patrimoniaux. Les Fiefs, au contraire, dès leur premiere institution, furent ou héréditaires à perpétuité, ou réversibles à défaut d'héritiers du sexe auquel les Seigneurs avoient accordé la succession, selon que ces mêmes Fiefs étoient formés du propre du vassal ou du propre du Seigneur.
[178] Espr. des Loix, c. 29, 4e. vol. pag. 198.
[179] Cette élection étoit une transgression du droit de l'aînesse. V. Remarque sur la Sect. 5.
[180] Il est dangereux de comparer la succession à la Couronne avec les successions aux Bénéfices; car en suivant cette comparaison, il faudroit supposer que parce que les Bénéfices ont été amovibles, la Couronne l'a aussi été, &c.
L'économie des Fiefs, telle qu'elle se trouve dans les Loix Angloises bien entendues, auroit encore indiqué à l'Auteur de l'Esprit des Loix la raison de ce que la perpétuité des Fiefs s'est établie plutôt en France qu'en Allemagne.[181]
[181] Espr. des Loix, L. 30, pag. 199.
En France, les Fiefs provenus d'Aleux ne cessoient point d'être soumis à la Loi Salique. En Allemagne, cette Loi qui rendoit en France les Aleux successifs à perpétuité, n'étoit point connue; tous les Fiefs y tiroient donc leur existence de la concession du Seigneur, & les conditions de cette concession étoit l'unique regle à consulter pour y succéder. Enfin, si M. de Montesquieu eût eu sous les yeux les anciennes Coutumes Neustriennes, que Littleton nous a conservées, il ne se seroit pas borné à copier Brussel pour soutenir que la Loi générale qui appelloit les filles à la succession des Bénéfices ne remontoit point au-delà du douzieme siecle.[182]
[182] Espr. des Loix, L. 30, c. 33, pag. 209.—M. de Montesquieu dit que la fille de Guillaume V, Comte de Toulouse, ne succéda pas à la Comté, & que dans la suite, c'est-à-dire en 1135, Mathilde succéda à la Normandie; mais 1o. Guillaume V mourut sans enfans; 2o. si, au lieu de Guillaume V, M. de Montesquieu a voulu parler de Guillaume IV, c'est une autre erreur: il laissa une fille qui épousa Guillaume V, lequel, plus de trente ans avant que Mathilde ait gouverné la Normandie, remit Philippie en possession de la Comté dont Raimond IV son oncle s'étoit emparé.
SECTION 9.
Et est a savoir que ce parol (enhéritance) nest pas tantsolement entendue lou home ad terres ou tenements per discent denheritage; més auxy chescun fée simple ou taile que home ad per son purchase puit estre dit enhéritance, pur ceo que ses heires luy purront inhériter. Car en brief de droit que home portera de terre que fuit de son purchase demesne, le brefe (a) dira: quam clamat esse jus & hæreditatem suam. Et issint sera dit en divers auters briefs (b) ou home ou feme portera de son purchase demesne; come appiert per le Regitre.
SECTION 9.—TRADUCTION.
Le terme d'enhéritance, ou d'hérédité, ne s'applique pas seulement aux terres échues par succession, mais encore à tout fief simple ou conditionnel qui a été acquis; c'est pourquoi dans le Bref de droit qu'on obtient pour des terres qu'on a acquises, il est dit que le possesseur terram clamat, quasi jus & hæreditatem suam. On trouve les mêmes expressions dans plusieurs autres Brefs contenus dans les anciens Registres de Chancellerie, où il est question d'acquêts.
REMARQUES.
(a) Le Brefe dira.... & hæreditatem suam.
Quand on acquéroit un Fief absolu, formé d'un Aleu, l'ordre d'y succéder, établi dans la famille du vendeur, se perpétuoit en celle de l'acquereur.[183] L'hérédité du fonds étoit donc l'objet de la vente comme le fonds même, & on disoit alors que c'étoit une vente d'héritage, pour la distinguer de la vente du simple usufruit.
[183] Lib. de Feudis, tit. 89.
(b) Briefs.
C'étoit des Lettres du Prince, sans lesquelles on ne pouvoit intenter; sous les Ducs de Normandie, aucunes actions. Littleton nous donnera[184] dans la suite le modèle de plusieurs Brefs, dont la forme a été conservée chez les Anglois dans les Registres de la Chancellerie, & qui sont les mêmes que ceux qu'on trouve indiqués dans le Chap. 93 de l'ancien Coutumier de Normandie, & dans ceux qui y traitent de nouvelle Dessaisine, de Surdemande, de Fief & de Ferme, &c.
SECTION 10.
Et de tiels choses de queulx home poit aver un manuel occupation, (a) possession ou resceit, si come de terres, tenements, rents & hujusmodi; la home dira en count countant, en plée pledant,(b) que un tiel fuit seisie en son demesne come de fée. Més de tiels choses que ne gisont en tiel manuel occupation, &c. Si come de adwouson d'Eglise, (c) & hujusmodi, là il dira que il fuit seisie come de fée, & en Latin il est en lun cas, quod talis seisitus fuit, &c. in dominico, & en lauter, quod talis seisitus fuit ut de feodo.
SECTION 10.—TRADUCTION.
Lorsqu'il s'agit de plaider ou de se présenter en Court au sujet d'une occupation manuelle, c'est-à-dire, pour Terres, Manoirs, Rentes ou pour toute autre espece de Biens qui produisent des fruits, un revenu, ou qu'on peut occuper; le demandeur doit dire qu'il en a le domaine comme d'un fief; mais si l'objet en litige ne consiste ni en recette ni en culture, mais en honneurs, tels qu'un patronage & autres choses semblables, il dira qu'il en jouit à titre de fief & non pas qu'il en a le domaine: ce qui s'exprime ainsi en Latin pour le premier cas, quod talis seisitus fuit in dominico suo ut de feodo; & pour le second, par ces mots, quod talis seisitus fuit ut de feodo.
REMARQUES.
(a) Manuel occupation.
Les Seigneurs qui n'avoient pas autant de fonds que les autres à inféoder, pour se procurer des Vassaux, donnoient à titre de Fief des honneurs, des droits incorporels qui ne formoient point un Manuel occupation; tels étoient le Patronage d'une Eglise, le droit de Chasse, &c.[185] Or, pour distinguer ces Fiefs des autres qui avoient pour objet un fonds ou une rente affectée sur un fonds; on disoit à l'égard des premiers, dans les actes judiciaires, qu'un tel possédoit, comme Fief, tel privilége, &c.; & en parlant des autres, que le tenant possédoit en son domaine à titre de Fief, telle rente ou telle terre.
[185] Brussel, pag. 42, 1er. vol. Cujas, de Feud. præm. col. 1798. Gallis aliud est tenir Fiefs, aliud, tenir en Fiefs.
(b) Plée, pledant, counte, countant, &c.
Les assemblées, où nos premiers Rois conféroient avec les Grands de l'Etat sur les intérêts de la Nation, ont été long-temps appellés Plaids, placita:[186] de-là ce nom a passé aux assemblées où les Comtes rendoient la Justice,[187] & à la Jurisdiction exercée par les Avoués ou Avocats des Monasteres.[188] Voyez ce que je dis des Plaideurs & Conteurs, Section 196.
[186] Flodoard, in vitâ Ludovici Pii. Aimoin, L. 4, c. 109.
[187] Ut liberius possint fieri placita à Comitibus. Leg. Longobard. Tit. de Feriis.
[188] Si in prædictâ villâ placitare voluerit advocatus, ut non pluribus quam triginta equis ad placitandum veniat. Naucler, in Donat. Monasterii Ulmensis.
(c) Advvouson d'Eglise.
Advvouson d'Eglise, signifie le Patronage d'une Eglise: il vient du latin Advocatio, parce que anciennement les Avocats ou Avoués des Eglises étoient chargés de défendre les Causes des Eglises aux Plaids du Comte, dans le district duquel elles se trouvoient situées. Les Evêques ou Abbés des Monasteres les chargerent dans la suite de rendre la Justice à leurs Vassaux & de les conduire à la guerre. En reconnoissance ils leur attribuerent certains droits sur leurs propres Domaines ou sur les fonds qui relevoient d'eux. Dans une Donation citée par Naucler, l'Avoué d'un Monastere pouvoit avoir trente chevaux lorsqu'il venoit y tenir les Plaids;[189] l'Abbé étoit tenu de le traiter avec politesse & décence, decenter & honestè, & de lui laisser le tiers de ce que les Vassaux lui payoient durant les Plaids. Ces Avoués furent d'abord choisis entre les plus puissans Seigneurs du canton, ensuite on donna cet Office en Fief, enfin, il devint héréditaire: ce qui ne put avoir lieu en Normandie, parce que toute justice s'y exerçoit au seul nom des Ducs & par leurs propres Officiers.[190] Tout bienfaiteur d'une Eglise retint donc en Normandie le nom d'Avoué, mais sans avoir le pouvoir de Jurisdiction que les Avoués avoient exercée sous la domination Françoise.
[189] D'Orléans, ouvert. des Parl. pag. 128.
[190] Brussel, page 814 & 815.
SECTION 11.
Et nota que home ne poit aver auter pluis ample ou pluis griender estate (a) denhéritance que fée simple.
SECTION 11.—TRADUCTION.
Observez qu'on ne peut avoir d'hérédité plus assurée que celle du fief simple.
REMARQUES.
(a) Pluis griender estate, &c.
1o. Parce que le Fief simple absolu, est celui dont de droit la succession est plus étendue.
2o. On ne peut l'aliéner sans le consentement du Seigneur.
3o. Il est exempt de redevances.
SECTION 12.
Item purchase est appel la possession de terres ou tenements que home ad per son fait ou per agréement, à quel possession il ne advient per title de discent de nul de ses ancesters ou de ses cosins, més per son fait de mesme.
SECTION 12.—TRADUCTION.
Le mot purchase désigne tout fonds acquis ou substitué à l'acquéreur, & auquel il n'a point succédé au droit de ses ancêtres ni d'autres parens.
CHAPITRE II. DE FÉE TAIL. (a) De Fief conditionnel, restraint ou abrégé.
SECTION 13.
Tenant in fée tail est per force de le statude de West. 2, cap. 1. car devant l'dit statude touts enhéritances fuerent fée simple:(b) car touts les dones que sont spécifiés deins mesme le statude fuerent fée simple conditional al common Ley, (c) come apiert per le rehearsal de mesme le statude, & ores per cel statude tenant en le tail est en deux maners, cest a savoir tenant en tail général & tenant en tail spécial.
SECTION 13.—TRADUCTION.
On est tenant en Fief conditionnel depuis le deuxieme Statut de Westminster, car avant ce Statut tous Fiefs étoient Fiefs simples. En effet les Fiefs conditionnels, mentionnés dans ce Statut, y sont appellés Fiefs simples suivant la commune Loi. On peut, pour s'en convaincre, consulter le dispositif de ce Statut, où on distingue deux sortes de tenures conditionnelles, l'une à condition générale & l'autre à condition spéciale.
ANCIEN COUTUMIER.
Echéance d'aventure par établissement, est quand le Fief revient à aultres qu'aux hoirs de celui qui le tient par aulcun établissement qui a été fait.
Echéance d'aventure par condition vient quand Fief est vendu ou baillé par telle maniere que quand qui prend sera mort, il reviendra à celui qui le baille ou à autre: si comme la condition est faite entre celui qui le baille & celui qui le prend. Ce sont les Coutumes des échéances qui anciennement ont été gardées en Normandie. C. 25.
REMARQUES.
(a) Tail.
On trouve la définition de ce mot Sect. 18. Il vient du François tailler, en Latin scindere, retrancher, restraindre, limiter.
(b) Devant ledit Statude tous enhéritances fuerent Fée simple.
Fée simple est ici pris dans un sens étendu,[191] comme le genre des Fiefs simples absolus, dont il est traité dans le Chapitre précédent, & des Fiefs simples conditionnels qui sont l'objet de celui-ci.
[191] Here fee simple in takens in his large sense, including as wel conditional, as absolute. Coke, Comment. Sect. 9, 2e. Remarq.
Ces deux especes de Fiefs avant ce Statut, s'appelloient Fiefs simples; parce qu'on donnoit ce nom à tous les Fiefs auxquels on succédoit, quelque fût l'ordre & la maniere d'y succéder.
(c) Car tous les dones que sont spécifiés deins mesme le Statude fuerent Fée simple conditional al common ley.
Quoique le nom de Fée simple fût commun tant aux Fiefs simples absolus qui étoient héréditaires à perpétuité, qu'aux Fiefs dont la succession étoit conditionnelle, il étoit cependant aisé de les distinguer entr'eux. En effet, les premiers retenoient le nom de Fiefs simples, & les autres joignoient à ce nom celui de conditionnels suivant la commune Loi. Cette commune Loi étoit celle que Guillaume le Conquérant transmit aux Anglois, de donner en Fief, à telles conditions qu'on vouloit, & de désigner dans la postérité du Tenant ceux qui succéderoient à ce Fief. Elle étoit suivie en France avant Raoul à l'égard de tous les Fiefs, autres que ceux qui étoient formés d'Aleux. De-là chaque Seigneurie eut son droit particulier[192] jusqu'aux Regnes de Philippe Auguste & de S. Louis, qui firent divers Réglemens pour soumettre les Fiefs à des maximes uniformes: mais ces maximes ne pénétrerent point en Angleterre, comme je l'ai dit sur la Section 3. L'ancien usage de Normandie y fut toujours strictement observé; & le Statut de Westminster loin de l'abroger ou de le changer, se borna à en rendre la pratique plus aisée, en divisant en deux classes[193] toutes les différentes conditions auxquelles on pouvoit inféoder, & en déterminant le sens des clauses employées dans les précédentes inféodations.
[192] Brussel, L. 1, pag. 40, L. 2, c. 23, pag. 319, & L. 3, c. 13, pag. 873.
[193] Tail général, Tail spécial.
Selon le dispositif du Statut de Westminster.[194] Voluntas donatoris in Chartâ doni manifestè expressa observetur. Ainsi il ne borne pas la volonté des Seigneurs, mais il veut qu'elle soit claire, manifeste, sans ambiguité.
[194] Coke, Chap. of Tail, Sect. 16.
Basnage[195] n'ayant point consulté ce Statut, a avancé qu'avant qu'il eût lieu, toutes enhéritances étoient Fées simples, c'est-à-dire, selon lui, Fiefs héréditaires, & qu'ainsi les Fiefs conditionnels ne furent établis qu'après ce Statut. Mais outre que le texte de Littleton porte au contraire que toutes inhéritances spécifiées dans le Statut étoient données auparavant en Fée simple conditionnelle, & que dans les Chapitres de Tenure par copie, on trouve des Fiefs viagers ou à volonté, dont le Statut ne parle pas. Une réflexion toute naturelle devoit faire appercevoir à Basnage son erreur, car si, suivant le Statut, l'ordre des successions aux Fiefs eût été fixé, déterminé, auroit-on fait une loi pour rendre l'ordre de succéder moins certain? D'ailleurs en consultant l'histoire, ne voit-on pas qu'avant la conquête de l'Angleterre par Guillaume, il y avoit en Normandie non-seulement des Fiefs conditionnels, mais que tous ceux qui provenoient de Bénéfices étoient réversibles aux Seigneurs par l'inexécution des clauses de la Cession? Entr'autres exemples, il y en a un qui me paroît décisif, c'est la Chartre donnée par Guillaume de Talou ou d'Arques, frere du Conquérant, en faveur de l'Abbaye de Fécamp en 1047.[196] Porro, y est-il dit, goselinus parvi-pendens convenientiam cum Abbate & fratribus habitam; beneficium acceptum non solum non auxit, sed etiam ad nihilum adegit & suis hominibus contra Statutam pactionem distribuit & igitur reddens Deo Trino injustè subductam possessionem à prædecessoribus collatam, possideatur a suis servis in sempiternum.
[195] 1er Vol. pag. 144, édit. de 1709.—Basnage se trompe encore lorsqu'il dit par l'Art. 337 que les Anglois donnoient le nom de Fée tail aux Fiefs dont l'aîné héritoit seul.
[196] On emploie dans cette Chartre le nom de Bénéfice, parce que les Bénéfices Laïcs, comme les Biens aumônés aux Eglises, ne pouvoient originairement être aliénés à perpétuité, & qu'on désignoit les uns & les autres par le même nom: nom que les Biens Ecclésiastiques ont conservé, même après qu'ils ont été distingués des Bénéfices Laïcs, par le privilége accordé à ceux-ci de pouvoir être cédés à titre patrimonial & héréditaire. Voyez Formul. 6. de Marculph. L. 2, & ibid. 1er. Form.
Cet usage de rappeller le Possesseur aux conditions qu'il avoit agréées en acceptant le fonds, se concilioit parfaitement avec les motifs qui avoient donné l'être aux Fiefs.
Charlemagne ayant, ainsi que je l'ai déjà dit, commencé vers la fin du huitieme siecle à accorder des Bénéfices à quelques hommes libres, leur permit à tous en 806, de se recommander pour en obtenir. Le Traité de Mersen, comme je l'ai aussi observé, dans la vue de rétablir les Seigneurs dans le droit de Jurisdiction qu'ils avoient exercé sur tous les hommes libres au commencement de la Monarchie, permit en 847 à ceux-ci de soumettre leurs Aleux ou à la Jurisdiction du Roi, ou à celle des Seigneurs; mais cette Constitution n'ayant pas rempli les vues des Seigneurs, ils parvinrent, en 877, à obtenir de Charles le Chauve une Loi qui rendit tous les Bénéfices de dignité héréditaires. Dès lors les Seigneurs purent donner à perpétuité les fonds du fisc attachés à leurs Bénéfices, ou ne les donner qu'à vie, ou en limiter la succession à la ligne des mâles, ou enfin inféoder à des conditions plus ou moins avantageuses, selon les dispositions de ceux qui s'y assujettissoient. Telle est la source de cette variété infinie qu'on trouve entre les redevances stipulées dans les Chartres des dix & onzieme siecles. Ainsi les grands Bénéfices devenus héréditaires, les Fiefs provenus d'Aleux & assujettis aux Seigneurs par l'hommage seulement, ou ceux qu'ils donnerent à perpétuité suivirent tous, quant à la maniere d'y succéder, la Loi Salique, qui avoit toujours réglé la succession aux Aleux.[197] Quant aux autres Fiefs, l'ordre de leur succession dépendit des conventions faites lorsqu'on les avoit obtenus; ceci conduit naturellement à observer une différence bien essentielle entre les Bénéfices & les Fiefs. Les Bénéfices ont été tous amovibles, ou tous viagers dans le même-temps, ou tous dans le même-temps héréditaires;[198] au lieu que les Fiefs ont été en même-temps les uns patrimoniaux, les autres bornés & restraints quant à l'hérédité: d'où il faut conclure que si on partoit des regles établies à l'égard des Bénéfices, comme si elles étoient relatives aux Fiefs, pour rendre raison de certains évenemens de l'Histoire ou de la Jurisprudence des neuf ou dixieme siecles, on attribueroit souvent à ces évenemens des causes ou des motifs qui leur seroient absolument étrangers. Il n'y a cependant pas un seul des Auteurs qui ait traité des Fiefs, auquel on ne puisse reprocher cette faute, j'aurai plus d'une occasion d'en convaincre.
[197] On ne s'est écarté de la Loi Salique, comme je l'ai dit dans ma Remarque sur la Sect. 3, qu'à l'égard du retour du Fief patrimonial aux ascendans; aussi cela a-t'il été réformé dans la suite.
[198] Dans les premiers temps plusieurs Fiefs étoient aliénés a perpétuité, mais c'étoient des cas particuliers; les Fiefs en général conservoient toujours leur propre nature. M. de Montesquieu, Espr. des Loix, L. 31, c. 28, pag. 193, L. 31. Cet Auteur, sous le nom de Fiefs, parle ici des Bénéfices. Dans des temps où la puissance des Seigneurs étoit redoutée du Souverain, il n'avoit garde de les traiter inégalement, c'est-à-dire, de donner à l'un à vie ce qu'il auroit accordé en propriété à d'autres. Au lieu que les Seigneurs en inféodant ne risquoient rien à différencier les conditions. Un vassal auquel ils donnoient à vie ou à temps étoit toujours plus avantagé qu'un homme libre, qui, en faisant convertir son Aleu en Fief, n'en conservoit l'hérédité qu'en cessant d'être libre.
En prenant Littleton pour guide, on est à l'abri d'une semblable méprise.
Si la France se trouve divisée en une infinité de petites Seigneuries après le regne de Charles le Chauve; si chacune de ces Seigneuries a sa Cour particuliere; si les Rois se privoient d'y envoyer des Commissaires pour examiner comment on y jugeoit; si les établissemens de S. Louis ne furent point adoptés par les Seigneurs; si, en un mot, il n'y avoit point alors deux Seigneuries gouvernées par la même loi,[199] on n'a pas besoin, pour découvrir le motif de tout cela, de recourir ni aux divers évenemens des combats judiciaires, ni à la diversité des usages produits par le mélange des Loix personnelles avec les Loix territoriales.[200] En consultant Littleton, on apperçoit tout d'un coup, 1o. Que chaque Seigneur étant maître de la condition du Vassal, auquel il accordoit en Fief une partie de son domaine, ce Seigneur étoit nécessité d'avoir un dépôt particulier du titre de l'inféodation, dont l'accès fût toujours libre au Vassal: 2o. Que les conditions une fois agréées par le Seigneur & par le Vassal, elles devenoient une Loi que les Missi dominici n'auroient pu régulierement ni réformer ni contredire: 3o. Que les établissemens de S. Louis contenant des maximes générales, il y auroit eu une injustice criante à s'en servir pour prononcer sur des conditions, que par des vues particulieres, & pour leur profit réciproque le Seigneur & le Vassal s'étoient volontairement & respectivement imposées.