Anciennes loix des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par Littleton, Vol. I
[518] Rouillé, c. 30.
L'effet du parage a suivi les variations qu'a éprouvée la prohibition de contracter mariage dans certains dégrés de parenté.
Sous les premiers Empereurs Chrétiens, elle se bornoit en ligne collatérale au quatrieme dégré; elle ne s'étendit point, en France, au-delà avant le onzieme siecle, temps auquel l'usage s'introduisit de ne plus contracter mariage qu'après le septieme dégré. Le Concile de Latran, tenu sous Innocent III, rétablit l'ancienne regle,[519] dont les Ducs de Normandie ne s'étoient point écartés.[520] Mais on ne conçoit pas comment le Rédacteur de l'ancien Coutumier, qui écrivoit après ce Concile, ne s'y est pas conformé.[521]
[519] Canon 50, ce Concile fut tenu en 1215. Et Vanesp. Part. 2, tit. 13, Sect. 15.
[520] Glanville, L. 7, c. 18.
[521] Tenure par Parage est cil qu'il tient & cil de qu'il tient doivent par raison de lignage être pers ès parties de l'héritage qui descend de leurs ancesseurs; en cette maniere tient le puiné de l'aîné jusques à ce qu'il vienne au sixte dégré du lignage, mais d'illec en avant sont tenus les puinés faire féaulte a l'aîné, & en septieme dégré & d'illec en avant sera tenu par homage ce qui devant étoit tenu par Parage. Anc. Cout. chap. 30.
SECTION 139.
Et si un Abbe tient de son Seignior en frankalmoigne, & Labbe & le Covent south lour common seale alien mesmes les tenements a un seculer home en fee simple, en ceo cas le seculer home ferra fealtie a le Seignior, pur ceo que il ne poit tener de son Seignior en frankalmoigne. (a) Car si le Seignior ne doit avoir de luy fealtie, donque il avera nul maner de service, que serroit inconvenient, ou il est Seignior, & le tenement est tenus de luy.
SECTION 139.—TRADUCTION.
Si un Abbé tenant des terres d'un Seigneur en pure aumône, le Monastere ou l'Abbé en ont fait sous leur sceau ordinaire un acte de cession au profit d'un laïc, à titre de Fief simple, en ce cas l'acquereur fera féauté au Seigneur, parce que ce laïc ne peut tenir en pure aumône; car si le Seigneur n'avoit pas de lui la féauté, il n'auroit aucune espece de service, ce qui anéantiroit la mouvance.
REMARQUE.
(a) Il ne poit tener en frankalmoigne.
On a longtemps douté[522] si des fonds, donnés à une Communauté Ecclésiastique à pure aumône rentrant en la possession de laïcs, conservoient leur privilége; ce texte ne laisse plus subsister de doute à cet égard.
[522] Basnage, 1er vol. pag. 193.
SECTION 140.
Item, si home graunta a cel jour a un Abbe ou a un Prior terres ou tenements en frankalmoigne, ceux parolx (frankalmoigne) sont voids, pur ceo que il est ordeine per lestatute que est appelle, quia emptores terrarum (que lestatut fuit fait), anno 18 Ed. I. (a) que nul poit aliener ne graunter terres ou tenements en fee simple, a tener de luy mesme. Issint si home seisie de certain tenements queux il tient de son Seignior per service de Chivaler, & a cel jour il, &c. graunta per licence (b) mesmes les tenements a un Abbe, &c. en frankalmoigne, Labbe tiendra immediatement mesmes les tenements per service de Chivaler de mesme le Seignior de que son grauntor tenoit, & ne tiendra my de son grant en frankalmoigne, per cause de mesme lestatute, issint que nul poit tener en frankalmoigne, si non que soit per title de prescription, ou per force de graunt fait a ascun de ses predecessors, devant que mesme le statute fuit fait Mes le Roy poit donner terres ou tenements en fee simple, a tener en frankalmoigne, ou per auters services, car il est hors de cas del estatute.
SECTION 140.—TRADUCTION.
Si un tenant donne à un Abbé ou Prieur ses tenemens en pure aumône, ces termes pure aumône sont nuls; parce que, selon le Statut, quia emptores, de la 28e année du regne d'Edouard premier, personne ne peut aliéner ni donner les terres qu'il tient lui-même par inféodation, à la charge de les relever de lui directement. Ainsi qu'un propriétaire d'un Fief par service de Chevalier donne, même avec permission de son Seigneur, sa terre à un Abbé, cet Abbé tiendra immédiatement du Seigneur par service de Chevalier, & il ne le tiendra pas à pure aumône du donateur, attendu que depuis ledit Statut il ne peut y avoir de tenure en pure aumône que par prescription ou par un titre exprès & antérieur au Statut; cependant le Roi peut donner des terres en Fief simple avec faculté de les tenir en franche-aumône ou par autres services, car le Roi est de droit excepté des dispositions du Statut.
ANCIEN COUTUMIER.
Et pour ce l'en doit savoir que pour ce que le Duc a sa Justice & sa droiture par-tout son Duché, ès terres sur tous ses soumis, luy seul peut faire les omosnes franches & pures. Ch. 32.
L'en doit savoir qu'aulcun ne peut en Normandie faire de son Fief lay pure omosne sans l'ottroy & spécial assentement du Prince; car le Prince a sa Jurisdiction & Seigneurie sur tous les Fiefs lays de Normandie, & tous les Fiefs qui par 30 ans ont été tenus comme omosne doivent estre tenus pour omosne, ibid, Ch. 115.
REMARQUES.
(a) Edouard I.
Cet Edouard est le quatrieme du nom, le premier issu des Comtes d'Anjou.
(b) Per licence, &c.
Les Sous-feudataires n'avoient donc pas le droit d'amortir les terres démembrées de leur Fief, & à plus forte raison le Suserain ne pouvoit accorder cet amortissement sans le consentement du Roi.
L'Amortissement est un droit essentiellement inhérant à la Souveraineté dont quelques Seigneurs n'ont pu jouir que par usurpation.
Quoique ce mot d'amortissement désigne assez clairement la signification qu'on doit lui donner,[523] quant à son effet; il n'indique cependant pas l'origine de ce droit.
[523] Continuat. de l'Hist. de Franc. par M. de Villaret, 1er vol. ann. 1378.
Cette origine est aussi ancienne que la Monarchie Françoise. Philippe le Hardi a pu être le premier qui ait fait acheter le droit d'amortissement aux Ecclésiastiques; mais tous les Rois ses prédécesseurs l'avoient exercé sans contradiction. Le célebre Jérôme Bignon, dans ses Notes sur la Formule troisieme du premier Livre de Marculphe, prouve ceci par les autorités les plus péremptoires; il fait voir que les Eglises ne jouissoient des terres fiscales que les Sujets leur avoient données qu'en vertu de la permission que le Prince leur avoit accordée de les posséder, immunitate concessâ.[524] Les Evêques étoient si intimement convaincus de la nécessité du recours au Roi pour légitimer leurs possessions, qu'ils ne manquoient jamais, après les avoir acceptées, de lui en demander la confirmation;[525] & dans l'acte qui contenoit leur agrément, nos Rois usoient de telles restrictions ou modifications qu'il leur plaisoit.[526]
[524] Premier Conc. d'Orl. Can. 7.
[525] Form. Marculph. L. 1, c. 35. Appendix. Annal. Bened. tom. 2.
[526] Thomass. Discip. Ecclés. L. 1, part. 3, c. 35.
Ces graces de la part de nos Souverains, par le laps du temps, se multiplierent au point que les Seigneurs, devenus propriétaires de leurs Bénéfices ou qui possédoient des Aleux érigés en Fiefs, & qui ne relevoient que du Roi, craignirent qu'une famille qui ne pouvoit jamais périr,[527] qui recevoit ou acquéroit toujours, & jamais ne vendoit,[528] n'absorbât insensiblement les fonds qu'ils avoient sous-inféodés, & ne parvînt par-là à les priver des profits résultans du violement des devoirs qu'ils avoient imposés à leurs vassaux, & ils établirent le droit connu maintenant parmi nous sous le nom d'indemnité.
[527] Montesq. Espr. des Loix, tom. 3, L. 25, c. 5, pag. 172.
[528] Rouillé, Anc. Cout. c. 115.
SECTION 141.
Et nota que nul poit tener terres ou tenements en frankalmoigne, forsprise del grantor ou de ses heires. Et pur ceo il est dit, que si soit Seignior, mesne & tenant, & le tenant est un Abbe que tient de sou mesne en frankalmoigne, si le mesne devy sans heire, donque le mesnaltie deviendra per escheate al dit Seignior paramount, & Labbe adonque tient de luy immediate per fealtie tantum, & ferra a luy fealty, pur ceo que il ne puit tener de luy en frankalmoigne, &c. (a)
SECTION 141.—TRADUCTION.
L'on ne peut tenir en pure aumône que de son donateur ou de ses hoirs, & c'est par cette raison que lorsqu'il y a en même-temps un Seigneur d'une terre, un Propriétaire & un Tenant de cette même terre, & que le tenant est un Abbé qui tient du Propriétaire en pure aumône; si le Propriétaire meurt sans enfans, la propriété retournante au Seigneur suzerain à titre de deshérance, l'Abbé tient dès-lors du Suzerain immédiatement par féauté, parce qu'il ne peut pas tenir de ce Seigneur en franche-aumône la terre au droit de son donateur qui ne la possédoit pas à ce titre.
REMARQUE.
(a) En frankalmoigne.
La maxime contenue en ce texte ne se rapporte qu'aux tenures antérieures au Statut d'Edouard premier, & qui sont dans l'exception portée par la Section précédente.
SECTION 142.
Et nota que lou tiel home de religion tient ses tenements de son Seignior en frankalmoigne, son Seignior est tenus per la ley de luy acquiter (a) de chescun manner de service, que ascun Seignior paramount de luy voet aver ou demander de mesmes les tenements, & sil ne luy acquita pas, mes suffra luy destre distraine, &c. donque il avera envers son Seignior un Briefe de mesne, (b) & recovera envers luy ses dammages & ses costes de son suit, &c.
SECTION 142.—TRADUCTION.
Lorsqu'un Abbé tient d'un Seigneur en franche-aumône, ce Seigneur est obligé de l'acquitter de tous services envers son Suzerain, & s'il ne l'acquitte pas, ou si l'Abbé par la négligence de ce Seigneur est exposé à la réunion ou à la saisie des fonds qui lui ont été donnés, il a le droit d'obtenir un Bref de moyen, autrement appellé Breve de medio, en vertu duquel il peut recourir contre son donateur pour ses dommages & dépens.
REMARQUES.
(a) Est tenus per la ley de luy acquiter.
Littleton distingue trois sortes de cas où le possesseur d'un fonds doit être acquitté de tous services par son donateur ou son vendeur; il parle en divers endroits de l'acquittement d'action & de prescription; mais ici il est question de l'acquittement de tenure, & l'acquittement de cette espece a lieu en la tenure par franc-mariage, en celle du douaire, & en la tenure en pure aumône.
(b) Briefe de mesne.
Ce Bref s'appelloit Breve de medio, par allusion à ce qu'il s'obtenoit contre celui qui étoit entre le suzerain & le possesseur. La forme de prononcer sur ce Bref étoit ainsi conçue:
Quod T..... (medius) amittat servitia de A..... (tenente) de tenementis prædictis, & quod omisso T..... R..... præfactus dominus capitalis modo sit attendens & respondens per eadem servitia per quæ T..... tenuit.
C'étoit aussi une maxime en Normandie, qu'en tous les cas où le Seigneur manquoit à la protection due à son vassal, celui-ci cessoit de relever de lui, & tenoit son Fief nuement du Seigneur qui étoit par-dessus, & faisoit audit Chef Seigneur ce que son Seigneur immédiat lui en faisoit.[529]
[529] Anc. Cout. ch. 84.
CHAPITRE VII. D'HOMMAGE D'ANCÊTRES.
SECTION 143.
Tenure per homage ancestrell est, lou un tenant tient sa terre de son Seignior per homage, & mesme le tenaunt & ses auncesters que heire il est ont tenus mesme le terre del dit Seignior, & de ses Auncestors que heire le Seigniour est, de temps dont memorie ne court, per homage, & ont fait a eux homage. Et ceo est appel Homage Auncestrel, per cause de continuance que ad este per title de prescription (a) en le tenancie en le sanke le tenuant, & auxy en le Seigniorie en le sanke le Seignior. Et tiel service de Homage Auncestrel trait luy garrantie, cest ascavoir, que le Seignior que est en vie & ad receive le homage de tiel tenant, doit garranter son tenant quant il est implede de la terre tenus de luy per Homage Auncestrel.
SECTION 143.—TRADUCTION.
Tenure par Hommage d'Ancêtres a lieu quand un vassal tient d'un Seigneur sa terre par hommage, & lorsque ce vassal & ses ancêtres, dont cette terre lui est échue, en ont de temps immémorial dû & fait hommage à ce Seigneur & à ses Ancêtres. On appelle cette tenure, tenure par Hommage d'Ancêtres, parce qu'elle s'est perpétuée sans autre titre que celui de prescription dans la famille des Seigneurs & celle des vassaux; or ce service d'Hommage d'Ancêtres oblige le Seigneur qui le reçoit a garantir son vassal de tous troubles faits à sa possession.
REMARQUE.
(a) Que ad este per title de prescription.
Suivant la Section 19, celui qui avoit en franc-mariage une terre étoit exempt de tous services jusqu'au 4e dégré. Ce dégré arrivé, il étoit dû pour cette terre les mêmes services auxquels ceux qui en avoient fait don en franc-mariage avoient toujours été obligés. Tant que le franc-mariage duroit, le donateur recevoit du donataire la féauté; mais si avant le temps de l'expiration du franc-mariage le donataire de ce privilége succédoit au Fief, le Seigneur n'avoit d'autre titre pour exiger de lui l'hommage, que la prestation qui lui en avoit été faite par le donateur du franc-mariage & ses successeurs. Or c'est parce que le Seigneur n'avoit rien du fait du tenant en franc-mariage pour l'assujettir à l'hommage, que la Loi Angloise appelle la tenure du vassal, après l'expiration du franc-mariage, tenure par prescription.
SECTION 144.
Et auxy tiel service per homage auncestrel trait a luy acquitall, scavoir, que le Seignior doit acquieter le tenant envers touts auters Seigniors paramont luy de chescun manner de service.
SECTION 144.—TRADUCTION.
Et aussi le service d'Hommage d'Ancêtres entraîne après lui l'obligation pour le Seigneur d'acquitter son vassal de tous services envers le Seigneur suzerain.
SECTION 145.
Et il est dit, que si tiel tenant soit empled per un Præcipe quod reddat, &c. (a) & il vouche a garrantie son Seignior que vient eins per proces, & demanda del tenant que il ad de luy lier a garranty, & il monster coment il & ses auncestors que heire il est, ount tenus sa terre del vouchee & de ses auncesters, de temps dont memorie ne curt. Et si l' Seignior que est vouche ne avoit resceive pas homage del tenant ne dascun de ses auncesters, le Seignior (sil voit) poit disclaimer en le Seigniory, & issint ouste le tenant de son garranty. Mes si le Seignior que est vouche ad receive homage de le tenant ou de ascun de ses auncesters, donques il ne disclaimera, mes il est oblige per la ley de garranter le tenant, & donque si le tenant perd sa terre en default del vouchee, il recovera en value envers le vouchee de terres & tenements que le vouchee avoit al temps de le voucher, ou unques puis.
SECTION 145.—TRADUCTION.
Si un tenant par Hommage d'Ancêtres est troublé par un Bref, de præcipe quod reddat, &c. & s'il appelle son Seigneur en garantie, dans le cas où ce Seigneur demande en Jugement, à celui qui le force de comparoître, la preuve de ce qu'il lui doit, cette garantie, & que ce dernier ne puisse établir que ses ancêtres ayent fait hommage à ceux de ce Seigneur; le Seigneur peut déclarer, s'il veut, qu'il renonce à la Seigneurie, & dès-lors il cesse d'être garant. Mais si le vassal prouve que ses ancêtres ont fait hommage, la Loi oblige le Seigneur à garantir ce vassal; & si le tenant perd sa terre par le défaut de cette garantie, il aura recours sur son Seigneur de la valeur de cette terre sur le pied de son prix au temps de l'introduction de l'action en garantie.
ANCIEN COUTUMIER.
Garant peut estre appellé en deux manieres, ou comme défenseur qui est tenu à garantir le Fief, ou comme aisné du Fief de qui on doit pléder principalement. Ch. 50.
REMARQUES.
(a) Præcipe quod reddat.
Les Brefs étoient tous adressés aux Juges des fonds litigieux au nom du Roi, c'est pourquoi ils commençoient par ces mots, præcipe; les uns enjoignoient de faire telle chose, de permettre ou d'empêcher telle autre; quelques-uns avoient pour objet de faire restituer, & il y en avoit pour remettre en possession, ou pour faire cesser les possessions injustes. Præcipe quod faciat, præcipe quod reddat, præcipe quod permittat, præcipe quod non permittat, &c. L'ancien Coutumier de Normandie, Chapitre 93, donne un modèle du Bref dont il est parlé en cette Section.
Commande à R..... qu'à droit & sans délai il ressaisisse T..... d'une terre qui est assise en la Paroisse de Marbœuf, dont il a dessaisi à tort & sans jugement le dernier Aoust devant cestui; & s'il ne le fait, semond le recognoissant du voisiné qu'il soit aux premieres assises de la Baillie, & fais dedans ce veoir la terre, & être la chose en paix.
Ce Bref étoit envoyé au Sergent de l'épée, qui assignoit le plaintif & l'accusé pour se trouver sur le lieu, objet du litige; vingt hommes voisins du fonds & sans reproches, faisoient la vue, c'est-à-dire, examinoient, après que le Sergent leur avoit lu le Bref, l'etendue & la situation de ce fonds, l'espece & l'état de sa culture, & étoient témoins que le Sergent en faisoit le sequestre en la main du Roi. Durant la contestation, si l'une des parties faisoit quelqu'acte de possession sur la terre sequestrée, on la condamnoit à une amende.
Au jour donné pour la visite ou vue de cette terre, quand une des parties ne comparoissoit pas, ou ne faisoit point proposer d'excuse, on la réassignoit à une autre assise que celle indiquée par le Bref; & au cas d'un second défaut, la visite se faisoit comme si la partie défaillante eût été présente.
La visite se faisoit ou le matin, ou à primes, ou à nones, ou aux vêpres; quand on devoit y procéder le matin, le Sergent, les témoins & les parties devoient se trouver au lieu désigné au Soleil levant, & s'attendre réciproquement jusqu'à primes. Si l'heure étoit donnée pour primes, on différoit la visite jusqu'à nones, de nones le délai étoit jusqu'aux vêpres, c'est-à-dire, jusqu'à la moitié du temps qui est depuis midi jusqu'au Soleil couchant, instant qui terminoit le délai de la visite annoncée pour vêpres.[530]
[530] Anc. Cout. ch. 94.
Lorsque le défendeur comparoissoit, le plaintif lui indiquoit les bornes de la terre qu'il reclamoit, & le défendeur avoit la faculté d'empêcher le sequestre en la main du Roi, en consentant que son adversaire en jouît pendant le litige.
Le jour de l'assise, on donnoit de nouveau lecture du Bref, & le Juge ayant ensuite demandé aux parties si elles reconnoissoient que l'objet de la difficulté y fût bien exposé, sur leur réponse affirmative on appelloit les témoins de la visite, & chacun d'eux prêtoit serment en ces termes: Oyez, Sire Bailly, que je vous dirai vérité, de cette querelle ne pour rien ne laisserai, ainsi m'ayent Dieu & les Saints.
De ce moment personne ne pouvoit plus parler, ni en particulier, ni en public, à ces témoins. Le Juge, après avoir interrogé chacun d'eux séparément, maintenoit, dans la propriété ou jouissance de la terre, celle des parties dont la justice de la prétention se trouvoit prouvée par les dépositions.
Toutes querelles pour Fiefs se poursuivoient & se décidoient à peu près de la même maniere en Normandie. Le combat judiciaire, dont j'aurai lieu de parler dans la suite, n'étoit en usage que pour les plaintes en crimes, comme meurtres.
On n'y pratiquoit point l'Ordalie[531] avant la conquête de l'Angleterre par le Duc Guillaume. Raoul fit, il est vrai, subir, au commencement de son regne, l'épreuve du fer chaud à la femme d'un paysan de Longueville; mais sous les regnes de ses Successeurs, on ne trouve point un seul exemple de cette superstitieuse procédure pour la décision des contestations nées entre Laïcs.[532]
[531] La preuve s'en tire du 62e art. des Loix de Guillaume, rapportées par Selden dans ses Notes sur Eadmer; un Anglois peut se défendre par l'épreuve du fer, & le François par le serment.
SECTION 146.
Et est ascavoir, que en chescun cas ou le Seignior poit disclaimer en son Seigniorie per la Ley, & de ceo voit disclaimer en Court de Record (a), son Seigniorie est extinct, & le tenant tiendra del Seignior procheine paramont le Seignior que issint disclaime. Mes si un Abbe ou Prior soit vouch per force de Homage Auncestrell, &c. comment que il ne unque prist homage, &c. uncore il ne poit disclaimer en tiel cas, ne en nul auter cas, car ils ne poient anienter ou divester chose de fee que ad este vestue en lour meason.
SECTION 146.—TRADUCTION.
Dans tous les cas où un Seigneur peut renoncer par la Loi à sa Seigneurie, si cette renonciation est faite en Cour de Record, le vassal est délié de toute obligation envers lui, & il ne tient plus à l'avenir que du Suserain d'où relevoit son Seigneur immédiat. Mais si un Abbé ou Prieur sont appellés en garantie en vertu de l'hommage des ancêtres de leur vassal, ils ne peuvent renoncer ni en ce cas ni en d'autres, parce qu'il ne leur est pas permis d'anéantir ou de dénaturer les appartenances des Fiefs dépendans de leurs Monasteres.
REMARQUES.
(a) Court de Record.
Cette Court étoit l'audience que le Roi, l'Echiquier, l'Assise tenoient pour donner aux actes une autenticité qui ne permît pas d'en suspecter les causes & les conditions.
Si l'acte étoit passé devant le Roi seul, on pouvoit en demander le record, parce que n'étoit pas chose avenante que le record au Prince seul fût demandé.[533]
[533] Anc. Cout. ch. 102, & Rouillé, sur le dern. art.
Mais si le Prince avoit été assisté de quelqu'un lors de la certification de l'acte, quoiqu'il eût le pouvoir de refuser le record, cependant il l'accordoit ordinairement; & alors le Roi & l'assistance suffisoient pour recorder ce qui avoit été convenu ou arrêté.[534] Quand le Roi ne vouloit pas faire le record lui-même, il falloit trois Juges pour lui suppléer. Il en étoit autrement à l'égard des records d'actes auxquels le Prince n'avoit pas été présent. Les Juges recordeurs devoient, en ce cas, être au nombre de sept,[535] & il étoit permis de les reprocher: reproches auxquels n'étoient point exposés les Juges qui avoient assisté le Roi, puisqu'ils n'étoient pas même obligés au serment en se recordant.
[534] Ibid, ch. 102. Rouillé, sur le même ch.
[535] Ibid, ch. 104.
Le record ne se pratiquoit point dans les matieres plaidables, mais uniquement en celles où il n'étoit question que de constater un fait;[536] & lorsqu'après ce fait constaté, on le contestoit encore, Le Roi, les Archevêques, Evêques, Abbés, Prieurs, Comtes, Barons, Chevaliers, les principaux Justiciers de la Province, les Vicomtes, les Sergens de l'Epée, en un mot, les personnes les mieux renommées pour leur bonne vie, sens & honnêteté, en nombre compétent, formoient la Cour du record. Un seul des Recordeurs, dont la déclaration étoit contraire à celle des autres, rendoit incertain le droit de celui qui avoit demandé le record. Dans l'espece proposée par notre Auteur, il indique donc le record en la Cour comme le seul moyen de rendre la renonciation du Seigneur irrévocable, parce qu'en effet, tout ce qui avoit rapport aux Fiefs s'y recordoit par quatre Chevaliers, & qu'on ne pouvoit les reprocher.[537]
[536] Anc. Cout. ch. 121.
[537] Record de vue de Fief doit estre fait par quatre Chevaliers ou telles personnes qui ne puissent estre ostées de Jugement ne de Record. Anc. Cout. ch. 121.
SECTION 147.
Item, si home que tient son terre per Homage Ancestrel alien, un auter en fee, le alienee ferra homage a son Seignior, mes il ne tient de son Seigniour per Homage Auncestrel, pur ceo que le tenancie ne fuit continue en le sanke de les auncesters lalienee, ne lalienee navera jammes garrantie de la terre de son Seignior, pur ceo que le continuance del tenancie en le tenant & a son sanke per lalienation est discontinue. Et sic vide, que si le tenant que tient la terre per homage ancestrell de son Seignior, alien en fee, coment que il reprist estate de lalienee arrere en fee, il tient la terre per homage, mes nemy per Homage Auncestrell.
SECTION 147.—TRADUCTION.
Si un tenant par Hommage d'Ancêtres cede sa terre à un autre à titre de Fief, celui-ci fera hommage au Cessionnaire de la terre, mais sa tenure ne sera point par Hommage d'Ancêtres, puisque c'est par vente, & non par le sang qu'elle lui a été transmise, & par cette raison l'acquereur de la terre n'aura point d'action en garantie contre son Seigneur. Il y a plus, si le tenant par Hommage d'Ancêtres, après avoir aliéné sa terre, la reprend de l'acquereur, il ne tiendra pas cette terre par hommage d'ancêtres, mais par hommage ordinaire.
SECTION 148.
Item, il est dit, que si home tient sa terre de son Seignior per homage & fealty, & il ad fait homage & fealty a son Seignior, & le Seignior ad issue fits, & devy, & le Seigniory discendist a le fits, en ceo cas le tenant que fist homage al pere ne ferra homage al fits, pur ceo que quant un tenant ad fait un foits homage a son Seignior il est excuse pur terme de sa vie de faire homage a ascun auter heire del Seignior, mes uncore il ferra fealtie al fits & heire le Seignior, coment que il fist fealty a son pere.
SECTION 148.—TRADUCTION.
Si un tenant par hommage & féauté ayant fait ce double service à son Seigneur, celui-ci décede, & laisse un fils; le tenant qui a fait hommage au pere ne le fera point au fils; car on ne doit l'hommage qu'une fois en sa vie. Il n'en est pas de même de la féauté, elle est due au Seigneur, & à chacun de ses successeurs.
SECTION 149.
Item, si le Seignior apres l'homage a luy fait per son tenant grant le service de son tenant per le fait a un auter en fee, & le tenant atturna,[538] &c. donque le tenant ne serra my compel de faire homage, mes il ferra fealty, coment que il fist fealtie devant a le grauntor. Car fealty est incident a chescun atturnement del tenant, quant le Seigniory est graunt. Mes si ascun home soit seisie dun mannor, & un auter home tient de luy la terre come del mannor avantdit per homage, le quel tenant ad fait homage a son Seignior que est seisie del mannor, si apres un estrange port Præcipe quod reddat envers le Seignior del mannor, & recovera le mannor envers luy, & suist execution, en cest case le tenant ferra auterfoits homage a celuy que recovera le manor coment que il fist homage devant, pur ceo que lestat celuy que receivoit le primer homage, est defeate per l' recovery, & ne girra en le bouche le tenant a fauxer ou defeater le recoverie que fuit envers son Seignior, Et sic vide diversitatem, en ceo case lou home vient a le Seigniory per recovery, & lou il vient per discent ou per graunt al Seigniory.
[538] Ponit eum loco Senioris.
SECTION 149.—TRADUCTION.
Si un Seigneur après avoir reçu hommage de son vassal transporte le service de ce vassal à un autre à titre de fief, & si le vassal agrée ce transport, celui-ci ne fera pas hommage à son nouveau Seigneur, mais il lui fera féauté, parce que ce devoir a lieu dans tous transports de tenure.
Mais dans le cas où un tenant auroit fait hommage d'une terre à un Seigneur qui seroit ensuite privé de sa Seigneurie en vertu du Bref Præcipe quod reddat, ce tenant devroit, à celui qui auroit obtenu gain de cause sur le Bref, un nouvel hommage; parce que le Seigneur qui recouvre une Seigneurie prouve par-là que celui qu'il en dépouille n'y avoit aucun droit, & que l'hommage fait à ce dernier étoit nul.
Ainsi il y a une grande difference entre le Seigneur qui recouvre une Seigneurie par droit, & celui auquel un Seigneur la transporte volontairement. Dans ce dernier cas, le vassal peut refuser de reconnoître pour Seigneur le transportuaire: dans le premier cas, il ne doit reconnoître pour Seigneur que celui auquel la Seigneurie a été définitivement ajugée.
SECTION 150.
Item, si un tenant que doit per son tenure faire a son Seignior homage, vient a son Seignior, & dit a luy, Sir, jeo doy a vous faire homage pur les tenements que jeo teigne de vous, & jeo sue icy prist a vous faire homage pur mesmes les tenements, pur que jeo vous pry, que ore ceo voiles receiver de moy.
SECTION 150.—TRADUCTION.
Si un tenant qui doit hommage se présente au Seigneur, & lui dit: Je suis prêt de vous rendre ce devoir pour tous mes tenemens, je vous prie de le recevoir.
SECTION 151.
Et si le Seignior adonques refusa de ceo receiver, donque apres tiel refusal le Seignior ne poet distreiner le tenant pur le homage aderere devant que le Seignior requiroit le tenant de faire a luy homage, & tenant a ceo faire refusa.
SECTION 151.—TRADUCTION.
Le Seigneur refusant de recevoir l'hommage qui lui est offert, il ne peut plus déposséder son tenant, à moins qu'il n'exige l'hommage de nouveau, & que le tenant le refuse.
SECTION 152.
Item, home poit tener sa terre per Homage Auncestrel & per Escuage ou per auter service de Chivaler, auxybien sicome il poyt tener sa terre per Homage Ancestrel en Socage.
SECTION 152.—TRADUCTION.
On peut tenir par Hommage d'Ancêtres des Fiefs sujets à l'Escuage, au service de Chevalier, & même au Socage.
CHAPITRE VIII. DE GRANDE SERGENTERIE.
SECTION 153.
Tenure per graund Serjeantie est lou un home tient ses terres ou tenements de nostre Seignior l' Roy per tiels services que il doit en son prop person faire al Roy, come de porter l' banner de nostre Seignior le Roy, ou sa lance, ou de amesner son hoste, ou destre son Marshal, ou de porter son espee devant luy a son coronement, ou destre son Sewer a son coronement, ou son Carver, ou son Butler, ou destre un de ses Chamberlains, de le resceit de son Eschequer, ou de faire auters tiels services, &c. Et la cause que tiel service est appell grand Serjeanty est, pur ceo que il est pluis grand & pluis digne service (a) que est le service en le tenure descuage. Car celuy que tyent per Escuage nest pas limite per sa tenure de faire ascun pluis special service que ascun auter que tyent per escuage doit faire. Mes celuy que tient per grand Serjeanty doit faire un especial service al Roy, que il tient per Escuage ne doit faire.
SECTION 153.—TRADUCTION.
Le tenant par grande Sergenterie releve du Roi, & doit au Roi des services personnels, comme de porter sa banniere, sa lance ou de conduire son armée, d'être son Maréchal, de porter devant lui son épée, d'être son Ecuyer d'armes lors de son couronnement, son Ecuyer tranchant, son Bouteiller, son Chambrier, le Trésorier de son Echiquier, &c. On appelle ces différens Offices grande Sergenterie, parce que Serjeantia est la même chose que Servitium, & que les services dûs personnellement au Roi sont plus honorables que les services d'Escuage, en ce que ceux-ci ne sont pas spécialement dûs au Roi, & que ceux qui tiennent par Escuage doivent tous le même service.
REMARQUES.
(a) Est pluis grand & pluis digne service, &c.
La grande Sergenterie est un Fief supérieur à l'Escuage, mais il ne n'est pas au Fief de Chevalier ou de Hautbert.
Si d'un côté la grande Sergenterie ne devoit pas comme le Fief de Chevalier, service à pleines armes, d'un autre côté le Fief d'Escuage étoit subordonné & incertain dans son service; au lieu que celui de grande Sergenterie ne pouvoit être tenu que par les devoirs spéciaux & constitutifs de sa dignité.
Il n'y avoit que le Roi qui eût des Sergens, suivant Littleton; leurs fonctions n'étoient pas toujours relatives au service militaire; ils étoient quelquefois chargés, comme sous nos premiers Rois, de régir les revenus, & de veiller à l'exécution des ordres du Souverain.
Sous Raoul, & les Ducs de Normandie descendus de ce Prince, la justice ne s'exerçoit qu'en leur nom; mais après l'extinction de sa postérité, & la réunion de la Normandie à la Couronne de France, le droit de Haute-Justice étant devenu une dépendance des grands Fiefs, outre les Sergens du Roi, établis pour l'exécution des Jugemens de la Cour du Roi, les Seigneurs érigerent des Sergenteries, les donnerent en Fief. Les Sergens du Roi ou de l'Epée, comme les appelle l'ancien Coutumier Normand, conserverent, pendant quelque-temps, une sorte de prééminence sur les Sergens des Seigneurs; mais insensiblement ceux dont les Sergenteries ne devoient que des services relatifs à la personne du Roi ou à la guerre, dédaignerent de porter un nom qui les confondoit avec ceux des Seigneurs, dont les fonctions étoient bornées à maintenir l'ordre dans leurs Jurisdictions, & ce nom ne désigna plus que ces derniers, qui ne devoient point de services militaires, & qui seuls subsistoient lors de la rédaction de l'Ancien Coutumier:[539] car dans ce Livre les services des Sergens sont détaillés & restrains à faire les vues, les semonces, les commandemens d'Assises, à faire tenir ce qui y avoit été jugé, à justicier à l'épee & aux armes tous malfaicteurs, les fuitifs; & il est observé[540] qu'ils furent principalement établis afin que ceux qui sont paisibles fussent par eux tenus en paix. Il n'étoit guere possible que des hommes habitués à vuider leurs querelles par les armes, ne conçussent pas une sorte de mépris pour les exécuteurs de Loix, dont ils n'avoient peut-être jamais bien compris ni la nécessité, ni les avantages. Les possesseurs des Sergenteries Seigneuriales ne s'acquitterent donc plus eux-mêmes, par ce préjugé, qu'avec répugnance de leurs fonctions; & s'en étant déchargés sur des particuliers, auxquels cependant ils ne transmettoient pas les priviléges du Fief dont ces fonctions dépendoient, ceux-ci acheverent d'avilir ces fonctions par la cupidité & l'indécence avec laquelle ils les exercerent.
[539] En Angleterre, dans le 14e siecle les Officiers qui donnoient les Assignations ne s'appelloient encore qu'Attournés. Stat. Robert III, Reg. Scot. c. 18.
[540] Ancien Cout. c. 5.
SECTION 154.
Item, si tenant que tient per Escuage morust son heire esteant de pleine age, sil tenoit per un fee de Chivaler, le heire ne paiera forsque cent sols pur reliefe, come est ordeine per l' statute de Magna Charta, cap. 2. Mes si celuy que tient de Roy per grand Serjeantie morust, son heire esteant de plein age, le heire payera al Roy pur reliefe le value de les terres ou tenements per an (ouster les charges & reprises) queux il tient del Roy per grand Serjeantie. Et est ascavoir, que Serjeantiaen Latin, idem est quod servitium, & sic Magna Serjeantia, idem est quod magnum servitium.
SECTION 154.—TRADUCTION.
Quand un tenant par Escuage meurt, & laisse un fils majeur, si sa tenure est d'un Fief de Chevalier, l'héritier ne paye que cent sols pour relief, comme le porte le chap. 2 de la grande Chartre; mais le tenant du Roi par grande Sergenterie décédant son fils majeur doit au Roi pour relief la valeur annuelle de sa terre outre les charges ordinaires de son inféodation.
SECTION 155.
Item, ceux que teignont per escuage doient faire lour service hors de Roialme, mes ceux que teignont per grand Serjeantie, pur le greinder part doient faire lour services deins le Roialme.
SECTION 155.—TRADUCTION.
Ceux qui tiennent par Escuage doivent faire leur service hors le Royaume. Les tenans par grande Sergenterie pour la plupart ne font le service que dans l'intérieur du Royaume.
SECTION 156.
Item, il est dit, que en le Marches de Scotland, ascunes teignont de Roy per Cornage, cest ascavoir, pur ventier un cornu, pur garner homes de pais quant ils oyent que le Scottes, ou auters enemies veignont ou voilent enter en Engleterre, quel service est graund Serjeanty. Mes si ascun tenant tient dascun auter Seignior que de Roy per tiel service de Cornage, ceo nest pas grand Serjeanty, mes est service de Chivaler, & trait a luy garde & marriage, car nul poit tener per grand Serjeanty, sinon de Roy tantsolement.
SECTION 156.—TRADUCTION.
Sur la frontière ou marches d'Ecosse plusieurs tiennent par Cornage; c'est-à-dire, à la charge d'avertir avec une corne les gens du pays de se tenir sur leurs gardes lorsque les Ecossois ou autres Ennemis paroissent pour entrer en Angleterre; ce service est de grande Sergenterie, à moins que celui qui en est chargé n'y ait été assujetti par un Seigneur particulier: car alors c'est un service de Chevalier qui est sujet au Droit de Garde, de Mariage, &c. Personne ne peut tenir, en effet, par grande Sergenterie que du Roi seulement.
SECTION 157.
Item, home poit veier Anno 11. H. 4. que Cokayne, adonque chiefe Baron deschequer, vient en le common bank, portant ovesques luy la copy dun recorde (a) in hæc verba; Talis tenet tantam terram de Domino rege per Serjeantiam, ad inveniendum unum hominem ad guerram ubicunque infra quatuor maria, &c. Et il demaunda sil fuit graund Serjeantie ou petit Serjeantie. Et Hanke, adonques disoit, que il fuit graunde Serjeantie, pur ceo que il ad service a faire per corps dun home, & sil ne purra trover nul home a faire l' service pur luy, il mesme doit faire. Quod alii Justiciarii concesserunt. (Cokaine.) Donque doit le tenant en ceo cas paier reliefe al value del terre per an. Ad quod non fuit responsum.
SECTION 157.—TRADUCTION.
On peut voir dans les Records de la 11e année du regne de Henri IV, que Cokaine, premier Baron de l'Echiquier, vint en la Cour du Commun Banc, portant avec lui la copie d'un ancien Record conçu en ces termes: Talis tenet tantam terram de Domino rege per Serjeantiam ad inveniendum unum hominem ad guerram ubicunque infra quatuor maria, &c. Et il demanda si ce service étoit de grande ou de petite Sergenterie; & Hanke dit que c'étoit grande Sergenterie, parce que le service étoit tellement personnel que celui qui le devoit seroit obligé, à défaut d'hommes, d'aller lui-même à l'armée, & cet avis fut adopté par tous les autres Justiciers; d'où Cokaine tira cette conséquence, que le service dont il s'agissoit devoit pour relief une année du revenu de sa terre; mais on ne décida rien à cet égard.
REMARQUES.
(a) Recorde.
Il n'appartenoit naturellement qu'à la Cour du Prince de faire les records d'actes, de droits, de Jugemens. Mais le Prince accordoit quelquefois aux Cours subalternes ce privilége. En ce cas il falloit une commission du Souverain; commission qui ne s'exécutoit qu'en présence de l'un de ses Justiciers.[541] Lorsqu'après avoir, faute de preuves d'un crime, remis au duel la décision d'une cause, & que la bataille avoit été gagnée entre les contendans, il s'élevoit quelque doute sur les termes dans lesquels la demande & la défense avoient été conçues, le Record appartenoit à la Cour du Roi.[542] Mais si, après la bataille il y avoit difficulté sur ce qui avoit été prononcé, le Record s'en faisoit ordinairement en la Cour où le duel avoit été gagé, à moins que toute la Cour ne fût récusée; car alors l'Assise du Roi pouvoit seule prononcer sur la récusation.
Cette Section ne parle que d'un Record sur un droit à l'égard duquel il n'y avoit point encore de Loi, & la Cour du Roi étoit seule compétente de faire des Loix ou de les interpréter par le record des Juges qui la composoient, & qui[543] en avoient ordonné l'exécution.
[541] Reg. Maj. L. 3, c. 23.
[542] Ibid.
[543] Ibid. L. 3, c. 24.
SECTION 158.
Et nota que touts que teignont de Roy per grand Serjeanty, teignont de Roy per service de Chivalrie, & le Roy pur ceo avera garde, mariage, & reliefe, mes le Roy navera de eux Escuage, sils ne teignont de luy per Escuage.
SECTION 158.—TRADUCTION.
Tous ceux qui tiennent du Roi par grande Sergenterie tiennent du Roi par service de Chevalier, & doivent Garde, Mariage, Relief; mais le Roi ne peut lever sur eux le droit d'Escuage qu'autant qu'ils ont, outre leur Fief de grande Sergenterie, un Fief d'Escuage.
CHAPITRE IX. DE PETITE SERGENTERIE.
SECTION 159.
Tenure per petit Serjeanty est lou home tient sa terre de nostre Seignior le Roy, de render al Roy annualment un arke, ou un espee, ou un dagger, ou un cuttel, ou un launce, ou un paire de gants de ferre, ou un paire de spours dore, ou un sete, ou divers setes, ou de render auters tiels petit choses touchants le guerre.
SECTION 159.—TRADUCTION.
Celui qui tient du Roi par petite Sergenterie lui doit annuellement ou un arc ou une épée, ou un sabre ou un poignard, ou une lance ou une paire de gantelets de fer, ou des éperons d'or, ou une ou plusieurs fleches ou autres armes de médiocre valeur.
SECTION 160.
Et tiel service nest forsque Socage en effect, pur ceo que tiel tenant per son tenure ne doit aler ne fayre ascun chose en son proper person, touchant le guerre, mes de render & payer annualment certain choses al Roy, sicome home doit payer un rent.
SECTION 160.—TRADUCTION.
Et ces sortes de services ne sont, à proprement parler, que des services en Socage, puisqu'ils n'affectent point la personne, & n'obligent point au service militaire.
SECTION 161.
Et nota, que home ne poit tener per graund Serjeanty, ne per petit Serjeanty, sinon de Roy, &c.
SECTION 161.—TRADUCTION.
La petite Sergenterie, comme la grande, ne peut être tenue & mouvante que du Roi.
CHAPITRE X. DE TENURE EN BOURGAGE.
SECTION 162.
Tenure en Burgage est lou (a) antient Burgh est, de que l' Roy est Seignior, & ceux que ont tenements deins le Burgh teignont del Roy lour tenements que chescun tenant pur son tenement doit payer al Roy un certain rent per an, &c. & tiel tenure nest forsque tenure en Socage.
SECTION 162.—TRADUCTION.
Tenure en Bourgage s'entend d'une tenure de fonds situés en un ancien Bourg dont le Roi est Seigneur, & pour laquelle chaque tenant paye au Roi une rente annuelle. Or, une pareille tenure n'est autre chose qu'une tenure en Socage.
ANCIEN COUTUMIER. CHAPITRES XXXI & CXXV.
De tenure par Bourgage doibt l'en savoir qu'elles peuvent estre vendues & achetées comme meubles sans l'assentement aux Seigneurs, & les Coutumes doibvent estre payées selon les usages des Bourgs; & si doibt l'en savoir que les ventes faites d'aucuns héritages ou rentes ne doibvent estre rappellées par les hoirs ne par le lignage aux vendeurs, si dedans le jour naturel de l'Audience de la chose vendue la pétition n'en est faite devant Justice avec la monnoye du prix de la vente. Savoir, debvons que les femmes après la mort de leurs maris ont moitié des achapts qui sont faits en leur temps, & les sœurs y doibvent avoir semblable partie comme les freres, & si doibt-on savoir que tels tenements ne doibvent Relief ne Aides coutumiers.
REMARQUES.
(a) Burgage est lou, &c.
Presque tous ceux qui ont écrit du Droit Coutumier ont confondu le Bourgage, le Franc-Aleu, la Bourgeoisie; cependant ces différentes possessions n'ont ni la même origine, ni les mêmes prérogatives.
1o. Le Franc-Aleu pouvoit exister dans les Villes comme dans les campagnes; ce n'étoit point une tenure, parce qu'il ne devoit point son être à l'inféodation; il n'étoit sujet à aucun Seigneur ni à aucuns devoirs; il ne reconnoissoit que la Jurisdiction du Roi, avant que les Seigneurs eussent acquis le droit d'exercer cette Jurisdiction en son nom sur toutes les terres enclavées dans leurs Bénéfices.
2o. Le Bourgage au contraire désignoit, dans son principe, une tenure, & conséquemment relevoit féodalement d'un Seigneur à qui il payoit des rentes ou autres redevances indicatives de la vassalité.
3o. La Bourgeoisie étoit ou royale ou seigneuriale; elle ne consistoit que dans l'affranchissement de la personne des serfs ou villains d'une Seigneurie; & c'est à ces Bourgeoisies qu'on doit rapporter l'établissement des priviléges des Villes.
Comme j'ai expliqué plus haut ce que j'entends par Franc-Aleu, il ne me reste qu'à développer mon opinion sur l'origine de la Bourgeoisie & du Bourgage, & à rendre raison des caracteres qui leur sont propres.
DES BOURGEOISIES ROYALES.
Nos anciennes Loix nous représentent la France divisée en Comtés, & les hommes libres de chaque Comté rassemblés au nombre de cent familles pour former un Bourg, sous la conduite d'un Centenier. Cet établissement remonte au moins à la fin du sixieme siecle.[544] Les Centeniers étoient élus à la pluralité des voix par les habitans de chaque Bourg;[545] ils pouvoient juger, sans appel, toutes les causes qui n'emportoient ni la perte des biens, ni celle de la liberté ou de la vie;[546] ils étoient assistés en leurs Jugemens par des Echevins ou Sénateurs, c'est-à-dire, par les plus anciens & les plus expérimentés du Bourg.[547] Dans les causes que le Centenier & les Echevins ne pouvoient décider en dernier ressort, les Plaideurs étoient obligés, après le Jugement rendu, de déclarer s'ils consentoient l'exécuter, ou s'ils avoient dessein de le faire réformer; & jusqu'à ce qu'ils eussent pris l'un de ces deux partis, celui auquel le Jugement étoit contraire étoit détenu en prison.[548] On pouvoit faire recorder les Sentences des Echevins; mais lorsque le record n'étoit pas favorable à celui qui l'avoit demandé, il payoit une amende de quinze sols, ou recevoit quinze coups des Echevins qui avoient rendu la Sentence.[549] Ces derniers étoient, ainsi que les Avocats ou Notaires, choisis par les Commissaires du Roi, Missi Dominici.[550] Quand les Missi faisoient leurs tournées, les Comtes, Vicomtes, les Centeniers, & trois ou quatre des principaux Echevins, assistoient aux plaids qu'ils tenoient.[551] Enfin, dans quelques plaids supérieurs ou inférieurs que ce fût, les Bourgeois ou habitans d'un Bourg ne pouvoient être jugés que sur le témoignage de ceux qui vivoient sous la même Loi, c'est-à-dire, de leurs concitoyens, de leurs Pairs.[552] Tels étoient encore les droits des Bourgs ou Villes au temps de la cession de la Normandie faite au Duc Raoul, & Guillaume le Conquérant les communiqua aux Bourgs & aux Villes d'Angleterre, quand il se soumit ce Royaume.[553] C'est dans ces Loix que l'Ecosse les a puisées,[554] & elle en conserve encore le Code particulier qui en fut dressé dans le douzieme siecle.
[544] Espr. des Loix, Tom. 4, L. 30, c. 17. Capitul. 19, L. 4. L. 2, c. 28.
[545] Capitul. L. 3, c. 11.
[546] Ibid, L. 3, c. 79, & L. 4, c. 26.
[547] L. 2, c. 28, & L. 4, c. 5, ib. Not. Bignon, ad Formul. auth. incert. pag. 334.
[548] Capitul. L. 3, c. 7, ibid.
[549] Ibid, L. 3, c. 31.
[550] Ibid, L. 3, c. 33.
[551] Ibid, L. 2, c. 29. L. 4, c. 5.
[552] Capitul. L. 4, c. 19.
[553] On voit, il est vrai, dans les Loix d'Edouard, l'établissement de l'Hundred ou Centaine; mais soit qu'il ait eu pour auteur les Rois Saxons, ou qu'Edouard l'eut formé à l'instar de ce qu'il avoit vu pratiquer durant sa retraite en Normandie, il est constant que c'est sur-tout à Guillaume que l'on doit le privilége, que les Anglois conservent encore, d'être jugés par des personnes de leur état & condition. Polidore Vergile, L. 9, pag. 152, no10, avoit consulté les Loix des Prédécesseurs d'Edouard, & il n'y avoit rien trouvé de ce que Rapin de Thoyras a depuis osé leur faire dire de contraire.
[554] L'Abbé Vély, Hist. de Franc. tom. 3, pag. 70, fixe sous Louis VI l'établissement des priviléges des Villes, entr'autres celui d'être jugé par ses Pairs. Il dit aussi que ce fut ce Prince qui commença à envoyer des Commissaires, avec pouvoir d'informer de la conduite des Comtes. Ces erreurs ne supposent pas dans cet Auteur une connoissance bien profonde de nos anciennes Loix.
On y voit que pour être reçu Bourgeois du Roi, il falloit posséder, dans un des Bourgs de son Domaine, une perche de terre au moins, c'est-à-dire, un terrein de dix-huit pieds en tous sens.[555] On payoit au Fisc, par chaque perche, un leger impôt tous les ans. Chaque Bourg ou Ville étoient gouvernés par un Magistrat que vingt-quatre des anciens de la Communauté élisoient le jour de S. Michel. Il prêtoit serment de ne rien décider sans son Conseil, qui étoit composé des personnes les plus sages & les plus expérimentées du lieu où il exerçoit sa Jurisdiction. Il tenoit ses plaids de quinzaine en quinzaine pour les affaires provisoires; mais celles dont il ne pouvoit connoître en dernier ressort, étoient réservées pour le temps où le Commissaire du Roi, qui étoit ordinairement un Gentilhomme de sa Chambre, Camérarius,[556] venoit tenir ses assises, ce qui arrivoit au moins trois fois par an, à la Saint Michel, à Noël & à Pâques.
[555] L'aune étoit de 37 pouces, chaque pouce de la longueur de trois grains d'orge, sine caudâ, sans queue; la perche de six aunes, Assis. David. 1. Scot. Reg. Sken. pag. 161, qui font dix-huit pieds. L'acre contenoit quarante perches, & la livrée, librata, cinquante-deux acres. On ne voit pas sur quoi M. de Lauriere se fonde lorsqu'il dit que cent livres de terre en revenu sont la même chose que cent livrées de terre. Rec. des Ordonn. c. 153. Des Etablis. de Saint Louis. Voyez Coke, pag. 5.
[556] Ce mot peut signifier aussi un Garde du Trésor. Zasius, part. 4, pag. 15.
Tous les Bourgeois comparoissoient à ces assises, ou y faisoient proposer leurs excuses.
Dans l'audience du Chef de Justice d'un Bourg, toute contestation d'entre les Bourgeois & les Marchands Forains qui venoient y exposer en vente leurs denrées, devoit se terminer dans l'espace de trente six heures, soit que le Marchand fût demandeur ou défendeur; car tout Bourgeois ne pouvoit être jugé que dans la Jurisdiction de son Bourg, en demandant comme en défendant; il pouvoit même décliner la Cour du Roi s'il y étoit traduit. Mais quand la contestation s'élevoit au sujet de droits dûs au Roi, refusés ou contestés par un Bourgeois, l'assise seule du Commissaire du Roi en étoit compétente; les procès s'y terminoient sans frais en présence du Juge, Chef du Bourg, & de ses Assesseurs, &c sur le témoignage ou le serment des Pairs de l'accusé.
Chaque Communauté d'artisans se présentoit, par Députés, en l'assise, ainsi que les Officiers de Justice. Les habitans y portoient leurs plaintes des malversations de ces derniers; on y vérifioit les rôles dressés du nombre des habitans, celui des places construites ou vagues, le tarif des droits à percevoir au profit du Roi, ou de ceux qui avoient été perçus. Si les Juges faisoient commerce, s'ils avoient établi des monopoles, toléré l'infraction des priviléges, négligé la Police; s'ils avoient admis pour la dégustation des boissons des gens incapables d'en discerner la bonne ou mauvaise qualité, quod farciunt ventres suos ità quod amittunt discretionem gustandi; s'ils n'avoient pas réprimé les friponneries des Meûniers ou des Boulangers, ni prévenu l'évasion des ennemis de l'Etat, &c.
Le Commissaire informoit de tous ces faits, & prononçoit des peines telles que de droit. Le Clerc du Commissaire, qui étoit gagé du Roi pour l'accompagner dans toutes ses fonctions, mais qui ne pouvoit manger à sa table ni loger avec lui, dressoit procès-verbal de tout ce qui avoit été représenté aux assises, ou des délits qu'on lui avoit secrettement dénoncés; & il déféroit à la Cour du Roi les injustices dont il croyoit que le Commissaire s'étoit rendu coupable dans le cours de ses assises. La facilité d'obtenir justice n'étoit pas le seul privilége de la Bourgeoisie royale, elle entraînoit après elle des avantages plus précieux encore. Un serf de Comte ou de Baron qui achetoit un fonds dans un Bourg du Roi, & y demeuroit an & jour sans être réclamé par son Seigneur ou son Bailli, devenoit libre & Bourgeois. Si le Bourgeois se retiroit à la campagne, il conservoit son privilége; il avoit, comme les habitans du Bourg, le droit d'obliger les Bourgeois des Abbés, des Comtes & des Barons, à vuider leurs querelles par le duel; mais ceux-ci ne pouvoient le forcer à se battre contr'eux.
Tout Bourgeois pouvoit aliéner ses acquêts après les avoir offerts à ses proches, qui les conservoient, pourvu qu'ils se chargeassent de nourrir & vêtir le possesseur durant sa vie. La disposition universelle des meubles étoit permise dans les Bourgs, mais l'héritier ne pouvoit être privé des principaux ustensiles du ménage, ni des outils propres à la profession du testateur: le fils de famille demeurant avec son pere, pouvoit vendre & acheter comme lui. Enfin tout Bourgeois pouvoit saisir les marchandises que les étrangers introduisoient dans le Bourg, hors le temps des Foires, parce que les Bourgeois avoient la faculté exclusive, en tout autre temps, d'y vendre, & les étrangers ne pouvoient acheter que d'eux.[557]
[557] Statuta Burgorum, Statuta Gildæ, dans le Recueil de Skénée.
DU BOURGAGE OU BOURGEOISIE SEIGNEURIALE.
Les villains ou serfs des Seigneurs attirés par l'appas de priviléges si considérables, ne négligeoient aucuns moyens pour se les procurer. L'impuissance où les Seigneurs étoient souvent de résider dans leurs terres, la négligence ou la corruption de leurs Baillis, Senéchaux, ou autres Officiers, concoururent également à soustraire, de leur Jurisdiction, la plupart des Colons dont la personne étoit dépendante de leurs Fiefs. Pour prévenir les émigrations qui rendoient leurs Seigneuries desertes, ils établirent donc dans leurs Fiefs un droit de Bourgeoisie; ils affranchirent leurs serfs,[558] leur accorderent la propriété des terres qu'ils tenoient d'eux; ils leur permirent de tester des meubles; ils autoriserent le partage égal de leurs fonds entre leurs héritiers. On put venir s'établir sous leur Jurisdiction sans cesser d'être libre. Mais ces droits n'étoient pas comparables à ceux des Bourgeois du Roi: & delà les Bourgages ou Bourgeoisies Seigneuriales tomberent insensiblement dans l'oubli; il n'y a eu que celles dont les seigneurs, après avoir acquis du Roi le droit d'empêcher leurs vassaux de se soumettre à la Bourgeoisie royale, furent assez puissans pour former des Bourgs ou Villes, & y accréditer le commerce, qui ayent subsisté jusqu'à présent.[559] Delà sont nés ces usages locaux de la Bourgeoisie ou Bourgage des environs d'Aumale, d'Arques, d'Isigny, &c. dont la Coutume réformée de Normandie fait mention; & delà se tire aussi cette conséquence, que toute Bourgeoisie de Ville ou Bourg en Normandie, a imprimé de tout temps, aux héritages qu'ils comprenoient,[560] les caracteres du Franc-Aleu & du Bourgage, quant à la maniere d'y succéder, de les partager, de les aliéner, de les tenir francs & libres de tout service féodal; mais que ce qu'on nomme actuellement Bourgage ou Bourgeoisie en Normandie, & est dépendant d'un Fief, & situé hors l'enceinte des Villes, n'a d'autre privilége que celui qui lui a été concédé par le Seigneur dont il releve & dont il existe des titres, ou dont on a une bonne & valable possession. Ainsi il est aisé de voir que les Réformateurs de la Coutume Normande ont confondu, sous le nom de Bourgage, les Bourgeoisies royales & seigneuriales.
[558] Loisel, Instit. Cout. L. 1, tit. 1, no21.
[559] Usages Locaux de la Coutume réformée de Normandie.
[560] Les héritages mêmes dépendans des Seigneurs particuliers qui étoient enclavés en une Ville participoient de droit à ses priviléges, si le Roi par les Chartres constitutives de la Bourgeoisie d'une Ville n'y avoit pas expressément reservé les droits des Seigneurs. Ceci étoit fondé sur ce qu'il n'étoit plus du de féauté de ces héritages, en ce qu'ils étoient sous la mouvance du Roi, dont toutes les Villes dépendoient, & que toute redevance due sans féauté cessoit d'etre seigneuriale. Voyez Section 227.
SECTION 163.
Et mesme le manner est, lou un auter Seigniour esperitual ou temporall, est Seignior de tiel Burgh, & ses tenants de tenements en tiel Burgh teignont de lour Seignior a payer chescun de eux un annual rent.
SECTION 163.—TRADUCTION.
Il y a des Seigneurs Laïcs ou Ecclésiastiques qui ont des Bourgs; & ceux qu'ils y reçoivent, & y tiennent d'eux des fonds, sont obligés de leur payer une rente par chaque année pour toute redevance.
SECTION 164.
Et est appel tenure en Burgage, pur ceo que les tenements deins l' Burgh sont tenus del Seignior del Burgh per certaine rent, &c. Et est ascavoire que les ancient Villes appel Burghs sont les pluis ancient Villes que sont dans Engleterre; car ceux Villes, que ore sont cities ou counties, en ancient temps fueront Burghes & appelles Burghes, car de tielx ancient Villes, appelles Burghes, dou veignont les Burgesses al Parliament quand le Roy ad summon son Parliament, &c. (a)
SECTION 164.—TRADUCTION.
On appelle cette tenure, tenure en Bourgage. Il est à remarquer que les Bourgs sont les plus anciennes Villes d'Angleterre; & c'est de-là que lorsque le Roi assemble son Parlement, ceux qui y viennent au nom des Villes s'appellent Bourgeois.
REMARQUES.
(a) Parliament, &c.
Il nous est indifférent de sçavoir si, en Angleterre, les Communes avoient droit de suffrage au Parlement avant la conquête de Guillaume le Bâtard; mais il ne l'est pas de connoître l'étendue du pouvoir accordé par ce Prince à l'Echiquier, lors de son avénement au Trône.
Lorsque Raoul obtint la Normandie de Charles le Simple, il ne fit d'autre changement dans l'administration de cette Province, que celui de rappeller à sa personne le droit qu'avoient les grands Bénéficiers de juger, en dernier ressort, certaines causes: c'est-à-dire, qu'il n'y eut plus de Jugemens rendus par les Officiers de Justice institués par le Prince dans les différentes parties de sa domination, qui ne fussent sujets à l'appel en l'Echiquier. Ce Tribunal étoit composé des principaux Officiers de Justice des Seigneurs, tant Laïcs qu'Ecclésiastiques.[561] Il connoissoit non-seulement des malversations commises contre les Justiciers inférieurs dans les causes des particuliers, mais de tout ce qui concernoit les Domaines du Souverain, & il prononçoit comme de la bouche du Prince, sur toutes choses qui appartenoient à sa dignité & honnêteté.[562] C'étoit de l'Echiquier que le Duc députoit le grand Senéchal, qui étoit le premier de tous les Justiciers de la Province; & qui, sans plaids & sans assises, pouvoit, en quelque lieu qu'il se trouvât, faire faire, dans l'ordre judiciaire & politique, tout ce qu'il trouvoit expédient,[563] & réformer provisoirement ce que les Justiciers subalternes avoient négligé ou omis. Ce Senéchal ou Commissaire du Duc avoit le droit d'assembler les assises de chaque canton, c'est-à-dire, les Seigneurs ou Juges qui en avoient le gouvernement;[564] & l'objet de cette assemblée étoit de corriger les abus qui s'étoient glissés dans les Cours inférieures, à l'égard de la discussion des causes qui n'avoient aucun rapport ni aux droits du Prince, ni à la police de l'Etat.
[561] Basnage, 1er vol. art. 38, col. 2, pag. 2.
[562] Anc. Cout. chap. 56, d'Echiquier.
[563] Ibid, ch. 10.
[564] Anc. Cout. ch. 9.
A ces traits on reconnoît sans peine l'ordre des Jurisdictions établies sous nos Rois de la deuxieme Race.
On les voit en effet pour regne & du commencement,
N'avoir aide sinon que de leur Parlement.[565]
[565] Martial de Paris, 7e Vigile.
Les Prélats & les Princes ou Chefs de Justice y avoient seuls entrée.[566] Le Roi choisissoit entr'eux les Commissaires qu'il députoit dans chaque Province[567] pour y élire les Centeniers, les Echevins, les Avoués, les Notaires,[568] du nom desquels ces Commissaires dressoient un rôle, qu'ils représentoient au Parlement. Ils tenoient aussi, en chaque Province, leurs Plaids ou Etats, auxquels les Comtes ou Hauts-Justiciers, les vassaux des Comtes ou Seigneurs Bas Justiciers, les Echevins ou Maires & Consuls des Bourgs ou Villes élus par le Comte & le peuple,[569] étoient obligés de se présenter; mais où l'homme libre ne pouvoit être forcé de comparoître.[570] C'étoit dans ces assises que les envoyés ou Commissaires du Roi, membres du Parlement, régloient les affaires urgentes de chaque partie du Royaume dont l'inspection leur étoit confiée, & se mettoient en état de connoître les besoins des divers ordres de citoyens, & d'en rendre compte à l'assemblée générale de la Nation[571] qui, à proprement parler, étoit la Cour des Pairs, puisqu'il y avoit des Pairs de tous les ordres; car pour être Pair il n'étoit pas toujours nécessaire d'être de condition égale, il suffisoit, en certains cas, de vivre sous la même Loi.[572] En ce sens les Comtes représentoient au Parlement le peuple soumis à leur Jurisdiction, comme aux assises les Centeniers ou Echevins représentoient les hommes libres de leur ressort, parce que dans ces deux circonstances, les Comtes & les Centeniers parloient pour la cause commune.[573]
[566] Aimoin, pag. 247, 250 & 340.
[567] Eodem anno generalem conventum aquisgrani habuit, & per universas regni sui partes fideles accreditarios à latere suo qui omnia perversa corrigerent, &c. Aimoin, L. 5, pag. 279.
[568] Capit. L. 3, c. 11 & 33.
[569] Ibid, L. 3, c. 56.
[570] Ibid, c. 40 & 51.
[571] Cap. L. 3, c. 84. Fauchet, pag. 410.
[572] Capitul. L. 4, c. 19.
[573] C'est par une suite de cette maxime que l'Anc. Cout. dit, ch. 122: Que si aulcun plede en la Cour au Prince contre son home, ils sont pers quant à ce.
Or, telle fut l'économie de la Justice, ou plutôt des Justices que Guillaume établit en Angleterre après sa conquête.
Son gouvernement ne fut pas, comme l'a avancé un Auteur récent,[574] un Gouvernement despotique: il se regarda comme le chef & non pas comme le propriétaire de l'Etat Anglois.[575] Obligé, pour affermir la Couronne sur sa tête, d'introduire parmi les Anglois, des Normands, il comprit l'inconvénient qu'il y auroit à laisser subsister, dans la même Nation, deux Loix aussi opposées qu'étoient celles d'Edouard & celles de Raoul. Mais en donnant la préférence à ces dernieres, il mit des entraves à sa propre autorité, à laquelle il lui étoit cependant fort aisé de donner la plus grande étendue; en suivant les Coutumes des Ducs ses Ancêtres, il ne pouvoit, en effet, rien décider que dans l'Echiquier. Si pour égaler les contributions de ses Sujets, & soulager les laboureurs qui, accablés d'impôts, s'offrent à lui, oblatis vomeribus, in signum deficientis agriculturæ, il ordonne un dénombrement des biens en général; c'est dans une assemblée des Grands qu'il fait cette Ordonnance, & qu'il choisit les plus prudens & les plus éclairés d'entr'eux pour y procéder.[576] S'il fonde un Monastere en reconnoissance du succès accordé à ses armes; il consulte les Evêques & ses Barons.[577] Pour réformer les points sur lesquels la discipline Ecclésiastique ne s'accordoit point avec les Canons, les Prélats, les Seigneurs sont convoqués de toutes les Provinces du Royaume. Il n'érige des Fiefs, il ne conserve les Aleux que dans le Conseil général de la Nation, per commune consilium totius regni.[578] Deux Evêques ont des difficultés sur les droits respectifs de leurs Siéges, les premiers Juges, pendant trois jours, discutent ces droits, & en décident, & Guillaume ne confirme cette décision que du consentement des Grands de l'Etat.[579]
[574] Abregé de l'Histoire d'Angleterre de Thoyras.
[575] Subjectis humilis apparebat & facilis. Matth. Paris. ann. 1086. Voyez aussi le bel éloge qu'Orderic Vital fait de son Gouvernement. Hist. Ecclés. L. 4.
[576] Horum querelis inclinatus Rex definito magnatum Concilio destinavit per Regnum quos ad id prudentiores & discretiores cognoverat. Selden, Not. In Eadm. ad finem Leg. Willemi 1.
[577] Ibid.
[578] Ibid, Art. 5 & 8. Leg. Willemi.
[579] Ibid, pag. 1, 27.—Matth. Paris. pag. 15, anno 1095.
Cette assemblée générale, où le peuple n'avoit de voix que par ses Comtes, se tenoit quatre fois par an; c'étoit elle qui notifioit les Loix à la Nation. Elle étoit divisée en plusieurs classes ou Tribunaux: dans l'un, les Sujets trouvoient des conciliateurs qui terminoient les contestations sans procédure; on y choisissoit les Magistrats destinés à veiller sur la conduite des Comtes & des Juges inférieurs: dans l'autre étoit déposé le Trésor royal; on y recevoit les impôts, on y comptoit de leur emploi; la dépense & la recette étoient écrites sur des rôles exposés au public, & que l'on renouvelloit chaque année.[580] Dans tout cela reconnoît-ton le despote? Il est vrai que l'on n'y apperçoit pas cette foible condescendance de Henri I pour le Peuple qui, au préjudice des droits que son pere lui avoit transmis, donna tant d'influence aux Communes sur les affaires publiques, que le fort de ces affaires ne dépendit plus, en quelque sorte, que de leur volonté. Regum, populique decretis, authoritate concilii sancitis jus constat proprium gentis;[581] mais en même-temps il faut convenir qu'il y a autant de distance entre un Monarque qui, comme despote, écarte tout conseil, & celui qui les croit tous également nécessaires, qu'il y en a entre ce dernier & un Souverain qui ne se détermine, comme Guillaume, que par l'avis des personnes les plus capables, par leur naissance ou par leur élévation, de préférer l'intérêt de l'Etat à leur intérêt propre, & qui n'accorde au peuple que le droit de faire ses représentations par la bouche de Magistrats dont la noblesse, la dignité garantissent le zèle & le désintéressement.
[580] Polid. Vergil. L. 9, pag. 151, no10, 20, 30: Fecit præfectos qui pecunias acceptas & expensas in tabulas publicas referrent ac eas tabulas ab se in singulos annos confectas asservarent, &c.
[581] Ibid, pag. 185, ann. 1111. En 1108, Henri avoit tenu un Parlement où le Peuple n'avoit pas été convoqué. Matth. Par. pag. 43, sous ladite année.
Sous Guillaume, comme sous Raoul, il n'y avoit donc pas de Bourgeois qui eussent droit de suffrages dans les assemblées générales du Royaume.[582] Les Prélats, les Comtes & Barons, les Seigneurs, quelques gens expérimentés y délibéroient seuls sur les affaires particulieres & publiques.[583] Ainsi quand Littleton dit que les Bourgeois assistoient aux Parlemens, il n'entend pas donner à ce privilége pour époque la conquête de Guillaume, mais constater l'origine de celui dont les Bourgs étoient en possession lorsqu'il écrivoit: il a voulu seulement faire entendre par-là que les Bourgeois avoient droit de venir au Parlement exposer les besoins de leur Communauté, mais non pas d'y délibérer.
[582] Reges ante tempora (Henrici primi) non consuevere populi conventum consultandi causâ nisi perraro facere, adeo ut ab Henrico id institutum jure manasse dici possit. Polid. Verg. L. 11. pag. 185.
[583] Habet Rex curiam suam in Concilio suo in Parliamentis præsentibus Prælatis, Comitibus Baronibus & aliis viris peritis, ubi novis injuriis emersis nova constituentur remedia. Coke, Sect. 164.
SECTION 165.
Item, pur le greinder part tielx Burghes ont divers customes & usages que nont pas auters Villes. Car ascuns Burghes ont tiel custome, que si home ad issue plusors fits & morust, le puisne fits enheriter touts les tenements que fuerent ason pere deins mesme le Burgh come heire a son pere per force de custome. Et tiel custome est appel Burgh English. (a)
SECTION 165.—TRADUCTION.
La plupart des Bourgs ont différentes Coutumes & usages. En certains Bourgs si un homme a plusieurs garçons, c'est le puîné qui succede à tous les tenemens dont il jouit lors de son décès; & cette Coutume se nomme Bourgage Anglois.
REMARQUES.
(a) Burgh English.
Cette Coutume étoit fondée sur ce qu'à mesure que les aînés étoient en état de faire commerce, ils sortoient de la maison paternelle avec une certaine quantité de marchandises, & formoient une nouvelle habitation. Si le dernier des mâles qui restoit avec son pere dans la maison, n'eût pas été son seul héritier, l'aîné auroit été obligé de rapporter les avances[584] qu'il auroit reçues; & la Loi, dans un temps où l'usage de l'écriture étoit rare, avoit voulu éviter les difficultés qu'il y auroit à fixer la quotité de ces avances.
[584] C'étoit, en effet, l'usage ordinaire des Bourgs de rapporter entre cohéritiers. Leg. & consuetud. Burg. Sken. collect. chap. 124. Filius primogenitus habebit eamdem portionem quam alii nisi fuerit foris familiatus à patre suo.
Cette Loi subsistoit antérieurement à Guillaume dans les Bourgs du Comté de Kent, & ce Prince la conserva en reconnoissance des facilités que cette Province lui avoit données pour sa conquête.[585] On l'appelloit Bourgage Anglois, par opposition au Bourgage Normand, qui forma le droit commun des autres Villes du Royaume, après l'élévation du Conquérant au Trône.
[585] Cantii incolæ Guillelmo ea lege se dederunt ut patrias consuetudines illæsas retinerent illamque imprimis quam gavel-kind vocant. Johann. Barcl. collect. Edit. Elezevir 1641.
SECTION 166.
Item, en ascun Burghes per le custome feme avera pur sa dower touts les tenements que fueront a sa Baron, &c.
SECTION 166.—TRADUCTION.
En quelques Bourgs, la femme jouit, à titre de douaire, de tous les biens de son mari après sa mort.
SECTION 167.
Item, en ascuns Burghes per le custome home poit deviser per son testament ses terres & tenements que il ad en fée simple deins mesme le Burgh al temps de sa morant, & per force de tiel devise, celuy a que tiel devise est fait, apres le mort le devisor poit entrer (a) en les tenements issint a luy devises, a aver & tener a luy solonque la form & effect del devise, sans ascun liverie de seisin destre fait a luy, &c.
SECTION 167.—TRADUCTION.
Dans d'autres, l'on peut disposer, par testament, en faveur de qui l'on veut, d'une portion des tenemens qu'on possede dans le Bourg, & le légataire entre en jouissance des fonds par le seul fait, sans autre formalité.
REMARQUE.
(a) Poit entrer.
Commes les fonds tenus en Bourgage ne relevoient d'aucun Seigneur; qu'on les acqueroit ou conservoit moins par succession que par son industrie; la solemnité requise pour l'aliénation des autres biens n'étoit pas jugée nécessaire à leur égard. Lorsqu'on vendoit tout ou partie du fonds, le vendeur sortoit de sa maison, & l'acquereur y entroit en présence du premier Juge & de douze témoins du Bourg, tous deux donnoient un denier,[586] & cela suffisoit pour en transmettre la propriété.
[586] Ch. 56. Consuetud. Burg. Sken. Collect.
SECTION 168.
Nota. Coment que home ne poet granter ne doner les tenements a sa feme, durant le coverture (a), pur ceo que sa feme & luy ne sont forsquun person en Ley, uncore pur tiel custome il poit deviser per testament ses tenements a sa feme, a aver & tener a luy en Fée simple, ou en Fée taile, pur terme de vie, ou pur terme des ans, pur ceo que tiel devise ne prist effect forsque apres la mort le Devisor; car touts devises ne preignont effect forsque apres la mort le devisor. Et si home fait a divers temps divers testaments, & divers devises, &c. uncore le darrein devise & volunt fait per luy estoiera, & lauters sont voides.
SECTION 168.—TRADUCTION.
Quoiqu'en Bourgage le mari ne puisse, durant le mariage, donner rien de ses immeubles à sa femme, il peut cependant, par testament, lui en léguer partie. Si un homme fait divers testamens, le dernier annulle tous les précédens.
REMARQUE.
(a) Durant le coverture.
Voyez les articles 411 & 429 de la Coutume de Normandie. Par le premier, cette Coutume défend au mari de faire concessions entre-vifs, au moyen desquelles ses biens viendroient à sa femme en tout ou partie; mais par l'autre article, il lui est permis de donner à sa femme de ses immeubles, par testament, jusqu'à concurrence du tiers de leur valeur, s'il a des enfans, & jusqu'à concurrence de moitié, s'il n'en a pas: disposition qui doit sans doute sa naissance à ce qu'originairement les Bourgeois, ayant peu de bien en campagne, pouvoient tester de tout leur Bourgage ou meubles seulement; au lieu que dans la suite ayant souvent transporté la plupart de leurs effets de commerce sur les fonds qu'ils avoient acquis hors les Villes: pour éviter les discussions sur la source d'où les effets restés au suppôt de leur succession seroient provenus, on a évalué ceux que leur industrie auroit pu leur procurer, à une certaine portion des immeubles dont ils se trouvoient saisis lors de leur décès; & cette portion, pour l'homme qui n'avoit pu être aidé que par sa femme, étoit réputé de la valeur de la moitié de son immeuble, & du tiers, lorsqu'il avoit pu profiter des travaux de sa femme & de ses enfans.
SECTION 169.
Item, per tiel custome home poit diviser per son testament que ses Executors poient aliener & vender ses tenements que il ad en Fée simple, pur certaine summe de money a distributer pur son alme. En cest cas, coment que le devisor devie seisie de les tenements, & les tenements discendont a son heire, uncore les executors apres le mort lour testator, poyent vender les tenements issint a eux devises, & ouste le heire, & ent faire feoffment, alienation, & estate per fait, ou sans fait a eux a queulx le vendition est fait. Et issint pois veier icy un cas ou home poit faire loial estate, & uncor il navoit riens en les Tenements al temps del estate fait. Et le causa est, pur ceo que la custome & usage ad este tiel. Quia consuetudo ex certa causa rationabili usitata privat communem legem.
SECTION 169.—TRADUCTION.
Il y a tel Bourg où un homme peut autoriser les exécuteurs de son testament à vendre, après son décès, ses tenemens acquis en Fief simple, parce que le prix de la vente sera distribué pour le salut de son ame. En ce cas, quoique le testateur meure saisi des tenemens dont il a ordonné l'aliénation, les exécuteurs de sa derniere volonté peuvent valablement vendre & mettre en possession l'acquereur, de fait ou par écrit. Ainsi on peut dire qu'en certaines circonstances on a droit d'aliéner un fonds sur lequel on n'a aucun droit de propriété; & la raison qu'on en peut donner est que, Consuetudo ex certa causa rationabili usitata privat communem legem.
SECTION 170.
Et nota, que nul custome est alowable, mesque tiel custome que adeste use per title de prescription scavoir de temps dont memorie ne curt. Mes divers opinions ont este de temps dont memorie, &c. & de title per prescription, que est tout un en Ley. Car ascuns ont dit que temps de memorie serra dit de temps de limitation en un Brief de droit, (a) scilicet de temps le Roy R. le I. puis le conquest, come est done per le statute de Westminster 1. pur ceo que le briefe de droit est le pluis haut briefe en sa nature que poit estre, & per tiel briefe home poit recover son droit de la possession son Auncestors de pluis auncient temps que home purroit per ascun briefe per le ley, &c. Et entant que il est done per le dit estatute que en briefe de droit nul soit oye a demander de le seisin son Auncestors de pluis longe temps que de temps le Roy R. avandit, issint ceo en prove que continuance de possession, ou auters customes, & usages uses puit le dit temps, est le title de prescription, &c. & hoc certum est. Et auters ont dit, que bien & verity est que seisin & continuance puis le dit limitation est un title de prescription, come est avantdit, & per cause avantdit. Mes ils ont dit, que il y auxy un auter title de prescription, que fuit a la common ley devant ascun estatute de limitation de briefe, &c. & ceo fuit lou un custome, ou un usage, ou auter chose ad este use de temps dont memorie des homes ne curt a le contrarie. Et ils ont dit, que il est prove per le pleder, lou home voit pleder un title de prescription de custome il dirra que tiel custom ad este use, de tempore cujus contrarium memoria hominum non existit, & cest autant a dire quant tiel matter est plede, que nul home adonque en vie ad oye ascun proofe al' contrary, ne avoit ascun conusans al' contrary. Et entant que tiel title de prescription fuit a le common ley, & nient ouste per ascun estatute, ergo il demurt come il fuit a le common ley, & le pluis tost, entant que la dit limitation de briefe de droit est de cy long temps passe, Ideo hoc quære. Et plusors auters customes & usages ont tiels ancient burges.
SECTION 170.—TRADUCTION.
On doit tenir pour maxime, que nulle Coutume n'est légitime qu'autant qu'elle subsiste de temps immémorial. Il y a diverses opinions sur l'étendue qu'on doit donner à ces termes, de temps immémorial. Les uns ont dit qu'il falloit les rappeller au sens que le Bref de droit semble leur avoir donné, en fixant la prescription des plus anciennes possessions, au regne de Richard I; fixation cependant qui ne se trouve dans ce Bref qu'en vertu du Statut du premier Parlement tenu à Westminster. D'autres, au contraire, soutiennent qu'avant ce Statut, toute Coutume ou Usage ne se prescrivoit qu'autant que personne n'auroit connoissance de son établissement. Pour le prouver, ils alleguent la forme de procéder observée pour constater une Coutume: car celui qui la reclame, pose toujours en fait qu'elle subsiste de tempore cujus contrarium memoria hominum non existit. Or, il est permis d'examiner lequel de ces deux sentimens est préférable: l'un paroît fondé sur la commune Loi, l'autre sur un Statut fort ancien.
REMARQUES.
(a) Briefe de droit, &c.
Ce Bref étoit ainsi conçu:
Rex præposito & Ballivis Burgi de A.... salutem: Mandamus vobis quatenùs plenum rectum teneri faciatis de terrâ tali de tali loco quam de nobis clamat tenere hæreditariè, quam terram talis ei justè deforciat sicut dicit, tantum inde facientes quod pro vestro defectu amplius non audiamus querelam.[587]
[587] Quoniam attachiam. In collect. Sken. c. 57.
La procédure étoit la même pour l'exécution du Bref de droit, que celle prescrite par le Bref de medio, dont j'ai parlé en ma Remarque sur la Section 145. Le Bref de droit, dans l'origine, ne fixoit point le temps de la jouissance de celui auquel il étoit accordé. Mais sous Edouard I, dans le premier Parlement tenu à Westminster, on commença à enjoindre, par le Bref, au Juge, de n'écouter aucuns reclamateurs des biens de leurs ancêtres, à moins qu'ils n'offrissent prouver qu'ils avoient possédé ces biens dès le temps du Roi Richard I. Cependant quelques Jurisconsultes prétendirent que dès que le Statut du Parlement exigeoit, à défaut de titre, une prescription qui remontât au moins au regne de Richard I, il avoit, à plus forte raison, autorisé les Juges d'admettre la preuve que le demandeur en Bref de droit, seroit fondé en coutumes ou usages antérieurs à ce Statut; & cette opinion donna lieu à la vérification des usages par tourbes, abrogées par l'Article 1 du Tit. XIII de l'Ordonnance de 1667.[588]
[588] Voyez Loisel, tom. 2 Institut. Cout. p. 246.
SECTION 171.
Item, chescun Burg est un Ville; mes nemy converso. Plus serra dit de custome en le tenure de Villenage.
SECTION 171.—TRADUCTION.
Chaque Bourg est Ville, mais toute Ville n'a pas le privilége des Bourgs: c'est ce qui sera plus amplement prouvé dans le Chapitre de Villenage.
CHAPITRE XI. DE VILLENAGE.
SECTION 172.
Tenure en Villenage est plus properment quant un villein tient de son Seignior, a que il est villeine, certaine terres ou tenements solonque le custome del mannor, ou auterment a la volunt son Seignior, & de faire a son Seignior villein service: come de porter & de carier le fime le Seignior hors del city ou del mannor (a) son Seignior jesques a le terre son Seignior, en gisant ceo sur le terre, & hujusmodi. Et ascuns franke homes teignont lour tenements solonque le custome del certaine mannors per tiels services. Et lour tenure auxy est appel Tenure en Villenage, & uncore ils ne sont pas villeines: (b) car nul terre tenus in villenage, ou villeine terre, ne ascun custome surdant de la terre, ne unques serra franke home villein. Mes un villein puit faire franke terre deste villein terre a son Seignior. Sicome lou un villein purchase terre en Fée simple, ou en Fée taile, le Seignior del villein poet enter en la terre, & ouste le villein & ses heires, a touts jours, & puis le Seignior (sil voloit) puit lesser mesme la terre a le Villein a tener en Villenage.
SECTION 172.—TRADUCTION.
La tenure en Villenage est, à proprement parler, celle qu'un Seigneur donne à son villain ou serf; cette tenure n'a d'autres regles que la volonté du Seigneur, ou la Coutume de la Seigneurie; elle est toujours chargée des services les plus vils, comme de porter & épartir le fumier sur les terres du Seigneur qui sont hors de son Fief.
Quelques hommes libres tiennent aussi des terres à ces conditions, & leur tenure s'appelle Villenage; mais ils ne sont pas pour cela serfs ou villains; car ce n'est pas la tenure qui fait le villain, puisqu'un villain peut tenir une terre libre de son Seigneur, sans cesser d'être villain. Quand un villain acquiere une terre en Fief simple ou à Fief conditionnel, le Seigneur peut s'en emparer, & la redonner ensuite au villain à titre de Villenage.
REMARQUES.
(a) Del mannor.
Sciendum est quod manerium poterit esse per se ex pluribus ædificiis coadjuvatum sive villis & hamletis adjacentibus. Poterit etiam esse manerium & per se & cum pluribus villis & cum pluribus hamletis adjacentibus quorum nullum dici poterit manerium per se, sed villæ suæ, hamletæ. Poterit etiam esse per se manerium capitale & plura continere sub se maneria non capitalia, & plures villas, & plures hamletas quasi sub uno capite aut Dominio uno.[589]
[589] Bracton, L. 4, Fol. 212.
Ainsi on entendoit par manoir, la terre du Seigneur de laquelle les possessions des vassaux avoient été démembrées, & d'où elles relevoient.[590]
[590] Glossar. in fin. Math. Paris.
(b) Et uncore ils ne sont pas villeines.
On appelloit, en Normandie, les hommes francs, qui tenoient des terres en villenage, gens de poote; & notre Auteur les appelle, Chapitre 9 & 10, tenans par copie, ou tenans par la verge. Ils ne pouvoient aliéner leurs terres, ils étoient donc totalement sous la puissance de leurs Seigneurs à l'égard des fonds dépendans des Fiefs dont les Seigneurs leur confioient la culture; mais leur personne étoit libre.
Car la servitude ou la liberté de la glebe n'influoit jamais sur la servitude ou la liberté des personnes.[591] La différence entre l'homme de poote & le villain étoit considérable, puisque celui-ci ne pouvoit, comme l'autre, abandonner sa tenure; que ses services n'avoient rien de fixe ni de déterminé; villains ne savoient les vesperes de quoi ils serviront en la maison, dit Bracton;[592] ils étoient tellement dépendans de la Seigneurie, qu'un ancien Jurisconsulte ne craint pas de les comparer a beast en parkes, pissons en servors, & ouseaux en cage. Leurs acquêts, leurs meubles, leurs enfans mêmes appartenoient aux Seigneurs: on les vendoit avec le Fief;[593] ils ne pouvoient se racheter à prix d'argent, parce que le mobilier qu'ils épargnoient n'étoit pas à eux.[594] On ne les admettoit ni pour témoins ni pour arbitres; si le Seigneur les affranchissoit sans permission du Roi, ils étoient libres à l'égard de ce Seigneur, mais ils ne pouvoient se prévaloir de ce titre contre d'autres personnes. On distinguoit deux sortes de villains, les uns l'étoient d'origine, d'autres volontairement. Le villenage volontaire se formoit par la soumission qu'un homme libre faisoit de sa personne à un Seigneur, en se faisant couper une partie de ses cheveux en la Cour de ce Seigneur.[595] Jamais cette sorte d'esclave ne pouvoit recouvrer sa liberté, & s'il nioit qu'il l'eût engagée, & si son Seigneur réussissoit à prouver le contraire, ce dernier avoit le droit de l'en châtier par l'amputation du nez.[596]
[591] Villenagium vel servitium nihil detrahit libertati, nec liberum tenementum mutat statum Villani. Bract., L. 4, fol. 170. Capitul. 150, L. 5.
[592] Bract. L. 1, fol. 7.
[593] Reg. Majest. L. 2, c. 12, 3.
[594] Reg. Majest. L. 2, c. 12 & 5. Britton, c. 66, p. 165.
[595] Quoniam attachiamenta, c. 5, 6, Per crines anteriores capitis sui.
[596] Ibid. c. 56.
Le Comte avoit seul la compétence de juger de l'état de celui qu'un Seigneur prétendoit tenir de lui en villenage; le prétendu villain prouvoit, par le record de la Cour du Comte, que ses parens, sortis de la même souche, étoient libres, & dès-lors il étoit reconnu d'égale condition. Mais il n'étoit pas permis au villain de prouver sa liberté par le duel.[597] Il y avoit divers moyens de recouvrer sa liberté: 1o. Par la déclaration judiciaire du Seigneur qui l'accordoit: 2o. Quand quelqu'un donnoit de l'argent au Seigneur pour racheter le villain: 3o. Lorsque le Seigneur commettoit adultere avec la femme de son tenant en villenage; car en ce cas c'étoit toute l'indemnité que ce villain pouvoit obtenir:[598] 4o. Si le Seigneur avoit excédé son villain au point de l'exposer à perdre la vie, celui-ci, en donnant & prouvant sa plainte en la Cour du Roi, étoit affranchi.
[597] Reg. Majest. L. 2, c. 11.
[598] Ibid. c. 12. Nec aliud emendam habebit à Domino suo nisi libertatis recuperationem.
SECTION 173.
Et nota, si feoffment soit fait a certaine person ou persons en fée all use dun villeine, ou si un villeine, ou auters persons soient enfeoffes al use le villeine, quel estate que le villeine ad en le use, en fee taile pur terme de vie, ou dans, le Seignior del villein poit entrer en touts ceux terres & tenements sicome le villein ust este sole seisi del demesne. Et cest per Lestatute de anno 19 H. 7. cap. 15.
SECTION 173.—TRADUCTION.
Remarquez que quelque soit la personne qui prend une terre à titre de Villenage, ou quelle que soit la condition sous laquelle on l'afferme, soit à bail, soit à terme d'ans, ou pour sa vie, le Seigneur a droit de reprendre la possession du fonds, comme si un villain, né tel, l'occupoit. Ceci a été décidé par le Statut de la dix-neuvieme année de Henri VII, Chapitre 15.
SECTION 174.
Mes si ascun franke home voile prender ascun terres ou tenements a tener de son Seignior per tiel villeine service, a scavoir, payer un fine a luy pur le mariage de ses fits ou files, donque il payera tiel fine pur le mariage, & nient obstant que il est le follie de tiel franke home de prender en tiel forme terres ou tenements a tener de le Seignior per tiel bondage, uncore ceo ne fait le franke home villeine.
SECTION 174.—TRADUCTION.
Si un homme libre prend à ferme une terre, à la charge de la relever du Seigneur par villains services, & s'oblige à payer une somme pour le mariage de ses enfans, quelque répugnante que soit une servitude de cette espece; cependant elle ne fait pas perdre, à celui qui la contracte, sa liberté.
SECTION 175.
Item, chescun villein, ou est un villein per title de prescription, cest a scavoir que il & ses auncestors ont este villeins de temps dont memorie ne curt, ou il est villein per son confession demesne en Court de Record.
SECTION 175.—TRADUCTION.
Tout villain est tel, ou parce que ses ancêtres l'ont été de temps immémorial, ou parce qu'il s'est lui-même asservi à un Seigneur par un acte judiciaire.
SECTION 176.
Mes si frank home ad divers issues, & puis il confesse luy mesme destre villein a un auter en Court de Record, uncore les issues que il avera devant le confession sont franks, mes les issues que il avera apres le confession serront villeins.
SECTION 176.—TRADUCTION.
Si un homme libre a divers enfans, les uns nés avant qu'il ait engagé sa personne à un Seigneur, les autres nés depuis, il n'y a que ces derniers qui soient villains.
SECTION 177.
Item, si le villein purchase terre & alien la terre a un auter devant que le Seignior enter, donques le Seignior ne poit enter, car il serra adiudge son follie que il nentra pas quant la terre fuit en le maine le villeine. Et issint est des biens si le villein achate biens, & eux vend ou done a un auter devant que le Seignior seisist les biens, adonques le Seignior ne poit eux seiser. Mes si le Seignior devant ascun tiel vender ou done, vient deins la ville la lou tielx biens sont, & la overtment enter les vicines claima les biens & seisist parcel des biens en nosme deseisin de tous les biens que le villein ad ou aver poit, &c. Ceo est dit bon seisin en ley, & le occupation que le villeine ad apres tiel claim (a) en les biens, serra pris en le droit le Seignior.
SECTION 177.—TRADUCTION.
Si un villain acquiert une terre & l'aliene avant que son Seigneur s'en soit mis en possession, le Seigneur n'aura pas droit de reclamer cette terre, parce que c'étoit à lui de s'en saisir lorsque son villain la possédoit encore. Il en est de même des autres biens acquis & revendus par le villain, sans opposition de la part du Seigneur. Mais si ce Seigneur, avant l'aliénation ou la cession fait par son villain, vient dans la Ville où celui-ci a acquis des fonds, & là en présence des voisins clame publiquement les fonds & s'en saisit d'une partie, pour valoir de prise de possession de la totalité des biens que son villain a ou peut avoir; cette prise de possession est légale, & le villain, après la clameur de son Seigneur, n'a plus d'autres droits sur ses propres biens que ceux que son Seigneur veut bien lui laisser.
REMARQUES.
(a) Apres tiel claim.
Dans les Loix de Guillaume le Conquérant, on ne voit d'autre Retrait admis que le féodal ou le conventionnel. On peut donc assurer que le lignager n'existoit point de son temps en France ni en Normandie. En effet, quoique Charlemagne eût défendu, par la Loi des Saxons,[599] d'aliéner son bien avant de l'avoir offert à ses proches; ni ses Capitulaires, ni les Loix de ses Successeurs ne contiennent rien qui ait rapport au droit de Retrait.[600] Marculphe même, dans différentes Formules, dispense de la tradition des parens pour la validité des donations.[601] Mais en consultant les Loix des Bourgs d'Ecosse, lesquelles ont été tirées du Droit Coutumier Anglois, il me paroît qu'on peut fixer l'époque & déterminer le motif de l'usage du Retrait lignager, tel que nous le pratiquons encore. L'établissement des Bourgeoisies a eu pour but, en France comme en Angleterre, d'étendre le commerce, d'affoiblir l'autorité des Seigneurs. Il convenoit donc que les possessions fussent, dans les Villes, plus stables & plus indépendantes que celles que les Seigneurs donnoient en Fief. Les fonds qu'un pere de famille acquéroit dans la Ville où il avoit obtenu le droit de Bourgeoisie, étoient bâtis & distribués selon les besoins de la profession qu'il exerçoit. Perpétuer ces fonds dans les familles, c'étoit conséquemment le moyen le plus sûr d'engager ceux qui la composoient à se livrer tous au même genre de travail; & comme, par une suite de cette idée, un Bourgeois ne pouvoit disposer de son mobilier, sans réserver à ses héritiers ou à ses enfans, les principaux outils & ustensiles de son métier & du ménage;[602] de même, il n'avoit la liberté d'aliéner sa maison que dans le cas de nécessité, & lorsqu'aucun de ses parens ne vouloit lui procurer la subsistance[603] & l'entretien. La loi du Retrait est donc une loi de Bourgage dans les pays Coutumiers de France, & en particulier dans la Normandie, & à proportion de ce que les Villes se sont multipliées dans une Province, cette Loi a dû avoir plus de vogue.
[599] Tit. 16 de Exulibus.
[600] Au contraire, le 19e Capitulaire du Livre 4 prescrit, pour les aliénations, des formalités inconciliables avec celles du Retrait ou prélation.
[601] Marc. Formul. 6, 2e. vol.
[602] C. 125. Leg. Burg. De prædictis vasis & ustensilibus de jure meliora pertinent ad hæredem.—Nota que comme je l'ai dit, les héritages en Bourgage étoient meubles. Ancien Coutumier, ch. 31.
[603] Si contingat quod aliquis habens terras de hæreditate seu conquestu, & ipse tantum dilexit filium suum hæredem quod ipse eidem filio omnes terras suas in sua potestate dederit, & post ea inexcusabilis necessitas patri evenerit & ostenderit filio suo inopiam & ipse filius noluerit succurrere, pater potest easdem terras vendere cuicumque voluerit. Leg. Burg. c. 11.—Debet hæreditatem ad tria placita suis proximis offerre, & si proximi illam emere voluerint inveniant sibi necessaria scilicet victum & vestitum sicut semetipsis, & vestitum unius coloris grisei vel albi, &c. Ibid. c. 45 & 96.
Il n'est donc pas étonnant que Littleton n'ait parlé que du Retrait féodal, ou plutôt du droit de retour des Fiefs donnés à condition, ou tenus en Villenage, au cas de vente, & qu'il n'ait fait aucune mention du Retrait lignager, puisque la Bourgeoisie, & conséquemment le droit particulier des Villes n'ayant pris sa vraie consistance, en Angleterre comme en France, qu'au milieu du douzieme siecle, ce droit n'entroit pour rien dans l'économie des loix Normandes données en Angleterre par le Conquérant: Loix que cet Auteur avoit seules en vue de faire connoître.
Après que les Seigneurs eurent imaginé l'établissement des Bourgeoisies dans leurs terres, pour prévenir le tort qu'apportoient à leurs droits les priviléges que leurs vassaux obtenoient dans les Bourgeoisies royales, ces Seigneurs dûrent nécessairement admettre le Retrait en faveur des héritiers de leurs hommes, ne se réserver ce droit de Retrait qu'au cas ou aucuns parens de leurs vassaux n'en voulussent user:[604] & insensiblement ces prérogatives, qui d'abord n'avoient été accordées qu'aux Bourgages, sont devenues communes à toutes les especes de fonds inféodés à perpétuité. Les formalités des Retraits étoient anciennement aussi simples qu'elles sont maintenant compliquées. Le propriétaire déclaroit, dans trois des principaux plaids du Bourg qui se tenoient de quinzaine en quinzaine, l'intention où il étoit de vendre son fonds; il faisoit avertir ses parens de s'y trouver; s'ils ne comparoissoient pas, la vente se faisoit. L'acquereur se mettoit en possession en présence de douze Bourgeois & du Juge; & après l'an & jour expiré, sa propriété étoit à l'abri de toute réclamation. Si cependant, postérieurement à ce délai, quelque parent troubloit l'acquereur, sous le prétexte que l'héritage n'avoit pas été proposé judiciairement à la famille avant la vente, il incomboit à cet acquereur de prouver par le serment de douze hommes & du Juge, qu'il avoit rempli cette formalité. Si le Juge qui avoit procédé au record de l'offre faite aux parens, étoit décédé, ainsi que ses Assesseurs, on ajoutoit foi au témoignage de douze hommes qui attestoient qu'ils avoient eu connoissance du fait, ou par eux-mêmes, ou par l'avoir entendu dire par leurs peres ou autres personnes irréprochables. Dans ces douze témoins il y en avoit toujours quatre choisis par chacune des parties, & quatre autres pris par le Juge dans le nombre des voisins de la maison qui donnoit lieu à la contestation.[605]