D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"
CHAPITRE II
Pour quelles raisons nous avons choisi
un dirigeable.
Avantages du dirigeable au point de vue de la sécurité et de l’exactitude de la navigation. — Du danger d’incendie. — Nouveau carburant. — Motifs qui nous ont amené à choisir le N-1.
Par le lieutenant de vaisseau Hj. Riiser-Larsen, de la marine royale norvégienne.
Pour une traversée du bassin arctique le dirigeable présente sur l’avion une supériorité incontestable.
Examinons d’abord la question sécurité. L’aéronef offre l’immense avantage de flotter en l’air ; même si tous ses moteurs viennent à être affectés en même temps par une panne, il ne sera pas contraint d’atterrir. Un seul groupe se trouve-t-il avarié, le ballon peut continuer sa route avec les autres, tandis que l’on effectue les réparations nécessaires. Exemple, pendant notre voyage, on démonta un cylindre du moteur de tribord et durant cette opération, le Norge poursuivit sa marche. Au cours de notre vol, combien nous nous sommes félicités d’avoir préféré le dirigeable à l’avion !
Avant le départ la possibilité de rencontrer de la brume avait été envisagée, mais jamais nous n’avions supposé qu’elle pût occuper une surface aussi énorme que les bancs que nous avons rencontrés au nord du continent américain. En distance méridienne ils s’étendaient sur plus de 2.200 kilomètres ! Il faudrait être un adversaire singulièrement obstiné des dirigeables pour nier qu’à travers une mer de nuages d’une telle ampleur, la marche ne soit singulièrement plus aisée et plus sûre avec un aéronef qu’avec un avion. En pareil cas, un aéroplane survolera la brume et par là évitera le dépôt de glace, me répondra-t-on ; d’accord, mais à un moment donné, il devra piquer vers la terre et traverser les nuages. Or, ces appareils doivent garder une très grande vitesse, par suite ne peuvent descendre lentement ; par conséquent, un aéroplane aurait été exposé à entrer en collision avec les montagnes de l’Alaska.
De plus, à bord d’un dirigeable la navigation offre des garanties d’exactitude qu’elle ne présente pas à bord d’un avion. L’absence de secousse permet de prendre des hauteurs solaires avec toute la précision désirable.
Enfin, pour une reconnaissance géographique, l’aéronef constitue un bien meilleur poste d’observation qu’un aéroplane ; nous aurions apprécié cet avantage si nous avions découvert des terres, et en avions exécuté le lever photographique. Du reste le Norge a laissé une impression de sécurité à tous ceux qui ont eu l’occasion de le voir au cours de son voyage à travers l’Europe.
Contre les dirigeables on objecte le danger d’incendie ; à ce sujet que l’on me permette quelques observations. L’hydrogène ne brûlant qu’au contact de l’air n’est pas par lui-même une source de risques à ce point de vue ; il ne s’enflammera que si le feu, venant à éclater près d’un réservoir à gaz, en consume l’enveloppe et que si de ce fait l’hydrogène qu’elle renferme se trouve en présence de l’air, ou bien si un accident quelconque détermine la rupture d’un réservoir et que le gaz se mélange avec l’air et arrive ensuite en contact avec une flamme.
A bord d’un aéronef les dangers d’incendie proviennent, non pas de l’hydrogène, mais des vapeurs d’essence. Alors que ce gaz se mêle très facilement à l’air et est très léger, ces vapeurs possèdent une densité élevée, par suite demeurent près du sol et restent accumulées dans les parties du navire dépourvues de ventilation. Une étincelle ou une flamme se produit-elle dans ce milieu, elle déterminera une explosion.
Pour remédier à ce danger, on se propose d’installer des moteurs à huile lourde sur les paquebots aériens actuellement en construction. Quoique cette question ne rentre pas dans mon sujet, je lui consacrerai quelques lignes.
Après plusieurs heures de route, un dirigeable ayant consommé une certaine quantité d’essence, devient plus léger. Lorsque son commandant voudra descendre, il devra par suite lâcher une certaine quantité de gaz, un peu plus d’un mètre cube par kilogramme de carburant employé, selon le degré de pureté de l’hydrogène ayant servi au gonflement. Plus tard, quand le ballon s’élèvera de nouveau, si la charge qu’il portait au moment de la descente a été augmentée, il sera nécessaire de faire le plein de gaz. Cette manière d’opérer est dispendieuse ; aussi bien a-t-on envisagé d’utiliser l’hydrogène mis en liberté pour la marche des moteurs. On a essayé, par exemple, un mélange de vapeurs d’essence, de gaz, et d’air. Les expériences ont donné de bons résultats. Un mètre cube d’hydrogène pour un kilogramme d’essence, telle serait la proportion la plus avantageuse. Grâce à ce nouveau procédé le ballon n’aura pas à emporter un approvisionnement de carburant aussi considérable que par le passé et sa consommation diminuera dans une proportion notable ; de là cette conséquence très importante, c’est que pour la même quantité d’essence qu’il embarquait précédemment, son rayon d’action augmentera de moitié.
On en est alors venu à l’idée de remplacer l’essence par de l’huile lourde. Les essais ont été satisfaisants, et ont montré que cette innovation diminuerait des six septièmes la dépense en carburant.
Ce procédé n’étant pas entré dans le domaine de la pratique, nous ne pouvions songer à nous en servir. Dans une expédition comme la nôtre, il eût été imprudent de se livrer à des expériences.
Quel type de dirigeable devions-nous choisir ? Telle était la question qui se posait, une fois le principe de l’emploi d’un aéronef admis. Nous n’eûmes à ce sujet aucune hésitation. Depuis plusieurs années, je suivais dans les revues spéciales les progrès réalisés en Italie dans la construction aéronautique. Le type N-1 avait particulièrement retenu mon attention, en ce que son prix le rendait accessible aux ressources d’un petit pays. En 1924, je me trouvais en Italie, occupé à préparer une expédition dont le départ fut arrêté au dernier moment par des difficultés financières ; je profitai de l’occasion pour aller à Rome étudier les dirigeables de ce type, et, au cours de mon séjour dans la Ville éternelle, fis la connaissance de Nobile.
Ses aéronefs me laissèrent l’impression d’engins absolument remarquables, surtout dans les détails de leur construction. Le lieutenant de la marine royale norvégienne Dietrichson, qui m’accompagnait dans cette visite, et moi fûmes d’accord pour reconnaître qu’un aérostat de ce type répondait à tous les desiderata dans une exploration de la calotte arctique. Nous ne pouvions envisager l’emploi d’un zeppelin pour des raisons financières ; un ballon de ce modèle aurait entraîné une dépense double de celle à laquelle notre expédition s’est élevée. De plus, si notre choix s’était porté sur un grand rigide, il eût fallu le construire, et il ne pourrait être achevé qu’en 1927 ; or, le N-1 était prêt. Il s’agissait seulement d’obtenir que cet aéronef qui appartenait à l’Aéronautique militaire italienne nous fût cédé. L’intérêt porté par le gouvernement italien à notre projet, facilita cette opération. Une fois le N-1 acquis, nous ne fûmes pas encore satisfaits et voulûmes nous assurer le concours de son constructeur, le colonel Nobile, sachant que la mise au point de l’aéronef ne pouvait être confiée à des mains plus expérimentées. S’attelant à cette besogne avec une ardeur admirable, Nobile a accompli un magnifique travail dont l’importance est mise en relief par le succès de notre raid.
Parmi les études préparatoires que l’on dut entreprendre à l’occasion de notre expédition, je signalerai celle concernant le mât d’amarrage. Ce mode de campement, qui jusque-là n’avait été employé qu’en Angleterre et aux États-Unis, le fut pour la première fois en Italie, lors des essais de notre ballon. En Angleterre, il avait déjà été utilisé pendant la guerre pour des souples, et, à partir de 1921, pour de grands rigides. C’est au major Scott que revient l’honneur d’avoir construit les mâts et d’avoir fait le succès de ce mode d’amarrage. Dans mon opinion, cette invention permettra à un service de paquebots aériens de couvrir ses frais. Si pour remiser des dirigeables, on était obligé de continuer à ériger d’énormes hangars et d’entretenir un nombreux personnel pour les manœuvres d’entrée et de sortie, les petites nations ne pourraient organiser des lignes de navigation par aéronefs. Après avoir terminé mon instruction théorique de pilote de dirigeable, je participai pendant deux mois aux exercices d’amarrage au mât qui furent exécutés en Angleterre en 1921. Je ne me doutais guère, alors, que je serais amené à collaborer à l’introduction de cette méthode de campement en Italie.