Anciennes loix des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par Littleton, Vol. I
[444] Du mot videri, être proposé pour exemple. Etre mis en voir ou vue.
SECTION 108.—TRADUCTION.
Indépendamment de ce qui est dit en la Section précédente, il y a eu bien des difficultés sur le sens de ces paroles: Si parentes conquerantur, &c. Mais en consultant la grande Chartre, qui veut que les enfans mineurs soient mariés sans déparagement, disposition que le Statut de Merton en a emprunté, il semble que la Loi ne donne point d'action aux parens pour déparagement d'un mariage contracté après 14 ans; car on n'a encore jamais vu ni entendu aucune poursuite judiciaire pour pareille cause depuis ledit Statut; & s'il s'en offroit quelqu'une de cette espece, elle seroit la premiere. Lorsque le Statut permet aux parens de se plaindre du deshonneur que leur occasionne le déparagement, il faut remarquer que sur cette plainte le plus proche parent, auquel le Fief ne peut écheoir par succession, a le droit de faire priver le Seigneur de la garde, & d'en exercer les fonctions; & si ce plus proche parent ne veut point de la garde, un autre parent peut l'obtenir, & en recevoir les fruits pour le mineur, à la charge de lui en rendre compte lors de sa majorité, ou à défaut de parens, le vassal régira lui-même ses biens. Il est bon cependant de ne suivre cette opinion qu'après examen.
SECTION 109.
Item, mults auters divers disparagements y sont, que ne sont specifies en mesme le Statute. Come si lheire que est en gard est mary a unque nad forsque un pee, ou forsque un maine, ou que est deforme, decrepite, ou ayant horrible disease, ou graund & continual infirmitie: Et (si soit heire male) si soit marry a feme que est passe large denfanter. Et mults auters causes de disparagement sont: Sed de illis quære, car il est bon matter dapprender.
SECTION 109.—TRADUCTION.
Il y a bien d'autres déparagemens détaillés dans le Statut de Merton, comme: Si la mineure étant mariée par le Seigneur à un homme qui n'a qu'un pied ou une main, à un vieillard décrépit, à un homme difforme ou qui est sujet à des infirmités contagieuses ou habituelles; quand c'est un mâle, il est déparagé si la femme qu'on lui donne est physiquement incapable d'avoir des enfans. Au reste on peut juger d'après ces exemples des autres infirmités qui donnent lieu à l'action en déparagement.
SECTION 110.
Et des heires males que sont deins lage de 21 ans apres le mort lour ancester nient marries, en tiel cas le Seignior avera le mariage de tiel heire, & avera temps & space de tender a luy convenable mariage sans disparagement deins mesme le temps de 21 ans. Et est ascavoir que lheire en tiel case poit eslier sil voit estre marry ou non, mes si le Seignior que est appel gardein en Chivalry a tiel heire tender convenable mariage deins lage de 21 ans sauns disparagement, & lheire ceo refuse, & ne soy marie deyns le dit age, donques le gardeine avera le value del mariage del tiel heire male, mes si tiel heire luy mesme marie deins lage de 21 ans encounter la volunt le gardeine en Chivalrie, donques le gardein avera le double value del mariage per force de le Statute de Merton avantdit come en mesme le Statute est comprise pluis a pleine.
SECTION 110.—TRADUCTION.
Le Seigneur a droit de mariage sur les mâles mineurs de 21 ans, & qui ne sont point mariés lors du décès de leurs peres, & il peut prendre tel temps qu'il lui plaît durant la garde jusqu'à 21 ans pour leur trouver un parti convenable. Le mineur a cependant le droit d'agréer ou de refuser le parti qui lui est offert; mais s'il refuse un mariage qui ne le déparage point, & si après ce refus jusqu'à la fin de la garde il ne se marie pas, le Seigneur ne sera point privé pour cela du droit de mariage; & même dans le cas où après le refus le mineur de 21 ans se marieroit contre le gré de son gardien, celui-ci auroit un double droit, ainsi qu'il est expliqué plus au long par le Statut de Merton.
SECTION 111.
Item, divers tenants teignont de lour Seigniors per service de Chivaler, & uncore ils ne teignont per escuage, ne paieront escuage, come ceux que teignont de lour Seigniors per castle garde, cest ascavoir, a garder un tower del castle lour Seignior, ou un huis ou un auter lieu del castle per reasonable garnishment quant lour Seigniors oyont que enmies voylent vener ou sont venus en Angleterre. Et en plusors auters cases home poit tener per service de Chivaler, & uncore il ne tient per Escuage, ne payera Escuage, sicome serra dit en le Tenure per Graund Serjeantie. Mes en touts cases ou home tient per service de Chivaler, tiel service trait al Seignior Gard & Mariage.
SECTION 111.—TRADUCTION.
Il y en a qui tiennent par service de Chevalier, & qui cependant ne tiennent point par Escuage ni ne payent point le droit d'Escuage. Tels sont ceux qui tiennent par la garde d'un Château, d'une Tour ou d'une Porte & autre dépendance du Château de leur Seigneur, & qui sont obligés de placer à ces Postes des troupes quand les ennemis menacent de les attaquer. Il y a bien d'autres cas où l'on tient par service de Chevalier sans tenir par Escuage ni payer l'Escuage, comme on le verra au Titre de Garde-Sergenterie; mais de quelqu'espece que soit le service de Chevalier, il assujettit la tenure par laquelle ce service est dû aux droits de Garde & de Mariage.
SECTION 112.
Et si un tenant que tient de son Seignior per service de entire fee de Chivaler morust, son heire donques esteant de plein age, scavoir, de 21 ans, donque le Seignior avera cent sols (a) pur reliefe, & del heire celuy que tient per le moitie dun fee de Chivaler, 50 s. & de celuy que tient per l' quart part de fee dun Chivaler, 25 s. & sic que pluis, pluis, & que meins, meins.
SECTION 112.—TRADUCTION.
Si un vassal qui tient par service d'un Fief entier de Chevalier décede, son héritier doit payer au Seigneur, quand il a atteint sa 21e année, cent sols pour relief; s'il ne tient que par service d'un demi-Fief, il ne payera que 2 liv. 10 s.; s'il ne tient que par un quart de ce service, 1 liv. 5 s., & ainsi à proportion de la qualité du service de son Fief.
REMARQUE.
(a) Cent sols.
Par la Loi Angloise, le relief, pour les Fiefs militaires, étoit ordinairement du quart de la valeur du service des Fiefs;[445] ainsi le service du Fief de Chevalier étoit évalué à vingt livres, & il payoit cinq livres. Le service d'une Baronnie qui comprenoit treize Fiefs de Chevalier; & la troisieme partie d'un Fief de même espece étoit évaluée à quatre cens livres, & payoit cent livres. Un Comté, composé de vingt Fiefs, payoit aussi cent livres, parce qu'elles faisoient le quart de la valeur de son service, & que le service du Comte, à l'armée, étoit le même que celui du Baron,[446] quoique la Baronnie fût composée d'un moindre nombre de Fiefs. Mais à l'égard des tenures qui ne devoient point de services militaires, leur relief étoit de la valeur entiere de leur revenu. Cette charge, en effet, n'en étoit pas, à proprement parler, une pour l'héritier d'un cultivateur, puisque souvent il trouvoit, dans la récolte laissée par celui auquel il succédoit, & pour laquelle il n'étoit obligé de faire aucune dépense, une ressource facile pour s'en acquitter; au lieu que le successeur d'un Baron, d'un Comte ou d'un Chevalier n'auroit pu ni remplir ses fonctions, ni se substituer quelqu'un pour l'en acquitter, si on l'eût privé, pendant un an, du revenu d'un Fief, qui quelquefois étoit réduit, par les sous-inféodations, à la valeur juste du service qui y étoit affecté.
[445] Coke, Comment. sur la Sect. 112. Britton, c. 68, fo 171, vo.
[446] Les Comtes & les Barons étoient dans le 11e siecle indépendans les uns des autres; ils commandoient avec la même étendue de pouvoir les vassaux qu'ils menoient à la guerre; ils réunissoient également la puissance militaire, civile & fiscale dans le ressort de leur Seigneurie; & c'est par cette raison que sous le nom de Barons on comprenoit quelquefois les Comtes. Assises de Jérusalem, titre des Barons. Et Chop. de Jurisd. Andeg. pag. 452. Voyez aussi le Gloss. qui est à la fin de l'Hist. de Matthieu, Paris. au mot Barnagium, & Brussel, 1er vol. pag. 57.
SECTION 113.
Item, home voit tener son terre de son Seignior per le service de deux fees de Chivaler, & donque lheire esteant de pleine age al temps de mort son ancestre paiera a son Seignior 10 liv. pur reliefe.
SECTION 113.—TRADUCTION.
On peut tenir de son Seigneur par le service de deux Fiefs de Chevalier, & l'héritier du tenant payera, pour relief à sa majorité, 10 liv.
SECTION 114.
Nota, si soit ail, pier & fits, & sa mere morust vivant le pier de le fits & puis laiel que tient sa terre per service de Chivaler morust seisi, & sa terre descendist al fits la mere, come heire al aiel que est deins age; en cest cas le Seignior avera le garde de la terre, mes nemy le garde del corps (a) del heire, pur ceo que nul serra en gard de son corps a ascun Seignior vivant son pier, pur ceo que le pier durant son vie avera le mariage de son heire apparant, & nemy le Seignior. Auterment est ou le pier est mort vivant la mere, lou le terre tenus en Chivalrie discendis al fits de part son pier, &c.
SECTION 114.—TRADUCTION.
Supposons un aïeul maternel, un pere & un fils, & que la mere de ce dernier étant morte avant son mari, l'aïeul décede saisi d'une terre tenue par service de Chevalier, la terre alors appartiendra au fils mineur, comme héritier de son aïeul maternel; mais le Seigneur n'aura, en ce cas, que la garde de la terre, & non la garde du corps du mineur: parce qu'il est de maxime que nul n'entre en garde féodale, quant au corps, tant que son pere est vivant, & d'ailleurs il appartient au pere de décider le mariage de son fils par préférence au Seigneur. Il en seroit autrement si le pere étoit mort du vivant de sa femme, & si le Fief tenu par service de Chevalier eût passé au fils par le décès de son aïeul paternel.
REMARQUE.
(a) Mes nemy le Garde del corps.
Je l'ai déjà observé sur la Section 50. Les Seigneurs avoient dérogé, en certains cas, à leur droit de Garde sur leurs vassaux, & ce sont sans doute, les exceptions admises par les Seigneurs qui ont donné lieu à M. de Montesquieu[447] de prétendre qu'il y avoit cette différence entre la Tutelle & la Baillie; que l'une regardoit la personne, & l'autre le Fief. Mais on voit ici que le pere même n'avoit, dans le cas supposé par la Loi, l'administration de la personne qu'à l'égard du mariage, & que le Seigneur prenoit seul le soin de l'éducation militaire du mineur, puisqu'il avoit seul la régie du bien destiné à lui procurer cette éducation. Il étoit en effet de la gloire & de l'intérêt des Seigneurs d'avoir des vassaux au fait de l'exercice des armes, & en état de les soutenir efficacement dans l'occasion: talens pour lesquels des parens auroient pu inspirer de l'indifférence. Quis putas, dit Fortescue, infantem talem in artibus bellicis quos facere ratione tenuræ suæ ipse astringitur Domino feodi sui melius instruere poterit aut velit quam Dominus ille cui ab eo tale servitium debetur, & qui majoris potentiæ & honoris æstimatur quam sunt alii amici & propinqui tenentis sui..... Rudes forsan & armorum inexperti, maxime si non magnum fuerit patrimonium ejus.[448]
[447] Espr. des Loix, L. 18, c. 27.
[448] Fortescue, c. 44, fo 56, vo.
SECTION 115.
Nota, si home soit seisie de terre que est tenus per service de Chivaler, & fait feoffment en fee a son use, & morust seisie del use, son heire deins age, & nul volunt per luy declare, le Seignior avera briefe de droit (a) de gard de corps, & del terre, sicome tenant ust devie seisie del demesne. Et si le heire soit de pleine age al temps de morant son ancestor, en tiel case il payera reliefe, sicome il fuissoit seisie del demesne. Et cest per lestatute de anno 4. H. 7. cap. 17.
SECTION 115.—TRADUCTION.
Observez que si un homme qui tient une terre par service de Chevalier, & qui donne une partie de cette terre en fief pour son propre avantage décede sans avoir cessé de jouir du fonds qu'il a sous-inféodé ni avoir publié son aliénation, le Seigneur obtiendra un Bref de droit pour la garde du fils de son vassal, s'il est mineur, & cette garde comprendra la personne du mineur & la terre sous-inféodée, comme si le tenant en eût encore été propriétaire lors de son décès; & si au temps de ce décès le fils du tenant est majeur, il payera le même relief qu'il payeroit pour le fonds s'il n'étoit pas aliéné. Ceci a été décidé par le Statut de la quatrieme année d'Henri VII, c. 17.
REMARQUE.
(a) Briefe de droit.
Coke, sur cette Section, fait observer qu'elle a été ajoutée au texte de Littleton, & qu'elle n'est fondée que sur une Chartre de Henri VII, qui a été abrogée par celle de Henri VIII. Celle-ci exempte les Seigneurs de la formalité du Bref de droit, parce que la possession actuelle du vassal suffit pour le faire réputer propriétaire.
SECTION 116.
Nota, il y ad gardein en droit en Chivalry, & gardein en fait en Chivalrie. Gardein en droit en Chivalrie, est lou le Seigniour pur cause de son Seigniory, est seisie de gard de terres & del heire, ut suprà. Gardein en fait en Chivalrie, est lou en tiel case le Seigniour apres son seisin graunt (a) per fait ou sauns fait le gard des terres, ou del heire ou dambideux a un auter. Per force de quel grant le grauntee est en possession, donque est le grauntee appell gardeine en fait.
SECTION 116.—TRADUCTION.
Nota. Qu'il y a en Chevalerie gardien en droit & gardien en fait. La garde de droit est celle dont on a déjà parlé. L'autre consiste au don que le Seigneur fait par écrit ou verbalement, après s'en être saisi, ou de la garde du corps ou de celle des biens, ou de l'un & l'autre garde à quelqu'un, au moyen duquel don le donataire exerce sur le mineur les mêmes droits que le Seigneur.
REMARQUE.
(a) Graunt le gard a un auter.
Le droit de céder la garde n'appartenoit d'abord qu'au Souverain. Si vero Dominus Rex aliquam custodiam alicui commiserit, tunc distinguetur utrum ei custodiam pleno jure commiserit, ita quod nullum eum inde reddere compotum opporteat ad scacarium, aut aliter; si vere ita plene ei custodiam commiserit, tunc poterit Ecclesias vacantes donare, & alia negotia sicut sua recte disponere.[449] Les Seigneurs dans la suite s'attribuerent la faculté d'aliéner la Garde de leurs vassaux; mais ils ne pouvoient faire cette aliénation qu'au profit des personnes employées au service militaire.[450]
[449] Glanvill. L. 7, c. 10.
[450] Fortescue, c. 45, fo 57.
CHAPITRE V. DE SOCAGE.
SECTION 117.
Tenure en Socage (a) est, lou le tenant tient de son Seignior son tenement per certein service pur touts maners de services, issint que les services ne sont pas services de Chivaler: Sicome lou home tient son terre de son Seignior per fealty & pur certeine rent pur touts maners de services, ou lou home tient per homage & fealtie, & certaine rent pur touts manners de services, ou lou il tient per homage & fealty pur touts maners de services, car homage per soy (b) ne fait pas service de Chivaler.
SECTION 117.—TRADUCTION.
La tenure en Socage est celle qui doit tout autre service que celui de Chevalier. Par exemple, si un homme tient par féauté, à la charge d'une rente, ou par hommage, féauté & rente, ou par hommage & féauté sans rente, il tient en Socage; car l'hommage ne constitue point le service de Chevalier.
ANCIEN COUTUMIER. CHAPITRES XXVIII & XXIX.
Savoir devons qu'homage est de fief, & autre de foy & de service. Homage de foy & de service est quant aulcun reçoit aultre à homage, à luy faire service de son corps, ou à combattre pour luy ou à faire aulcun tel service, & s'il luy assigne rente pour ce, elle ne remaindra pas à ses hoirs, s'il ne fust dit quant la condition fut faite.
Il y a tenure de rente si come aulcun tient rente qui luy est assignée sur une piece de terre, & la terre remaint celuy qui la tient.
REMARQUES.
(a) Socage.
La plupart ont confondu la tenure par Socage avec la tenure en Villenage ou Vilaine, dont il est traité Chapitre II: la différence en est cependant bien frapante.
Le Villenage, comme on le verra dans la suite, est une vraie servitude; le Socage, au contraire, a tous les caracteres de la liberté & les priviléges de la Noblesse.
Originairement, à l'exception des Leudes ou Antrustions, qui étoient uniquement livrés à la profession des armes, les hommes libres ou les autres Leudes s'occupoient de l'agriculture.[451] Ceux qui d'entre ces hommes libres profiterent, sous Charlemagne, de la faculté que leur donna cet Empereur de se recommander, pour des Bénéfices ou pour des biens fiscaux à titre de Bénéfices, ou, ce qui est la même chose, pour faire ériger leurs Aleux en Bénéfices, ne ralentirent pas, après le changement de l'espece de leurs possessions, le soin qu'ils avoient toujours pris pour les mettre en valeur; au contraire, comme le Souverain n'accordoit la qualité de Bénéfices qu'à ceux qui jouissoient d'un certain nombre de terres, & que c'est sans doute delà que chaque Fief de Chevalier devoit être composé d'autant de terres qu'il en falloit pour occuper douze charrues:[452] l'ardeur pour étendre ses propriétés, & conséquemment pour faire des défrichemens & perfectionner la culture des fonds que l'on possédoit, dut redoubler par l'espoir de la récompense.
[451] Toutes les Formules de Marculphe le prouvent; les Testamens, les Donations, les Echanges, qui en font l'objet, n'en ont d'autres que des Métairies, des Prés, des Vignes, &c.
[452] Ex duodecim carucatis constabat unum feodum militis. Coke, Sect. 95.
Les Seigneurs, à l'imitation du Prince, ou plutôt pour n'être pas privés de leurs vassaux par la facilité avec laquelle on étoit admis au Vasselage royal, furent contraints, en donnant à titre de Bénéfices ou de Fiefs des portions des leurs, ou en érigeant en Fief les Aleux des hommes libres ressortissans de leurs honneurs, de n'imposer aucunes charges à ces inféodations, ou de rendre ces charges presqu'insensibles. Delà les tenures d'Aleux donnés ou érigés en Fiefs, ne furent sujettes qu'à l'hommage, ou à la féaulté, ou à quelques rentes de peu de conséquence, ou à la culture d'une partie des terres de la Seigneurie dont le Fief avoit été démembré.
Les guerres fréquentes qui désolerent le Royaume vers la fin de la seconde Race, sur-tout celles des Normands dévasterent les campagnes de la plupart des Provinces du Royaume, & firent languir le labourage. Le Duc Raoul, en prenant possession de la Normandie, comprit la nécessité de réparer le mal dans l'étendue de sa domination. Il fit publier un Edit[453] par lequel il engageoit les hommes libres à reprendre les possessions que ses soldats les avoient forcés d'abandonner. Il distribua même des terres à ceux de ses gens qui consentirent fixer leur domicile en Normandie; ensuite il dressa des Réglemens pour la sureté des cultivateurs. Il étoit bien difficile de faire perdre tout-d'un-coup le goût de piller à ceux qui depuis si long-temps étoient habitués au butin sous ses ordres. Mais la sévérité des peines qu'il imposa pour les moindres vols, sur-tout dans les campagnes, fut si efficace, que les charrues restoient dans les champs, sans que jamais, sous son regne, personne, si l'on en excepte le Paysan de Longueville, dont l'histoire & la fin malheureuse sont connues de tout le monde, ait éprouvé aucun préjudice. Il falloit que les cultivateurs se fussent maintenus dans une indépendance bien entiere du temps de ce Prince, puisqu'après son décès, irrités de ce que le Duc Richard II, son petit-fils, n'admettoit dans sa confiance que les possesseurs de Fiefs militaires, ils prirent les armes contre ces derniers, & réussirent à intéresser dans leur querelle les Bourgeois des Villes. Ceci se conçoit aisément, si l'on réfléchit sur l'étendue des prérogatives que Raoul leur avoit attribuées, que les Loix de Guillaume le Conquérant leur conserva, & dont il sera parlé dans les Sections suivantes.
[453] Hist. de Norm. par du Moulin, pag. 22, Somm. 8, & suiv.
(b) Car lhomage per soy ne fait pas service de Chivaler, &c.
L'hommage constitue le Fief, mais n'en détermine pas l'espece; c'est par leurs redevances que les Fiefs se distinguent entr'eux.
SECTION 118.
Item, home poit tener de son Seignior per fealty solement, & tiel tenure est tenure en Socage; car chescun tenure que nest pas (a) tenure in Chivalry, est tenure en Socage.
SECTION 118.—TRADUCTION.
Si l'on tient de son Seigneur par féauté seulement, on est tenant en Socage; car toute tenure qui n'est pas de Chevalerie est de Socage.
REMARQUES.
(a) Tenure qui n'est pas, &c.
Après le grade militaire on ne reconnoît point encore aujourd'hui, en Angleterre, d'état plus honorable que celui du Laboureur. On trouve dans Fleta,[454] Ex donationibus, feoda militaria vel magnam serjentiam non continentibus, oritur nobis quoddam nomen generale quod est Socagium. Ce qui conduit naturellement à penser que les Fiefs connus parmi nous sous le nom de franches Vavassories, proviennent de cette espece de tenure:[455] les Seigneurs se sont attribués par le laps du temps,[456] sur ces Fiefs, le droit de Garde; ce qui a dû rencontrer d'autant moins de difficulté, qu'en se soumettant à la Garde, ceux qui tenoient des terres en Socage n'avoient presque plus rien qui les distinguât des possesseurs de Fiefs par service de Chevalerie. La tutelle étoit, en effet, la principale différence que la Loi eût mise entre ces Fiefs & le Socage. Le Socage payoit comme eux le relief, & faisoit la foi & hommage; & s'il ne devoit pas comme eux le service personnel d'étage ou de guet aux Châteaux, il étoit taxé à certaines sommes destinées à ce service; d'où il est arrivé que dès que les possesseurs de Fiefs militaires n'ont plus été obligés de rendre ces services en personne à leurs Seigneurs, ces Fiefs se sont nécessairement confondus avec les franches Vavassories.
[454] Fleta, L. 1, c. 8. L. 3, c. 14 & 16. Voyez aussi Britton, c. 66, pag. 164.
[455] Tous les Fiefs, dit Brussel, 1er vol. L. 2, c. 7, pag. 175: Tous les Fiefs anciens de Normandie étoient ou des Fiefs entiers de Chevalier ou de Haubert, ou des portions de Fief de Haubert; & il n'y avoit entre ces Fiefs & les Rotures aucune autre sorte de biens-fonds que des Métairies tenues noblement en Arrieres-Fiefs sans aucune charge, & auxquelles il n'y avoit point de mouvance attachée.
[456] Voyez la Remarque sur la Section suivante, & sur-tout le passage de Terrien, où il dit que les Seigneurs font la vavassorie à garde ou sans garde.
Ces Vavassories ont été appellées franches, parce que s'il y en avoit qui ne devoient que l'hommage ou la féauté, d'autres étoient sujettes au labour des terres du Seigneur, ou des rentes; mais cette différence entre leurs services n'en mettoit aucune entre leur noblesse. Les redevances qui étoient imposées sur toutes, quelque fût leur inégalité, n'ayant eu pour motif que de conserver au Fief, dont ces Vavassories étoient démembrées, le droit de se les réunir dès que ces redevances cesseroient d'être acquittées, elles indiquoient perpétuellement les priviléges du fonds, & la propriété qui en avoit été transférée au vassal, propriété qui ne pouvoit être privée d'une portion de la dignité du Fief duquel elle continuoit de dépendre.
SECTION 119.
Et il est dit, que la cause pur que tiel tenure est dit & ad le nosme de tenure in Socage, est ceo: Quia socagium idem est quod servitium socæ, & soca idem est quod caruca, scavoir, un soke ou un carue. Et en ancient temps devant le limitation de temps de memorie grand part de les tenants (a) que tyendront de lour Seigniors per socage, devoient vener oue lour sokes, chescun de ses dits tenants pur certein jours per an pur arer & semer les demesnes le Seignior, & pur ceo que tielx averages, fueront fait pur le viver & sustenance de lour Seigniors, ils fueront quits envers lour Seigniors de touts maners de services, &c. Et pur ceo que tielx services fueront faits oue lour sokes tiel tenure fuit appel tenure en socage. Et puis apres tiels services fueront changes en denyers, per consent des tenants & per désire des Seigniors, scavoir, en un annuell rent, &c. Mes uncore le nosme de Socage demurt, & en divers lyeux les tenants uncore font tiels services oue lour sokes a lour Seigniors, issint que touts maners de tenures que ne sont pas tenures per service de Chivaler, sont appels tenures en Socage.
SECTION 119.—TRADUCTION.
On dit que la dénomination de tenure en Socage vient de ce que le Socage est le service de la charrue, que les Latins appelloient indifféremment soca ou caruca. En effet, anciennement partie de ceux qui tenoient en Socage étoient obligés de venir à certains jours semer & labourer les terres du Seigneur; & comme ces services avoient pour objet sa subsistance, ceux qui en étoient chargés étoient exempts de tout autre service. Depuis, ces services ont été évalués en deniers ou rentes du consentement des Seigneurs & des vassaux, & la tenure a conservé le nom de Socage.
REMARQUES.
(a) Grand part de les tenants, &c.
Tout tenant en Socage ne devoit donc pas le service de la charrue, & cependant ceux qui le devoient n'étoient pas, comme je l'ai observé, de pire condition que ceux qui ne s'y étoient point assujettis. Cependant ce fut l'obligation de ce service pour les uns, & l'exemption des autres qui fit naître, en France, dans les treizieme & quatorzieme siecles, la confusion des tenures en Socage chargées de redevances, avec le Villenage.
La Vavassorie, selon Terrien,[457] est une partie de Fief noble qui, par le Seigneur d'icelui Fief, est donnée par vendition, échange, &c. à aulcun pour être son vassal, & n'est appellée membre de Fief, car elle ne comprend aucune partie, comme moitié, tiers ou quart de Fief: or, ajoute cet Auteur, sont les aulcunes Vavassories greigneures, & les autres meindres, & les unes plus nobles & plus franches que les autres; car les unes ont Court, Usage, Colombier, Tor, Ver, Moulins & autres noblesses, & sont tenues à foi & hommage, & se relevent par membre de Fief; les autres ne sont pas nobles, & se relevent par acres ou par aulcunes somes de deniers, rentes ou services; partant ne sont pas dites franches, mais villain Fief. Et quand les Seigneurs veulent faire un Vavasseur, ils font la Vavassorie noble ou non noble, à Garde ou sans Garde, ainsi qu'ils le veulent; & peuvent donner une Vavassorie pour un chapeau de roses, ou pour un gand, ou pour un éperon; & si la Vavassorie a court, elle doit Garde.
[457] Comment. du Droit Civil Norm. L. 5, pag. 172.
Pour comprendre les erreurs de cette définition des Vavassories, il ne faut, je crois, qu'un peu de réflexion sur le texte de Littleton. Si ce que Terrien dit étoit vrai, il faudroit admettre que la Garde, le droit de Court, le Relief auroient originairement constitué les Fiefs; mais, en ce cas, Littleton auroit-il mis au même rang les tenures en Socage, soit qu'elles eussent ou non ces prérogatives? C'est donc à d'autres marques que le Fief doit se reconnoître; & en effet, elles se manifestent dans l'hommage & la foi prêtée à un Seigneur. Ces formalités seules constatent que le fonds qui y oblige est d'un ordre distingué de celui des autres fonds; & que si ce fonds n'a ni Court, ni mouvance, & ne tombe point en garde, ce n'est pas qu'il soit, par sa nature incompatible avec ces prérogatives, mais parce qu'elles n'ont point été comprises dans les conditions de l'inféodation: inféodation, d'ailleurs, qui ne conserve pas moins sa qualité de membre de Fief, en payant un relief à raison de l'acre, en deniers ou rentes, qu'en le payant à un taux plus généralement usité, puisque cessant le démembrement originaire fait d'un Fief pour former cette inféodation, elle n'opéroit aucun relief, qui n'est établi que pour perpétuer le privilége de l'inféodation dans la famille du vassal. Terrien a donc évidemment ignoré quels étoient les caracteres constitutifs du Fief, lorsqu'il a donné le nom de Fief villain aux Vavassories ou tenures en Socage qui étoient obligées à des rentes, & qui se relevoient par des rentes, &c. Il y a plus, l'idée du Villenage & cette inféodation sont exclusives l'une de l'autre, si l'on s'attache à considérer leur essence primitive. Car le Villain ne l'étoit pas à cause de sa tenure, mais sa tenure étoit villaine à cause de sa personne. Le Villain n'étoit point relevant du Seigneur, mais il en dépendoit comme un esclave de son maître. Il n'avoit nulle propriété du fonds qu'il cultivoit;[458] ne pouvoit en disposer, ou plutôt ce fonds étoit une partie de Fief, mais toujours inhérente au Fief, subsistante en la main du Seigneur, qui n'en cédoit la jouissance que pour son profit & sans autre terme que celui de sa volonté. Or, une jouissance de cette espece ne pouvoit se concilier avec la foi & hommage, ni avec le relief, qui tous supposent & la dignité originaire du fonds, & la libre disposition de ce fonds en la personne de ceux qui s'acquittent de ces différens devoirs.[459]
[458] Le villain ne peut vendre, ne engager, ne donner la borde ou terre qui luy est baillee pour faire les vils services de son Seigneur. Anc. Cout. Chap. de Tenures.
SECTION 120.
Item, si home tient de son Seignior per Escuage certaine, (a) scavoir, en tiel forme quant lescuage curge, & est assesse per Parliament a griender summe ou meinder summe, que le tenant paiera a son Seignior forsque demy marke pur escuage, & nient pluis ne meins, a quel graund summe, ou a quel petite summe que lescuage curge, &c. tiel tenure en Socage, & nemy service de Chivalrie. Mes lou le summe que le tenant paiera pur lescuage est non certaine, savoir, lou il poit estre que l'summe que le tenant paiera pur lescuage a son Seignior poit estre a un foits le greinder & a auter foits le meinder, solonque ceo que est assesse, &c. donques tiel tenure est tenure per service de Chivaler.
SECTION 120.—TRADUCTION.
Si un homme tient de son Seigneur par un droit fixe pour l'Escuage, ou s'il est dit dans l'acte de son inféodation que quelque soit la somme à laquelle sera fixé l'Escuage par le Parlement, il ne payera qu'un demi-marc pour l'Escuage; sa tenure en ce cas est tenure en Socage, & n'est point une tenure par service de Chevalier; car la tenure par service de Chevalier doit l'Escuage au taux réel auquel le Parlement l'impose.
REMARQUE.
(a) Escuage certaine, &c.
Cette Section indique une nouvelle distinction entre les Fiefs tenus par service de Chevalier & le Socage.
La premiere tenure doit le service militaire personnel, & ce service ne peut être apprécié qu'après l'expédition où on le rend, vu la diversité des circonstances qui peuvent aggraver ou adoucir ce service. Le Socage ne doit que des secours relatifs à ce service; mais ils sont déterminés. D'où n'ait encore une différence bien sensible entre le Socage & les tenures de Villenage; car celles-ci ne sont chargées que de corvées incertaines à la volunt le Seignior.[460]
[460] Sect. 172, ci-après.
SECTION 121.
Item, si home tient sa terre pur payer certaine rent a son Seignior pur Castle-garde (a) tiel tenure est tenure en socage. Mes lou l' tenant doit paier luy mesme, ou per un auter faire Castle-garde, tiel tenure est tenure per service de Chivaler.
SECTION 121.—TRADUCTION.
Ceux qui tiennent une terre à la charge de payer une rente pour la garde d'un Château sont tenant en Socage. Si, au contraire, ils doivent faire par eux-mêmes cette garde ou poser quelqu'un pour la faire, ils tiennent par service de Chevalier.
REMARQUE.
(a) Castle-garde.
Nos anciennes Coutumes font aussi la distinction de la garde des Châteaux personnelle d'avec celle qui est évaluée en argent. Se aucuns nobles homes doivent garde certaine, & il démembroit le fié, covient que chacun qui tenra le fié paye autant de garde come cil payeroit qui tenoit tout le fié.[461]
Si li Sire fait semonre ses homes qui l'y doit sa garde, cil quil y doit sa garde, y doit estre ô sa feme ou son sergent, & y gesir toutes les nuits.[462]
Le premier de ces textes se rapporte à l'étage dû par les Vavassories, & ceux qui doivent ce droit sont appellés nobles homes. Le second concerne les Fiefs de Chevaliers.
[461] Cout. Anc. de Champ, citée par Chop. De Jurisd. Andeg. L. 1, pag. 400.
[462] Etabliss. de S. Louis, tit. 15, de Lige Etage.
SECTION 122.
Item, en touts cases lou l' tenant tient del Seignior a paier a luy ascun certain rent, cel rent est appelle rent service.
SECTION 122.—TRADUCTION.
En tous les cas où un tenant releve d'un Seigneur par une rente fixe, cette rente s'appelle rente de service.
SECTION 123.
Item, en tielx tenures en socage si l' tenant ad issue, & devie son issue esteant deins lage de 14 ans, donques le procheine amy del heire a que lheritage ne poit discender avera la garde (a) de la terre & del heir telque la age del heir de 14 ans, & tiel gardein est appelle gardein en socage. Car si la terre descendist al heire de part le pier, donques la mere, ou auter procheine cousen de part le mere avera la garde. Et si le terre discendist al heire de part la mere, donques le pier ou le prochein amy de part del pier avera le garde de tielx terres ou tenements. Et quant lheire vient al age de 14 ans compleat, il poit enter & oustre le gardein en Socage, & occupier la terre luy mesme sil voit. Et tiel gardeine en socage ne prendra ascuns issues ou profits de tielx terres ou tenements a son use demesne, mes tantsolement al use & profit del heire, & del ceo il rendra accompt al heire quant pleast al heire apres ceo que lheire accomplish lage de 14 ans. Mes tiel gardein sur son accompt avera alowance de touts ses reasonable costs & expences en touts choses, &c. Et si tiel gardein maria lheire deins 14 ans, il accomptera al heire, ou a ses executors de value del mariage, coment que il ne prist riens pur le value del mariage, pur ceo que il serra rette[463] sa folly demesne, que il luy voiloit marier sans prender la value del mariage, sinon que il luy maria a tiel mariage que est tant en value come le mariage del heire, &c.
[463] Rette pour réputé.
SECTION 123.—TRADUCTION.
En tenure par Socage, si le tenant meurt & laisse un enfant de 14 ans, le plus proche parent de cet enfant, après son héritier présomptif, aura la garde de la terre & de la personne du mineur jusqu'à ce qu'il ait atteint sa 14e année, & ce gardien s'appelle gardien en Socage. Ainsi si la terre écheoit au mineur du côté de son pere, la mere ou autre proche parent du côté de la mere aura la garde; & si la terre vient du côté de la mere, le pere ou le plus proche parent paternel aura cette garde.
Dès que le mineur aura atteint 14 ans, il entrera en possession de ses biens, & la garde finira.
Le gardien ne peut avoir aucuns profits de la terre; il doit tenir compte de tout le revenu à son mineur aussi-tôt la majorité acquise. Mais dans son compte le gardien peut le faire allouer les dépenses & débours raisonnables qu'il justifiera avoir faits; & s'il a marié le mineur avant 14 ans, il comptera à ce mineur ou à ceux qui seront à son droit de la valeur du mariage, parce qu'il sera réputé avoir consenti à ce mariage sans vouloir en tirer aucun profit. Il en seroit cependant autrement si la valeur de la dot de la femme du mineur étoit égale à celle du mariage de ce dernier.
REMARQUES.
(a) Le procheine amy del heire a que lheritage ne puit discender avera la gard.
Suivant un Capitulaire de l'an 819,[464] la personne & les biens des pupilles étoient en la garde du Roi. Les Comtes ou autres Bénéficiers, dans le ressort desquels ils se trouvoient situés, nommoient ceux qui devoient défendre leurs intérêts en jugement; & c'est delà qu'est dérivée cette maxime du droit Coutumier François: Toutes tutelles, quant aux biens, sont datives.
[464] Capitul. L. 4, c. 16. Collect. Balus. tom. 1er.
Quand les hommes libres commencerent à faire ériger leurs Aleux en Fiefs, les Seigneurs auroient pu s'attribuer la tutelle des enfans de ces hommes libres après leur décès, ainsi qu'ils se réserverent, dans la suite, la garde de leurs autres Sous-Feudataires mineurs. Mais l'inféodation des Aleux ayant pour but de soustraire le vassal à toute espece de service qui auroit pu le distraire de la culture de ses héritages, parce qu'ils contribuoient à la subsistance du Seigneur; ç'auroit été manquer ce but, que de laisser le Seigneur exposé, dans la circonstance de la mort du vassal, à faire faire, pour les mineurs, des travaux sur lesquels, par état, il lui auroit été impossible de veiller. D'ailleurs, en substituant, aux parens du mineur, un étranger pour la régie de ses biens, quelles dégradations n'auroient-ils pas éprouvé de la part d'un régisseur négligent ou avide? Cette régie n'auroit pu être gratuite, & la valeur des fonds auroit pu également diminuer par le défaut comme par l'excès de la culture. Pour parer à ces inconvéniens, les Seigneurs conserverent donc la garde aux parens, qui seuls pouvoient, sans récompense & par pure affection, s'intéresser efficacement à l'améliorissement des possessions du mineur. On choisissoit, il est vrai, pour la garde, parmi ces parens, ceux qui étoient du côté opposé à celui d'où provenoit l'héritage; mais outre que ceci mettoit en sureté la fortune du mineur, en ce qu'un gardien craignoit toujours d'autoriser, par sa mauvaise administration d'un bien à la succession duquel il ne pouvoit rien prétendre, l'indifférence des parens d'une autre ligne, pour les fonds auxquels il avoit droit de succéder, & dont ils avoient l'administration, on prévenoit encore par-là divers évenemens qui auroient pu préjudicier le pupille.[465] En effet, si son héritier présomptif eût été nécessairement administrateur de ses biens, il seroit souvent arrivé qu'il auroit eu des prétentions sur ces biens, & la garde lui auroit procuré bien des moyens de se faire à soi-même les restitutions qu'il se seroit imaginé légitimement dues, sans que le mineur eut pût jamais s'en appercevoir. Quelquefois même, cil quil devroit aver le retor de la terre, étant Gardien, auroit désiré pluis le mort des enfants que lour vie pour la terre quil y escharroit.[466] Cette Coutume, néanmoins, éprouva quelques changemens sous S. Louis. La garde de la personne fut, de son temps, confiée au parent, qui ne pouvoit rien reclamer en la succession du mineur, & l'héritier eut la garde des biens. C'est sans doute là une des exceptions au droit des Seigneurs qui a confirmé M. de Montesquieu dans le systême d'une double administration: systême que j'ai ci devant combattu.[467] Mais il doit paroître évident, 1o. que cette double administration, même du temps de S. Louis, n'avoit lieu que pour les Aleux inféodés, puisque les Seigneurs avoient seuls la garde de la personne & des biens des possesseurs des Fiefs militaires: 2o. que les établissemens de ce S. Roi sont d'une date trop récente pour qu'on suppose qu'il y ait adopté des regles d'une institution aussi reculée que celle de la Baillie de nos Rois, sur-tout après que les Coutumes subsistantes sous Guillaume le Conquérant, rédigées plus de deux siecles avant les Etablissemens de S. Louis, avoient prescrit, à l'égard des Aleux, ou des Fiefs formés d'Aleux, des regles contraires à celles de cette Baillie. D'ailleurs suivant ces Coutumes, les Fiefs ou Aleux tenus en Socage, & les mineurs auxquels ils appartenoient lors de la conquête du Duc Guillaume, n'avoient ou qu'un même Gardien, ou que le même étranger à défaut de parens pour Bail, suivant la disposition de la Section suivante.
[465] Hæres sockmani sub custodiâ Dominorum non erit, sed sub custodiâ consanguineorum qui conjuncti sunt jure sanguinis & non jure successionis ex parte quorum non descendit hæreditas, quia numquam remanebit in custodiâ alicujus de quo haberi possit suspicio, quod velit jus clamare in ipsâ hæreditate; & unde si plures sint filiæ & hæredes & tenere debeant in socagio, nulla debet esse in custodiâ alterius. Bracton, L. 2, fo 87. Glanville, L. 7, c. 11.
[466] Etablis. c. 117.
SECTION 124.
Et si ascun auter home que nest prochein amy, occupie les terres ou tenements del heire come gardeine in Socage, il serra compell' de render accompt al heire, auxi bien sicome il fuissoyt prochein amy: car il nest pas plee pur luy en briefe daccompt adire, que il nest, procheine amie, &c. mes il respondra l' quel il ad occupie les terres ou tenements come gardeine en socage ou nemy. Sed quære, si apres ceo que le heire ad accomplish lage de 14 ans, & gardeine en socage continualment occupia la terre tanque lheire vient a plein age, scavoir, 21 ans, si le heire a son pleine age avera action daccompt envers le gardein de temps que il occupia apres les dits 14 ans, come envers gardeine en Socage, ou envers luy come son Baylife.
SECTION 124.—TRADUCTION.
Si un autre qu'un parent tient les terres du mineur en sa garde, comme gardien en Socage, il sera tenu de rendre compte à ce mineur comme seroit un parent. Car le Bref accordé aux mineurs pour obtenir compte de l'administration que leurs gardiens ont eue de leurs héritages ne contient point d'exceptions en faveur du gardien qui ne seroit point leur parent; sur ce Bref toute la cause se réduit à sçavoir si le gardien assigné pour venir en Jugement a occupé les fonds comme gardien en Socage ou a un autre titre.
Mais on peut faire cette difficulté, si le gardien occupoit la terre après que le mineur auroit atteint 14 ans jusqu'à sa 21e année, ce mineur, en ce cas, auroit-il une action contre le gardien qui ne seroit pas son parent pour lui faire rendre compte depuis qu'il auroit acquis la majorité de 14 ans? Peut-on dire que le gardien ait joui pendant ce temps comme gardien en Socage ou comme Baillif du mineur? C'est ce qui n'est pas décidé.
SECTION 125.
Item, si gardein en Chivalry face ses executors & devy, le heire esteant deins age, &c. les executors averont le garde durant le nonage, &c. Mes si gardein en Socage face ses executors, & devy, le heire esteant deins lage de 14 ans, ses executors naveront pas le garde, mes un auter procheine amy, a que le heritage ne poyt my discend, avera la garde, &c. Et la cause de divesity est, pur ceo que gardein en Chivalrie ad le garde a son proper use, & gardein en Socage nad le garde a son use, mes al use del heire. Et en cas lou le gardein en Socage devy devant ascun accompt fait pur luy al heire, de ceo le heire est sans remedie, pur ceo que nul briefe daccompt gist envers les executors, si non pur le Roy solement. (a)
SECTION 125.—TRADUCTION.
Si un tenant en Chevalerie établit des exécuteurs de son testament, & s'il laisse en mourant un enfant mineur, les exécuteurs en auront la garde. Mais les exécuteurs du testament d'un tenant en Socage ne seront pas gardiens de son mineur, cette garde appartient en ce cas au plus proche parent, pourvu qu'il ne soit pas héritier présomptif des fonds objets de la garde; la raison de cette différence vient de ce que le gardien en Chevalerie fait les fruits siens, au lieu que le gardien en Socage doit compte des fruits au mineur. Il est bon cependant de remarquer que si ce parent gardien en Socage, dans le cas où il y a des exécuteurs du testament du pere du mineur, décede sans avoir rendu compte, ce mineur pourra agir en garantie contre les exécuteurs. Il n'y a point de Bref accordé contre les exécuteurs, si ce n'est pour les droits du Roi.
REMARQUE.
(a) Pur le Roy solement.
Cette exception est très-équitable. Les dispositions testamentaires d'un pere étant une charge de sa succession, le mineur ne pouvoit rien prétendre à cette succession qu'en consentant leur exécution; mais ces dispositions ne pouvoient jamais préjudicier les droits du Souverain, ou, ce qui est la même chose, ceux de l'Etat; parce que ces droits sont de premiere nécessité, & c'est de leur exécution que dépend la sureté des propriétés particulieres.
SECTION 126.
Item, le Seignior de que la terre est tenus en Socage apres le mort son tenant avera reliefe en tiel forme. Si le tenant tient per fealtie & certain rent, a payer annualment, &c. si les termes de paiement sont a payer per deux termes del an, ou per quater termes del an, le Seignior avera del heire son tenant tant come le rent amount paya pur an. Sicome le tenant tient de son Seignior per fealtie & 10 sols de rent, payable a certaine termes del an; donques lheire payera al Seignior 10 sols pur reliefe, ouster les 10 sols que il paiera pur le rent.
En mesme le manner est, si home soit seisie de certaine terre que est tenus en Socage & feoffment en fee a son use, & morust seisie del use (son heire del age de 14 ans ou pluis) & nul volunt per luy declare, le Seignior avera reliefe del heire sicome avant est dit. Et cest per Le Statute de Ann 19 Hen. 7. cap. 15.
SECTION 126.—TRADUCTION.
Le Seigneur de qui releve une terre en Socage prend après le décès de son vassal Relief en la proportion suivante:
Si le vassal tient par féauté & par une rente annuelle, quoique cette rente se paye en deux termes, son Relief sera de l'année entiere de la rente. Ainsi que la rente soit de 10 s. le Seigneur aura 10 s. pour relief, outre les 10 s. qui lui sont dûs pour sa rente, aux termes convenus. Si le vassal en Socage fieffe sa terre, & si avant d'avoir rendu publique son aliénation il décede laissant un fils mineur de 14 ans, le Seigneur aura Relief du mineur, comme dans le cas posé en la Section 115, & cela en vertu de l'Edit de la dix-neuvieme année de Henri VII, Chap. 15.
SECTION 127.
Et en tiel cas apres la mort le tenant, tiel reliefe est due al Seignior maintenant, de quel age que le heire soit, pur ceo que tiel Seignior ne poit aver le garde de corps ne de terre le heire. Et le Seignior en tiel case ne droit attendre a le payment de son reliefe, solonques les termes & jours de payment de rent, mes il doit aver son reliefe maintenant, & pur ceo il poit incontinent distrain apres le mort son tenant, pur reliefe.
SECTION 127.—TRADUCTION.
Dans le même cas où la tenure est à charge de rente, le Seigneur a Relief dès l'instant du décès de son vassal quel que soit l'âge du mineur; parce que le Seigneur n'a en Socage la garde ni de la personne ni des terres du mineur, & que ne devant pas attendre l'échéance de sa rente pour le payement du Relief, il s'empareroit du Fief immédiatement après le décès de son vassal, si on négligeoit de le lui payer.
SECTION 128.
En mesme le maner est lou le tenant tient de son Seignior per fealtie, & un lib. de Pepper ou Cummin, & le tenant morust, le Seignior avera pur reliefe un lib. de Cummin, ou un lib. de Pepper, ouster le common rent. En mesme le maner est lou tenant tient a payer per an certaine number de Capons, ou de Gallines, ou un paire de Gaunts, ou certaine bushels de Frument, & hujusmodi.
SECTION 128.—TRADUCTION.
Il en faut dire autant du vassal qui tient par Féauté & par la redevance d'une livre de Poivre ou de Cumin. Le Seigneur après le décès du tenant a une livre de ces épiceries pour Relief, sans diminution de la quantité qui lui en est dûe annuellement. La Loi est encore la même quand il est dû un certain nombre de Chapons, de Poules, une paire de Gants ou une mesure déterminée de Froment ou d'autres Grains.
SECTION 129.
Mes en ascun case le Seignior doit demurrer a destreiner per son reliefe jusque a certaine temps. Sicome le tenant tient de son Seignior per un Rose, ou per un bushel de Roses, a paier al feast de Nativitie de Saint John Baptist, si tiel tenant devie en yver, donque le Seignior ne poit distrainer pur son reliefe tanque al temps que les Roses per le course del an poient aver lour cresser, &c. & sic de similibus.
SECTION 129.—TRADUCTION.
On ne doit excepter de cette regle pour le payement du Relief que le cas où il seroit dû au Seigneur une rose ou un bouquet de roses à la Nativité de Saint Jean-Baptiste; car si le vassal décede en hiver, le Seigneur doit différer le payement de son Relief jusqu'au temps où naissent les roses.
SECTION 130.
Item, si ascun voile demand, pur que home poit tener de son Seignior per fealtie tantsolement pur touts manners des services, entant que quant le tenant ferra fealtie, il jurera a son Seignior que il ferra a son Seignior touts maners des services dues, & quant il ad fait fealtie en tiel case nul auter service est due. A ceo il poit estre dit, que lou un tenant tient sa terre de son Seignior, il covient que il doit faire (a) a son Seignior ascun service; car si le tenant ne ses heires devoynt faire nul manner de service al Seignior ne a ses heires, donque per long temps continue il serroit hors de memorie & de remembrance, le quel la terre fuit tenus de le Seignior, ou de ses heires, ou nemy, & donques pluis tost & pluis rediment voilont homes dire que la terre nest pas tenus del Seignior ou de ses heires, que auterment: Et sur ceo le Seignior perdra son escheat de la terre, ou per case auter forfeiture ou profit que il poit aver de la terre. Issint il est reason que le Seignior & ses heires ont ascun service fayt a eux, pur prover & testifier que la terre est tenus de eux.
SECTION 130.—TRADUCTION.
On demande si un homme peut tenir de son Seigneur par féauté seulement, ensorte qu'après avoir juré la féauté il ne soit plus tenu à aucuns services. On peut répondre à cette question qu'il est essentiel au Seigneur que tous ceux qui se reconnoissent ses vassaux soient obligés à quelques services. Si le tenant n'en devoit aucuns, il pourroit, en effet, arriver que par le laps du temps le Seigneur ne pourroit plus reconnoître si la terre releveroit ou non de lui; & alors il vaudroit autant dire que cette terre ne dépendroit d'aucune Seigneurie: d'où il arriveroit que le Seigneur n'auroit plus le droit, à défaut d'hoirs, de reprendre pour cause de forfaiture ou de deshérance la possession du fonds. Ainsi il convient qu'un Seigneur ait toujours quelque service affecté à la terre qu'il donne à fief pour prouver & justifier qu'elle est mouvante de lui.
REMARQUES.
(a) Il covient que il doit faire, &c.
Ce Texte est un des plus importans de la Loi Angloise. On y voit clairement que l'état naturel des terres, sous Guillaume le Conquérant, étoit le Franc-Aleu; qu'il ne falloit point de titre pour l'établir; qu'au contraire, les Seigneurs avoient besoin d'un titre pour détruire la présomption qui étoit de droit, en faveur de la franchise des fonds situés dans le ressort de leur Seigneurie: d'où il suit que si depuis le Duc Guillaume jusqu'à nous, il n'y a point eu de disposition dans les Coutumes Normandes qui ayent dérogé à la franchise que l'Aleu avoit toujours conservée depuis le commencement de la Monarchie Françoise jusqu'à ce Duc, cette franchise doit encore subsister avec ses prérogatives originales. Or, jamais une semblable disposition n'a existé, ou plutôt par les Coutumes actuelles de Normandie comme par les anciennes Coutumes de cette même Province, qui étoient celles de tout le Royaume avant que la Normandie eût des Ducs indépendans, il est certain que toute terre étoit libre tant que son inféodation n'étoit point prouvée. Pour établir ceci, il faut remonter aux temps les plus éloignés. Mon dessein n'est pas de faire un Traité du Franc-Aleu, mais d'esquisser, en cette Remarque, les principaux moyens qu'on pourroit employer au Traité que l'on désire sur cette matiere.
La Loi Salique[468] distingue tous les sujets du Roi en six différentes classes. La premiere comprend les Antrustions, connus encore sous les noms de Fidèles ou Leudes: ensuite elle désigne le Romain convive du Roi, les Francs ou Barbares, les Romains possesseurs, les Ingénus, les Serfs.
[468] Lex Salic. tit. 43.
L'Antrustion & le Romain commensal du Roi étoient ordinairement gratifiés de terres du Fisc[469] pour un temps ou pour leur vie. Ils pouvoient aussi posséder des Aleux qui, n'étant sujets à aucunes redevances, ne dérogeoient point à la noblesse qui étoit spécialement attribuée à ces deux ordres. Ceux qui les composoient étoient seuls les Hommes illustres ou Grands de l'Etat; & en cette qualité, ils exerçoient exclusivement les fonctions de Ducs, de Comtes ou de Patrices.[470]
[469] Dum et fidem & utilitatem tuam videmur & habere compertam, &c. Marc. L. 1, Form. 8.—De vassis Dominicis qui adhuc intra casam serviunt & tamen Beneficia habere noscuntur. Capitul. L. 3, c. 73.
[470] Marculph. L. 1, Formul. 8, &c.
Quelquefois le Roi changeoit les terres fiscales de ces Seigneurs en Aleux, & par ce moyen, la noblesse obtenue par les services rendus au Souverain, de personnelle devenoit héréditaire; car la conversion de ces fonds en Aleux les rendoit indépendans de toute Jurisdiction: ceux qui possédoient ces fonds avoient Jurisdiction sur tous ceux qui demeuroient dans leur étendue.[471]
[471] Ibid, L. 1, Formul. 14: Vel quolibet genere hominum ditioni fisci nostri subditorum qui ibidem commanent in integrâ emunitate absque ullius introitu judicum.... perpetualiter habeat concessam (villam illam) &c.
L'homme libre ou Franc, que l'on appelloit aussi Barbare, c'est-à-dire, conquérant, possédoit des Aleux, & quoiqu'il ne fût pas noble, il étoit capable de le devenir.[472] Si le Roi agréoit son hommage, qu'il faisoit accompagné de tous ceux qui dépendoient de lui,[473] il acqueroit le titre d'Antrustion, & le droit de Jurisdiction sur ces derniers.
[472] Formul. 18 de Marculph. L. 1: Qui nobis fidem pollicentur illæsam, nostro tueantur auxilio, & quia fidelis ille in manu nostrâ trustem & fidelitatem nobis visus est conjurasse.... jubemus ut deinceps in numero Antrustionum computetur.
[473] Ibid. Veniens ibi... unà cum Arimaniâ suâ, &c. Arimani, selon Cujas, L. 5, col. 1915. de Feudis, sunt illi qui Magistratibus parent; selon. M. Bignon, ce sont les enfans, familia. Mais je pense que dans le cas de la Formule, ce sont les principaux habitans des Bourgs ou Villages du nouvel Antrustion, & dont il acquéroit par l'hommage la Seigneurie. L'ancien Coutumier appelle meignie les femmes, enfans & vassaux, Ch. 85.
Le Romain possesseur n'avoit pas les mêmes avantages que l'Homme libre. Si on tuoit un homme libre on payoit deux cens sols; & on composoit pour le meurtre d'un Romain possesseur par cent sols seulement;[474] disproportion qui ne pouvoit être fondée que sur ce qu'étant tous deux propriétaires d'Aleux, la personne & les Aleux de l'un étoient susceptibles d'un dégré d'honneur, & conséquemment de valeur, auquel ni les Aleux ni la personne de l'autre ne pouvoient parvenir.
[474] Lex Salic. tit. 43.
L'Ingénu ou Affranchi possédoit des Aleux; mais quoiqu'ils ne payassent point le cens au Roi,[475] ils étoient toujours chargés de quelque redevance envers celui dont ils avoient obtenu l'ingénuité; & d'ailleurs, par la qualité d'Ingénu, on devenoit propriétaire des Aleux, dont, en restant serf, on n'auroit pu disposer;[476] mais on ne pouvoit devenir noble.[477]
[475] Marculph. L. 1, Form. 19: Bene ingenuus esse videtur in puletico publico censitus non est.
[476] Idem, L. 2, Form. 34; Et Annal. incert. Auth. pag. 7. Greg. Tur. L. 4, c. 12.
[477] Rex fecit te liberum non nobilem, quod impossibile est post libertatem. Vit. Lud. Pii. Theg. pag. 125.
Le Serf n'étoit ni maître de sa personne, ni d'aucuns fonds; il devoit au Roi le cens pour sa personne, & il ne pouvoit abandonner le fonds sans le congé du propriétaire.[478]
[478] Marculph. L. 2, Formul. 28: Ita ut ab hâc die de vestro servitio penitus non discedam. Et Capitul. 113, L. 1er. L. 2, c. 41.
Sous les noms d'Optimates, Fidèles, Illustres, nos anciens Auteurs ont désigné les Antrustions ou les hommes libres parvenus à ce rang par une grace spéciale du Souverain, ou les Romains admis à la Cour; & sous le titre de mediocres personæ, les Francs ou hommes libres, & les Romains ou François ingénus, simples propriétaires d'Aleux.[479]
[479] Lex Burgund. tit. 2, art. 4.
Telle étoit la distinction des personnes & la différence de leurs possessions au commencement de la premiere Race; mais vers sa fin, & dans le cours de la seconde, les Leudes, & les hommes libres devenus Leudes, ayant réussi à rendre leurs biens du fisc héréditaires, ils sous-inféoderent aux hommes libres des portions de leurs honneurs; ou les hommes simples propriétaires d'Aleux les soumirent, par l'hommage, à leurs Bénéfices, & les personnes ne se diviserent plus qu'en quatre classes.
Les Romains se trouvant alors confondus avec les François d'origine, la premiere classe fut composée des Possesseurs de Bénéfices de dignité, tels que Ducs, Comtes, &c; la seconde, de leurs Sous-Feudataires; la troisieme, des Hommes libres & Ingénus, indépendans des Seigneurs, quant à la propriété de la glebe; & la quatrieme, des Serfs, Villains, ou gens de pote.
La classe des possesseurs d'Aleux n'étoit pas la moins considérable. En 842 ils se souleverent contre les Seigneurs sous la Jurisdiction desquels ils vivoient; & Louis, Roi de Baviere, frere de Charles le Chauve, ne put les contenir qu'à main armée.[480] Trois ans après ces cultivateurs, incolæ terræ, réussirent à expulser les Normands des environs de Paris & de la Neustrie, en leur donnant une somme considérable en argent.[481] Il ne paroît pas que les Seigneurs ayent entré pour rien dans cette contribution. Ces colons ne tenoient donc pas leurs propriétés des Seigneurs; ils étoient libres. En effet, dans le même siecle, en la troisieme année du regne de Louis le Débonnaire, ce Prince, par l'une de ses Préceptions en faveur des Espagnols, fait défenses aux Comtes & autres Bénéficiers, en faveur des hommes libres & non nobles de cette nation, minorum & infirmorum, de les réduire en servitude, de leur imposer des corvées, de les dépouiller des fonds qu'ils cultivent; & il enjoint à ces Seigneurs de ne troubler ni eux ni leurs descendans dans leurs possessions, mais seulement d'exiger d'eux le service militaire, nostrum servitium dumtaxat: service, ajoute ce Prince, auquel tout possesseur libre de son Royaume est tenu.[482] Enfin dans le Concile tenu à Savonieres, sous Charles le Chauve en 859, on voit que ce n'étoit que par usurpation que quelques hommes libres étoient inquiétés par les Seigneurs dans leurs propriétés.
[480] Annal. incert. Auth. anno 842, pag. 47.
[481] Normani regnum Caroli vastantes tam ab ipso quam ab incolis terræ acceptâ pecuniâ copiosâ cum pace discesserunt. Ibid, ann. 845, pag. 49.
[482] Concess. Præcept. pag. 295. Collect. Histor. Franc. & alterum Præcept. pag. 288. Ut sicut liberi homines cum Comite suo in exercitum pergant, veredas donent, nec alius census ab eis exigatur.
On reconnoissoit donc encore alors un état naturel de liberté pour les terres, & il n'est pas vrai de dire[483] qu'à la fin de la seconde Race les laboureurs étoient serfs dans tout le Royaume. D'ailleurs, comment Guillaume le Conquérant auroit-il fait mention, dans un de ses premiers Edits, des Comtes, Barons, Chevaliers, Sergens, & des Hommes libres,[484] ou comment auroit-il érigé des Francs-Aleux en Angleterre, immédiatement après sa conquête, comme tous les Historiens Anglois l'attestent,[485] s'il n'avoit point eu de ces sortes de possessions dans les anciens Etats, & si la liberté de la glebe & de la personne eût été totalement éteinte en Normandie au temps de la cession qu'en fit Charles le Simple au Duc Raoul?
[483] M. de Montesquieu, Espr. des Loix, Tom. 4. L. 30, c. 11.
[484] Coke, Sect. 103, pag. 76.
[485] Arth. Duck, L. 2, pag. 314.
Il faut cependant convenir que si les inféodations de la part des Seigneurs, ou la faculté qu'avoit l'homme libre de faire ériger son Aleu en Fief, n'anéantit pas l'ordre des hommes qui ne s'étoient jamais soumis au Vasselage, ces deux évenemens étendirent considérablement l'ordre de la Noblesse.
On a dû voir, par ce que j'ai ci-dessus observé, que cette Noblesse ne dépendoit ni de la naissance ni de l'antiquité des possessions, mais de la seule volonté du Roi.[486] Cette volonté se manifestoit par l'hommage que le Souverain ou recevoit lui-même, ou que les Seigneurs recevoient pour lui.[487] Ainsi, comme tout homme libre qui avoit obtenu du Roi un Bénéfice, lui devoit, outre le serment de fidélité, un hommage particulier; de même ceux auxquels les Bénéficiers faisoient part de leurs Bénéfices, ou dont ils associoient les Aleux à la dignité de ces Bénéfices, rendoient au Roi, en la personne de ces Seigneurs, leurs hommages, ou ces Bénéficiers, dont ils devenoient les vassaux, s'en acquittoient pour eux. L'hérédité des Bénéfices ne fit donc pas naître la Noblesse, mais elle autorisa les Nobles à communiquer leurs priviléges. Après cela il n'est pas difficile de concevoir comment l'Aleu noble & l'Aleu roturier se sont différenciés. Le premier étoit relevé ou par l'hommage fait au Seigneur, ou par l'hommage que ce Seigneur, qui l'avoit donné, ou auquel on l'avoit soumis, faisoit au Roi; l'autre étoit celui qui n'avoit jamais été subordonné à aucun Seigneur. Delà encore on parvient aisément à comprendre quelle a dû être la cause de la diversité des Coutumes en France, sur l'inutilité ou la nécessité d'un titre pour prouver la franchise des Aleux. Cette diversité est, sans doute, née de ce que certaines Provinces ont été divisées entre un plus grand ou un moindre nombre de Seigneurs, & que les inféodations d'Aleux y ont été plus ou moins fréquentes. Dans celles où elles ont été presque générales, il a été très difficile aux hommes libres de conserver la franchise de leurs fonds, & très-aisé aux Seigneurs de contraindre les propriétaires à les leur soumettre;[488] mais la Normandie ne s'est point trouvée exposée à cette vexation.
[486] L'Abbé Vély, tom. 2, pag. 256, ann. 986, attribue cette opinion à l'ignorance ou à l'adulation. Ne pourroit-on pas, avec plus de vérité, trouver le principe de la sienne dans la fausseté de ses idées sur la nature du Despotisme ou de la Monarchie? Un Roi peut donner un Comté, & le Comte lui devoir cette dignité, sans que le Roi puisse conclure de-là être aussi absolu que le Grand-Seigneur, ni que les biens du Comte puissent lui être enlevés arbitrairement. Il y a bien loin du don d'une dignité, du don des biens mêmes, au droit d'en dépouiller, sans motif, ceux qu'on en a gratifiés. Voyez Molin. ad Cons. Paris. Titul. de Cens. Sect. 73, n. 3. Coquill. in respons. ad Consuet. Franc. c. 6.
[487] Précept. aux Espagnols, pag. 291: Noverint Hispani sibi licentiam à nobis concessam ut se in vassaticum Comitibus nostris more solito commendent, &c.
[488] Dès 588 on voit les Seigneurs exercer ces violences à l'égard des hommes libres: Hi qui lateri Regis adhærent non solum miseros de agris, sed etiam de domibus propriis exulant. Concil. de Mâcon, Can. 14.
Quand le Duc Raoul en devint maître, les Seigneurs perdirent le droit d'ériger en Fief les Aleux; & tandis qu'en France ils continuoient de faire l'abus le plus criminel de ce droit, les hommes libres Normands acqueroient, sous leur Prince, un état plus assuré qu'ils n'avoient eu sous la foible domination des derniers Rois de la seconde Race.
Il falloit, dans les autres Provinces, une possession incontestable, & plus que cela, la protection d'un Seigneur pour se garantir de la perte de sa franchise, laquelle se trouvoit cependant fort souvent sacrifiée à celui qui avoit accordé cette protection; & en Normandie, les Seigneurs avoient besoin d'un titre pour établir que le Vasselage qu'ils s'attribuoient n'étoit pas une usurpation.
De droit, en Normandie, tout homme, toute terre étoit libre, comme ils l'avoient été dès la naissance de la Monarchie; & le Duc ayant seul la Jurisdiction immédiate sur tous ses sujets, les Seigneurs n'avoient aucun moyen pour changer l'état des hommes libres ni celui de leurs possessions. Aussi la Loi donnée aux Anglois par Guillaume le Conquérant est elle d'accord sur ce point avec les plus anciens usages de Normandie. Par la Chartre aux Normands en 1314, le Roi reconnoît qu'il y a parmi eux, hommes qui ne sont tenus envers le Duc à aulcuns services, & qu'on ne peut les contraindre à en faire, ou exiger d'eux finances, fors en cas d'Arriere-Ban. Terrien,[489] qui écrivoit avant la réforme de l'ancien Coutumier, admet des Aleux qui ne sont tenus d'aulcuns Seigneurs, qui sont libres de toute sujettion, & qui ne reconnoissent que le Roi pour Seigneur quant à la Jurisdiction: maxime adoptée par la Coutume réformée;[490] le Franc-Aleu n'y est point mis au nombre des tenures. Cette maxime a été enfin approuvée par une Déclaration du 12 Avril 1674, où Sa Majesté reconnoît que le Franc-Aleu de la Banlieue de Rouen est une prérogative qui lui appartient, non par grace, mais par la force de la Coutume qui a toujours régi cette espece de biens, & par leur propre nature. C'est sans doute d'un droit aussi clairement & aussi anciennement établi, que l'on peut dire que l'adulation ou l'ignorance pourroient seules suggérer au Prince de l'abolir.[491]
[489] L. 5, c. 6.
[490] Art. 102.
[491] L'Abbé Vély à l'endroit ci-devant cité. Voyez Hist. de France, tome 10, par M. Villaret, ann. 1378, pag. 425.
Opposera-t'on à ceci qu'à l'arrivée du Duc Raoul, la Normandie étoit totalement dépourvue de cultivateurs & d'habitans, terra inculta, vomere, pecudum & pecorum grege omninô privata, hominumque præsentiâ frustrata?[492] Mais comment peut-on se dissimuler que si Raoul représentoit à Charles le Simple, avant son Traité, la Province que ce Monarque lui cédoit, dans la plus extrême désolation, ce n'étoit que pour forcer ce dernier à joindre la Bretagne à la Normandie? Raoul par là comptoit rendre la communication de la France avec l'Angleterre plus difficile, & donner, par conséquent, à sa conquête les plus solides appuis.
[492] Dudo Sti Quintin. L. 2.
Aussi à peine le Traité fut-il conclu, que Raoul rappella les anciens habitans;[493] il assigna à chacun de ses Princes ou Comtes une égale portion de la Province où ils devoient faire exécuter ses commandemens, cœpit metiri terram veris suis Comitibus. Il donna à ses Fidèles, c'est à-dire, à ses moindres Officiers, en toute propriété, des fonds de terres, atque largitur fidelibus...... Funiculo divisit, &c. Mais ces dons ne comprenoient qu'une partie du territoire conquis & les fonds abandonnés par les propriétaires; puisqu'après que le Duc eut distribué ses récompenses à ceux de ses gens qui lui étoient restés attachés, les étrangers qui se rendirent à ses invitations, obtinrent des possessions capables de les fixer dans le pays.[494] Auroit-ce donc été un moyen bien propre à hâter le retour des Neustriens vers leur patrie, ou à engager les François à venir s'établir sous la domination Normande, que de les soumettre à des Loix étrangeres? Non, sans doute. D'ailleurs, indépendamment des promesses que Raoul avoit faites à Franco de conserver les anciennes Loix, tout portoit ce Prince à ne faire aucun changement dans les regles suivies avant lui pour la possession des héritages. Il tenoit la Province, de la France, à foi & hommage; & comme sous nos Rois la Neustrie avoit reconnu des terres franches & libres, il étoit de sa convention que la franchise & la liberté de ces terres ne fussent point dénaturées. Les plus grands domaines Neustriens, avant la conquête, avoient relevé du Roi à titre de Fief; sous Raoul, ils releverent de lui à ce même titre. Peu de fonds avoient conservé leur allodialité, mais il y en avoit qui n'avoient point encore été dépouillés de cet avantage, lorsque les Loix de Raoul furent portées en Angleterre, puisque le Domesday parle du Franc Aleu,[495] & que Dudon convient lui-même que Raoul avoit donné des terres sous ce titre: In fundum & alodum sempiternum.[496]
[493] Securitatem omnibus gentibus in suâ terrâ manere cupientibus fecit... atque de suis militibus advenisque gentibus refertam restruxit.... & pacificâ conversatione morari simul cœgit. Guillelm. Gemitic. c. 19.
[494] Guillem. Gemiticens. De Ducib. Norm. Hist. c. 19, pag. 618.
[495] Britton, c. 68, reconnoît aussi des fonds exempts de toute féodalité, pag. 273, & pag. 164, Selden, à la vérité, dit qu'il n'a vu aucunes traces de Franc-Aleu dans les Commentaires du Droit Anglois, in Eadmerum notæ, pag. 129; mais il cite lui-même le Domesday, où l'on trouve à l'article du dénombrement des terres de la Province de Kent un grand nombre de Francs-Aleux, ille qui tenuit terram istam liber homo fuit & potuit ire cum terrâ suâ quo voluit. Ibid, 1ere col.
[496] Dudo. L. 2.
SECTION 131.
Et pur ceo que fealty est incident a touts manners de tenures, forspris le tenure in frankalmoigne, (sicome serra dit en le tenu de Frankalmoigne) & pur ceo que le Seignior ne voiloit al commencement del tenure aver ascun auter service forsque Fealtie, il est reason que home poet tener de son Seignior per Fealtie tantsolement, & quaunt il a fait son Fealtie, il ad fait touts ses services.
SECTION 131.—TRADUCTION.
Comme la Féauté a lieu en toute espece de tenure, si ce n'est en celle de Franche-Aumône, dont on va parler; & comme dans l'origine le Seigneur, en sous-inféodant, n'exigeoit souvent que la foi de ses hommes; il est juste qu'un vassal puisse tenir seulement par Féauté.
SECTION 132.
Item, si un home lesse a un auter pur terme de vie certaine terres ou tenements sauns parler de ascun rent rend a le lessor, uncore il ferra fealtie a le lessor, pur ceo que il tient de luy. Auxy si un lease soit fait a un home pur terme de ans, il est dit que le lessee ferra fealtie a le lessor, pur ceo que il tient de luy. Et ceo est prove bien per les parols del briefe de Wast, quaunt le lessor ad cause de porter briefe de Wast envers luy, le quel briefe dira, que le lessee tient les tenements de le lessor pur terme de ans, issint le briefe prova un tenure enter eux. Mes celuy que est tenant a volunt solonque le course del common ley ne ferra fealtie, pur ceo que il nad ascun suer estate. Mes auterment est de tenant a volunt solonque l' custome del mannor, pur ceo que il est oblige pur faire fealtie a son Seignior pur deux causes; l'un est pur cause del custome, & lauter est, pur ceo que il prist son estate en tiel forme pur faire a son Seignior fealtie.
SECTION 132.—TRADUCTION.
Ainsi lorsqu'un homme tient un fonds à terme de vie, sans rentes ou à terme d'ans, il fait féauté, comme le prouvent les Formules du Bref de Wast; mais celui qui tient à volonté, selon la commune Loi, ne fait point féauté, parce qu'il n'a point d'état certain. Il en est autrement du tenant à volonté par la Coutume de la Seigneurie; car cette Coutume assurant l'état des vassaux, ils doivent le serment de fidélité à leur Seigneur.
CHAPITRE VI. DE TENURE EN FRANCHE AUMOSNE.
SECTION 133.
Tenant en Frankalmoigne est lou un Abbe ou Prior ou un auter home de Religion (a) ou de Saint Eglise, tiant de son Seignior en frankalmoigne, que est a dire en Latin in liberam eleemosynam. Et tiel tenure commenca ad eprimes en auncient temps en tiel forme: Quant un home en auncient temps fuit seisie de certain terres ou tenements en son demesne come de fee, & de mesmes les terres ou tenements en feoffa un Abbe & son Covent, ou un Prior, &c. a aver & tener a eux & lour successors a touts jours en pure & perpetuall almoigne, ou en frankalmoigne ou per tiels parols: A tener de le grantor, ou de le feoffor, & de ses heires ed frankalmoigne: en tiels cases les tenements sont tenus en frankalmoigne.
SECTION 133.—TRADUCTION.
On appelle tenant en Franche-aumône un Abbé ou Prieur, ou tout autre homme consacré à l'état Religieux & Ecclésiastique qui a reçu un fonds d'un Seigneur en pure aumône, sans aucune charge, in liberam eleemosynam; & cette sorte de tenure est ainsi appellée, parce que dans les premiers temps quelques hommes propriétaires de terres qu'ils tenoient eux-mêmes en fief, les donnoient ou cédoient souvent à un Abbé & à son Monastere, ou à toute autre personne Ecclésiastique, à la condition de les tenir d'eux & de leurs hoirs en franche & perpétuelle aumône.
ANCIEN COUTUMIER.
L'en dict que ceulx tiennent par omosne qui tiennent terres donées en pure aumosne à Dieu & à ceulx qui le servent: en quoy le doneur ne retient aulcune droiture, fors la Seigneurie de Patronage, & tiennent d'iceulx par omosne come de Patrons. Aulcun ne peut omosner aulcune terre, fors ce qu'il y a; & pour ce l'en doit savoir que le Duc, ne les Barons, ne les aultres qu'ils ont homes, ne doivent avoir aulcun dommage, s'aulcuns de leurs homes omosnent aulcunes choses des terres qu'ils tiennent d'eulx: car pour ce ne remaindront pas qu'ils n'y facent leurs justices & qu'ils ne lievent leurs droitures des terres que leurs homes ont omosnées. Ch. 32.
REMARQUES.
(a) Home de Religion, &c.
Le Clergé a de tout temps tenu le premier rang dans l'Etat: la composition d'un Prêtre étoit égale à celle d'un Antrustion;[497] & celle d'un Evêque étoit plus forte d'un tiers. Mais en même-temps que nos premiers Rois accordoient aux Ecclésiastiques les honneurs & les prééminences les plus capables de leur concilier la vénération des peuples, & de les garantir des vexations qui auroient pu dégrader la dignité de leur ministere, ils étoient très-attentifs à prévenir l'abus que le Clergé auroit pu faire de son élévation ou de ses prérogatives, au détriment de l'autorité Souveraine & du repos des Sujets.
[497] Capitul. 25, L. 1.
Quelques efforts qu'ayent faits tour à tour les partisans outrés du Clergé & les ennemis de cet Ordre respectable pour étendre les Loix instituées à cet égard au delà de leurs bornes, ou même pour anéantir ces Loix; lorsqu'on les approfondit sans partialité, elles fournissent d'un côté les preuves les plus claires de ce que nos Rois ont toujours pensé qu'il étoit essentiel à leur prospérité & à celle de leurs peuples, qu'il y eût des personnes spécialement occupées à maintenir le dogme & le culte sacré dans leur pureté, à veiller aux besoins des indigens, & qui conséquemment eussent en leur disposition des revenus suffisans, & fussent assurés d'une protection assez puissante pour qu'aucun obstacle ne les détournât de ces importantes fonctions. Mais, d'un autre côté, ces Loix indiquent les limites de ces fonctions, & celles dans lesquelles le Souverain & les Sujets doivent resserrer leurs libéralités, pour ne pas exposer les Ministres de la Religion à la tentation délicate de substituer, au zèle qu'ils doivent avoir pour la gloire de Dieu & le soulagement du prochain, le desir impie de dominer seuls, & de déterminer seuls la proportion des secours qu'ils doivent par état aux Fidèles.
Lorsque Clovis devint maître de la France, il donna des immeubles à l'Eglise, mais elle ne pouvoit les aliéner: les revenus de ces fonds devoient suffire à tous ses besoins & au soulagement des pauvres.[498] A l'exemple de Clovis, non-seulement ses descendans, mais leurs sujets, disposerent de leurs terres & d'autres fonds en faveur des Eglises. Le peuple ne se conduisit pas toujours avec circonspection dans les générosités. Il omettoit quelquefois les formalités prescrites pour assurer l'exécution des volontés des donateurs; & les héritiers, après le décès de ceux qui avoient fait le don, n'épargnoient rien pour s'en procurer la restitution. Les Peres du quatrieme Concile d'Orléans comprirent de quelles conséquences pourroient être ces reclamations; & par le Canon 19 ils déciderent que dès que les donations seroient prouvées, quoiqu'il n'y en eût point d'acte écrit, etiam sine scripturâ, elles seroient valables.[499]
[498] Concil. 1. Aurelian.
[499] Ceci étoit conforme à la Loi de Constantin, rapportée par Eusebe, L. 4, c. 26 de la vie de cet Empereur: Moriens nudis verbis & fortuitâ oratione voluntatem suam testetur, & quovis scripto sententiam edat; aut si mallet sine scripto testaretur, adhibitis ad eam rem idoneis testibus.—La Loi des Allemands exigeoit un écrit, & que le nom de sept témoins y fût employé.—Lex Alleman. tit. 1, paragr. 1.
Le but de ce Concile n'étoit certainement pas qu'au moyen de la facilité de se procurer des témoins ou de faire serment, l'Eglise s'appropriât des biens dont les Loix auroient interdit l'aliénation; car le cinquieme Concile de la même Ville, tenu en 552, Canon 13, ne blâme que ceux qui tentent d'enlever aux Eglises ce qui leur a été donné avec justice, cum justitiâ; & si par le seizieme Canon ce Concile anathématise les Nobles ou gens inférieurs qui veulent rétracter leurs dons, ou les héritiers qui revendiquent ceux faits par leurs parens, ce n'est qu'autant que ces dons ont été faits régulierement, rationabiliter,[500] en vue de Dieu, pro Dei contemplatione, & non pour satisfaire la cupidité des Ministres de l'Eglise donataire, ou par une dévotion mal-entendue: ce que le Concile de Tours confirme, en excommuniant les Ecclésiastiques qui abusent de la foiblesse d'esprit des Fidèles pour en extorquer des aumônes.[501]
[500] 3e Concile de Châlons.
[501] Voyez aussi les 1er & 25e Canons du 3e Concile de Paris.
Ainsi quand le quatrieme Concile d'Orléans, & dans la suite le deuxieme Concile de Lyon, Canon 2, confirment les donations faites aux Eglises sans formalités, ils n'entendent pas légitimer ce que ces donations auroient pu contenir de contraire aux Loix, quant à la quotité ou à la nature des biens donnés, mais seulement empêcher que l'on ne fît révoquer le don de ces biens, sous prétexte d'omissions en la forme, tandis qu'au fonds il auroit été fait avec liberté, & qu'il n'auroit pas excédé la proportion réglée par les Loix pour la disposition des immeubles en faveur des Eglises.
Les Ecclésiastiques vivoient en France sous la Loi Romaine;[502] & c'est dans cette Loi que l'on découvre quelle étoit l'étendue de cette espece de libéralités dans les premiers siecles de la Monarchie.
[502] Lex Ripuar. c. 60, de Tabulariis. Secundum Legem Romanam quâ Ecclesia vivit, &c.
L'Empereur Constantin avoit distingué deux cas où les Eglises pouvoient recevoir les biens des particuliers.
Le premier, quand ceux-ci entroient en la Cléricature, ou testoient au profit des Eglises ayant des enfans ou des proches; dans cette double circonstance, les deux tiers de leurs biens devoient rester à leurs enfans ou à leurs héritiers.[503] Le second cas étoit celui d'un homme qui n'ayant ni enfans ni parens, faisoit un testament en faveur de l'Eglise, & le legs pouvoit alors être de la totalité du bien du testateur:[504] si cependant après avoir fait ce legs universel il lui survenoit des enfans, le don devenoit révocable.[505]
[503] Cod. Leg. Official. de Episcop. & Cler. On trouve, il est vrai, dans les Annales Bénédictines, 2e vol. L. 27, ann. 806, pag. 355, une décision qui accorde moitié de l'immobilier au Monastere de Farfe; mais il est d'observation, à cet égard, que le testateur, qui avoit donné tous ses fonds à ce Monastere, avoit conservé à son fils tout son mobilier dont il auroit pu le priver, & que par le Jugement on laissa à ce mineur moitié de ce mobilier avec la moitié de l'immeuble.
[504] Greg. Turon. de Miracul. StiMart. L. 3, c. 15.
[505] Greg. Turon. Ibid, L. 4, c. 11.
On retrouve ces mêmes regles dans les Capitulaires, avec cette seule restriction, que les fonds dont on n'étoit que cultivateur ne pouvoient être aliénés,[506] à la différence des hommes libres qui pouvoient disposer des terres mêmes qu'ils tenoient à cens du fisc ou des particuliers, pourvu qu'ils chargeassent l'Eglise donataire de payer au Roi ou aux Bénéficiers les redevances qui y étoient affectées.
[506] Capitul. 86, L. 3, 37 & 39, L. 4.
Thomassin n'a donc point entendu les Capitulaires, lorsqu'il leur fait dire[507] que les Séculiers ont la faculté de donner à l'Eglise par testament, sans borne & sans mesure; car le cent huitieme Capitulaire du Livre VI présente une idée toute différente. S'il décide qu'un homme entré en Religion ne peut plus disposer, quoiqu'il ait des enfans, des biens qu'il possédoit légitimement lorsqu'il a quitté le monde; il donne en même-temps, pour motifs de cette maxime, que la profession Religieuse fait passer, du Profès au Monastere, le droit de propriété & d'administration. En effet, si chaque Religieux eût pu dépouiller sa Communauté de ce qu'il lui auroit donné pour en gratifier ses enfans, les possessions des Couvens auroient été dans une perpétuelle incertitude. On voit d'ailleurs que ce Capitulaire suppose qu'il n'a resté aux Religieux dont il parle, lors de leur entrée en Religion, que les biens dont la possession ne pouvoit, avec justice, leur être contestée, ce qui signifie assez clairement que la part des enfans de ces Religieux avoit été distraite de leurs biens avant l'émission de leurs vœux.
[507] Thomass. Discipl. Eccl. part. 3, L. 1, c. 24, p. 151. Les Capitulaires ont suivi des principes bien différens de la Loi des Allemands & des Saxons, qui permettent aux peres de ne rien réserver à leurs enfans. Leg. Saxon. tit. 14. Leg. Alleman. tit. 1, paragr. 1.
Au reste, quand ce Capitulaire seroit susceptible de quelque difficulté, en lisant en entier le dix-neuvieme du Livre 4, dont Thomassin ne cite que la premiere partie, on y trouve que si un homme s'est consacré à Dieu, ou est décédé après avoir légué à l'Eglise ses biens sans en avoir auparavant donné à ses cohéritiers la part qui leur en revenoit, ceux-ci auront contre l'Eglise la même action pour le partage, que celle qu'ils auroient eue contre leur parent durant sa vie, ou dans le temps qu'il étoit encore dans le siecle: d'où il suit évidemment que l'intention de nos Rois n'a jamais été que l'Eglise s'enrichît de la dépouille de la famille de ses bienfaiteurs plutôt par les testamens que par toute autre sorte de donations.
Le trente-unieme Capitulaire du Livre 2 est encore plus précis sur ce point.[508] Si alicubi, ce sont ses termes, inventi fuerint quos patres vel matres propter traditiones illorum exhæredes fecerunt..... omninò volumus atque decrevimus emendari. Les quatre-vingt-neuvieme & cent vingt-unieme du Livre premier, & le trente-neuvieme du Livre 4, développent cette disposition. Les réserves portées par les Capitulaires n'étoient cependant pas bornées aux enfans ou aux héritiers pauvres du donateur, elles avoient aussi pour objet les nécessités de l'Etat. Charlemagne instruit de ce que ses Sujets, pour s'exempter d'impôts & du service militaire, donnoient, à titre précaire, leurs biens aux Eglises, annulla ces dons.[509]
[508] Vid. Leg. Bojariorum, tit. 1, parag. 1.
[509] Capitul. ann. 793.
Le Capitulaire qui prononce cette nullité ne porte pas, comme Thomassin se l'est imaginé,[510] la clause sauf les immunités de l'Eglise: comme s'il pouvoit y avoir des immunités contre la fraude! Au contraire, l'Empereur défend d'avoir égard à l'approbation qu'il auroit pu donner par surprise à des actes dont cette fraude auroit été le germe, nostra non resistente emunitate.
[510] Discipl. Eccles. L. 1, c. 22, pag. 3.
Il doit donc demeurer constant qu'avant l'établissement des Fiefs, on pouvoit donner à l'Eglise tous les biens dont on étoit propriétaire, la légitime des enfans ou la part des héritiers réservée ou prélevée; & que si ces biens devoient, au fisc ou à l'ancien propriétaire, quelques droits, l'Eglise étoit obligée de les acquitter. D'où est naturellement née cette regle suivie depuis l'institution des Fiefs, qu'on n'a pu les transporter aux Eglises qu'avec la charge de remplir les conditions de leur inféodation, telles que l'hommage & l'assujettissement à la Jurisdiction, &c. Ce qui doit être cependant entendu avec cette exception, que les Aleux érigés en Fiefs, ou les Aleux qui n'avoient point été dénaturés, pouvoient être donnés sans aucunes charges, & même en exemption du devoir de féauté envers le donateur.
SECTION 134.
En mesme le manner est, lou terres ou tenements fueront grant en ancient temps (a) a un Deane & Chapter, & a lour successors, ou ascun parson dun Esglis, & a les successors, ou a ascun auter home de saint Esglis, & a les successors en frankalmoigne si il avoit capacity (b) dapprender tiels grants ou feoffments, &c.
SECTION 134.—TRADUCTION.
Il en est de même des terres ou tenements donnés dans les premiers temps à un Doyen, à son Chapitre & à leurs successeurs, ou à un Curé & à ses successeurs, ou à tout autre chef d'une Eglise qui a la capacité de recevoir ou de posséder des immeubles.
REMARQUES.
(a) En ancient temps, &c.
Ces termes désignent toujours dans Littleton l'époque de l'introduction des Loix Normandes en Angleterre.[511]
[511] Coke, fo 94, vo.
(b) Si il avoit capacity, &c.
Cette capacité dépendoit des conditions auxquelles les Communautés Religieuses avoient obtenu leur établissement dans le Royaume. Il étoit de maxime dès les premiers instans de la Monarchie Françoise que chaque Ordre de Moines fît approuver sa Regle par le Souverain.[512] Le Roi ayant droit de veiller sur leurs mœurs, & de déterminer leur subsistance;[513] ils lui présentoient à chaque regne les actes de leur fondation, & la ratification qu'ils en obtenoient ordinairement démontre qu'on pouvoit, sans injustice, en resserrer ou en étendre les conditions selon les besoins actuels de l'Ordre ou relativement aux nécessités publiques. Aussi ces actes n'étoient appellés que des priviléges.
[512] Marculph. L. 1, Formul. 2 & 4: Privilegium nobis præfatus ille Pontifex protulit recensendum.
[513] Ut in victu, vestitu, conversatione Abbatum qui Monachos habere cernuntur, Dei voluntas & Domini Imperatoris impleatur. Concil. Remens. ann. 813, Can. 23.
SECTION 135.
Et tiels que teignont en frankalmoigne sont oblige de droit devant Dieu de faire orisons, praiers, mess & auters divine services pur les almes de lour grantor ou feoffor, & pur les almes de lour heires queux sont mortes, & pur le prosperitie & bone vie & bon salute de lour heires que sont en vie. Et pur ceo ils ne ferront a nul temps ascun fealtie a lour Seignior, pur ceo que tiel divine service est melior pur eux devant Dieu que ascun leasans de fealtie, & auxi pur ceo que ceux parolx (frankalmoigne) exclude le Seignior (a) daver ascun terrein ou temporall service, mes daver tantsolement divine & spirituall service destre fait pur luy, &c.
SECTION 135.—TRADUCTION.
Ceux qui tiennent en franche-aumône sont obligés de droit, selon Dieu, de faire des prieres, de célébrer des messes pour les ames de leurs bienfaiteurs & de leurs descendans après leur mort, ou pour leur salut & leur prospérité durant leur vie; & c'est par cette considération qu'ils sont dispensés de la féauté envers leur Seigneur, les prieres étant plus utiles que tout autre service. D'ailleurs ces mots (franche-aumône) excluent toute idée de service terrestre & temporel.
ANCIEN COUTUMIER.
Pure omône est en quoy le Prince ne retient rien de terrien, ne de jurisdiction ne de dignité, & de ce la jurisdiction & dignité appartient du tout à l'Eglise, si la chose est mise en non savoir. Ch. 115.
REMARQUE.
(a) Frankalmoigne exclude le Seignior, &c.
C'est par cette raison que la franchise constitutive de l'aumône auroit exclu le Seigneur de tous droits ou services, que le Prince pouvoit seul donner des Fiefs en franche-aumône, & que les Sujets n'avoient la faculté de les céder à l'Eglise qu'à charge de services, comme il est décidé dans les Sections suivantes.
SECTION 136.
Et si tiels que teignont lour tenements & frankalmoigne ne voilont ou failont de faire tiel divine service (come est dit) le Seignior ne poit eux distrainer pur cel non fesant, &c. pur ceo que nest mis en certaine (a) quelx services ils doient faire, mes l' Seignior de ceo poit complaine a lour Ordinary ou Visitour, luy preyant que il voiloit mitter punishment & correction de ceo, & auxy de provider que tiel negligence ne soit pluis avant fait, &c. Et lordinary ou visitour de droit ceo doit faire, &c.
SECTION 136.—TRADUCTION.
Si les Ecclésiastiques tenant en franche-aumône refusent de s'acquitter des prieres ou offices qu'ils doivent, le Seigneur ne peut réunir à son domaine les fonds qu'il a donnés, parce que ces prieres ou offices n'ont rien de déterminé; mais il doit se plaindre à l'Ordinaire, contre les corps Ecclésiastiques séculiers, & contre les réguliers à leurs Visiteurs, afin que ceux-ci punissent la négligence de leurs inférieurs: ce que l'Ordinaire ou les Visiteurs sont dès-lors & de droit tenus de faire.
REMARQUE.
(a) Nest mis en certaine, &c.
Tant que les obligations des Communautés Religieuses n'avoient rien de fixe, les Seigneurs de qui ils tenoient leurs biens ne pouvoient pas se dire propriétaires ni possesseurs d'aucuns droits dont ils pussent faire enquête;[514] & les Supérieurs Ecclésiastiques étoient seuls compétens en ce cas de prononcer sur l'étendue de ces obligations ou sur la maniere dont on devoit s'en acquitter. Il en étoit autrement lorsque ces obligations avoient un objet certain: alors elles rentroient dans la classe des biens profanes, en ce que leur possession ou leur existence pouvoit être constatée par des témoins. Il n'y a, en effet, rien qui soit tant du ressort des Juges Laïcs que de décider si tel ou tel fait résulte ou ne résulte pas d'une information, & de connoître les moyens indiqués par les Loix pour écarter toute suspicion des témoignages.
[514] Rouillé, Anc. Cout. c. 115.
SECTION 137.
Mes si un Abbe ou Prior tient de son Seignior per certaine divine service en certaine destre fait, sicome a chaunter un messe chescun Vendredie en le semaine pur les almes, ut suprà, ou chescun an a tiel jour a chaunter placebo & dirige, &c. au de trover un Chapleine de chanter messe, &c. ou de distributer en almoigne al cent pours homes cent deniers a tiel jour, en tiel case, si tiel divine service ne soit fayt, le Seignior poit distreyner, &c. (a) pur ceo que le divine service (b) est mise en certaine per lour tenure, que le Abbee ou Prior devoit fait. Et en tiel case le Seignior avera fealtie, &c. come il semble. Et tiel tenure nest passe dit tenure en Frankalmoigne, eins est dit tenure per Divine Service, car en tenure en Frankalmoigne nul mention est fait dascun manner de service, car nul poet tener en Frankalmoigne, si soit expresse ascun manner certain service que il doit faire, &c.
SECTION 137.—TRADUCTION.
Si un Abbé ou un Prieur tient d'un Seigneur par quelque Service Divin qui soit spécifié, tel que celui de chanter une Messe chaque Vendredi de la semaine pour les ames des donateurs, ou de dire un Placebo ou un Dirige à certain jour de l'année, ou de fournir un Prêtre pour chanter une Messe, &c. ou de distribuer cent deniers à cent pauvres en un certain temps; en ces différens cas, lorsque le service imposé n'est pas rempli, le Seigneur peut rentrer dans son fonds, &c. parce que ce service est une condition dont la tenure avouée par l'Abbé ou le Prieur est garante, & qu'ils doivent féauté au Seigneur pour cette tenure & les autres devoirs stipulés lors de l'inféodation. Cette tenure n'est donc pas en Franche-Aumône, mais tenure par Service Divin. Ainsi dès que par la cession de quelque fonds l'Eglise est assujettie à un service fixe & déterminé, cette cession ne constitue point une tenure en Franche-Aumône.
REMARQUES.
(a) Le Seignior poit distreyner, &c.
Les services dont parle cette Section sont spécifiés; conséquemment, quoique spirituels, quant à leur fin; leur existence & leur possession sont purement temporelles. L'action du Seigneur, pour empêcher que ces services ne fussent anéantis, devoit donc ressortir de la Jurisdiction laïque. Cette doctrine de la légitimité de la compétence du Juge laïc sur le possessoire des droits, même spirituels, n'a jamais été contestée en France que dans des temps de séduction & d'ignorance.
Les anciens Conciles, les Capitulaires, lors même qu'ils s'expriment le plus fortement en faveur de la Jurisdiction Episcopale, la considerent en effet comme restrainte à faire régner la paix, la charité entre les Ecclésiastiques & les Fidèles par la voie de l'exhortation & des peines purement canoniques,[515] & ils établissent unanimement la nécessité du recours à la Jurisdiction séculiere, quand les remontrances de l'Evêque ne touchent point le cœur, & que l'on refuse de se soumettre à ses corrections paternelles. En un mot, ils disent bien que la Jurisdiction Ecclésiastique s'étend de droit divin sur toutes les infractions de la Loi de Dieu; mais ils avouent en même-temps que l'autorité du Prince, pour constater & punir ces sortes d'infractions, en tant qu'elles influent sur la manutention de l'ordre public & sur l'intérêt personnel de chaque Sujet, n'en est pas pour cela moins entiere; & que si quelquefois les Evêques ont décerné des punitions extérieures & corporelles, ce n'a été qu'à la décharge du Prince, & en vertu d'une Jurisdiction purement précaire. Ce qui se passa au Concile de Lillebonne en 1080, sous Guillaume le Conquérant, en fournit la preuve. Ce Prince y reprit toute la justice civile que les Evêques avoient exercée sous plusieurs de ses Prédécesseurs, quia eo tempore minùs quam convenisset inde fecerant justitiam; & il leur déclara qu'il ne la leur rendroit que lorsqu'il les verroit mieux disposés à remplir les fonctions qu'elle impose, donec ipse eorum videns emendationem eis redderet pro benefacto, quod tunc de manu eorum temporaliter tulerat pro commisso.[516] Paroles remarquables, par leur rapport avec celles du Roi Gontran, dans son Edit confirmatif du second Concile de Mâcon en 585. Convenit, ce sont les termes employés en cet Edit, l'un des plus précieux monumens de l'antiquité sur la distinction des Puissances temporelles & spirituelles, convenit ut justitiæ & æquitatis in omnibus vigore servato distringat legalis ultio judicum, quos non corrigit canonica prædicatio Sacerdotum.... Clericorum trangressiones, cum adversario instigante, contigerint, quantum illis pro amore divino reverentia major impenditur, tantum convenit ut acrius resecentur.
[515] 3e Conc. d'Orl. Canon 16.—Nota. Que le premier Concile tenu au même lieu, Canon 4, ne dit rien de contraire. On n'y voit pas, comme l'a prétendu Thomassin, que les enfans des Clercs étoient indéfiniment soumis à la Jurisdiction de l'Eglise, mais seulement qu'ils sont soumis à cette Jurisdiction en tant que l'Evêque peut les ordonner sans recourir aux Seigneurs ni au Roi, parce qu'ils ont leurs peres ou leurs aieux dans le Clergé; ce qui est juste: car les peres décidoient du mariage de leurs enfans au préjudice des Seigneurs qui avoient la garde de leurs personnes & de leurs Fiefs;[515a] par quelle raison auroit-on privé ces peres du droit de prononcer par l'Eveque, auquel ils étoient par état subordonnés en tout, sur l'entrée de leurs enfans en Religion ou dans les Ordres sacrés?
[516] Concil. Norman. author. P. Bessin, pag. 67.
Le Clergé de ces temps si reculés ne trouvoit rien de répréhensible dans ces maximes; & cependant jamais il n'a eu des idées si relevées du Sacerdoce, & de l'honneur que les laïcs devoient lui rendre, qu'il en avoit alors. Dans ce même Concile de Mâcon, qui ne fut promulgué qu'en vertu de l'Edit que je viens de citer, les Evêques qui y assisterent déciderent, Spiritu Sancto dictante, que si un laïc passant à cheval dans un chemin, un Prêtre venoit à sa rencontre, ce laïc seroit tenu de mettre pied à terre sur le champ, sous peine d'excommunication, illicò defluat..... Et qui hæc transgredi voluerit ab Ecclesiâ quam in suis ministris deshonorat, suspendatur. On peut donc, sans cesser de conserver au caractere sacré, dont les Prêtres sont revêtus, le respect qui lui est dû, penser qu'ils sont dépendans de la Justice séculiere, quand ils violent les obligations de leur état & les devoirs qu'ils se sont eux-mêmes imposés pour l'édification publique; à plus forte raison peut-on dire, sans crime, qu'ils sont incompétens quand ils manquent aux conditions sous lesquelles nos Rois, & leurs Sujets, ont consacré leurs possessions aux Eglises, & sans l'exécution desquelles on ne leur auroit pas confié l'administration de ces possessions.
(b) Divine service.
Par un Jugement de l'Assise tenue à Caen en 1157, il fut décidé que du moment qu'un particulier, en Normandie, avoit donné quelque chose en aumône à une Abbaye, il n'y pouvoit retenir ni reclamer que des prieres, à moins qu'il n'eût obtenu du Duc une Chartre qui spécifiât ce qu'il avoit voulu retenir,[517] ce qui revient bien à la distinction que fait notre Auteur entre tenure en Franche-aumône dont l'acte de cession ne spécifie aucune charge, & la tenure par Divin service, qui ne peut avoir lieu qu'autant que l'acte de donation exprime & spécifie les conditions auxquelles elle a été faite.
[517] Ex quo aliquis in Normanniâ dat aliquam eleemosinam alicui Abbatiæ nihil omninò ibi poterit retinere vel clamare præter orationes nisi specialem habeat Chartam de hoc quod vult retinere. Bruss. 2e vol. L. 3, c. 6, pag. 813. Il n'est pas question d'un Fief dans ce Jugement, mais d'un Aleu.
SECTION 138.
Item, si soit demande, si tenant en frankmariage ferra fealtie a le donor ou a ses heires devant le quart degree passe, &c, il semble que cy; car il nest pas semble quant a cel entent a tenant en frankalmoigne, pur ceo que tenant en frankalmoigne ferra, pur cause de sa tenure, divine service pur son Seignior, come devant est dit, & ceo il est charge a faire per la ley del saint Esglise, & pur ceo il est excuse & discharge de fealty, mes tenant en frankmariage ne ferra pur son tenure tiel service, & sil ne ferra fealtie, donque il ne ferra a son Seignior ascun maner de service, ne spirituall ne temporal, le quel seroit inconvenient & encountre reason, que home serra tenant destate denheritance, a un auter, & uncore le Seignior avera nul maner de service de luy, & issint il semble que il ferra fealtie a son Seignior devant le quart degree passe. (a) Et quant il ad fait fealty, il ad fait touts ses services.
SECTION 138.—TRADUCTION.
Les descendans d'un tenant en Franc-Mariage doivent féauté au donateur & à ses hoirs jusqu'à ce qu'il se soit écoulé quatre dégrés de génération entr'eux depuis le don, parce qu'il n'en est pas de la tenure en Franc-Mariage comme de celle de pure Aumône. Cette derniere tenure est exempte de féauté, à cause du Service Divin dont elle est chargée par la Loi de la Sainte Eglise. Mais le tenant en Franc-Mariage ne devroit aucun service temporel ni spirituel s'il n'étoit point obligé à la feauté, ce qui auroit des inconvéniens. D'ailleurs le tenant en Franc-Mariage est tenant à titre successif, puisque le don qui constitue sa tenure est un avancement qui lui est fait d'une succession à laquelle il a droit; il seroit donc absurde d'admettre qu'il ne dût rien ni à celui qui lui a transmis l'hérédité ni à son Seigneur. Ainsi on doit regarder comme maxime qu'un tenant en Franc-Mariage doit féauté, mais qu'en s'acquittant de ce devoir il est exempt de tout autre.
REMARQUES.
(a) Devant le quart degree passe.
Le franc mariage dont j'ai parlé Section 17 & 20, opéroit un parage; parce que toute portion d'hérédité, quelque peu considerable qu'elle fût, étoit tenue avec les mêmes franchises & noblesses que le corps du Fief d'où elle provenoit.
Cette Coutume s'étoit établie à l'exemple de ce qui s'étoit pratiqué entre les fils de nos premiers Monarques:[518] quelques inégaux que fussent les domaines que le successeur au Trône leur accordoit pour appanage, ils en jouissoient à titre de Souveraineté, & ils portoient même le titre de Rois. Ce titre, il est vrai, ne passoit pas aux descendans, mais ceux-ci ne devoient qu'hommage au Roi, comme les donataires de franc-mariage ne faisoient que féauté au donateur de la portion de Fief dont ils joussoient sous cette dénomination.