Anciennes loix des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par Littleton, Vol. I
[347] Athen. L. 5, pag. 97, no 50, édition de Basle en 1535, & Annotat. Leonic. In eund. Auth.
[348] Ita Gallos equestrem pugnam instituisse ut singulos equites selectos equis sequerentur, alii duo equites qui Domino occiso suum submitterent; quique Domino & sibi invicem auxilio vel supplemento essent.—Les Ecuyers remplaçoient le Chevalier, Equitem Dominum, dans un combat général, ce qui ne leur étoit pas permis dans les duels ou combats particuliers.
[349] Talibus Belisarius adhortatus equites omnes præter quingenarios eo die præmisit. Scutigeros verò ac signum quod bandum vocant Joanni Armenio committens, ac si fuerit occasio jaculari mandavit. Procop. de Bell. Wandal. pag. 211.—Aiganus & Rufinus, ille inter equites hastatos, alter inter ordines Ducis ferre signum consuevit, quem Bandophorum Romæ vocant; hi quum equitibus præessent, &c. ibid, pag. 221.
La disposition de leur marche dépendoit du général, qui étoit tiré de l'un des trois corps.
D'après ces témoignages on ne peut douter que les usages Gaulois n'ayent été le germe des distinctions que l'on a depuis faites en France entre les Chevaliers d'armes, les Bannerets, les Bacheliers, les Ecuyers, & entre les services spécialement attachés à ces divers titres.
Autrefois, en France, on ne pouvoit s'asseoir à la table des Barons, si l'on n'avoit été reconnu Chevalier.[350] Ces Barons étoient des Chevaliers qui avoient été choisis par le Roi pour commander.[351] Ceux qui n'avoient point encore mérité ce même honneur, avoient chacun leur banniere, & ils étoient, ainsi que le Général, accompagnés d'un certain nombre de militaires spécialement dévoués à les soutenir dans le combat, ou à leur procurer des armes & des chevaux au besoin.
[350] Loisel, Institut. Coutum. L. 1, Regl. 14, tit. 1, pag. 15.
[351] Ce choix étoit marqué par le baiser, le baudrier & l'épée. Aimoin, L. 3, c. 4, pag. 81. Id. L. 3, c. 62, pag. 124, L. 5, c. 17, pag. 301.—De-là les Rois ceignoient l'épée à leurs fils lorsqu'ils leur confioient le commandement des Troupes: Charles reçut, de Louis le Débonnaire son pere, l'épée & le commandement en 838. Ann. Bertin. Duch. tom. 3, pag. 193.
Les rangs & les services n'avoient d'abord été réglés, entre les Chevaliers Gaulois ou François, que sur la bravoure & la naissance; mais lorsque quelques Seigneurs furent devenus propriétaires des Bénéfices que leurs exploits ou la noblesse de leur extraction leur avoient fait accorder par le Souverain, le titre de Chevalier fut attaché à ces Bénéfices, en assura irrévocablement la dignité, fixa l'espece des devoirs dont ceux qui les possédoient étoient personnellement tenus. De-là ces Seigneurs, au lieu de s'en acquitter avec ce zèle qu'ils avoient toujours témoigné, tant que la récompense avoit été amovible, & tant que leurs descendans n'avoient été admis à y succéder qu'en la méritant eux-mêmes, ils ne négligerent rien pour se décharger sur d'autres de ces devoirs.
Ils céderent aux Leudes, qui n'avoient point de Bénéfices, une portion des leurs, à la condition qu'ils en acquitteroient en partie les services. Le Duc ou Comte permit à ses vassaux, en faveur desquels il avoit démembré son domaine, de lever bannière & de se former des arrieres-vassaux; & ces Bannerets imposerent à ceux-ci le soin de fournir des soldats, des armes. Les Ducs ou Comtes, par la distribution qu'ils faisoient de leurs honneurs, s'acquéroient beaucoup d'autorité sur les autres militaires, qui n'avoient ni Titres, ni Offices, ni Bénéfices. On vit donc un nouvel ordre succéder à celui qui avoit été jusqu'alors observé entr'eux.
Les Généraux avoient toujours été tirés des corps des Chevaliers, connus sous les dénominations de Loricati, d'Hastati, de Bandophori, de Scutiferi, &c; mais on ne les choisit plus dans la suite que parmi les Ducs ou Comtes. Delà le titre de Princes ou de Barons[352] du Royaume qu'ils s'attribuerent exclusivement, en signe de la prééminence qu'ils avoient sur les autres Chevaliers non Bénéficiers, auxquels ils imposoient, en leur sous-inféodant, telles fonctions qu'il leur plaisoit; & ces derniers, obligés de marcher sous la conduite de ces Princes ou Barons en personne, retinrent les noms de Chevaliers & d'Ecuyers.
[352] Baron ou Ber vient du Latin Vir. Haut-Ber ou Haut-Baron désigne un homme élevé à la plus grande dignité. C'est par cette raison que les Barons, en Allemagne sont idem qui vassi Regii, quo nomine etiam duces continentur. Chop. de Doman. Franc. L. 3. Greg. Turon. Append. c. 41 & 55. Et que Loiseau dit que la Baronnie est toute Seigneurie après la Souveraine, mouvante directement de la Couronne. Trait. des Seigneur. c. 6, no. 5 & 6.—L'Edit. de 888 de Charles le Gros donne aux Ducs, Comtes ou Barons le titre de Princes: Casu contigit Principes cum militibus acerbè contendere, &c. Ce titre y est considéré comme supérieur à celui de Chevalier, puisque ceux que ce Capitulaire appelle de ce nom Milites, étoient obligés de fournir aux Princes un certain nombre de cuirasses, & que ces Princes usoient de contraintes à leur égard pour les obliger à faire ces fournitures, multos plures halspergas constringentes de Beneficiis suis ducere, &c. M. le Président Hesnault, pag. 117, Abregé Chronol. 1er vol. Remarq. part. sur la 2e Race, paroît donc s'être trompé, lorsqu'il a fixé sous cette Race le commencement de la Chevalerie d'armes, & qu'il accorde aux Chevaliers de ce temps un rang dans la milice indépendant de celui que donnoient les charges militaires.
Quoique ces Ecuyers ne fussent point appellés Chevaliers, leurs services étoient cependant des services de Chevalier, parce qu'originairement ils avoient formé une classe de Chevaliers, ou parce que ces services n'étoient dûs que par les Chevaliers; & par cette raison, en Normandie & en Angleterre, tenure par escuage, ou Fief d'Ecuyer, fut aussi nommée tenure ou Fief à la charge du service de Chevalerie. Ainsi la différence que l'on admettoit en France dans les neuvieme & dixieme siecles, entre les possesseurs de Bénéfices relevans du Roi, & les Fiefs de leurs vassaux, s'est toujours conservée la même entre les divers grades que la Noblesse Normande ou Angloise tenoit de ses Bénéfices ou de ses Fiefs.[353] Le Fief de Normandie, appellé Fief de Chevalier, y a toujours été placé le Fief par service de Chevalier, c'est-à-dire, un membre de Fief de Chevalier, dont le Chevalier, qui en avoit été le premier possesseur, avoit, en l'inféodant, retenu la mouvance, & auquel il avoit imposé des fonctions relatives aux services militaires qu'il devoit lui-même, pour la totalité du Bénéfice dont il s'étoit réservé une partie.
[353] Dans le Rôle de l'Ost de Foix en 1271, à l'exception des Chevaliers de Normandie, dont le service est déterminé & toujours proportionné à la dignité de leurs Fiefs, les Chevaliers des autres Provinces ignorent le service qu'ils doivent & le titre auquel ils le doivent.
Sous les regnes de Charlemagne, Louis le Débonnaire, Charles le Chauve, on ne voit point de Chevaliers sans une portion de Fief de Bénéfice.[354] Mais au temps de Louis le Begue, les Bénéfices de dignité ayant été presque tous aliénés à perpétuité, l'état de décadence où se trouvoit le Royaume força de multiplier les récompenses, sans faire éprouver au fisc de nouveaux démembremens. La concession des titres purement honorables prévint le danger qu'il y auroit eu à aliéner quelque portion du foible domaine auquel le fisc étoit alors réduit. On vit renaître des Chevaliers d'armes,[355] & leur ordre s'accrut au point que les Chevaliers glébés eurent honte de ne tenir ce titre que de leurs possessions; ils voulurent, & ne crurent le mériter, qu'en se soumettant aux formalités qu'on prescrivit alors pour l'admission à la Chevalerie.
[354] Aimoin, L. 5, c. 17, pag. 301: Domnus Imperator filium suum armis virilibus id est ense cinxit & Neustriam ei attribuit.
[355] Abrégé Chronolog. de M. le Prési. Hesn. sous l'an 877, & les deux années suivantes.
Ce préjugé ne fit pas d'aussi grands progrès en Normandie que dans les autres parties de la France. Le Duc Raoul, & ses descendans, n'accordèrent jamais le titre de Chevalier qu'à ceux qui avoient des possessions suffisantes pour en soutenir l'éclat;[356] & lorsque les Croisades eurent rendu cette qualité si commune, qu'il y eut lieu de craindre que ceux qui l'avoient obtenue ne la prétendissent affectée aux fonds qu'ils possédoient, les Seigneurs, de qui ces fonds étoient mouvans, cesserent d'appeller leurs Fiefs, Fiefs de Chevalier, ils leur donnerent le nom de Haut-bert.
[356] Voyez le Commentaire de Coke sur la Sect. 112, il y prouve qu'avant la grande Chartre on ne connoissoit de Fiefs que les Comtés, les Baronnies & les Fiefs de Chevalier ressortissans de ces Comtés. Car à l'égard des autres Fiefs de pur honneur qui, selon Coke, ont été créés depuis la grande Chartre avec une pension du Roi ou sans pension, ils étoient si peu considérés comme Fiefs, qu'ils ne payoient aucun relief.
Les Chevaliers sans Fiefs firent dès lors un ordre à part; ordre de peu de distinction, qui n'attribuoit, à ceux qui y étoient admis, aucune exemption de services,[357] ni aucune autorité relative à l'économie militaire ou féodale; ordre personnel, à la dignité duquel les enfans ne succédoient pas; ordre enfin qui se communiquoit au supérieur & à l'inférieur, sans les rendre égaux.
[357] Un Chevalier mineur n'étoit pas même exempt de la garde de son Seigneur qui n'étoit point Chevalier. Quoique le Laboureur, cité par M. de Ste Palaye, Mém. sur-l'anc. Cheval. 1er vol. & 27e note sur la 2e part. pag. 300 ait avancé le contraire, il suffit, pour démontrer son erreur, de consulter la Chartre d'Henry II, Roi d'Angl. en 1155, & celle du Roi Jean en 1200, art. 4: Si dum infra ætatem fuerit, fiat miles; nihilominus terra remaneat in custodiâ Dominorum.
Le Fief d'un Ecuyer, décoré de la Chevalerie, ne devenoit pas en effet pour cela un Fief de Chevalier; mais sans que le possesseur d'un Fief par escuage fût Chevalier, son Fief étoit tenu par service de Chevalerie.
Ces notions sont très-importantes; sans elles il ne seroit pas possible d'entendre la suite de mes Remarques, où je suis rarement d'accord avec les Auteurs des Traités de Chevalerie qui ont été publiés jusqu'à présent. Tous donnent à la Chevalerie d'Armes & à la Chevalerie de Fief la même origine; ils confondent tous, les droits & les révolutions de l'une & de l'autre, & par-là, ils jettent sur les usages les plus curieux de l'ancienne Histoire de France, une obscurité impénétrable.
(b) Covient estre ove le Roy per 40 jours.
L'Ost dû par les Ecuyers aux Chevaliers glébés, tels que Barons & autres Seigneurs du premier ordre, ne fut pas d'abord le même service que celui du Ban.
Les Seigneurs pouvoient exiger l'Ost de leurs vassaux, même pour leur querelles particulieres; au lieu que les Seigneurs de tous les ordres devoient le Ban au Prince, & seulement pour la défense de l'Etat.[358]
[358] Traité de Mersen en 847. Capitul. Balus. tit. 9, art. 5, col. 44.
L'Ost doit sa naissance aux Fiefs, mais le Ban a précédé l'établissement de la Monarchie.[359]
[359] Le Ban étoit connu des Gaulois. Voyez Abreg. Chronol. de M. le Prési. Hesn. pag. 48.
Les nobles, les roturiers, les esclaves, étoient sujets au Ban; l'Ost n'étoit dû aux Seigneurs que par ceux en faveur desquels ils avoient démembré leurs Bénéfices. Le temps du service de l'Ost varioit suivant les stipulations faites lors de l'inféodation; le service du Ban n'excédoit pas quarante jours, ex eo die super 40 noctes[360] sit Bannus rescisus. Ce n'a été qu'après que tous les Seigneurs se sont accordés à imposer à leurs Sous-Feudataires l'obligation de les servir durant le même nombre de jours auxquels ils étoient obligés envers le Roi, que l'on a cessé de distinguer l'Ost du Ban, & que l'Ost a pris le nom d'Arriere-Ban.
[360] Capitul. add. 4, c. 82, on ne comptoit alors que par nuits. Du Tillet, pag. 2.
Ost signifioit montre, ostensio,[361] parce que tout vassal convoqué par son Seigneur, se présentoit en un endroit indiqué & choisi par chaque Banneret pour faire la revue de la milice qu'il devoit conduire.
[361] La Section suivante fait courir le droit d'Escuage du jour d'el muster de l'Ost. Muster, du Latin monstrare.
Quand on ne proclamoit que le Ban, les vassaux des Seigneurs ne les suivoient pas; mais lorsque le Prince demandoit le Ban & l'Arriere-Ban, les Seigneurs faisoient publier l'Ost ou l'aide du Ban; & leurs vassaux ou s'en acquittoient en marchant en personne, ou ils se substitoient quelqu'un, ou ils payoient aux Seigneurs une somme suivant le taux auquel chaque aide de l'Ost ou du Ban étoit fixé par les Parlemens ou par les titres d'inféodation.
SECTION 96.
Mes il appiert per les plees & arguments faits en un bon plee sur Briefe de Detinue, (a) de un escript obligatorie port per un H. Gray. T. 7. E. 3. que ne besoigne a celuy qui tient per escuage de aler ove le Roy luy mesme, sil voile trover un auter person able (b) pur luy convenablement array pur le guerre, de aler ove le Roy. Et ceo semble estre bon reason, car poit estre que celuy que tient per tiels services est languishant, (c) issint que il ne poit aler ne chivaucher. Et auxy un Abbe ou auter home de Religion, (d) ou feme solen que tient per tiels services, ne doit en tiels cas aler en proper person. Et Sir W. Herle, adonque chiefe de Justice du common Bank, (e) disoit en tiel plee, que escuage ne serra graunt, mes lou le Roy alast luy mesme en son proper person. Et fuist demeurre en judgement en mesme le plee, le quel les 40 jours serront accompts de le primer jour del muster de host le Roy, fait per les Commons, & per commandement le Roy, ou de la jour que le Roy primes entra en Escoce: Ideo quære de hoc.
SECTION 96.—TRADUCTION.
On trouve dans le Recueil des Records du regne d'Edouard III, tom. 7, un Jugement obtenu par Henry Gray, en vertu d'un Bref de détenue ou de confirmation d'un Contrat dont il étoit porteur, par lequel il demeure constant que le tenant par Escuage n'est point obligé de suivre en personne le Roi à l'armée, pourvu qu'il fournisse en sa place une personne de qualité convenable, bien & duement armée. Cela paroît équitable; car le vassal peut être malade ou Religieux, ou bien le service peut être dû par une femme. Guillaume Herle, chef de Justice du commun Banc, est de sentiment qu'on ne doit l'Escuage que lorsque le Roi marche en personne contre l'ennemi; & dans les Plaids où il fit prononcer conformément à son opinion, on mit en question si les quarante jours de l'Ost du Roi devoient courir du jour de la revue des Milices de chaque Seigneur ou du premier jour de l'entrée du Roi en Ecosse; mais n'y ayant point eu de décisions sur ce point, il est permis de prendre le parti qui paroît le mieux appuyé en raisons ou en droit.
ANCIEN COUTUMIER.
Mais s'aulcun est si malade qu'il ne puisse accomplir le service de l'Ost, il doit envoyer homme suffisant en son bien qui bien fasse le service. Ceux qui doivent le service sont tenus le faire en l'Ost ou envoyer personne pour eux qui le fassent avénamment. Ch. 44.
REMARQUES.
(a) Briefe de detinue. Voyez Section 498.
(b) Sil voile trover un auter person able.
Ce que j'ai observé sur la Section précédente, a dû faire comprendre que l'ordre de la Chevalerie d'honneur, d'armes, ou non glébée (car ces dénominations sont les mêmes) a été la seule connue jusqu'à l'établissement de l'hérédité des Bénéfices,[362] & qu'aussi-tôt que le Domaine royal ne put plus fournir autant de Bénéfices qu'on étoit forcé de créer de Chevaliers, l'ordre des Chevaliers d'armes sans glebe se rétablit; d'où il arriva que ceux qui y furent admis suppléerent aux services des possesseurs de Bénéfices, ou de Fiefs de Haut-bert, par préférence aux autres Nobles, qui, possesseurs des démembremens de ces Bénéfices ou Fiefs n'avoient point encore été décorés de la Chevalerie d'armes.
[362] Grég. de Tours, L. 7, c. 15, parle d'un Léonard à qui Frédegonde fit ôter le baudrier dont Chilpéric l'avoit gratifié. Ce Léonard étoit conséquemment Chevalier, cependant il ne possédoit pas de Bénéfice; car l'Auteur ne le désigne que par son emploi dans la maison de la Reine. La dégradation d'un Chevalier se faisoit par de grands Seigneurs, comme Ducs, &c. Ibid. L. 5, c. 39, parce que c'étoit à ces Ducs ou autres Seigneurs élevés en dignité que les Leudes sans titre se recommandoient pour avoir de l'emploi. L. 4, c. 40. Ibid.
Les Hauts Seigneurs pouvoient bien alors sous-inféoder partie de leurs Bénéfices, & charger leurs Sous-Feudataires de quelques-uns de leurs devoirs; mais à raison de ce qui restoit de ces Bénéfices en leurs mains, ils se réservoient aussi les fonctions les plus honorables. Or, il auroit été dangereux pour eux de confier ces fonctions à quelques-uns de leurs vassaux.
Comme elles consistoient principalement dans le commandement de tous les hommes nobles de leur Seigneurie, ceux qu'ils auroient préférés pour les représenter, auroient pu s'exempter de leurs propres services, au préjudice des autres. Cet inconvénient ne se rencontroit pas dans le choix que les Chevaliers glébés, ou les Hauts Seigneurs faisoient d'un Chevalier d'armes qui ne possédoit point de Fiefs; & c'est ce qui fit que ces Chevaliers d'armes parvinrent insensiblement à être les seuls chargés de suppléer aux Barons, &c. L'ordre de ces Chevaliers d'armes n'acquéroit cependant par-là aucune espece de supériorité sur celui des Ecuyers; car on voit plusieurs de ces Chevaliers faire le service de simples Ecuyers.[363] Il n'y a pas d'ailleurs d'exemple qu'un Ecuyer ait fait, comme Chevalier d'armes, le service pour un Chevalier glébé; mais il n'étoit point rare de voir un descendant d'Ecuyer obtenir la Chevalerie d'armes, & devenir, par ce moyen, quant à l'exercice des fonctions militaires, égal aux Seigneurs des Fiefs de la plus haute dignité. Ainsi, on peut dire que le Chevalier d'armes n'avoit aucun rang militaire déterminé, mais seulement la faculté d'occuper tous les rangs, à la différence de l'Ecuyer, dont le titre supposoit toujours qu'il devoit des services au Seigneur de qui il tenoit son Fief, ou qu'il étoit subordonné à ceux que le Prince avoit gratifié d'un Fief plus honorable. Les grands Seigneurs, en ne se faisant jamais remplacer par un Ecuyer, conservoient donc, d'un côté, la dignité de leurs Pairs: l'Ecuyer auroit, en effet, pu réussir à s'attribuer la Pairie avec eux, en se perpétuant dans les fonctions d'un Baron, & en les supposant annexées à son Fief; & d'un autre côté, ces Seigneurs empêchoient par-là l'Ecuyer d'usurper sur ses covassaux des priviléges qui auroient insensiblement altéré la nature & les conditions de l'inféodation de ces derniers.
[363] Rôle de l'Ost de Foix en 1271.
Conséquemment quand les Loix Angloises enjoignent de se substituer person able pour faire les services de Chevalier, elles entendent que cette personne soit ou décorée de la Chevalerie d'armes, ou de condition égale à celle de l'Ecuyer qu'il est chargé de représenter.
(c) Languishant.
Voyez le Chapitre 44 de l'ancien Coutumier, intitulé de Langueur. La maladie étoit, pour les affaires civiles comme pour les militaires, une excuse valable.
(d) Abbe ou auter home de Religion ne doit aler en guerre en proper person.
Les Ecclésiastiques furent d'abord exempts d'aller à la guerre. Un des principaux crimes que Grégoire de Tours[364] reproche à Salonius, Evêque d'Ambrun, & à Sagittaire, Evêque de Gap, qui vivoient au temps du Roi Gontran, est qu'ils alloient au combat comme des laïcs. Cependant comme les principaux emplois de l'armée étoient confiés aux Leudes, & que les Rois leur accorderent au commencement, par préférence, les Dignités & les Bénéfices Ecclésiastiques, on vit insensiblement les Evêques, qui avoient exercé quelqu'office militaire, le conserver encore après leur nouvel état. Cet usage fut presque général sous Charles Martel; les Evêchés, les Abbayes étoient la paye ordinaire de ses Capitaines.[365]
[364] Liv. 5, c. 20: Tamquam unus ex laicis accincti arma plurimos propriis manibus interfecerunt.
[365] Mézeray, année 733.
Carloman & Charlemagne, frappés de ce désordre, défendirent à tous Ecclésiastiques d'en venir aux mains avec l'ennemi, & de paroître même armés dans le Camp.[366] Ils ne leur laisserent la liberté que de leur amener, ou aux Officiers qu'ils leur désigneroient,[367] les milices qu'ils étoient obligés de fournir à cause de leurs Bénéfices.
[366] Capitul. L. 5. Synod. Carlom. 11, Calend. Maïas, ann. 742, & Capitul. 91, L. 7, ann. 863 & 869.
[367] Nec arma ferant, nec ad pugnam pergant... suos homines bene armatos nobiscum aut cùm quibus jusserimus dirigant. Balus. L. 7, Cap. 103, Miscell. tom. 3, pag. 129 & 174. Nos Rois ne croyoient donc point déroger à leur magnanimité ni dégrader leur courage en marchant à la tête de la milice du Clergé, comme le prétend l'Auteur de l'Espr. des Loix, tom. 4, L. 30, c. 17, pag. 50.
Charles le Chauve suivit les mêmes principes. Un Canon du Concile de Verneuil, tenu en 845, n'exempte les Evêques de conduire leurs troupes en personne, qu'à condition qu'ils les confieront à celui d'entre les fidèles du Roi qu'ils voudront choisir.[368]
[368] Cuilibet fidelium vestrorum, disent les Evêques du Concile de Verneuil, quem sibi utilem judicaverint Episcopi committant, & le Roi présent octroye leur demande.
Il est vrai que l'on peut citer quelques exemples d'Evêques & d'Abbés qui ont servi depuis en personne dans l'armée; mais cela n'est arrivé que dans des cas extrêmes[369] ou par contrainte,[370] ou au mépris des regles canoniques & civiles généralement suivies dans le Royaume.
[369] Comme lorsque Bernard, fils de Pepin, se révolta. Aimoin, L. 4, c. 106, pag. 243.
[370] Ceci est prouvé par les Canons du Concile de Reims en 1049, & par le Capit. 285, L. 6, & le 91 du L. 7.
Si le Duc Raoul eût exigé du Clergé de Normandie le service militaire personnel, il auroit conséquemment violé une Loi qui avoit été respectée avant lui dans cette Province comme dans toutes les autres Provinces de France; & l'on conçoit quel intérêt il avoit à maintenir, sur-tout ses Sujets Ecclésiastiques, dans leurs anciens priviléges. Ces priviléges leur furent donc conservés par ce Duc, & ils subsistoient encore, au temps de Guillaume le Conquérant, les mêmes qu'ils avoient été sous les Rois de la seconde race. L'Evêque de Bayeux son frere & l'Evêque de Coutance suivirent l'armée lorsqu'il se rendit maître de l'Angleterre;[371] mais ces deux Evêques ne l'aiderent que de leurs conseils & de leurs prieres, pugnabant precibus & consiliis. Les Eglises continuerent aussi durant le regne de Guillaume, d'avoir, comme elles l'avoient eu sous Charles le Chauve, le choix des Commandans de leurs troupes, & ce choix, tant en Normandie qu'en Angleterre, tomboit toujours sur les Seigneurs les plus puissans.
[371] Thomass. part. 3, L. 1, c. 45.
La Chevalerie d'armes devenue en vogue, ces Seigneurs, pour grossir leur Cour, & se procurer des personnes capables de les remplacer, ou de les soutenir dans leurs guerres privées, usurperent le droit de créer, comme les Souverains, des Chevaliers; & après avoir conféré cette qualité à des vassaux des Eglises, ils leur confierent la conduite des milices qu'elles étoient obligées de fournir. Ces vassaux élevés par-là au-dessus de leurs co-vassaux, ou chargeoient ceux-ci de les défrayer de leurs propres services, ou bien les excédoient par des amendes qu'ils n'avoient point encourues. Comme ces procédés tendoient à dégoûter du Vasselage des Eglises, les Evêques, les Abbés crurent ne devoir rien négliger pour prévenir cet événement. Possesseurs de grands Fiefs, soit de Baronnie, soit de Haut-bert, ils conférerent à ce titre, comme les Seigneurs laïcs, le grade de Chevaliers aux Nobles qu'ils présumerent leur être le plus affectionnés, ils leur permirent même de lever leur banniere. Mais cet abus fut réprimé dès sa naissance;[372] & depuis le commencement du douzieme siecle, les hommes de guerre, fournis par les Ecclésiastiques, n'ont plus eu, comme cela s'étoit pratiqué en France dès le neuvieme siecle, d'autres Commandans que ceux que les Ducs de Normandie nommoient en cette Province & en Angleterre pour la conduite de leurs propres vassaux.
[372] Concil. de Londres en 1102, 17 Canon. Selden. Not. in Eadmer. pag. 131.
(e) Common Bank.
La compétence que l'Echiquier de Normandie réunissoit, fut divisée par le Conquérant, en Angleterre, entre trois Tribunaux souverains & en dernier ressort. Le premier étoit le Banc royal, ou commun Banc, où on jugeoit les causes civiles & criminelles dans lesquelles le Roi étoit intéressé. Dans le second, qui s'appelloit Cour des communs Plaids, on ne traitoit que des procès entre particuliers; & la Cour du Fisc, à laquelle fut conservé le nom d'Echiquier, prononçoit sur les amendes, les aliénations des Fiefs, les revenus du Roi, les tailles & autres matieres qui concernoient le Domaine. La Cour du commun Banc étoit seule ambulatoire,[373] & du nombre des Juges de cette Cour, on tiroit ceux qui devoient présider aux autres. C'est par cette raison que les Jurisconsultes Anglois donnent indifféremment aux Juges de l'Echiquier ou des communs Plaids, le nom de Juges du commun Banc.[374] Les Commissaires du Roi, délégués dans les Provinces, faisoient leurs rapports à ces trois sortes de Cours, & l'on y réformoit ou approuvoit les décisions des Plaids particuliers dont les Seigneurs ou leurs vassaux prétendoient avoir droit de se plaindre.[375] On y faisoit aussi les Loix. Voyez Section 164.
[373] Magn. Ch. art. 13.
[374] Coke, Sect. 96 de Littlet.
[375] Magn. Ch. art. 14.
SECTION 97.
Et apres tiel voyage royall en Escoce, il est communement dit, que per authoritie de Parliament l'Escuage serra assesse (a) & mis en certeine summe dargent, quant chescun que tient per entire fee de service de Chivaler, quil ne fuit per luy mesme, ne per un auter pur luy ove le Roy, payera a son Seignior de que il tient la terre per escuage. Sicome mittomus, que il fuit ordaine per authoritie de la Parliament, que chescun que tient per entire fee de service de Chivaler, que ne fuit ove le Roy, payera a son Seignior 40 s., donque celuy que tient per moitie dun fee de Chivaler ne payera a son Seignior forsque 20 s. & celuy que tient per le quart part de fee de Chivaler ne payera forsque 10 s. & sic que pluis, pluis; & que meins, meins.
SECTION 97.—TRADUCTION.
Après que le Roi est de retour d'Ecosse, le Parlement fixe ordinairement l'Escuage, en l'évaluant à une certaine somme que chaque vassal, lorsqu'il n'a point été en personne à l'armée ou qu'il ne s'est point fait suppléer, est tenu de payer à son Seigneur.
La valeur de l'Escuage a été fixée par divers Parlemens; sçavoir, pour un plein Fief de Chevalier, à 40 s. pour un demi-Fief, à 20 s. pour le quart de Fief, à 10 s. & pour les parts inférieures, à proportion.
ANCIEN COUTUMIER.
Aulcun ne se peut excuser par exoine de l'aide de l'Ost à quoi il est tenu du Fief qu'il tient; car il n'y peut avoir aulcun delayement: mais s'aulcun est si malade qu'il ne puisse accomplir le service de l'Ost qui doit estre fait au Prince, il doit envoyer homme suffisant en son lieu.
Ceux qui doivent l'aide, n'en doivent point rendre ne la lever devant que le Prince leur avoit ottroyé la quantité de l'aide de Fief, mais quand l'aide sera déterminé & ottroyé par le Prince, chacun sera tenu se rendre à la semonce de 15 jours, si come il tient du Fief sans aulcun délay. Et s'il fait gré de l'aide de son Fief, ainsi comme il fit à la derniere fois, quand l'aide de l'Ost fut payé selon la quantité que le Prince détermina & ottroya, il doit par ce remaindre en paix. Ch. 44.
REMARQUE.
(a) Per authoritie de Parliament lescuage serra assesse.
Tant que le service militaire avoit été dû personnellement en France, c'est-à-dire, avant l'institution de l'hérédité des Bénéfices, tout homme libre qui ne se présentoit pas au Ban, payoit une amende de soixante sols,[376] & à faute de payement il perdoit sa liberté. Un Officier commensal du Roi, pour la même faute, étoit privé de vin & de viande;[377] & les grands Bénéficiers, qui ne se rendoient point au Camp à la tête de leurs hommes, ou avec leurs Pairs, étoient dépouillés de leurs Honneurs ou Bénéfices. Mais les Bénéfices étant devenus perpétuels & héréditaires, ainsi que les Fiefs qui en avoient été démembrés, & les Seigneurs ayant inféodé à quelques-uns de leurs vassaux en exemption de service personnel, au moyen de rentes ou autres redevances; l'indemnité due par les Seigneurs au Roi, pour le défaut de services de leurs Sous-Feudataires, ne dut pas être à la discrétion de ces Seigneurs. Il fut donc nécessaire que le Prince seul déterminât cette indemnité, selon l'espece du service dont il avoit été privé. Cependant le Roi ne décidoit rien à cet égard que de l'avis des Princes du Sang, des Barons & autres Grands du Royaume,[378] c'est-à-dire, du Parlement. Voyez Section 164.
[376] Capitul. L. 3, c. 67. L. Ripuair. tit. 68.
[377] Capitul. L. 3, c. 69.
[378] Ordonn. du 7 Août 1335. Bruss. L. 2, c. 6, pag. 168, la rapporte.
SECTION 98.
Et ascun teignont per le custome que si lescuage courge per authoritie de Parliament a ascun summe de money, que ils ne paieront forsque la moitie de ceo, & ascuns teignont que ils ne paieront forsque le quart part de ceo. Mes pur ceo que lescuage que ils paieront est non certain, pur ceo que nest certain coment le Parliament assessera lescuage eux teingnont per service de Chivaler. Mes auterment est de lescuage certaine, (a) de que serra parle en le tenure de Socage.
SECTION 98.—TRADUCTION.
En certaines Seigneuries les vassaux sont dans l'usage de ne payer que moitié ou le quart du taux de l'Escuage fixé par le Parlement. Mais parce que le taux que le Parlement doit déterminer est incertain, & que par conséquent les droits dûs par ces vassaux n'ont rien de fixe, ils sont réputés tenir par service de Chevalier; au lieu que ceux qui doivent pour droit d'Escuage une somme ou redevance invariable, ne sont réputés tenir qu'en Socage, comme nous le dirons au Chapitre de Tenure en Socage.
REMARQUE.
(a) Mes auterment est de lescuage certaine, &c.
Ceux qui devoient une somme tous les ans, sous le titre de droit d'escuage, n'étoient point assujettis, par leur inféodation, au service personnel de Chevalier. Leurs Seigneurs, au contraire, s'étoient réservés ce service, ou avoient inféodé à d'autres, à la condition de le faire ou de préposer quelqu'un pour s'en acquitter. Ceux-ci participoient donc seuls aux honneurs, à la dignité, à la noblesse que le Fief avoit originairement reçu des services militaires qui y avoient été spécialement attachés. Ils étoient donc seuls, à proprement parler, tenans par service de Chevalerie; & enfin, ils étoient seuls assujettis à indemniser les Seigneurs du défaut de ce service.
En effet, cette indemnité à leur égard étoit essentiellement représentative de leur propre service; au lieu que le droit que les autres payoient, sous la dénomination d'Escuage, n'étoit qu'une redevance honorée de ce nom, à cause de l'usage auquel il avoit plu au Seigneur de la destiner. Voyez Sect. 120.
SECTION 99.
Et si home parle generalement descuage, il serra entendue per le common parlance descuage noncertaine, que est service de Chivaler, & tel escuage trait a luy homage, & homage trait a luy fealtie, car fealtie est incident a chescun manner de service forsque a le tenure en Frankalmoigne, come serra dit apres en le tenure de Frankalmoigne. Et issint il que tient per escuage, tient per homage, fealtie & escuage.
SECTION 99.—TRADUCTION.
En général par le terme d'Escuage on entend le service de Chevalier, dont la valeur n'a rien de certain. Or le tenant par ce service doit hommage & féauté; car la féaute a lieu dans tous les cas où on doit quelque service. La Tenure en franche Aumône est seule exceptée de cette regle. Voyez Ch. 6 ci-après. Ainsi il est de principe que la Tenure par Escuage est en même-temps Tenure par Hommage & Tenure par Féauté.
SECTION 100.
Et est ascavoir, que quant escuage est tielment assesse per authoritie de Parliament chescun Seignior de que la terre est tenus per escuage, avera lescuage issint assesse per Parliament, pur ceo que il est intendus per le Ley, que al commencement tiels tenements furent dones per les Seigniors a les tenants de tener per tielx services a defender lour Seigniors, auxy bien come le Roy, & mitter en quiet lour Seigniors & le Roy, de les Scotes avantdits.
SECTION 100.—TRADUCTION.
Quand l'Escuage est fixé par le Parlement, chaque Seigneur peut l'exiger des vassaux qu'il y avoit assujettis, parce que le but des Seigneurs en inféodant a été que les vassaux sujets à l'Escuage combattissent les Ecossois, autant pour eux que pour le Souverain.
SECTION 101.
Et pur ceo que tiels tenements deviendront primes des Seigniors, il est reason que ils averont lescuage de lour tenants. Et les Seigniors en tiel case purront distreiner pur lescuage issint assesse, ou ils en ascuns cases purront avoir Briefe le Roy, direct as Vicomts de mesme les Counties, &c. de levier tiel escuage pur eux, sicome appiert per le Register. Mes de tiels tenants queux teignont per escuage de Roy, queux ne fueront ove le Roy en Escoce, le Roy mesme avera lescuage.
SECTION 101.—TRADUCTION.
Comme les tenans par Escuage ne doivent leur origine qu'aux Seigneurs, il est juste que ceux-ci puissent rentrer en possession du Fief quand leurs tenans leur refusent le service, ou le payement de la somme à laquelle le Parlement l'a évalué. Les Seigneurs, dans ces cas peuvent donc obtenir un Bref du Roi adressé aux Vicomtes en la forme prescrite aux Registres de Chancellerie.
Nota. Que lorsqu'on a dit que les ténemens par Escuage ont été établis par les Seigneurs, ceci ne s'entend pas des Fiefs tenus du Roi par Escuage, & pour lesquels le droit d'Escuage lui est dû par ses vassaux qui ont manqué à le suivre à l'armée.
SECTION 102.
Item, en tiel case avantdit, lou le Roy face un voyage royall en Escoce, & lescuage est assesse per Parliament, si le Seignior distreine son tenant que tient de luy per service dentire fee de Chivaler pur lescuage issint assesse, &c. & le tenant plede, & voit averrer que il fuit ove le Roy en Escoce, &c. per 40 jours, & le Seigneur voit averrer le contrarie, il est dit, que il serra trie per le certificat (a) del Marshall del Host (b) le Roy en escript south son seale que serra mis a les Justices.
SECTION 102.—TRADUCTION.
Si le Roi ayant fait la guerre aux Ecossois, le Parlement regle la valeur de l'Escuage, un Seigneur peut poursuivre son vassal tenant par le service entier de Chevalier pour être payé de ce droit. Mais si le vassal offre prouver qu'il a suivi l'armée durant 40 jours, il ne peut faire cette preuve que par le certificat du Maréchal de l'Ost du Roi, & la Justice dont le vassal ressortit ne peut prononcer rien de contraire à ce certificat.
REMARQUES.
(a) Serra trie per le Certificat, &c.
Les Justices subalternes, le Parlement même, ne pouvoient admettre de preuve contraire à l'énoncé de ce certificat, parce que le Maréchal & le Connétable étoient les seuls Juges de ce qui se passoit hors le Royaume, même pour crimes ou contrats qui ne partoient point du fait de la guerre. Le tribunal du Connétable & du Maréchal conserve encore en Angleterre la même compétence.[379] Si un Anglois blesse mortellement un autre Anglois en France, ce dernier mourant de cette blessure après son retour en son pays, il appartient à la Chambre militaire de punir le coupable. Elle connoît encore exclusivement des contrats civils faits entre deux Anglois en un Royaume étranger, ce qui tire évidemment sa source de l'usage où le Connétable & le Maréchal ont toujours été en France, de prononcer en dernier ressort[380] sur tous les délits commis non-seulement par tous les gens de guerre, mais encore par toutes personnes non domiciliées. Aussi trouve-t'on, dans les Registres de la Tour de Londres, nombre de Jugements rendus en pareilles circonstances, sous les regnes des Ducs Normands en Angleterre.
[379] Artur Duck, L. 2, 3e Part. no17 & 18.
[380] Voyez les anc. Ordonn. recueillies par Guénois.
(b) Marshall del Host.
Marshall, en Saxon Marischalk, equitum magister. Ce nom fut inconnu aux Anglois jusqu'à la conquête du Duc Guillaume.[381] L'Officier qui exerçoit auparavant, parmi eux, les fonctions de Maréchal, s'appelloit hérétoches.[382]
[381] Ce nom étoit en usage en France dès le 7e siecle. Capitul. Dagoberti II, tit. 79, no4. Voyez aussi le Capitulaire de 813, art. 10.
[382] Coke sur la prés. Sect.
M. le Président Hesnault pense qu'Albéric Clément a commencé de rendre l'Office de Maréchal de France militaire en 1191. Mézeray ne s'exprime pas tout-à-fait de même: Le pere d'Albéric avoit, selon lui, exercé l'emploi de Maréchal avant son fils, & étendu déjà son autorité sur les gens de guerre.
Or, en s'en tenant à ce que dit cet Auteur, l'établissement de la Jurisdiction militaire du Maréchal remonteroit au commencement du douzieme siecle; mais le texte de Littleton donne à cet établissement une époque antérieure, & elle paroît parfaitement d'accord avec les accroissemens du pouvoir des offices de Maréchal & de Connétable, tant en France qu'en Angleterre.
En effet, sous Charles le Simple, les Comtes de Paris avoient encore la Justice, Police, Finance, & le commandement des Armées:[383] le Connétable étoit restraint au commandement de l'écurie.[384] Hugues Capet ayant supprimé la premiere de ces charges, la compétence qui y étoit attachée, relativement à la discipline des troupes, fut dévolue au Connétable. Cet Officier, dès ce moment, donna les ordres nécessaires pour assembler & pour faire conduire l'Ost du Roi; & le Maréchal, qui étoit comme le Lieutenant du Connétable, se trouvant chargé de faire exécuter ces ordres, se rendit insensiblement, par l'activité de ses fonctions, plus nécessaire au Prince & plus redoutable aux troupes que le Connétable.
[383] Prés. Hesn. remarq. sur les éven. sous Hugues Capet, vol. 1, pag. 131.
[384] Ibid, ann. 1060, on voit Burchard avoir le commandement d'une Flotte sous Charlemagne; mais c'étoit une exception à la regle. Aimoin, L. 4, c. 95.
Au temps de Guillaume le Conquérant, le Maréchal étoit déjà l'Officier le plus important de l'Ost le Roi, & le Connétable n'étoit point encore parvenu, en France, à être compté parmi les grands Officiers de la Couronne,[385] ni à être placé, en Normandie, au nombre des Officiers militaires. Littleton ne compte en conséquence,[386] parmi les grands Officiers du Roi, que le Porte-Etendard, le Porte-Lance, celui qui conduit l'Ost, le Maréchal; ce qui fait bien voir que la conduite de l'Ost n'étoit point, lors de l'introduction des Loix Normandes en Angleterre, spécialement affectée à un Office particulier. En effet, les successeurs du Conquérant chargeoient ordinairement le Maréchal de cette fonction. Guillaume, Duc de Glocestre en 1216, en qualité de Maréchal, eut la garde de Henri III, la Lieutenance du Royaume, la Surintendance de l'armée.[387] Ce n'a été qu'après la révolte du Comte Richard, successeur du Duc de Glocestre, que l'office de Connétable a repris, parmi les Anglois, la même supériorité dans les opérations militaires qu'il avoit eue en France depuis Hugues Capet. D'après ces observations on apperçoit, au premier coup-d'œil, ce qui a induit à croire jusqu'ici que le Maréchal n'avoit obtenu, en France, d'autorité sur les gens de guerre qu'à la fin du douzieme siecle.
[385] Prés. Hesn. remarq. sur les éven. sous Hug. Cap.
[386] Sect. 153.
[387] Duchesne, Hist. d'Irl. & d'Angl.
Les fonctions du Maréchal se sont étendues à proportion du pouvoir du Connétable. Celui-ci n'ayant obtenu la qualité d'Officier de la Couronne qu'après l'an 1060, & son autorité ayant cessé alors d'être bornée à l'Ost du Roi, c'est-à-dire, aux gens de guerre relevans directement du Roi; le Maréchal, comme Lieutenant de cet Officier, n'acquit aussi que dans ce temps, sur toute l'armée, le même pouvoir qu'il avoit jusques-là seulement exercé sur les vassaux du Roi. Or, nos Historiens antérieurs à l'an 1060, ne se sont attachés qu'à transmettre à la postérité les exploits de ceux qui avoient eu le commandement en chef de toutes les troupes; d'où ceux qui les ont suivis ont tiré cette fausse conséquence, que puisqu'ils n'avoient rien dit du Maréchal en particulier, il n'avoit encore acquis, dans le onzieme siecle, aucun rang de distinction parmi les Officiers militaires.
CHAPITRE IV. DE SERVICE DE CHEVALIER.
SECTION 103.
Tenure par Homage, Fealtie, Escuage, est a tener per service de Chivaler, & trait a luy Garde, (a) Mariage (b) & Reliefe. (c) Car quant tiel tenant mourust, & son heire male est deins lage de 21 ans, (d) le Seignior avera la terre tenus de luy tanque al age del heire de 21 ans, le quel est appel pleine age, pur ceo que tiel home per entendement del Ley nest pas able de faire tiel service de Chivaler, devant lage de 21 ans: Et auxy si tiel heire ne soit marie al temps de mort de tiel Auncester, donque le Seignior avera le garde & le mariage de luy. Mes si tiel tenant de vie, son heire female esteant dage de 14 ans, out de plus donque le Seignior navera my le garde del terre ne de corps, pur ceo que feme de tiel age poit aver baron able de faire service de Chivaler. Mes si tiel heire female soit deins lage de 14 ans, & nient marie al temps de la mort son Auncester, donque le Seignior avera le garde de la terre tenue de luy, tanque al age de tiel heire female de 16 ans, pur ceo que il est done per le Statute de Westminster. 1. Cap. 22. Que per 2 ans procheine ensuant les dits 14 ans, le Seignior poit tender convenable mariage sauns disparagement (e) a tiel heire female. Et si le Seignior deins les dits 2 ans ne luy tend tiel mariage, &c. donque el al fine des dits 2 ans, poit enter & ouste son Seignior. Mes si tiel heire female soy marie deins lage de 14 ans en la vie son Auncester, & son Auncester devy e esteant deins lage de 14 ans, le Seignior navera forsque la garde de la terre, jesques a fine de 14 ans, dage de tiel heire female, & donque son baron & luy poient enter en la terre & ouste le Seignior; car ceo est hors de cas de le dit estatute, entant que le Seignior ne poit tender mariage a luy que est marie, &c. Car devant le dit Statute Westminster 1, tiel issue female que fuit deins age de 14 ans, al temps de mort son Auncester, & puis que el avoit accomplish lage de 14 ans, sans ascun tender de mariage per le Seignior a luy, tiel heire female donque puissoit enter en le terre, & ouste le Seignior sicome appiert per le rehersall & parolx de le dit Statute, issint que le dit Statute fuit fait en tiel cas, tout pur ladvantage de Seigniors come il semble. Mes uncore touts fois est entendue per les parolx de mesme le Statute que le Seignior navera les deux ans apres les 14 ans, come est avantdit, mes lou tiel heire female soit deins lage de 14 ans, nient marie al temps de mort son Auncester.
SECTION 103.—TRADUCTION.
Tenir par Hommage, Féauté & Escuage, c'est tenir par service de Chevalier; & cette tenure donne ouverture aux droits de Garde, de Mariage & de Relief. De-là lorsque le possesseur d'une tenure de cette espece en décédant laisse un enfant mâle qui n'a point encore atteint sa 21e année, le Seigneur jouit de la terre jusqu'à ce que le mineur ait atteint cet âge qui est celui de la majorité parfaite, parce qu'avant cet âge un homme n'est pas capable de faire le service de Chevalier.
Si ce mineur n'est pas marié au temps de la mort de son pere, le Seigneur en a la garde & le mariage. Il en est autrement d'une fille: car dès qu'elle a 14 ans, le Seigneur n'a la garde ni de sa terre ni de sa personne; une fille à cet âge peut, en effet, avoir un époux capable de s'acquitter du service de Chevalier. Quand la fille a moins de 14 ans, lors du décès de son pere, le Seigneur a la garde de la terre qui releve de lui jusqu'à ce qu'elle ait 16 ans; en conséquence le Statut du premier Parlement, tenu à Westminster, chap. 22, porte que le Seigneur peut, sans déparager la fille de son vassal, lui procurer un mariage convenable dans les deux ans qui suivent sa 14e année; & que si le Seigneur néglige de la marier pendant ces deux ans, cette fille peut se mettre en possession de son Fief. Cependant au cas où elle auroit été mariée par son pere avant 14 ans; après la mort de son pere le Seigneur n'auroit la garde de la terre que jusqu'à sa 14e année, & alors l'époux de cette fille pourroit prendre possession de son Fief. La disposition du Statut ne peut s'entendre, en effet, de ce cas, puisque la fille étant mariée, les deux ans accordés au Seigneur pour la pourvoir lui seroient inutiles. D'ailleurs avant le Statut toute fille qui avoit moins de 14 ans lors du décès de son pere, & à laquelle le Seigneur ne procuroit aucun établissement avant cet âge accompli, pouvoit aussi-tôt qu'elle avoit atteint sa 14e année, jouir de son Fief, comme le porte le dispositif du Statut cité ci-devant; ce qui prouve bien que le Statut n'a eu pour but que le profit des Seigneurs.
Il est d'observation cependant que le Seigneur n'a la garde pendant deux ans après la 14e année, que lorsque la fille qui est mineure de 14 ans n'a point été mariée du vivant de son pere.
ANCIEN COUTUMIER. CHAPITRE XXXIII.
Nous debvons savoir que le Prince de Normandie doit avoir la garde de tous les orphelins qui sont de petit aage qui tiennent de luy par homage alcun Fief ou membre de Hautbert. L'en doit savoir que ceulx sont dedens aage qui n'ont pas accomplis 20 ans, & pour ce qu'ils doibvent estre tenues en garde tant que les 20 ans soient accomplis, on leur donne un an par l'usage de Normandie, en quoy ilz peuvent faire en court clameur, & rappeller les saisines de leurs ancesseurs par enquestes.
Quand les hoirs sont issus de Garde, leurs Seigneurs n'auront aulcun Relief d'eux de ce même Fief, car les issues de la Garde seront comptées en lieu de relief, non pourtant ils prendront relief de leurs homes. Car pour ce s'ilz & leurs terres furent en garde, ilz ne doibvent pas perdre le relief de leurs homes quand ilz leur auront fait homage.
Se femme est en garde, quand elle sera en aage de marier, elle doit estre mariée par le conseil & licence de son Seigneur, & par le conseil & assentement de ses parents & amis, selon ce que la noblesse de son lignage & la valeur de son Fief le requerra, & au mariage luy doit estre rendu le Fief qui a été en garde.
Femme n'y est pas de garde fors par mariage, & ne dict l'en pas qu'elle ait aage, s'elle n'a accompli vingt ans. Mais s'elle est mariée à temps & à aage qui est établi à femme marier, le temps de mariage luy donne aage & délivre son Fief de garde.
Les Fiefs de ceux qui sont en garde doibvent estre gardés entierement par les Seigneurs qui reçoivent les fruits & les issues; & pour ce doibt l'en savoir que le Seigneur doibt tenir en droit estat ancien les Edifices, les Manoirs, Bois, Prairies, Jardins, Estangs, Moulins, Pescheries, & les autres choses dont ils doibvent avoir les issues, & si ne peuvent vendre, arracher ne remuer les bois, les maisons ne les arbres.
S'aulcun Seigneur vend les maisons ou les bois qui sont en sa garde, ou s'il les fait arracher ou mettre malicieusement hors du Fief qu'il a en garde, il le doit griefvement amender & rendre pleinement ou perdre la garde du tout, &c.
ANCIEN COUTUMIER. CHAPITRE XXXIV.
L'en doibt savoir que les Seigneurs du Fief doibvent avoir relief des terres qui sont tenues d'eulx par homage, quand ceulx meurent de qu'ils avoient homage. En deux manieres laissent les homes leurs héritages en Normandie; une maniere est quand ils entrent en religion, & ils laissent toute possession terrienne, & ainsi descendent leurs héritages à leurs hoirs, & relief en doit estre payé & nouvel homage prins.
L'autre maniere est quand ils baillent àsm aultre le Fief, & n'y retiennent rien, si come par vente, & d'illec vient relief & nouvel homage, par ce appert-il que relief & homage sont aussi come conjoincts ensemble; car partout où il y a relief il convient que homage y soit, combien que partout où il y a homage, il ne convienne pas avoir relief; car il y a en diverses parties de Normandie moult de Fiefs qui ne sont pas tenus à payer relief, si come quittances, franchises & aultres dignités ja soit ce qu'ils doibvent homage, & si doibt on savoir que par toute Normandie relief est déterminé généralement en Fief de Hautbert par 15 liv. en Baronie, par 100 liv. ès terres gaennables est fait relief par 12 den. l'acre.
REMARQUES.
(a) Garde.
Par ce qui a été dit dans les Remarques sur la Section 50, on a dû facilement comprendre la distinction qu'on doit faire entre la Baillie du Roi mineur, la Tutelle des Aleux & la Garde des Bénéfices ou des Fiefs. La premiere ne concernoit que la personne; la seconde comprenoit le soin de la personne & la régie de tous les biens, mais le tuteur en rendoit compte; & la Garde avoit pour objet l'éducation du mineur & l'administration de ses biens, sans que le Gardien fût tenu de rendre raison du revenu. Cette derniere prérogative étant la plus caractéristique de la Garde féodale, elle conduit naturellement à rechercher quelle en a pû être la source. Et après une légere attention, il me semble qu'on la trouve dans le droit de Garde ou de Régale sur les biens Ecclésiastiques.
En effet, la Garde des Eglises a constamment précédé de plusieurs siecles celle des Bénéfices laïcs. Sous la premiere Race, les Bénéfices étoient ou amovibles ou viagers, & après être rentrés, par le décès des titulaires, dans le domaine duquel ils avoient été démembrés, ou le Roi ne les conféroit plus, ou bien il leur assignoit des revenus & des fonds différens, soit pour la quotité, soit pour la situation de ceux dont ils avoient été précédemment composés. Cela ne peut se concilier, en aucune façon, avec l'idée que le droit de Garde fait naturellement naître; car ce droit suppose, en celui qui l'exerce, l'obligation de conserver l'objet de la Garde; au lieu que nos Rois de la premiere Race n'avoient pu s'imposer cette obligation à l'égard de bienfaits, qui n'ayant essentiellement aucune existence légale ni de convention, ne subsistoient qu'autant qu'il plaisoit au Souverain.
Il n'en étoit pas ainsi des Bénéfices Ecclésiastiques: les dons que les Rois & les Sujets avoient faits aux Eglises, ne pouvoient être anéantis sans injustice. Ces dons avoient une application spéciale: en changer l'emploi, c'eût été priver la Religion de ses Ministres, & ceux-ci de l'honneur que le Souverain leur avoit accordé de pouvoir seuls distribuer ses libéralités aux Fidèles ses sujets, selon leurs besoins. Aussi dès le premier instant où nos Rois ont cédé aux Eglises des fonds, & aux Evêques des revenus, ils n'ont cessé de veiller à ce que ni les uns ni les autres n'en fussent dépouillés, soit par la négligence des Evêques eux-mêmes, soit par celle de leur Clergé après leur décès, soit enfin par la violence ou la cupidité des Grands du Royaume. La preuve d'une assertion aussi importante pourroit, sans doute, faire l'objet d'un ouvrage particulier; mais borné par le plan que je me suis formé à de simples Remarques, je tâcherai, dans le grand nombre d'autorités que m'offrent les différens siecles que je dois parcourir, d'en choisir de si décisives, que malgré leur petit nombre, elles suffiront, je m'en flatte, à toutes personnes exemptes de préjugé.
Bien avant Clovis, on regardoit, comme une maxime incontestable, que l'Etat n'étoit pas dans l'Eglise, mais l'Eglise dans l'Etat. Non enim Respublica est in Ecclesiâ, sed Ecclesia in Republicâ est.[388] Les Empereurs avoient en conséquence, dans tous les temps, veillé au maintien de la discipline du Clergé, & à l'administration de ses biens. Clovis marcha sur leurs traces; & dans la position où il étoit, lors de son avénement au Trône, il dut mieux comprendre qu'eux le danger qu'il auroit couru en s'en écartant. En effet, soit qu'il ait conquis ses Etats par la force ou par l'adresse, ou que les peuples se soient rangés d'eux-mêmes sous sa domination, il a été de sa prudence de ne placer, à la tête des Diocèses, que des sujets incapables de tramer quelque chose contre son autorité, à l'ombre du crédit que leur dignité leur donnoit sur l'esprit des peuples. D'ailleurs, borné dans les ressources que les guerres qu'il avoit à soutenir lui rendoient nécessaires, ses générosités envers les Eglises auroient été moins abondantes, s'il avoit cru, en les faisant, se priver du droit de discerner, quand il lui plairoit, entre ses sujets, ceux au soulagement desquels elles étoient destinées. Aussi en scrutant les diverses Loix émanées de ce grand Prince, on y voit de toutes parts son droit d'administration sur les biens, & son autorité sur les personnes Ecclésiastiques également conservés. Dans le Concile d'Orléans, tenu par son ordre en 511, Canon 6, il fut défendu aux Prélats d'ordonner aucun vassal d'un Seigneur sans son consentement. L'emploi des revenus des Eglises fut fixé, Canon 7,[389] à leur réparation, à l'entretien des Ministres, à la nourriture des pauvres, au rachapt des captifs; & si les Prélats furent chargés de tenir la main à l'exécution de ces sages réglemens, ce fut de maniere que, sous le prétexte de cette manutention, ils ne pussent disposer de la propriété des biens dépendans de leur Siége.[390] Personne ne pouvoit assurément mieux sçavoir que Clovis de quelle étendue les conditions, apposées à ses dons, étoient susceptibles: Or, on le voit accorder à des laïcs la jouissance de certaines portions du temporel des Eglises, sans doute durant la vacance, puisqu'elle appartenoit aux Evêques pendant leur vie, suivant le septieme Canon du Concile que je viens de citer.[391] Plusieurs de ces laïcs, à la vérité, qui avoient obtenu de ce Prince l'usufruit de différens fonds appartenans aux Eglises, les laisserent, contre ses intentions, à leurs héritiers: mais le troisieme Concile de Paris, qui nous transmet ce fait, Canon premier,[392] en gémissant de l'abus, loin de blâmer le Prince qui avoit fait les concessions, dit au contraire que sa mémoire est précieuse; il excuse même du défaut de restitution ceux qui les avoient obtenus du Prince, sur ce qu'ils avoient été surpris par une mort imprévue.
[388] Optatus Milevitanus, L. 3, ad Parmenion. Il vivoit en 368.
[389] Rex est deffensor & custos rerum Ecclesiasticarum divinitùs datus. Concil. Mogunt. ann. 847.
[390] Quidquid Deus in fructibus dare dignatus fuerit expendatur, &c. Can. 7.
[391] L'Abbé Vély, Hist. de Franc. 1er vol. pag. 64, ne voit aucunes traces de la Régale dans le 1er Concile d'Orléans. M. le Prés. Hesnault voit dans ce Concile les vrais principes de ce droit; l'extrait que je donne du Concile peut suffire pour confirmer l'exactitude du célebre & profond Magistrat.
[392] En 557: Accidit ut suprà promissionem bonæ memoriæ Domini Clodovæi Regis, res Ecclesiarum aliqui competissent, ipsasque res improvisâ morte collapsi, propriis hæredibus reliquissent.... placet, &c.
Pour user du droit de disposer des revenus des biens Ecclésiastiques, Clovis n'avoit pas cru être obligé de se le réserver expressément, lorsqu'il les avoit donnés. Ses Successeurs furent contraints cependant de prendre cette précaution; plusieurs Prélats[393] commençoient à regarder les biens de leurs Eglises comme indépendans du Souverain, & les Economes, Diacres, Archidiacres, & autres qui avoient eu jusqu'alors l'administration du temporel des Eglises du vivant des Evêques, étoient si enflés de vaine gloire, qu'ils réduisoient ces Evêques & les Prêtres qui leur résistoient en une extrême nécessité.[394] L'argent, dont ces Economes avoient le maniement, leur servoit non-seulement à acheter les suffrages du Clergé après le décès des Evêques, mais même pour se faire ordonner en leur place pendant leur vie.[395] Il étoit donc essentiel, pour prévenir l'usurpation de la dignité Episcopale, l'avilissement & la séduction du Peuple & du Clergé, d'écarter les Ecclésiastiques de la régie des biens attachés aux Evêchés, & d'exclure de l'Episcopat ceux qui s'y étoient introduits par brigue & par argent: & la plus saine partie du Clergé ne trouva rien que de louable dans ce Réglement. Par les deuxieme & cinquieme Conciles d'Orléans, en réitérant la défense de consacrer aucuns Evêques sans l'agrément du Roi,[396] on enjoignit de ne laisser le pécule des Evêques décédés en garde qu'à des personnes à qui l'on pût se fier:[397] termes qui font assez clairement entendre que les Eglises n'avoient plus dès lors d'Economes Ecclésiastiques à titres, ni pour le mobilier que les Evêques laissoient après leur mort, ni pour le revenu des fonds des Eglises durant la vacance. Il est vrai que depuis ces deux Conciles, à l'égard du mobilier resté en la maison du Prélat décédé, les Evêques voisins choisirent, conjointement avec les Officiers du Roi, les personnes qui en devoient être dépositaires; mais le Roi seul préposoit des Administrateurs aux fonds qui étoient propres aux Eglises, & ces Administrateurs, par forme de récompense, jouissoient, comme en avoient anciennement joui les Economes Ecclésiastiques,[398] d'une partie du patrimoine de ces Eglises, tant que duroit leur régie. Les plus sages établissemens ne sont pas à l'abri d'être enfreints par ceux-mêmes, qui, par état, devroient les respecter davantage; les Administrateurs laïcs ne crurent pas trouver, dans le peu de durée des jouissances que les Rois leur accordoient, une indemnité suffisante de leurs peines, & ils parvinrent, à force d'importunités, à se les faire octroyer, à l'insçu des Evêques, à perpétuité.[399] Les Prélats, assemblés à Orléans en 541,[400] proscrivirent cet abus, & les anathêmes fulminés par ce Concile n'ayant pu arrêter le progrès du mal, le Concile de Rheims, dont Flodoard[401] nous a conservé l'extrait, établit, vers l'an 625, des regles pour empêcher que les personnes auxquelles les Rois avoient concédé, à titre précaire, des biens Ecclésiastiques, ne les rendissent héréditaires sous le prétexte de la durée de la possession qu'ils en avoient eue: ces regles furent renouvellées viron cent ans après dans le Parlement tenu à Leptines.[402] Il est d'observation qu'environ soixante ans avant la tenue du Concile de Rheims, le troisieme Concile[403] de Paris, Canon 8, avoit défendu aux Evêques de se faire consacrer en vertu des ordres du Roi, & que par le Canon 7 du cinquieme Concile, tenu en la même Ville en 615, on avoit regardé comme un attentat à la liberté du Sacerdoce, & à l'immunité Ecclésiastique, les dons de biens Ecclésiastiques faits par les Princes aux Laïcs. Mais Clotaire II, par l'Edit confirmatif de ce Concile, rendit sans effet la double atteinte que ces décisions pouvoient porter aux droits de sa Couronne;[404] & le Concile de Rheims, que je viens de citer, approuva, sans restriction, par le Canon 24,[405] cet Edit, qui n'a plus éprouvé de contradiction jusqu'à ces derniers temps. En effet, les formules de Marculphe, comme l'a observé Thomassin, Disc. Eccles. tom. III. p. 979. ne contiennent aucun modèle de concessions faites de biens Ecclésiastiques de la part du Roi durant la vacance; mais on ne peut nier que malgré le penchant que ce Moine avoit pour l'augmentation des richesses des Eglises, penchant qui se manifeste à chaque page de la deuxieme partie de son Recueil, les maximes sur lesquelles les formules de la premiere partie sont fondées,[406] ne partent nécessairement du droit de nos Rois sur le patrimoine des Eglises en toutes circonstances. C'étoit de la main du Roi que les Evêques en recevoient l'investiture; ils ne pouvoient en disposer de leur vivant sans sa permission.
[393] Testam. Sti Remigii. Flodoard, L. 1, c. 18.
[394] Servin, Plaid. sur les Dép. 2e vol. pag. 676. Greg. Tur. vit. Patr. c. 4.
[395] 1er Conc. de Lyon, Can. 5, en 517. Concile 5 d'Orléans, Canon 10. 2e Concile d'Orl. Can. 6. Greg. Tur. L. 2, c. 23. L. 4, c. 7, id. Vit. Patr. c. 4.
[396] 5e Conc. d'Orl. Can. 8.
[397] 2e Conc. Idem, Can. 6.
[398] Div. Greg. L. 3, Epist. 11. Dupin, tom. 5, pag. 106.
[399] 3e Concile de Paris, Canon 1, déja cité.
[400] Canon 25 du 4e Conc. d'Orléans: Si quis laicus sub potentum Nomine atque Patrocinio res ad jus Ecclesiæ pertinentes petere seu possidere præsumpserit, contempto pontifice; ab Ecclesiæ liminibus arceatur.
[401] Hist. Ecclés. Rem. L. 2, c. 5: De Sonnatio Episc. pag. 103. Si diuturnitate temporis ab aliquibus in jus proprium usurpentur.
[402] Capitul. de Leptines de 743, tom. 1. pag. 149, n. 2: Propter imminentia bella sub censu & precario, aliquam partem Ecclesialis pecuniæ in adjutorium exercitus aliquanto tempore retinemus, &c.
[403] 3e Conc. de Paris en 557...... Dupin, tom. 5, pag. 48.
[404] Thomassin est forcé d'en convenir, tom. 3, part. 3, L. 2, pag. 980.
[405] Communione priventur Judices qui Edictum illud Dominicum, quod Parisiis factum est, violaverint. Flod. L. 2, Hist. Eccles. Rem. c. 5.
[406] Marculphe, dans la 1ere Partie, a rassemblé les Formules des Lettres ou Brefs du Prince; leur forme étoit trop autentique pour qu'il pût l'altérer. Mais la seconde Partie ne contenant que des modèles d'Actes entre des Particuliers, il y a inséré tout ce qui lui a paru de plus propre à rendre irrévocables les dons faits aux Eglises, & à accréditer ses opinions particulieres. Voyez Préface, & Sect. 287, ci-après.
La Communauté d'une Ville s'adresse au Roi par la formule 7 du premier Livre, pour le supplier d'agréer pour Evêque un sujet qu'elle a élu, & en la formule 4, le Prince enjoint au Métropolitain de le consacrer. Dans la cinquieme formule, le Roi, après avoir exposé qu'il a l'administration de tous les biens du Royaume, déclare que s'il confie au sujet élu la dignité Episcopale, c'est parce qu'il connoît ses talens & ses vertus pour régir dignement l'Eglise, au gouvernement de laquelle la divine Providence l'a appellé. Or, cette régie n'est évidemment relative qu'au temporel de l'Eglise, puisque le Prince, dans la formule, dit ne tirer le droit qu'il a de confier la dignité & la faculté de régir & gouverner, que du pouvoir que lui donne sa souveraineté sur tout ce qui est soumis à sa domination. Quamvis nos ad administrandum gubernandumque rerum statum præcelsis occupationibus regiæ sollicitudinis causâ constringat, decrevimus in ipsa urbe illustrissimo illi pontificalem committere dignitatem, quatenùs dum Ecclesiam sibi à dispensatione divinâ commissam strenuè regere atque gubernare videtur, pro peccatorum nostrorum mole indesinenter debeat deprecari, &c.
Ainsi comme l'Evêque élu, cessant le consentement du Roi, n'auroit pu s'immiscer dans l'administration du temporel de son Eglise, ni exercer aucune sorte d'autorité sur les Fidèles, il s'ensuit que ni ceux-ci, quant à leur personne, ni les biens de l'Eglise, quant à leur administration, n'étoient au pouvoir du Clergé que subordonnément à la volonté du Prince. C'est ce que confirme la formule 16 du même Auteur, où l'on voit qu'un Evêque ne pouvoit faire aucun acte de jurisdiction relatif au temporel, ni aliéner la moindre partie des fonds dépendans de l'Eglise sans l'attache du Souverain. Præcipientes ut præfatam villam memoratæ Ecclesiæ possideant & successoribus relinquant, vel quidquid exinde pro opportunitate ipsius sancti loci faciendum decreverint, ex nostro permissu liberam habeant potestatem. Mais en supposant que ces conséquences ne fussent pas régulierement tirées des expressions des formules de Marculphe, le silence de cet Ecrivain pourroit-il fournir le moindre argument contre l'antiquité de la Régale? Quoique Marculphe n'exprime pas, dans les préceptions données pour l'investiture d'un Comté ou d'un Duché, qu'il est amovible ou viager, on n'a jamais douté cependant que de son temps ces Bénéfices laïcs ne retournassent au Roi après la mort des Titulaires. Pourquoi donc concluroit-on de son silence à l'égard du droit de nos Rois sur les biens des Eglises, l'illégitimité de ce droit, sur-tout quand on voit les Capitulaires, les Conciles, faire tous, de concert, mention de l'exercice de ce droit sur toutes les Eglises du Royaume, sans exception, dans les siecles qui ont immédiatement suivi celui auquel Marculphe vivoit? Dans le Concile tenu à Leptines[407] sous Carloman, toutes les Eglises approuvent la distribution que le Prince faisoit de leurs trésors pour le soudoyement de ses troupes. Comment le Clergé auroit-il trouvé en cela matiere à se récrier? Il étoit alors pénétré de cette maxime, que les bienfaiteurs des Eglises devoient trouver dans leurs propres bienfaits, des secours lorsqu'ils étoient dans la nécessité.[408] Il pensoit encore que le Roi pouvoit recommander les Eglises à des Laïcs, & il ne se plaignoit que des vexations que ces Laïcs exerçoient sous le voile de l'administration qui leur étoit confiée.[409] Ces sentimens des Prélats qui vivoient sous Charlemagne, se retrouvent dans les Conciles tenus sous Louis le Débonnaire. Le Concile de Paris de l'an 829, L. 1 Canon 15 & 18, décide expressément que les Ecclésiastiques ne sont point propriétaires des biens de leurs Eglises; & il déclare L. 2, Canon 2 & 3, qu'il est spécialement du ministere royal de gouverner le Peuple de Dieu, parce que le Roi est le défenseur des Eglises, des serviteurs de Dieu, des veuves, des orphelins & de tous les indigens, & qu'il doit récompenser ceux qui se conduisent bien, & réprimer la mauvaise conduite des autres.
[407] En 743.
[408] Canon 51 du 3e Conc. de Tours en 813.
[409] Canon 5 du Concile d'Arles en idem.
Le Concile de Mayence en 847, sous l'Empereur Lothaire, emploie des expressions plus fortes encore: il reconnoît que le Souverain tient de Dieu la garde des Eglises, & que les Laïcs, préposés pour l'administration des biens qui en dépendent, ne doivent obéir aux Evêques qu'en ce qui touche les dépenses relatives aux Eglises & au soulagement des veuves & des orphelins. Jusques là nos Rois n'avoient donc cessé d'exercer sur les Eglises le droit de Garde, & Charles le Chauve est le premier qui en ait exempté quelques unes. Flodoard parle, en effet, d'une semblable exemption accordée à l'Eglise de Reims, & Hincmar,[410] de celle obtenue par l'Eglise de Beauvais, laquelle fut souscrite par quatre Evêques. Mais outre que ces Ordonnances font voir clairement qu'elles étoient particulieres à ces Eglises, & qu'en recommandant les Eglises vacantes à ses Leudes,[411] ce Monarque n'avoit fait que leur accorder des ressources nécessaires pour les exciter à mieux servir l'Etat, comme il en avoit le pouvoir, selon les Conciles précédemment cités; on ne peut disconvenir qu'il n'eût de justes motifs pour ne pas multiplier les exemptions. La plupart des Evêques avoient établi des monopoles odieuses dans leurs Diocèses;[412] ils vendoient jusqu'aux Prébendes de leurs Eglises, en partageoient le prix avec leurs Chanoines; ils achetoient des Cures, les donnoient à leurs sœurs.[413] Comment, étant coupables de ces excès, ces Evêques ou leur Clergé auroient-ils osé solliciter le Souverain de laisser le patrimoine des fidèles à leur discrétion? Aussi les Auteurs qui ont cru voir sous ce Prince l'administration des biens de l'Eglise confiée au Clergé, se sont ils grossierement trompés, & voici d'où est venue leur erreur.
[410] Hincmar, tom. 2, pag. 817.
[411] Flodoard: Noverit omnium fidelium Dei ac nostrorum solertia quia res ex Episcopatu Remensi quas dum à pastore sedes vacaret fidelibus nostris ad tempus commendavimus, &c.
[412] Conc. Roth. en 878, Can. 7.
[413] Analect. Mabillon, tom. 3, pag. 300.
En parcourant les Conciles, ils ont trouvé[414] dans le Canon 6 du 2e Concile d'Orléans une injonction aux Evêques voisins de se rendre sans délai aux obseques de leurs confreres, d'y inventorier tout ce qui se trouvoit appartenir aux Eglises, & d'y préposer des gardiens; & dans le 7e Canon du 5e Concile de Paris, sous Clotaire II, ils ont lu des reproches faits avec véhémence aux Princes & aux Juges au sujet des concessions qu'ils faisoient aux Laïcs de choses appartenantes aux Eglises, & de là ils ont conclu que le Clergé seul avoit eu, au commencement de la Monarchie, la régie de tous les biens des Eglises vacantes, & que le Roi ou ses Officiers ne s'y étoient immiscés depuis que par usurpation. Ils n'ont pas fait attention que dans le 2e Concile d'Orléans il n'est question que du mobilier: Domum Ecclesiæ descriptam idoneis personis custodiendam derelinquat; & que le 5e Concile de Paris suppose que le Prince & ses Juges n'étoient condamnables que dans le cas où ils disposoient du revenu des Eglises ou de ceux provenans du patrimoine des Prélats décédés avant d'avoir consulté leurs testamens & connu leurs intentions sur l'usage que l'on devoir en faire. Or, c'est aussi à ce seul sens que l'on doit ramener les termes du Canon 14 du Concile de Pontyon, tenu sous Charles le Chauve en 876: les biens dont ce Canon condamne l'usurpation doivent, en effet, être ou remis au successeur ou distribués en œuvres pieuses, suivant l'intention du défunt, ce qui ne peut s'appliquer qu'aux fruits échus avant le décès.[415] C'est aussi contre cet usage, où étoient les Officiers royaux ou les Seigneurs de s'emparer de ces fruits, que Hincmar, Archevêque de Reims, s'éleve si souvent dans ses Lettres. Mais en même-temps qu'il désire que ces fruits échus avant le décès soient confiés à des économes, & conservés au successeur ou employés à l'acquit des charges exprimées dans le testament du décédé,[416] il reconnoît que le successeur ne peut obtenir que du Roi la jouissance des fonds attachés à son Siége.[417] Cette jouissance appartenoit donc au Roi durant la vacance; & de-là on ne voit nulle part qu'aucune personne constituée en dignité Ecclésiastique s'y soit jamais immiscée en France, si ce n'est en vertu d'un ordre exprès du Souverain. Hincmar, il est vrai, ayant tout pouvoir sur l'esprit de Charles le Chauve, tâche, en divers endroits de ses Lettres, d'inspirer à ce Roi des scrupules sur l'exercice du droit de Régale; cependant toutes ses intentions n'aboutirent, après qu'il en eut obtenu l'Archevêché de Reims, qu'à porter le Roi à révoquer ou à soumettre à la dixme les concessions que les Rois précédens avoient faites à des Laïcs des fonds de cette Eglise à titre d'échange ou de bénéfice, & à faire reconnoître par ce Prince que ses prédécesseurs avoient tenu un peu plus long temps qu'il ne convenoit l'Evêché en vacance, & en avoient employé les revenus à leur propre usage, tandis qu'ils n'avoient pas fourni aux Eglises qui en dépendoient les secours dont elles avoient besoin:[418] Pro remedio animæ genitoris nostri atque prædecessorum nostrorum qui Episcopatum aliquandiù tenuerant, & in suos usus res Ecclesiæ expenderant, & ob hoc minùs quam debuerat utilitatis sacris locis in eodem Episcopatu constitutis exinde provenerat, &c.
[414] Thomass. L. 2, part. 3, c. 52.
[415] Ut quoties divinum judicium Ecclesiæ presulem à seculo vocaverit, nullus ad suimet perditionem facultates ejus invadat, Eleemosynariis Ecclesiasticis cum ipsius Ecclesiæ economo liberum sit distribuere. Can. 15. Voyez l'art. 9 du Capitul. de l'an 877, col. 263. Collect. Balus. 2e vol.
[416] Hincmar. op. tom. 2, pag. 178.
[417] Ibid, pag. 189, 190 & 191.
[418] Flodoard, L. 2, c. 19.
Aussi quoique les Successeurs de Charles le Chauve n'ayent pas cessé de disposer des biens des Eglises vacantes, on ne trouve aucun monument de la résistance du Clergé à cette pratique. Au contraire, au lieu qu'originairement ce droit ne s'étendoit que sur les fonds & les revenus des Eglises, le mobilier des Evêques y étoit devenu sujet dès le commencement du 10e siecle.
Le Concile de Trosley, tenu en 909 par ordre de Charles le Simple, atteste qu'on regardoit les revenus des fonds des Eglises comme faisant partie du mobilier des Evêques décédés; & Louis le Jeune en 1147, par sa Chartre à Barthelemy, Evêque de Châlons, en accordant à l'Eglise de cette Ville l'exemption du droit de dépouille de ce mobilier, déclare que ce droit étoit fondé sur une Coutume ancienne, juxta vetustam consuetudinem.[419]
[419] Brussel, L. 2, c. 22, pag. 316.
Voilà donc une tradition constante & non interrompue de l'exercice du droit de Régale sur les Eglises de France depuis Clovis jusqu'au temps de la cession faite de la Normandie au Duc Raoul, & ce droit étoit fondé sur un titre trop légitime pour que ce Prince permît de l'enfreindre. Dès 989 Richard I son petit-fils nomme Robert Archevêque de Rouen, & l'investit du temporel de cette Prélature. Guillaume le Conquérant substitue Maurile à Mauger,[420] & jouit de l'Abbaye de Saint Albain durant la vacance, & Henry II, Roi d'Angleterre, perçoit sans contradiction les Régales lors de la promotion de Rotrou & de Gautier: Rex Henricus cepit in manu sua Andeliacum cum pertinentiis suis & omnia Regalia tam apud Rothomagum quam alibi, & Senescalcus Normaniæ tradidit illa custodienda ex parte Regis quibus voluit sine contradictione.[421]
[420] Cœnobium Sancti Albani vacans in manu suâ Guilellmus tenuit. Seld. Not. In Eadmer. pag. 126.
[421] Ampliss. Collect. Du P. Martêne, tom. 1, pag. 1081. Ceci établit contre M. de Voltaire, Histoire universelle, que Henry Ier, Roi d'Angleterre, n'avoit pas exempté les Eglises de la Régale; & d'ailleurs ce Prince avoit eu la garde de l'Abbaye de Troarn.
Henry fait plus, dans ses Lettres-Patentes de 1155, art. V, il rappelle les gardes des Evêchés vacans au véritable esprit de leur institution primitive, en enjoignant d'observer à l'égard de cette garde les mêmes regles que l'on suivoit pour celle des Fiefs:[422] disposition d'autant plus sensée que, quoique l'administration royale des Eglises durant la vacance eût précédé la garde royale & seigneuriale des fonds inféodés, & lui eût servi de modele, les Feudataires n'avoient point essayé, comme le Clergé l'avoit tenté en quelques circonstances à l'égard de la Régale, d'obscurcir les droits que le Roi ou leurs Seigneurs avoient sur leurs Fiefs durant la minorité; & que d'ailleurs, malgré les efforts des Ecclésiastiques, au premier coup-d'œil, il y avoit toujours eu entre la garde féodale & celle des Eglises les rapports les plus frapans.
[422] Capitul. en 877, apud Caris. éd. Balus. pag. 263.
Les possesseurs d'Aleux n'étoient tenus originairement envers l'Etat & le Souverain qu'à des devoirs généraux qui consistoient plus en sentimens qu'en effets; leurs biens n'ayant point de destination particuliere, les besoins du possesseur étoient la principale regle que l'on consultoit pour la disposition de ces biens. Les biens des Eglises, au contraire, formoient autant de dépôts consacrés par le Souverain à la décence du culte religieux & au soulagement des fidèles, ces biens devoient donc être en tous temps confiés à des personnes également capables de conserver au service des Autels sa dignité, & de pourvoir avec exactitude aux nécessités des Peuples. De-là s'il étoit indifférent au Prince de s'assurer des qualités personnelles de l'administrateur des Aleux, rien ne l'intéressoit tant que de bien choisir ceux auxquels il confioit la régie des Eglises. Or après l'institution de l'hérédité des Bénéfices laïcs, l'Etat n'eut pas un intérêt moins sensible à ce que chaque Feudataire s'acquittât fidèlement des services qui étoient affectés aux fonds dont il jouissoit; cette fidélité dépendoit non seulement de l'expérience que celui qui les devoit avoit acquise dans l'art militaire, mais encore de l'economie avec laquelle les biens qui lui avoient été inféodés pour se perfectionner dans cet art, étoient administrés.
L'homme de Fief devint donc alors, comme l'homme d'Eglise, plus spécialement comptable au Souverain de ses actions que l'homme libre. Ses fonctions, comme celles des Evêques, avoient pour but un avantage public, & comme l'Etat auroit infailliblement souffert de leur négligence à concourir chacun en droit foi au bien général, il étoit de toute nécessité que le Souverain se réservât le pouvoir de nommer ceux qui dévoient régir les biens attachés aux fonctions importantes dont l'Etat auroit pu se trouver privé par leur décès ou par leur minorité.
Aussi ne trouve t'on nulle différence entre les effets de la garde des Fiefs & ceux de la garde des Eglises. Si cette garde comprenoit tous les biens des Evêques indistinctement, tous les biens des vassaux étoient assujettis à l'autre.[423] On ne rendoit aucun compte de ces deux administrations; nul Evêché, comme nul Fief, n'en étoit excepté: il falloit un privilége particulier pour être exempt du droit de Régale, comme pour se soustraire à la garde royale & seigneuriale des Bénéfices laïcs ou des Fiefs. Ces deux gardes finissoient dès que l'Evêque ou le vassal étoit en état, l'un par le serment de fidélité, l'autre par l'hommage, de remplir les fonctions importantes attachées à leurs dignités respectives. Au reste, on trouve les rapports qu'il y a entre la Régale & la Garde féodale plus détaillés dans tous les Auteurs qui ont traité du premier de ces droits. Tout mon dessein, en cette Remarque, a été d'établir, contre leur opinion, que la Régale a précédé l'hérédité des Fiefs, & que l'institution de leur garde n'a pu conséquemment être la source de celle des Bénéfices Ecclésiastiques, & je crois y avoir réussi.
[423] Capitul. ann. 877, suprà citat. Ed. Balus. 2e vol.
(b) Mariage.
Les Princesses, filles de nos premiers Rois, n'avoient aucun droit sur les biens du fisc; leurs époux les dotoient. Si le Roi ou les Etats leur faisoient quelques dons, ce n'étoit qu'en mobilier, & plutôt par affection qu'à titre d'établissement. Cependant ces Princesses ne pouvoient se marier sans le consentement du Souverain, lors même qu'elles n'avoient que des freres. Nos premiers Historiens nous en fournissent divers exemples.
Dans le Traité d'Andely entre Gontran & Childebert II, ce dernier Prince exige le consentement de Gontran pour le mariage de Clodosvinde sa sœur,[424] & Gontran s'en rapporte à la volonté de son neveu sur l'alliance projettée par cette Princesse. Charlemagne, en son Testament rapporté par l'Auteur de sa vie, page 89, ordonne que ses filles seront sous la tutelle & la garde des Princes leurs freres qui auront soin de les marier convenablement; enfin dans l'annonciation de Charles le Chauve à Louis son frere, Charles se plaint de ce que Baudouin, Comte de Flandres, avoit épousé sa fille qui, quoique veuve, étoit sous sa garde royale, sub regio Mundeburde constitutam. Rien de si naturel, sans doute, que de rapporter à ces anciens usages l'établissement du droit des Seigneurs sur le mariage des filles de leurs Feudataires. S'il eût été contre la bienséance que des Princesses du sang eussent contracté mariage avec des ennemis de l'Etat qui, sous le prétexte de cette alliance, auroient pu y exciter des troubles, les Seigneurs de Fiefs avoient un intérêt semblable à empêcher que les filles de leurs vassaux ne fissent passer en une famille opposée aux intérêts de la leur des fonds qui leur devoient le service militaire;[425] mais sous ce prétexte, qui étoit équitable, les Seigneurs écartoient souvent les alliances les plus avantageuses aux filles qui étoient sous leur garde; & pour se rédimer de ces vexations, quelques vassaux assujettirent leurs Fiefs à payer certains droits lorsque les Seigneurs consentiroient au mariage des filles qui pourroient y succéder.
[424] Capitul. ann. 587, Ed. Balus. tom. 1, col. 11.
[425] Pur ceo que les heires females de nostre terre ne se marieront a nous Enemies & dount il ne nous coviendroit lour homage prendre si eux se puissent marier a lour volunt. Bract. L. 2, c. 37.
C'est de-là que sont nées tant de Coutumes bizarres que nous trouvons établies dans les différentes Seigneuries des 11 & 12e siecles. Servin, 2e vol. pag. 166, fait mention d'une de ces Coutumes qui s'étoit conservée dans le Fief de Soloire, & qu'il fit abolir comme contraire à la liberté publique & aux bonnes mœurs. Le Seigneur prétendoit qu'à chaque nôce son Sergent devoit y être convié huit jours avant, qu'il pouvoit se présenter au festin avec deux chiens courans & un lévrier, avoir séance auprès de la mariée, être servi avant elle, dire la premiere chanson, & que les mariés donnassent eux-mêmes à boire & à manger à ses chiens. Bouvot & Papon nous parlent d'usages aussi singuliers; on en trouve encore dans Bœrius & autres qui, à la singularité, joignent l'indécence ou plutôt l'infamie; mais je m'écarterois de mon but en les rapportant. Mes recherches doivent se borner à faire connoître les usages François antérieurs au dixieme siecle; on ne manque pas d'Ouvrages qui traitent des Coutumes ridicules & abusives suivies dans les siecles postérieurs.[426]
[426] Bœrius. Decr. 297, no17. Brodeau, Cout. Par. pag. 273.
(c) Relief.
Il est constant qu'avant le regne de Guillaume le Conquérant, il n'y avoit point de Fiefs en Angleterre.[427] L'usage du Relief, c'est-à-dire, d'une redevance envers le Roi ou les Seigneurs, de la part des héritiers d'un vassal, pour se conserver, après sa mort, les fonds qui lui avoient été inféodés, ne pouvoit donc y être établi. Il y avoit cependant eu, sous Edouard le Confesseur, un impôt sur tous les sujets, proportionné à leur condition. Si les Communautés Ecclésiastiques ne rachetoient plus, du temps de ce Prince religieux, le mobilier de leurs Abbés ou Abbesses, comme cela s'étoit pratiqué avant le Roi Edgar,[428] les Militaires avoient continué de lui restituer, en mourant, leurs armes, & les Colons n'obtenoient de lui certains priviléges relatifs au labourage, qu'en devenant assez riches pour pouvoir lui offrir le meilleur de leurs bestiaux.[429] Mais ces différens droits n'affectoient en rien les propriétés; ils n'imposoient à la glebe aucune servitude: ils étoient purement personnels. Le Conquérant, en approuvant, au commencement de son regne, les statuts d'Edouard, avoit conservé ces diverses redevances; mais le changement qu'il fit de leur nom en celui de Relief lui donna lieu, dès qu'il eut réussi a assujettir l'Angleterre aux Loix féodales suivies en Normandie, de confondre les effets de ces redevances avec ceux du Relief Normand; de maniere que comme ce relief avoit pour motif, en Normandie, de conserver toujours aux Seigneurs le domaine direct des fonds qu'ils avoient inféodés; au moyen de la taxe que les fonds lui devoient, en vertu des Loix d'Edouard, il se fit considérer comme seul propriétaire de tous ceux de l'Etat.[430] A ce titre il ne voulut reconnoître de terres libres & franches, que celles dont il n'avoit pas jugé à propos de disposer en faveur de ses troupes;[431] toutes les autres possessions furent amovibles, & au lieu qu'en Normandie le Relief avoit toujours été fixé & déterminé pour chaque espece de Fief, & que du temps d'Edouard, lhergate ou impôt qu'il levoit sur ses sujets, avoit été ou volontaire, ou restraint à une légere portion de leur mobilier. La quotité du Relief, sous Guillaume, dépendit uniquement de sa volonté, & ce droit fut tellement une condition fonciere, que le Souverain dépouilloit de la totalité de leurs terres ceux qui non-seulement refusoient, mais ceux-mêmes qui négligeoient de l'exécuter.[432] Les Seigneurs qui obtinrent de lui des Fiefs, & conséquemment la faculté de les démembrer, suivirent son exemple. Toute la nation supportoit avec impatience le joug d'une Loi aussi rigoureuse, qui étoit la source de vexations sans nombre, lorsque Henri, fils du Conquérant, succéda à son frere. Pour regagner le cœur de ses sujets, il rétablit la plupart des Loix d'Edouard, & défendit aux héritiers de ses Barons de racheter leurs terres, comme cela s'étoit pratiqué du vivant du Roi son pere.[433] Il fit plus, il réduisit le Relief à un taux juste & légitime, ou, comme s'exprime la grande Chartre, au Relief tel qu'il étoit établi par la Coutume des Fiefs.[434] Les Seigneurs eurent ordre d'en user de même envers leurs vassaux. Dès-lors les Aleux furent exempts de toute servitude, la propriété des fonds inféodés demeura irrévocable, le taux de leurs redevances, même en cas de mutation, ne varia plus, les taxes personnelles furent distinguées des réelles dues au fisc; en un mot, le Relief ne subsista qu'à l'égard des inféodations. Les biens patrimoniaux qu'on ne tenoit ni de la libéralité du Prince, ni de celle des Seigneurs, en furent exempts,[435] & les possesseurs des terres anciennement libres, n'eurent plus à s'acquitter que des impôts indispensables pour le soutien de l'Etat & de la majesté du Trône.
[427] Math. Paris. année 1067. Polydor. Virg. L. 9, pag. 151. Ducange, Verbo charta. Voyez Disc. Prélim.
[428] Proemium regular. Concord. Monach. in not. Selden. in Eadm. pag. 105.
[429] Art. 29. Leg. Edwardi.
[430] Polyd. Virg. loco suprà citat.
[431] Commilitonibus Normannis terras Anglorum & possessiones, ipsis expulsis, manu distribuebat affluenti, Willelmus, & modicum illud quod eis remaneret sub jugo poneret perpetuæ servitutis. Math. Paris. ann. 1067, pag. 4.
[432] Unde fit ut nihil hodie pene incertius sit ipsâ agrorum possessione, nec aliunde plus litium existat, &c. Polydor. Virg. L. 9, pag. 151.
[433] Si quis Baronum... qui de me tenent mortuus fuerit, hæres suus non redimet terram suam sicut facere consueverat tempore patris mei, &c. Chart. Henric. 1, Math. Par. Hist. Angl. ann. 1100.
[434] Habeat hæreditatem suam per relevium antiquum & aliis similiter per antiquam consuetudinem feudorum. Chart. Henric. II, anno 1155.
[435] Et si quis aliquid pro hæreditate suâ pepigerat, illud condono, & omnes relevationes qui pro rectis hæreditatibus pactæ erant. Ibid, pag. 38.
(d) 21 ans.
Les enfans mâles de nos Rois étoient, au commencement de la Monarchie, réputés majeurs dès le berceau. Nous voyons Childebert II & Clotaire III, âgés de cinq ans, monter sur le Trône. Clotaire II, fils de Chilpéric, régner à quatre mois, Chilpéric, fils de Caribert, & Louis le Débonnaire, Rois d'Aquitaine, dès l'âge le plus tendre.[436] C'est donc contredire l'évidence que d'attribuer l'exclusion des enfans de Clodomir, Roi d'Orléans, à l'incapacité où ils étoient, vu leur enfance, de se présenter aux assemblées de la Nation.[437] Grégoire de Tours[438] donne une autre cause au malheur de ces Princes. "Childebert," dit cet Historien, "jaloux de ce que Clotilde sa mere n'avoit d'affection que pour les enfans de Clodomir, & craignant que cette Princesse, qui avoit fixé son séjour à Paris, ne réussît à les faire mettre en possession du Royaume de leur pere, écrivit à Clotaire pour concerter avec lui les moyens de s'emparer de cet Etat, & de le partager entr'eux." Ce texte est trop clair, sans doute, pour exiger un long Commentaire. Childebert n'auroit pas craint de voir la Couronne sur la tête de ses neveux, s'ils n'eussent pas été Rois de droit, & si ce titre eût été alors regardé comme essentiellement dépendant de leur capacité à porter les armes?
[436] Ceci prouve que la Couronne n'étoit point élective; car auroit-on préféré des enfans aux autres Princes du sang si la Loi n'y eût pas contraint?
[437] M. de Montesq. Espr. des Loix, L. 18, c. 27.
[438] Esp. des Loix, L. 3, c. 18.
D'ailleurs le droit des enfans de Clodomir au Trône de leur pere paroissoit si certain à leur oncle, qu'il crut ne pouvoir réussir à empêcher le Peuple de les reconnoître pour Rois, qu'en lui faisant accroire que l'alliance qu'il ne contractoit, en effet, avec Clotaire que pour les dépouiller de leurs Etats, avoit pour but de les établir malgré le Roi de Bourgogne qui, selon toute apparence, devoit s'y opposer: Jactaverat Childebertus verbum in populo ob hoc conjungi Reges quasi parvulos illos elevaturos in regno, &c.
La majorité, à l'égard des Fiefs, n'a donc point eu pour modèle celle des Successeurs à la Couronne; mais on en découvre la source dans les Loix Romaines, qui à quatorze ans, réputoient les enfans capables de se marier. Comme il eût été contradictoire de permettre le mariage à quatorze ans, & de ne pas procurer au marié tous les secours nécessaires pour défendre son honneur, son bien, sa famille, la Loi des Ripuaires[439] considérant que si à cet âge quelques-uns pouvoient porter les armes, & se défendre par elles en jugement suivant la coutume que l'on suivoit alors, d'autres n'auroient pas peut-être acquis la même vigueur; elle laissa au choix du jeune homme âgé de 15 ans de répondre lui-même en Justice, ou de se choisir un champion. Cette Loi ne regardoit cependant que les hommes libres qui pouvoient se faire suppléer[440] à l'armée lorsqu'ils étoient obligés de marcher; car à l'égard des Leudes choisis par le Prince pour sa défense, & qui devoient le service en personne, le Roi ne les admettoit auprès de lui qu'après s'être assuré de leur valeur.[441]
[439] Leg. Rip. tit. 83: Aut ipse respondeat, aut defensorem eligat similiter & filia.
[440] S'ils ne fournissoient pas un homme, ils en étoient quittes pour une amende.
[441] La Loi des Lombards fixe l'âge de majorité à 18 ans, tit. 15, de ætate legitimâ, art. 1. Addit. Lutprandi. Reg.; ce qui revient à l'usage des Romains de ne permettre le port des armes qu'a 17 ans. Vegec. L. 1. de re Milit. & à ce que dit Aimoin des Leudes de Charles Martel, L. 4, c. 53, il les appelle Viros probatissimos.
Lorsque les Fiefs furent institués, il ne dut donc pas y avoir de changement dans la majorité de l'homme libre, ou dans celle du possesseur d'Aleux, il ne perdit point par le nouvel établissement la faculté de fournir un homme pour aller à la guerre à sa place; mais l'homme de fief, à l'instar des Leudes, étant obligé personnellement de faire le service, & les Seigneurs ayant intérêt qu'il ne se fît remplacer que par des gens expérimentés, l'homme de fief, dis-je, ne dut être majeur qu'à un âge où l'on pût compter sur sa bravoure & son intelligence. La Loi ancienne subsista donc à l'égard des hommes libres; mais il n'en fallut point de particulieres pour les feudataires. Chaque Seigneur fixa dans son ressort la majorité à l'âge qui lui parut le plus convenable à la rareté ou à l'abondance des hommes dépendans de son Bénéfice, propres au service militaire; & de là dans nos Coutumes la majorité, quant aux Fiefs chargés de ce service, est fixée tantôt à 18, tantôt à 20, tantôt à 21 ans. La Normandie, dépeuplée par des guerres fréquentes, a nécessairement dû donner à la majorité des bornes moins étroites que les autres Provinces. Comme les hommes libres ne furent pas moins fréquemment obligés en Normandie de porter les armes[442] sous leurs premiers Ducs que les feudataires, parce que les guerres entreprises par ces Princes avoient pour objet, non l'intérêt particulier de quelques Seigneurs, mais la défense générale de la Province; la majorité de ces hommes libres fut aussi fixée à 21 ans, quant au service militaire, ce qui anéantit dans la suite des temps la majorité de 14 ans à l'égard de l'administration des biens roturiers en cette Province & en Angleterre.
[442] Statuimus ut omnes Comites, Barones, Milites, Servientes & universi liberi homines totius regni nostri teneant se semper in armis & in equis ut decet, &c. Coke, Sect. 103.
(e) Disparagement. Ce terme est expliqué Sect. 107 & 108.
SECTION 104.
Nota, que le pleine age de male & female solonque le common parlance, est dit lage de 21 ans. Et lage de discretion est dit lage de 14 ans, car a tiel age le enfant que est marie deins tiel age a un feme, puit agreer a tiel mariage, ou disagreer.
SECTION 104.—TRADUCTION.
Observez que l'âge parfait pour les mâles & les femelles, suivant l'usage ordinaire de parler, est 21 ans, & l'âge de discrétion est celui de 14 ans, parce qu'à cet âge on peut consentir ou refuser avec réflexion le mariage.
SECTION 105.
Et si la gardein en Chivalrie marie un foits le garde deins lage de 14 ans, a un feme, & puis sil al age de 14 ans disagree a le mariage, il est dit per ascuns, que lenfant nest pas tenus per le Ley destre auterfoits marie per son gardeine, pur ceo que le gardeine avoit un foits le mariage de luy, & pur ceo que il fuit hors de son garde, quant al garde de son corps. Et quant il avoit un foits le mariage de luy, & un foits fuit hors de son garde, il navera plus avant le mariage de luy.
SECTION 105.—TRADUCTION.
Si le gardien en Chevalerie marie son vassal avant 14 ans, & si celui-ci ayant atteint sa 14e année fait casser ce mariage, plusieurs pensent que le vassal n'est plus tenu de suivre l'avis de son Seigneur, ni de rien payer pour se marier de nouveau, attendu que le gardien ayant une fois reçu de lui le droit de mariage, est réputé l'avoir mis hors de sa garde quant à son corps seulement.
SECTION 106.
Et mesme le maner est, si le gardein luy marie, & la feme devie esteant lenfant deins lage de 14 ans ou 21.
SECTION 106.—TRADUCTION.
Le Seigneur ne peut encore exiger un 2e droit de mariage, lorsqu'il a marié son vassal à une femme qui décede avant qu'il ait atteint ou l'âge de 14 ans ou celui de 21 ans.
SECTION 107.
Et que tiel enfant poit disagreer a tiel marriage, quant il vient al age de 14 ans, il est prove par les parolx del Statute de Merton, cap. 6. que issint dit:
De Dominis qui maritaverint illos quos habent in custodia sua, villanis, vel aliis, sicut burgensibus ubi disparagentur, si talis hæres fuerit infra 14 annos & talis ætatis quod matrimonio consentire non possit, tunc si parentes illi conquerantur, Dominus amittat custodiam illam usque ad ætatem hæredis, & omne commodum quod inde receptum fuerit convertatur ad commodum hæredis infra ætatem existentis, secundum dispositionem parentium propter dedecus ei impositum. Si autem fuerit 14 ans & ultra, quod consentire possit, & tali matrimonio consenserit nulla sequatur pœna.
Et issint est prove per mesme le estatute que nul disparagement (a) est mes lou celuy que est en garde est marie deins lage de 14 ans.
SECTION 107.—TRADUCTION.
Quant à ce qui a été ci-devant dit que le mineur ayant 14 ans peut rompre le mariage que son gardien lui a fait contracter avant cet âge, on le trouve décidé dans le Statut de Merton, ch. 6, qui s'explique ainsi:
Les Seigneurs qui font épouser à ceux qui sont sous leur garde des vilains, des Bourgeois ou autres dont l'alliance les déparage avant qu'ils ayent atteint l'âge de 14 ans, temps auquel seul ils peuvent consentir valablement au mariage, pourront être poursuivis par les parens du mineur; & en ce cas ils seront privés de la garde qu'ils auroient eue de ce mineur jusqu'à sa majorité; tous les fruis qui leur auroient appartenus vertiront au profit du jeune vassal sous la direction de ses parens, & ce en haine du deshonneur que leur attire l'inégalité de l'alliance. Mais si lorsque le vassal a été marié par son Seigneur, il avoit plus de 14 ans, quoiqu'il soit déparagé, le Seigneur ne sera sujet à aucune peine, parce que ce jeune homme à cet âge a la connoissance requise pour refuser une alliance.
Ce Statut prouve aussi qu'il n'y a point de déparagement de la part du Seigneur, à moins qu'il ne marie celui qui est sous sa garde avant 14 ans.
REMARQUE.
(a) Disparagement.
Ce mot est composé de ces deux mots Latins, disparitatis actio. Si le mari donné par le Seigneur à la fille mineure de son vassal avoit l'entendement troublé, étoit frénétique, imbécile, ou que sa naissance fût vile ou deshonorante, les parens de cette fille étoient également interressés à ce que le mariage ne subsistât point. Les enfans perdoient, en effet, leurs priviléges[443] quand leur mere noble épousoit un roturier, & le Seigneur rentroit en possession du Fief lorsque l'époux de sa vassalle ne pouvoit en acquitter les services.
[443] Ceux qui tenoient par service de Chevalier ne payoient point de Taille. Charta Henr. I.
SECTION 108.
Nota, que il soloit estre question, coment ceux parolx serront entendes: Si parentes conquerantur, &c. Et il semble a ascuns que consideront le Statute de Magna Charta que voit: Quod hæredes maritentur absque disparagatione, &c. Sur quel cel Statute de Merton sur tiel point est foundue, que nul action poit estre pris sur cel Statute, entant que il ne fuit unques viewne oye, que ascun action fuit port sur cel Statute de Merton pur cel disparagement envers le gardeine pur est matter avandit, &c. Et si ascun action puissoit estre prise sur tiel matter, il serra entendue ascun foits estre mise en vre.[444] Et nota, que ceux parolx serront entendes: Si parentes conquerantur, id est, si parentes inter eos lamententur, que est taunt, adire, que si les cousins de tiel enfant ont cause de faire lamentation on complaint enter eux pur le hont fait a lour cousin issint disparage, quel est en maner un hont a eux, donques puit le prochein cousine a que lenheritage ne puit discender, enter & ouster le gardeine en Chivalrie. Et sil ne voile, un auter cousin del enfant poit ceo faire, & les issues & parents prender al use del enfant, & de ceo render accompt al enfant, quant il vient a son plein age, ou auterment lenfant deins age poit enter luy mesme & ouster le gardein, &c. Sed quære de hoc.