D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"
CHAPITRE VI
Les préparatifs à Rome.
Comment je fis partie de l’expédition en qualité d’officier de complément. — Arrivée à Rome. — L’aérodrome de Ciampino. — Première sortie du ballon. — Manœuvre d’amarrage au mât. — Le baptême du dirigeable. — Visites du Roi d’Italie et de Mussolini à l’aérodrome. — Faux départ.
Par le lieutenant de vaisseau de réserve Gustav S. Amundsen, de la marine royale norvégienne.
Chaque fois que mon oncle avait organisé une expédition, j’avais sollicité d’en faire partie, mais toujours il m’avait opposé un refus péremptoire. « Dans une exploration pendant laquelle on doit demeurer des années étroitement confiné dans un navire, je ne veux pas m’embarrasser de parents ; leur présence peut entraîner de trop graves inconvénients, » me répondait-il. Et dans mon for intérieur, je lui donnai raison.
Pendant l’été 1925, après le retour de son raid en avion, Amundsen m’invita un jour chez lui à la campagne, avec plusieurs officiers de la marine royale, Riiser-Larsen, Höver, et, quelques proches. Après le déjeuner, réunis sur le perron, nous causions, et, de temps à autre, nous amusions à photographier.
— Prête-moi ton appareil, me dit Riiser-Larsen.
Et il prend un groupe de quatre d’entre nous, dont je fais partie. — Je viens de photographier, s’écrie-t-il en riant, les quatre officiers du Norge.
Tout d’abord, je ne prêtai point attention à cette boutade, lorsque un peu plus tard, j’aperçus mon camarade en grande conversation avec ma mère.
— Serais-tu disposé à venir avec nous, me demanda-t-il brusquement.
— Avec vous ? Et pour aller où ? répondis-je interloqué.
— Mais comme pilote du dirigeable, l’an prochain.
La foudre serait tombée à mes pieds que ma stupeur n’eût pas été plus grande. Le premier moment d’étonnement passé, j’éprouve une profonde joie, mais le souvenir de mes échecs antérieurs la tempère rapidement.
— Ta proposition a-t-elle été agréée par mon oncle ? dis-je à Riiser-Larsen.
— Non, répond-il, mais je vais l’attaquer à ce sujet.
Quelques instants plus tard, je vois le chef et le commandant en second réunis en conférence. Je suis leurs mouvements avec anxiété ; jamais plus grande émotion ne m’a étreint…
Enfin l’entretien prend fin ; ils reviennent vers nous. Je cherche à deviner sur leurs physionomies la décision qu’ils ont prise, mais leurs visages restent fermés. J’éprouve les mêmes sentiments qu’un accusé avant le prononcé du jugement qui le condamnera ou l’absoudra.
— Tout est arrangé, m’annonce joyeusement Riiser-Larsen.
Le soir, en prenant congé de mon oncle, je le remercie de m’avoir admis dans l’équipage du Norge.
— Tu connais mes idées au sujet de la participation de mes parents à mes expéditions, toutefois du moment que Riiser-Larsen t’a désigné comme collaborateur, j’accepte son choix.
Après cela, chaque fois, pour ainsi dire, que je rencontre des amis au courant de mes projets, les mêmes interpellations m’accueillent : « N’es-tu pas fou ? Est-ce que tu veux te suicider ? » A ces aimables réflexions sur mon état mental, inutile de répondre.
« Pourquoi diable te lances-tu dans une pareille affaire ? Quel but poursuis-tu ? » me demandent d’autres.
A ceux-ci j’explique que, comme tous mes camarades, j’ai été entraîné par l’attrait du danger, par le goût pour la vie aventureuse qui sommeille au fond de chaque individu et qui se réveille à la première occasion. Dans un pareil cas, l’ambition joue également un rôle, mais subordonné. Malgré tous les assauts qui me sont livrés, je demeure ferme, soutenu d’ailleurs par ma femme dont le courage ne se laisse pas entamer.
Le 1er janvier 1926, je commence mon service comme adjoint du lieutenant Höver, qui depuis quelque temps déjà travaille aux préparatifs de l’expédition.
Dix-sept hommes ont été désignés pour faire partie de l’équipage ; or, seize seulement, dit-on, pourront être embarqués. Comme je suis le dix-septième de la liste, j’éprouve de graves appréhensions sur mon sort. Elles se trouvent confirmées lors de l’arrivée du colonel Nobile à Oslo ; le constructeur du dirigeable me déclare qu’au départ du Spitsberg l’équipage ne devra pas compter plus de seize hommes, pour une raison de poids. En conséquence, je dois me contenter de la qualité d’officier de complément. Je ferai le trajet de Rome au Spitsberg, en ballon ; ce qu’il adviendra ensuite, les circonstances en décideront. J’effectuerai la première partie du voyage qui ne laisse pas d’offrir des risques avec la perspective d’être débarqué à la baie du Roi et de ne point accomplir l’étape la plus intéressante ; cela n’est pas très encourageant, mais cette situation d’officier de complément me permettra de profiter d’une vacance, s’il s’en produit une au dernier moment avant le départ pour le Pôle. C’est une chance à courir. Je décide donc de me confier à la fortune ; elle ne me fut pas favorable ; à cette occasion, j’ai éprouvé la plus grosse déception de ma vie, néanmoins je ne regrette pas d’avoir agi comme je l’ai fait.
Pendant les derniers mois de 1925, le ballon subit à Rome diverses modifications. Aussitôt qu’il pourra procéder à des vols d’essai, nous partirons pour l’Italie afin d’apprendre à le manœuvrer. Sauf Riiser-Larsen qui a suivi en Angleterre un cours d’aéronautique, aucun de nous ne possède la pratique du pilotage des dirigeables.
Au début de février 1926, plusieurs membres de l’expédition s’acheminent vers Rome ; d’autres suivent bientôt après, et, au commencement de mars nous sommes tous réunis dans la capitale de l’Italie.
Le jour même de notre arrivée, nous nous présentons au colonel Nobile qui nous accueille fort amicalement.
Ses bureaux d’études sont installés à Rome et toutes les pièces métalliques des ballons usinées dans cette ville ; leur montage a lieu dans un immense hangar, à Ciampino, à trois quarts d’heure en automobile de la capitale. Nous avons l’occasion d’assister à cette opération pour un dirigeable militaire commandé par le Japon. Le ballon étant gonflé au préalable, la quille et les anneaux sont mis en place avec une remarquable rapidité ; un travail de précision exécuté par des ouvriers d’une adresse admirable.
Aussitôt débarqués dans la Ville éternelle, nous allons voir, à Ciampino, le N-1, comme s’appelait alors notre ballon. Le trajet à l’aérodrome est accompli en automobile, à la vitesse de 70 ou 80 kilomètres à l’heure. Se lancer à une pareille allure, sur une route en ligne droite, est évidemment une joie pour un chauffeur, mais ses voyageurs en éprouvent moins de satisfaction. Tous les mécaniciens qui nous ont conduits à Ciampino marchaient à de pareilles vitesses ; quand nous nous trouvions douze ou quatorze entassés dans un camion, jugez de l’agrément. Pour les chauffeurs peu respectueux des lois réglementant la vitesse des autos, leur faire accomplir une excursion à l’allure adoptée par nos mécaniciens italiens sur la Via Appia, serait un traitement curatif d’une efficacité certaine.
Ma première visite au N-1 me laisse une déception. Quoique mesurant 106 mètres de long, le ballon me paraît tout petit. Cette impression résulte des énormes dimensions du hangar ; songez que ce hall abrite, outre le N-1, un zeppelin livré par l’Allemagne, l’Esperia, et un autre dirigeable de petit volume, le Mr-1. Trente hommes occupés à étendre sur le sol l’enveloppe du ballon japonais sont perdus dans cette immensité.
Le N-1 me semble très loin d’être terminé. Il en est de notre aéronef comme d’une exposition à la veille de son ouverture. Tous les corps de métier y travaillent dans un brouhaha indescriptible, mais la confusion n’est qu’apparente. Si on observe avec attention les mouvements de ces ouvriers, on est frappé par l’ordre et la méthode avec lesquels ils sont accomplis. Aussi bien, notre dirigeable fut terminé et livré le jour fixé par le contrat.
En attendant l’heure des vols d’essai, le capitaine Vallini nous fait des conférences sur la manœuvre des dirigeables. Notre instructeur nous montre combien ces géants sont fragiles et combien il est nécessaire de savoir les manier pour en obtenir un bon rendement.
Entre temps les épreuves du ballon sont menées rapidement ; celle relative à la mesure de sa force ascensionnelle montre qu’il enlèvera 750 kilogrammes de plus que l’acte de vente ne le prévoit. Bonne affaire, pensai-je ; l’équipage pourra être plus nombreux, et je serai de la partie. Interrogé à ce sujet, Nobile me répond : « Pas un homme de plus, mais deux cylindres d’essence supplémentaires ! »
Le 26 février, nous recevons l’avis que le lendemain le N-1 procédera à ses essais en vol. Une automobile viendra nous prendre à nos quartiers à 6 heures. Donc le 27, dès 5 heures, nous sommes sur pied ; un ciel magnifique, un temps idéal. A 6 heures, la voiture est devant notre porte ; à l’allure folle habituelle, elle nous conduit à Ciampino. L’aérodrome grouille d’officiers, de soldats, de spectateurs et naturellement de photographes. Tout ce monde parle, gesticule, au milieu des déclics d’appareils de photographie se succédant aussi rapidement que le tic-tac d’une mitrailleuse. A 9 heures, un détachement de 200 hommes de troupe arrive pour aider à la sortie du ballon. Saisissant les cordes de manœuvre, au commandement des officiers, ils tirent lentement l’aéronef hors du hall.
Auparavant, le colonel Nobile nous a informés, le lieutenant Horgen et moi, qu’en raison du nombre assez élevé d’ouvriers qu’il doit emmener, nous ne pourrons probablement pas faire partie du voyage. Heureusement tout s’arrange au dernier moment ; après le pesage du ballon on nous appelle à bord. Nous ne sommes pas long à obéir à cet ordre, à peine ai-je besoin de le dire. A 10 heures, le commandement de « Lâchez tout » retentit ; aussitôt le ballon s’élève lentement et élégamment jusqu’à une hauteur de 150 mètres ; les moteurs sont mis en marche et l’aéronef fait route vers Rome. La plupart d’entre nous n’étant jusqu’ici montés qu’en avion sont agréablement surpris par la douceur des mouvements du dirigeable.
Nous sommes vingt-cinq à bord, équipage, savants, journalistes. Quelques instants après le départ, une chaude alerte se produit : d’un coup tous les indicateurs de pression du gaz dépassent notablement le maximum autorisé. Si cette fois l’enveloppe ne se déchire pas, jamais elle ne se déchirera, remarque quelqu’un. Nous étions alors à 200 mètres au-dessus du sol ; aussi je crus notre dernière heure arrivée. Heureusement, les indications données par les appareils étaient inexactes.
Après avoir décrit un cercle au-dessus de Rome, le cap est mis sur la Méditerranée. Une fois que nous avons atteint le large, nous nous dirigeons dans le Sud, vers Naples, en longeant la côte. J’avais déjà vu Naples et je n’étais pas mort. Il en fut de même cette fois-ci. Du haut des airs le panorama de la ville est incomparablement plus beau que lorsqu’on l’embrasse de la mer. Après avoir survolé un instant les quais, nous virons pour reprendre la route du Nord.
Au loin on aperçoit Capri, et çà et là, sur la mer bleue absolument calme, des bateaux pêcheurs ; à travers cette eau transparente on distingue même de gros poissons qui paressent près de la surface.
A 17 heures, nous franchissons de nouveau la côte pour rallier Ciampino ; avant d’arriver à l’aérodrome, nous décrivons encore une fois un cercle au-dessus de Rome ; puis, après avoir répété trois fois cette manœuvre au-dessus du port, nous atterrissons à 18 h. 30. L’excursion a été instructive à tous les points de vue.
A dater de cette croisière, notre apprentissage commence sérieusement ; chaque jour, nous nous rendons à l’aérodrome. Pour peu qu’une très légère brise souffle, le ballon reste au hangar, de crainte que l’équipe de manœuvre n’en soit pas maîtresse et qu’en sortant il ne vienne heurter la porte. C’est ce qui arriva un jour.
Au moment de cette opération, une risée drossa l’aérostat contre l’ouverture du hall. La collision fut si faible qu’à bord nous la sentîmes à peine. Or, ce léger choc suffit pour fausser la partie antérieure des gouvernails et déchirer l’enveloppe en plusieurs endroits. Le colonel Nobile ne voulut pas partir avant que les avaries n’aient été complètement réparées. Ces travaux furent terminés le soir même.
Combien nous regrettons cet incident ! Le programme des exercices prévu pour ce jour-là était si attrayant ; il comprenait un amarrage au mât, un amerrissage en Méditerranée et un vol de nuit. Nous nous consolons en pensant que nous pourrons le reprendre prochainement.
Quelques jours auparavant, un exercice d’amarrage au mât avait eu lieu. L’équipe de manœuvre avait conduit l’aérostat à bras à proximité du mât ; puis nous avions frappé un câble sur son sommet, et, après l’avoir molli, nous nous étions élevés jusqu’à une hauteur de 250 mètres. Halant ensuite sur cette haussière, nous nous étions finalement amarrés au mât. Plus tard, l’aérostat avait été ramené au sol et rentré au hangar. Nous fîmes un second exercice dans les mêmes conditions avant de procéder à cette manœuvre en ascension libre.
Le lendemain de l’accident arrivé à la sortie du hangar, tempête de nord ; par suite, impossibilité de continuer les essais. Si nous étions partis, jamais nous n’aurions pu avancer contre cette brise ; qui sait alors combien de temps nous aurions été forcés de rester en l’air. Ce coup de vent dura trois jours ; nous n’aurions donc pu de sitôt revenir à l’aérodrome.
Pendant cette période, les attentes sont longues et fréquentes. L’aviation, c’est surtout affaire de patience, disait l’un de nous ; il n’avait pas tort.
Pour que le ballon soit complètement prêt, il ne reste plus qu’à installer le poste de T. S. F. Grâce à l’activité de l’ingénieur de la compagnie Marconi et de notre radio-télégraphiste en chef, le capitaine Gottwaldt, il fut rapidement monté.
Le 9 mars, à 20 heures, le N-1 quitte le hangar pour entreprendre son premier vol de nuit. Le succès en est complet ; nous rentrons enchantés du voyage, quoique ayant quelque peu souffert du froid et n’ayant guère dormi.
Après cette nouvelle sortie les circonstances atmosphériques nous condamnent à une longue inactivité. Durant ces jours de repos, nous sommes les hôtes des différents membres de la colonie norvégienne.
Un soir, Riiser-Larsen donne à la Société italienne de Géographie, en présence du Roi, une conférence sur le raid en avion de l’an passé. Nous avons l’honneur d’être présentés au souverain ; c’est une compensation. Riiser-Larsen ayant parlé en italien, langue que nous n’entendions pas, la cérémonie avait jusque-là manqué d’agréments pour nous.
Le 26 mars, Roald Amundsen et Ellsworth arrivent à Rome. Le même jour, le roi d’Italie vient visiter le ballon ; nous sommes tous présents. Victor-Emmanuel III se montre fort aimable à notre égard ; il parcourt le N-1 que l’on a sorti du hangar pour la circonstance et assiste ensuite à une courte ascension de l’aérostat.
A notre grande satisfaction, le moment où nous prendrons possession du dirigeable approche rapidement. Dès que le transfert de propriété aura eu lieu, la situation deviendra plus claire, et l’heure du départ sonnera bientôt. La perspective de sortir de l’inaction presque complète à laquelle nous sommes condamnés depuis notre arrivée ici nous réjouit fort.
Mussolini assistera à la remise du ballon à l’expédition norvégienne ; nous aurons alors l’honneur de lui être présentés. Nous serons tous heureux et fiers de serrer la main de cet homme d’action. Nous avions déjà vu le héros national italien lors du septième anniversaire du fascisme. A cette cérémonie, plus de 100.000 hommes se pressaient pour l’entendre. Jamais nous n’oublierons ce spectacle ; tel est le pouvoir de fascination du « Duce » qu’il captiva non seulement ses auditeurs italiens, mais encore nous autres qui ne comprenions pas un mot de son discours.
Le 29 mars, notre pavillon national est hissé à la poupe de l’aéronef et l’aérostat reçoit le nom de Norge, en l’honneur de notre chère patrie. C’est la manifestation éclatante qu’à partir de ce moment, le dirigeable et l’expédition tout entière sont norvégiens, et rien autre.
Le débarquement du matériel aéronautique à Ny-Aalesund. Spitsberg.
Après cette cérémonie nous sommes présentés à Mussolini ; aux yeux de tous, un grand événement que nous n’oublierons pas.
Le même soir, Roald Amundsen et Lincoln Ellsworth repartent pour le Nord ; ils rejoindront le Norge au Spitsberg. L’heure de l’appareillage approche rapidement.
Le 31 mars, le major Scott, le célèbre commandant de dirigeable anglais arrive ; il est chargé de nous piloter au-dessus de l’Angleterre ; quelques jours après, le lieutenant de vaisseau français Mercier, également un excellent pilote, débarque à son tour ; il doit être notre guide pendant la traversée de son pays. Dans tous les aérodromes de France et d’Angleterre, où il serait possible que nous vinssions atterrir, les dispositions sont déjà prises pour nous recevoir. Les permissions à l’occasion des fêtes de Pâques avaient déjà été suspendues dans ces différents centres d’aviation, lorsque le 31 mars, un télégramme vint annoncer que nous ne partirions pas avant le 7 avril. En conséquence, la liberté fut rendue à ces braves gens.
Dans plusieurs réunions avec le colonel Nobile, les attributions de chacun des membres de l’équipage ont été fixés. Nous emmenons un nombre d’Italiens plus élevé que celui précédemment prévu ; on pensait à ce moment qu’ils débarqueraient au Spitsberg.
Le 7 avril, au soir, voici enfin l’ordre si impatiemment attendu : « Demain, réveil à 4 h. 45. Départ de Ciampino à 10 heures. » Alors commence le branle-bas de paquetage dans une hâte fébrile. Chaque homme n’a droit qu’à 15 kilos de bagages. Quelque modeste que soit notre garde-robe, nous éprouvons les plus grandes difficultés à opérer le tri nécessaire, à nous séparer de tel ou tel vêtement ou sous-vêtement. Tout nous semble utile, et, malgré nos très consciencieux efforts pour réduire notre vestiaire, nos sacs dépassent le poids alloué.
A notre arrivée à Ciampino, l’aérodrome est presque vide, mais à partir de 9 heures, les curieux affluent ; il y en a bien un millier, lorsque Mussolini paraît, portant un large emplâtre sur le nez ; la veille il avait été légèrement blessé dans un attentat. La colonie norvégienne est là au grand complet ; à tous ses membres, nous adressons de cordiaux adieux ainsi qu’aux amis appartenant à d’autres nationalités, que nous avons connus pendant notre séjour dans la Ville éternelle. Naturellement, c’est un concert général de souhaits pour le voyage. Nos compagnons italiens reçoivent une telle quantité de bouquets que les nacelles du Norge ressemblent à des étalages de fleuriste. Tant que ces fleurs restèrent fraîches, elles composèrent une décoration fort agréable à l’œil, mais lorsqu’elles furent fanées, les mains nous démangèrent de les jeter par-dessus bord. Pas de cela ! Leurs propriétaires s’opposèrent d’une manière péremptoire à notre dessein.
10 heures ! et il n’est pas question de départ. Nous faisons les cent pas, causons avec des spectateurs et attendons. Une demi-heure plus tard, les nouvelles météorologiques de France n’étant pas favorables, l’appareillage est remis à une date indéterminée.
Nos bagages sont alors débarqués et nous regagnons nos quartiers à Rome. Quel n’est pas l’étonnement de nos hôtes de nous voir revenir, alors qu’un beau soleil luit dans un ciel magnifiquement bleu ; ils ne nous en reçoivent pas moins cordialement.
L’après-midi, le colonel Nobile nous informe par l’intermédiaire de Riiser-Larsen que nos bagages sont trop lourds et que des sacs spéciaux nous seront envoyés de l’usine pour loger nos effets. Le lendemain, ces sacs arrivent ; ils sont certes très pratiques, mais si petits qu’ils ne contiendraient pas le nécessaire pour un week-end au bord de la mer. Et nous avons à accomplir un voyage de plusieurs semaines en remontant vers le Nord. Plusieurs d’entre nous résolurent le problème du linge en achetant des chemises fascistes qui, comme on le sait, sont noires. Lorsqu’elles auront été portées plusieurs jours, on ne s’apercevra donc pas qu’elles ne sont plus de la première fraîcheur.
Là-haut, sur les bords de l’océan Glacial, le temps ne sera pas précisément chaud. Heureusement, nos tenues d’aviateur sont arrivées, des vêtements imperméables au vent, doublés à l’intérieur de peau d’agneau. Concernant le poids des bagages, les Italiens ne se montrèrent pas aussi sévères pour eux-mêmes ; plus tard, nous découvrîmes qu’ils avaient emporté des malles et des valises.
Tandis qu’à Rome le ciel reste calme et découvert, les dépêches météorologiques annoncent toujours le mauvais temps en France. Enfin, dans la soirée du 9 avril, un nouvel ordre de départ arrive pour le lendemain, 6 h. 30. Nous nous endormons pleins d’espoir.