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D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"

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CHAPITRE XIV
L’état de l’atmosphère pendant le vol et la prévision du temps en vue du voyage.

Les phénomènes atmosphériques considérés au point de vue de la sécurité d’un dirigeable. — Danger du givre. — Organisation de la prévision du temps en vue de l’expédition. — Observations météorologiques au cours du voyage de Rome à Teller en passant par le Pôle.

Par F. Malmgren.

Presque toutes les difficultés contre lesquelles le Norge a eu à lutter pendant le voyage de Rome jusqu’à la côte d’Alaska, ont été déterminées par des phénomènes atmosphériques. Chaque fois que les conditions météorologiques indispensables au succès du vol ont fait défaut dans une mesure plus ou moins grande, le ballon s’est trouvé dans une situation délicate. Quoi qu’il en soit, on peut dire que, d’une manière générale, le temps a été très bon pendant les différentes étapes de notre longue randonnée. Cette circonstance n’a pas été le fait du hasard ; elle est due tout entière à l’excellente organisation de notre service météorologique. C’est grâce à ses avertissements et aux recherches poursuivies avant l’expédition que nous avons réussi à prendre le départ à des dates où nous avions les plus grandes chances de rencontrer un état favorable de l’atmosphère.


Le Pôle Nord. Les trois taches sur la glace représentent les pavillons de Norvège, d’Italie, et des États-Unis.

Avant d’exposer le fonctionnement de notre service d’annonces météorologiques et les travaux auxquels je me suis livré pendant le voyage, je passerai en revue les phénomènes de l’air susceptibles d’exercer une influence sur le vol d’un aéronef.

Le vent est l’élément météorologique capital en matière de navigation aérienne. A l’égard d’un dirigeable, son importance est considérable, non seulement pendant le vol, mais encore lors de l’atterrissage et du départ. Le vent rend, en effet, périlleuse la sortie du hangar comme la rentrée dans ce hall ; il peut drosser le ballon contre les supports de la porte. Or, la fragile charpente d’un aéronef ne supporterait pas, sans dommage, un choc pareil à celui qui se produirait en pareil cas. Le danger est particulièrement grand, lorsque la brise prend l’aérostat par le travers pendant ces opérations ou lorsqu’elle souffle par rafales. Même si sa vitesse ne dépasse pas 4 à 5 mètres à la seconde, la manœuvre devient sujette à de grands risques. Au moment des départs et des atterrissages, le vent est donc souvent la source de très graves difficultés. Au cours du voyage de Rome à Teller, trois fois il nous a empêchés de sortir ; trois fois, par suite, le vol a dû être remis, bien que tous les autres éléments météorologiques fussent favorables.

Pour remédier à ces inconvénients, on a imaginé les mâts d’amarrage, lesquels permettent d’appareiller et d’atterrir même par une brise relativement fraîche et quelle que soit sa direction.

Le vent joue en outre, cela va sans dire, un rôle considérable pendant le vol. Un aéronef n’atteint pas la vitesse considérable de l’avion ; le Norge, par exemple, à allure normale ne dépassait pas 80 kilomètres à l’heure. Aussi bien, un vent debout de force moyenne réduit-il notablement sa vitesse vraie. En second lieu, une fraîche brise par le travers détermine une forte dérive ; d’où l’obligation de louvoyer ; d’où également perte de vitesse vraie. Si, au contraire, elle souffle par l’arrière, elle accélère la marche ; encore faut-il qu’elle ne soit pas trop forte, une tempête même venant de cette direction expose le dirigeable à de graves dangers. Les tourbillons et les autres perturbations de l’atmosphère, qui accompagnent les coups de vent, soumettent, en effet, ses diverses parties à des efforts différents, et peuvent amener une rupture de sa charpente. Pendant le voyage de Léningrad à Vadsö, le Norge a rencontré des tourbillons de ce genre pendant la traversée de l’isthme séparant les grands lacs Ladoga et Onéga. Selon toute vraisemblance, ces phénomènes étaient déterminés par les mouvements que les couches d’air recouvrant les lacs encore glacés et celles situées au-dessus des terres riveraines éprouvaient avant d’arriver à un état d’équilibre.

Les précipitations, de quelque nature qu’elles soient, sont une seconde source de difficultés, en ce qu’elles réduisent la visibilité et rendent la navigation plus laborieuse. Certaines formes qu’elles affectent dans les régions froides peuvent, en outre, mettre le ballon en danger, en le recouvrant d’une couche de glace ; telles la neige humide et la pluie à l’état de surfusion. La seconde de ces deux formes de précipitations entraîne de beaucoup les conséquences les plus périlleuses ; en tombant à la surface de l’enveloppe, il peut arriver que les gouttes d’eau gèlent et revêtent entièrement l’aérostat de verglas. De la glace se dépose également sur le ballon, s’il rencontre une brume dont les particules aqueuses se trouvent à l’état de surfusion. Ces phénomènes se produisent généralement par des températures légèrement inférieures à 0°. Le froid est-il plus vif, ils deviennent moins actifs ; toutefois, jusqu’aux environs de 15° sous zéro, si le dirigeable traverse des bancs de brume, ou si le ciel est simplement brumeux, des dépôts de givre sont à craindre. Par basse température, le givre est, il est vrai, de faible densité, de telle sorte qu’un courant d’air violent l’entraînera. La présence d’une couche de glace sur le ballon est dangereuse, parce qu’en très peu de temps elle peut lui enlever complètement sa force ascensionnelle en raison de la surcharge qu’elle constitue. Ainsi un revêtement de glace, dont l’épaisseur ne dépasserait pas un millimètre, suffirait pour augmenter le poids du Norge de plusieurs tonnes. Ces condensations solides se forment principalement sur les parties de l’aérostat les plus exposées au vent, donc à l’avant. Il en résulte qu’elles peuvent faire perdre au dirigeable son équilibre longitudinal.

Dès que des dépôts de glace commencent à se manifester, le danger devient si grand que le commandant devra sortir au plus vite de la couche d’air qui est le siège de ce phénomène. Souvent, il obtiendra un bon résultat, soit en montant, soit en descendant. Parfois, en montant, il réussira à dépasser le niveau du banc de brume à l’état de surfusion. Dans d’autres cas, il pourra être avantageux de changer de cap. Si l’on a le choix entre deux routes, l’une au-dessus de la terre, l’autre au-dessus de la mer, et que, en suivant l’une d’elles, de la glace se soit formée à la surface du ballon, on essaiera de l’autre. Le commandant échoue-t-il dans toutes ses tentatives pour sortir de la zone dangereuse et peut-il revenir en arrière, il ne devra pas hésiter à le faire. S’il a vent arrière dans cette direction et si le point de départ n’est pas éloigné, il arrêtera les moteurs et dérivera, si possible. Les dépôts de glace deviendront alors beaucoup moins abondants, notamment s’ils sont produits par de la brume ou simplement par un temps nébuleux.

Un troisième élément météorologique possède une importance considérable en navigation aérienne, c’est l’état du ciel. Une bonne visibilité est essentielle pendant le vol. Masquant la vue de la terre, par suite empêchant de prendre des observations de vitesse et de dérive, la brume entrave la tâche du navigateur. Elle rend, en outre, impossible un atterrissage, alors même que l’on est arrivé à destination. Enfin, dans le cas d’une exploration aéronautique dans des régions inconnues, elle devient la source de déboires. Une brume épaisse aurait pu enlever tout intérêt à notre traversée de la calotte arctique entre le Spitsberg et l’Alaska. Aussi bien les organisateurs du voyage du Norge avaient-ils choisi pour l’entreprendre l’époque où, selon toute probabilité, il y avait le plus de chances de ne pas rencontrer ce désagréable météore.

Dans le bassin arctique, juin, juillet et août sont les mois brumeux par excellence. Durant le trimestre d’été, l’océan qui occupe cette zone demeure recouvert de banquises, dont la température ne dépasse pas le point de congélation ; par suite, les couches d’air provenant des régions plus chaudes qui se répandent au dessus de cette immense étendue de glace, se refroidissent, et ce refroidissement engendre la condensation, sous forme de brume, d’une partie de l’humidité qu’elles tiennent en suspension. Au printemps, ces masses d’air ne subissant, au contraire, aucun refroidissement au contact de la banquise, ce météore aqueux ne se produit pas. En hiver, le ciel reste clair, mais le froid et l’obscurité s’opposent à un voyage aérien de longue durée. Dès le mois de mai, la brume commence à se manifester dans le bassin polaire. Par suite, le voyage du Norge du Spitsberg à l’Alaska fut fixé à la fin d’avril ; les difficultés rencontrées dans l’érection du hangar et du mât d’amarrage à la baie du Roi obligèrent à le retarder. Pendant la traversée de l’Arctique nous avons rencontré de la brume, mais heureusement, elle n’était pas tellement épaisse qu’elle nous ait empêchés d’explorer les régions survolées.

Cet exposé des vicissitudes, auxquelles les phénomènes météorologiques exposent un aéronef, montre qu’il a été nécessaire d’organiser le voyage de Rome au détroit de Bering de manière à ce que chaque étape fût accomplie, alors que les circonstances atmosphériques étaient les plus favorables. Pour cela, il importait que le commandant possédât des informations lui permettant de choisir, dans chaque escale, le moment propice pour le départ, et, qu’il reçût, en cours de route, toutes les annonces météorologiques utiles.

L’honneur d’avoir organisé le service météorologique intéressant la sécurité du Norge revient au docteur Hesselberg, directeur de l’Institut météorologique de Norvège. Ce savant obtint pour notre expédition le concours des établissements similaires d’Italie, de France, de Grande-Bretagne, de Suède, de Russie et des États-Unis. Ce fut toutefois, notre institut norvégien qui nous apporta la collaboration la plus active. Grâce au docteur Hesselberg, je pus étudier, pendant plusieurs mois, à Bergen, le service des prévisions et me mettre complètement au courant des nouvelles méthodes inaugurées par B. Bjerknes, Solberg et Bergeron. En outre, l’Institut de Norvège nous prêta tous les instruments nécessaires pour les observations courantes. Enfin, pendant le voyage, il nous envoya les observations et les avertissements des sections centrales de prévision d’Oslo et de Tromsö.

L’organisation météorologique destinée à assurer le succès du vol comportait deux services de prévision, l’un pour permettre de choisir les dates de départ, l’autre pour le voyage lui-même.

Dans chaque escale, le jour et l’heure de l’appareillage devaient être fixés de concert entre le météorologiste du bord et l’observatoire météorologique local. Grâce à l’obligeance de mes confrères dans les villes où nous nous sommes arrêtés, j’ai pu étudier, chaque jour, la carte du temps, par suite acquérir une connaissance complète de la situation. A Rome et à la baie du Roi l’expédition possédait un service spécial de prévision.

Pendant le vol, la fonction du météorologiste du bord consistait à établir la prévision et à donner au commandant des avis pour toutes les manœuvres en relation plus ou moins directe avec l’état de l’atmosphère. Par exemple, il avait pour mission de lui signaler la meilleure route que les cartes synoptiques semblaient indiquer et l’altitude la plus favorable, à en juger d’après les visées sur ballons-sondes opérées dans des postes météorologiques et qui nous étaient transmises par T. S. F. — De plus, lors d’un atterrissage, je donnais au commandant les valeurs probables des divers éléments météorologiques dans le lieu considéré, tels que la pression barométrique, la température de l’air, au cas où ces observations n’auraient pas été envoyées par T. S. F. — Enfin j’étais chargé à bord des observations de la pression, de la température, de l’humidité, etc. Durant le voyage au-dessus du bassin polaire des observations sur l’électricité atmosphérique ont été, en outre, effectuées.

Pour que le météorologiste du Norge pût établir la prévision du temps pendant le vol, il était nécessaire qu’il fût en possession des mêmes informations que les bureaux chargés de ce service dans les instituts météorologiques. Ces informations, que notre poste de T. S. F. captait, comprenaient des observations provenant de la plupart des pays d’Europe et de navires naviguant dans l’Atlantique et la Méditerranée. Je reçus, en outre, des renseignements particuliers, généralement des observations de localités situées sur notre route, parfois aussi de courtes prévisions à brève échéance. Souvent pendant le voyage, notre radiotélégraphiste réussit à entrer en relation directe avec des instituts météorologiques et à leur demander des explications sur des points qui nous intéressaient. Une indication sommaire des sources dont j’ai disposé pendant les différentes étapes du voyage de Rome à Teller montrera notre organisation.

Le départ de l’aérodrome de Ciampino fut décidé d’accord avec le professeur F. Eredia, chef du Service de la prévision à Rome. Avant l’appareillage, l’Office national de météorologie de France nous avertit par un télégramme que la date choisie ne lui paraissait pas favorable. La situation n’était pas, en effet, excellente ; mais, comme selon toutes probabilités, elle serait encore plus mauvaise les jours suivants, nous résolûmes d’appareiller quand même. Pendant l’étape de Rome à Pulham, les services français et anglais nous envoyèrent des radiogrammes fort utiles, particulièrement durant la dernière partie du voyage, lorsque les circonstances atmosphériques devinrent adverses. Dans le Nord de la France notamment, le Norge rencontra une forte dépression venant du Sud, dont le centre se rapprochait rapidement. Nous fûmes alors assaillis par une brise de nord-est très fraîche et notre vitesse vraie se trouva notablement réduite. Poussant nos trois moteurs, nous réussîmes à sortir de cette zone dangereuse et finalement arrivâmes à Pulham sans encombre. A cet aérodrome, l’Institut météorologique de Grande-Bretagne avait installé à notre intention un service spécial de prévision dirigé par M. Giblett, un des meilleurs « avertisseurs » d’Angleterre. L’éminent météorologiste norvégien, le docteur J. Bjerknes, en séjour en Angleterre, s’était également installé à Pulham. La collaboration de ces deux savants nous fut très utile pour déterminer le moment favorable à la poursuite de notre voyage vers Oslo.

Le départ s’effectua dans des conditions de vent propices, mais sur la mer du Nord nous rencontrâmes de la brume. Près de la côte de Norvège le ciel se découvrit et la visibilité était bonne, lorsqu’après une navigation rapide nous parvînmes à Oslo. Pendant ce vol, l’Institut de Norvège nous envoya, d’heure en heure, des informations sur les éléments météorologiques régnant au lieu d’atterrissage. Aussitôt après notre débarquement, je me rendis à cet établissement. Un entretien avec mes confrères aboutit à la décision de continuer immédiatement le voyage vers Léningrad. Un centre de dépression arrivant de l’ouest, il eût été imprudent de laisser le ballon plus longtemps à Oslo.

La brume nous accompagna pendant presque tout le trajet de Norvège en Russie. Elle couvrait la Suède et s’étendait loin sur la Baltique. Seulement, à l’entrée du golfe de Finlande, elle commença à disparaître. Cette immense mer de nuages gêna naturellement la navigation et, non sans peine, nous atteignîmes l’aérodrome de Gatchina. A Léningrad l’Institut central météorologique, un établissement modèle soit dit entre parenthèses, nous prêta le concours le plus dévoué. Grâce à son intervention, on nous promit l’envoi de radiogrammes complémentaires pendant la suite de notre voyage. Ces messages nous ont rendu de grands services durant le vol de Léningrad à la baie du Roi.

Nombre de gens considéraient cette dernière étape comme la plus dangereuse de tout le voyage. Qu’elle offrît de nombreux risques, cela était évident. La mer entre la Norvège septentrionale et le Spitsberg est une des plus tempétueuses du monde ; en second lieu, à cette époque de l’année, nous risquions d’y rencontrer de la brume et d’y être exposés à la formation de glace sur l’aérostat. En outre, de Léningrad à la baie du Roi la distance est grande ; pour que le Norge pût partir de Léningrad et ensuite atterrir à la baie du Roi en faisant escale à Vadsö, le temps devrait être calme ou à peu près dans ces trois localités. Enfin, il importait que la visibilité fût bonne, au moins dans le voisinage des points d’atterrissage. Pour vous représenter les difficultés du problème à résoudre, rappelons que la prévision du temps quarante-huit heures à l’avance, comme nous devions la faire avant notre départ, est très délicate et elle l’était d’autant plus dans ce cas, que l’extrême Nord de l’Europe ne possède qu’un petit nombre de stations météorologiques et que rarement des navires naviguant dans l’Océan Glacial communiquent leurs observations.

Pour ce trajet l’expédition trouva de nombreux concours. L’Institut météorologique de Léningrad et le Service des prévisions de Tromsö, le poste connaissant certainement le mieux les circonstances atmosphériques régnant dans l’Océan Arctique nous envoyèrent chaque jour des avis sur la possibilité d’un appareillage. Les télégrammes de Tromsö nous parvenaient toutefois à Gatchina tardivement ; celui arrivé la nuit qui précéda notre départ fut particulièrement bien venu en ce qu’il nous confirma dans la résolution de partir le lendemain.

Le voyage de Léningrad à Vadsö s’accomplit dans d’excellentes conditions, à part un vent contraire. En approchant de l’Océan Glacial, en outre des émissions habituelles, nous reçûmes d’heure en heure des radiogrammes donnant les observations des stations du Nord de la Norvège, du Spitsberg, de Jan Mayen et de l’île aux Ours. Aucune surprise désagréable ne pouvait ainsi survenir, et nous aurions pu rebrousser chemin, si le temps avait été trop mauvais au-dessus de la mer.

A Vadsö tout marcha bien. Notre relâche dans cette ville ne dura que quelques heures, le temps de faire notre plein de gaz et d’essence. Entre Vadsö et le Spitsberg le temps fut moins bon que plus au sud ; à hauteur de l’île aux Ours nous rencontrâmes de la brume ; plus loin, sur la côte ouest du Spitsberg, nous reçûmes de violents grains de neige. En même temps, un radio de la baie du Roi nous annonça une tourmente de neige sur les bords de ce fjord. La situation devenait donc préoccupante ; quoi qu’il en fût, nous poursuivîmes notre route. Les cartes synoptiques indiquaient que les chutes de neige ne pouvaient revêtir que la forme de grains ; en conséquence, dans les intervalles, nous pouvions compter sur une bonne visibilité ; au moment de l’atterrissage, elle fut, en effet, excellente. Pendant l’étape Vadsö-Spitsberg, on constata avec satisfaction que la neige, loin de demeurer adhérente à l’enveloppe du ballon, comme certains l’avaient annoncé, en était immédiatement balayée par la succion de l’air. Selon toute vraisemblance, la neige humide est dangereuse ; heureusement durant le voyage il n’en tomba pas.

Dès notre arrivée, à la baie du Roi, nous organisâmes notre propre service de prévision, en étroite collaboration avec l’Institut météorologique de Tromsö. Nos messages étaient transmis par le poste de T. S. F. de Ny Aalesund et par celui du Heimdal, navire de guerre mis à la disposition de l’expédition par le gouvernement norvégien.

Dans le choix d’une situation météorologique propice pour la traversée du bassin polaire, il importait de prendre en considération, non seulement les circonstances atmosphériques en elles-mêmes, mais encore celles de nature à augmenter la force ascensionnelle du dirigeable, afin qu’il pût emporter tout le matériel nécessaire pendant la dernière partie du voyage. La force ascensionnelle se trouve, en effet, dans une étroite dépendance de la température de l’air et de la pression barométrique. Une basse température de l’air et une pression élevée accroissent notablement sa valeur ; pour une baisse d’un degré du thermomètre et une augmentation de la pression atmosphérique d’un millimètre, le Norge pourrait enlever soit 70, soit 30 kilogrammes de plus.

Le remplacement d’un des moteurs avarié pendant le trajet de Léningrad au Spitsberg nous obligea à prolonger la relâche à la baie du Roi pendant plusieurs jours. Durant ce temps, notre service météorologique travailla avec ardeur. Chaque jour, je dressai trois cartes synoptiques d’après les observations de 7 heures, 13 heures et 18 heures (temps moyen de Greenwich). En outre, chaque jour également, à l’aide de ballons-sondes, un météorologiste italien, un frère de Nobile, déterminait la direction et la force des courants aériens dans la haute atmosphère.

Pendant notre séjour au Spitsberg, le temps demeura favorable pour un vol vers le Pôle, comme l’expérience du commandant Byrd le montra. Durant le raid admirable accompli par cet aviateur tandis que nous achevions nos préparatifs, un magnifique soleil brilla au-dessus du bassin arctique et il n’y souffla que des brises légères.

Le 10 mai, au soir, le Norge fut enfin prêt. Pour fixer son départ on n’attendait plus que l’avis des météorologistes.


Après l’atterrissage à Teller, le dégonflement du « Norge » sur la banquise de la lagune.

La carte synoptique de 18 heures fournissait des prévisions excellentes. Une aire de haute pression s’étendait de la Nouvelle-Zemble jusqu’au Canada, en passant par le Pôle. Une pareille situation barométrique répondait complètement à nos désirs. Cette distribution de la pression annonçait dans la calotte arctique un temps relativement froid, un ciel clair et des vents faibles et variables. D’après la carte, le Spitsberg se trouvait dans la partie ouest de cette zone anticyclonique. Selon toute probabilité, nous aurions donc vent arrière jusqu’au Pôle. La seule dépêche défavorable concernait la pointe Barrow ; elle annonçait la présence de brume devant la côte de l’Alaska. Espérant qu’elle se dissiperait avant notre arrivée dans ces parages, nous décidâmes de partir. Le service des prévisions de Tromsö, comme moi, estimait la situation excellente pour prendre l’air. En conséquence, l’appareillage fut décidé pour le 11 mai, à 1 heure.

Entre temps, à la baie du Roi, le vent se leva, puis « força » progressivement, si bien que le 10, à 23 heures, il devint certain que le départ devrait être remis. La brise n’était pas très fraîche, mais soufflait par rafales, comme cela arrive dans les fjords étroits encaissés entre des montagnes. La sortie du ballon du hangar eût donc présenté des risques. En conséquence, la plupart des membres de l’expédition allèrent dormir ; on les réveillerait, si le vent tombait. Les autres demeurèrent au hangar pour observer le temps. En vérité, ce fut une longue veille. Deux fois, le vent mollit, si bien que l’on envoya réveiller les dormeurs. Mais, à peine les messagers étaient-ils partis, qu’on les rappelait ; de nouveau la brise se levait. Seulement vers 6 heures, le calme s’établit et l’on put commencer à préparer la sortie du ballon.

Pendant la nuit, la situation météorologique était devenue moins bonne. Une baisse barométrique commençait à Jan Mayen, annonçant l’approche d’un cyclone. Peut-être allait-il s’étendre jusqu’au Spitsberg ? C’était une raison majeure pour profiter de l’accalmie survenue dans la matinée. Si nous ne partons pas aujourd’hui, peut-être des semaines s’écouleront avant que des circonstances propices ne se représentent. Le capitaine Amundsen résolut donc d’appareiller, bien que pendant les préparatifs le vent ait quelque peu fraîchi.

La manœuvre eut lieu à 8 h. 30 (temps moyen de Greenwich). Pendant la sortie du ballon, l’anxiété nous étreignait tous. L’opération réussit et quelques minutes plus tard le Norge se trouvait, baigné par un soleil éclatant, sur une sorte de terrasse en avant du hangar. A 8 h. 55, le départ eut lieu.

Avant de raconter le vol à travers le bassin polaire, j’indiquerai les dispositions prises pour nous prémunir contre les surprises du temps. Pendant l’hiver 1925-1926, on avait mis sur pied une organisation destinée à nous permettre de recevoir pendant le voyage au-dessus de la grande banquise des observations provenant des régions septentrionales d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Cela avait été un gros travail. Il fallait, en premier lieu, obtenir les observations des stations utiles à notre point de vue. En Europe, cela n’était pas difficile, les émissions radiotélégraphiques des différents États contenant les observations régulières d’Islande, du Spitsberg, de Jan Mayen, de l’île aux Ours, de la Nouvelle-Zemble, de Vaïgatch, de Norvège, de la Russie septentrionale, de Suède, de Finlande, enfin de l’Atlantique Nord. Pour l’Asie, l’émission russe donne les observations de Iakoutsk et de plusieurs villes situées sur le Transsibérien. Grâce à l’obligeance des autorités soviétiques, elle comprit, en outre, celles d’Anadyr, sur les bords de la mer de Bering. Cette addition compléta heureusement les renseignements concernant l’Asie. Pour l’Amérique, la situation était moins bonne. Les émissions météorologiques des États-Unis ne fournissent qu’un petit nombre de renseignements provenant de l’Alaska et du Canada, régions très intéressantes pour nous ; de plus, ces renseignements ne datent pas du jour même. Pour remédier à cette lacune, grâce à l’intervention du docteur Hesselberg, le Weather Bureau ajouta à son envoi habituel les observations des parties les plus septentrionales du Nouveau-Monde. En outre, il fut convenu que le poste de T. S. F. de Cordova, ferait chaque jour à notre intention une émission particulière, comprenant les observations de cinq stations de l’Alaska : Saint-Paul, Nome, Eagle, Cordova et Kodiak.

Comment transmettre toutes ces informations au Norge, tel était le second problème à résoudre. Les instituts météorologiques reçoivent la plus grande partie de la documentation dont ils se servent pour l’établissement de leurs cartes, en écoutant les émissions des différents pays. Pendant son voyage à travers le bassin polaire, selon toute vraisemblance, en raison de la distance, ces messages ne pourraient parvenir jusqu’à nous. Afin de remédier à cet inconvénient, il n’y avait qu’un moyen : rassembler dans un seul institut les renseignements envoyés par les différents états, ensuite les faire suivre au Norge par un poste de T. S. F. assez puissant pour être entendu dans tout l’Arctique. Celui de Stavanger dans la Norvège occidentale répondant à ces desiderata, avec bonne grâce l’administration des Télégraphes le mit à notre disposition pour les transmissions à nous faire.

La station de Stavanger devait effectuer les envois à notre adresse à 6 h. 10, 11 h. 20, 14 h. 40, 17 h. 20, 20 heures et 21 h. 20. Comme cette liste l’indique, ils seraient suspendus pendant la nuit pour permettre au radiotélégraphiste du Norge de se reposer. Les messages comprendraient toutes les observations nous intéressant, à l’exception de celles de Cordova, qui ne pouvaient être entendues en Norvège. Nous pensions capter les renseignements lancés par ce dernier poste, lorsque nous approcherions de la côte d’Amérique.

A l’aide des informations que la T. S. F. lui transmettrait, le météorologiste du Norge dresserait trois fois par jour une carte du temps, et, au moyen de ces cartes, pourrait prévoir l’approche des dépressions. Sur ces documents figureraient les observations faites à bord du dirigeable.

Après cet exposé de la méthode de travail adoptée pour la prévision du temps pendant le voyage, j’arrive au récit de notre raid au-dessus du bassin polaire.

Ainsi qu’il a été dit plus haut, le départ eut lieu le 11 mai, à 8 h. 55. Le thermomètre marquait 8° sous zéro et le baromètre 771 mm. — Une faible brise d’est-sud-est soufflait au niveau du sol ; à plusieurs centaines de mètres d’altitude, elle venait du sud-est et était notablement plus fraîche. Elle ne persista pas.

Une demi-heure plus tard, le calme s’établit jusqu’à 11 heures. A partir de ce moment, jusqu’à 19 heures, des vents de sud et de sud-est se manifestèrent ; ensuite, pendant peu de temps, nous eûmes une brise légère de nord-est. A 22 heures, un calme plat régnait de nouveau.

Deux heures après le départ, le Norge franchit la limite, dans l’océan polaire, entre les eaux libres et les glaces flottantes. Après cela, nous ne vîmes plus d’ouverture dans la banquise, sinon un seul canal.

A la hauteur où nous naviguions, la température s’abaissa progressivement de 5° sous zéro au-dessus de la baie du Roi à 12° sous zéro par 88° de latitude du côté de l’Europe ; à partir de ce dernier parallèle, elle remonta lentement.

Durant plus de onze heures, un soleil éblouissant favorisa notre navigation. Par 87° de latitude, nous rencontrâmes de la brume et une seconde fois entre le 88° et le 89° parallèle. Elle n’atteignait pas une grande hauteur et nous pûmes la survoler, en nous élevant à l’altitude de 700 mètres. Lors de notre arrivée au Pôle, elle avait disparu. Tandis que nous croisions au-dessus de ce point que les explorateurs ont tant désiré atteindre, le ciel était en majeure partie couvert de strato-cumulus et d’alto-cumulus. Nébulosité 7. Pas une risée n’agitait l’atmosphère. Le thermomètre, à l’altitude d’environ 300 mètres, marquait −11° et le baromètre réduit au niveau de la mer 775 mm. — Le ciel était quelque peu voilé ; bientôt après, il s’éclaircit.

Du Pôle, le cap fut mis sur la pointe Barrow. Au début de cette partie du voyage, la visibilité fut bonne, mais entre le 86° et le 85° de latitude, nous entrâmes dans la brume. Brume et chutes de neige persistèrent presque continuellement jusqu’à l’atterrissage à Teller.

Heureusement, cette mer de nuages n’était pas assez dense pour masquer complètement la région survolée ; par contre, elle détermina des dépôts de givre à la surface du ballon, précisément ce que nous redoutions le plus. La formation d’une couche de glace sur un aérostat est extrêmement dangereuse. Ce phénomène se manifesta pour la première fois par 85° de latitude. En très peu de temps, toutes les parties du ballon exposées à un vent violent furent recouvertes de givre. Il se déposait, non seulement sur les parties métalliques extérieures, mais encore sur les hélices et les cordages. La couche la moins épaisse s’observait sur l’enveloppe, peut-être parce qu’elle se trouvait échauffée par les gaz, dont la température était probablement un peu supérieure à celle de l’air ambiant. Dès l’apparition de ce phénomène, des mesures furent prises pour sortir le plus vite possible de la nappe d’air où il se produisait. Le récit du voyage renferme un extrait de mes notes relatant les manœuvres exécutées pour échapper à ce danger.

Depuis le Pôle jusqu’au 80° de latitude, du côté de l’Amérique, le vent fut favorable ; plus au sud une très fraîche brise de sud-est ralentit la marche.

Le dépôt de givre sur le ballon ne fut pas notre seul sujet de préoccupation pendant la dernière partie du vol. Un second accident, non moins grave, nous frappa, comme il a été relaté plus haut. Alors que nous étions encore loin de la côte de l’Alaska, notre poste de T. S. F. cessa de fonctionner par suite de perturbations dues à l’électricité atmosphérique et de la formation de glace sur l’antenne. Nous nous trouvâmes dès lors privés de renseignements météorologiques.

Jusque-là le service de la prévision avait fonctionné à bord, suivant le programme arrêté. Aux heures fixées, le poste de Stavanger nous envoyait les observations et aussitôt je les portais sur la carte. En approchant de la côte de l’Alaska, il était de première importance de posséder des informations de la toute dernière heure, afin de pouvoir choisir le point d’atterrissage le plus favorable et la route la plus sûre pour l’atteindre. Or, juste à ce moment, les renseignements utiles nous faisaient défaut.

Nous désirions parvenir le plus loin possible dans le Sud. Avant le départ, on avait décidé, si les circonstances le permettaient, de prendre terre à Nome sur la rive méridionale de la presqu’île Seward. La dernière carte synoptique que nous avions pu établir et qui était vieille de vingt-quatre heures à notre arrivée sur la côte septentrionale de l’Alaska, annonçait l’existence probable, dans deux jours, d’une dépression quelque part sur le golfe d’Alaska. D’après cette prévision, le vent, selon toute vraisemblance, soufflerait du nord le long de la côte est du détroit de Bering ; par suite, Nome paraissait devoir offrir d’excellentes conditions pour l’atterrissage. Nous rencontrerions une brise favorable en faisant route vers cette ville, et, comme cette agglomération se trouve protégée du côté du nord, la descente s’opérerait sans difficulté. En conséquence, les chefs de l’expédition résolurent d’atterrir à Nome ou sur un autre point de la côte sud de la presqu’île Seward.

Le 13 mai, à 7 h. 25, la terre d’Amérique est en vue près de la pointe Barrow. A la brise de sud-est qui avait régné jusque-là, a succédé un vent très frais de l’ouest-sud-ouest ; de plus, la visibilité est faible ; de temps à autre, des averses de neige tombent ; le thermomètre marque 2 degrés sous zéro.

Après avoir suivi la côte nord de l’Alaska pendant plusieurs heures, nous coupons à travers la presqu’île au nord du Kotzebue Sound et filons ensuite vers le détroit de Bering. Le vent a viré au nord-ouest et souffle maintenant en tempête. Bientôt des dépôts de givre recommencent à se former sur l’enveloppe. En raison du danger de la situation, on décide de se diriger le plus vite possible vers terre. Nous pénétrons alors dans le Kotzebue Sound jusqu’à ce que nous ayons aperçu sa côte nord. Après avoir reconnu notre position, nous suivons la rive sud de ce golfe vers l’ouest. La tempête continue toujours ; après le cap Prince-de-Galles, elle mollit quelque peu, mais souffle par grains, aussi le ballon gouverne-t-il mal.

Avec un vent aussi fort, l’atterrissage ne paraît pas devoir se présenter dans des conditions favorables. La bande de terrain riveraine de la mer se trouvant protégée par des montagnes, selon toute vraisemblance, il sera moins violent au niveau du sol. Pendant les dernières heures, la visibilité avait été meilleure et de ce fait, la navigation plus facile.

Depuis soixante-dix heures, nous étions en l’air et tous souhaitions ardemment la fin du voyage. Une petite lagune côtière semblant offrir un bon terrain, les chefs de l’expédition abandonnèrent le projet de pousser jusqu’à Nome et prirent le parti d’opérer immédiatement la descente, le plus près possible de la petite ville de Teller, située sur le rivage.

L’opération eut lieu le 14 mai, à 8 heures du matin, dans d’excellentes conditions, le vent nord-ouest ayant sensiblement faibli à ce moment. Une fois que le dirigeable eut été solidement amarré, le vent reprit avec une force nouvelle. Les mêmes variations dans la vitesse de la brise ont été observées à Nome, à 12 milles au sud, bien qu’elle y fût moins fraîche qu’à Teller. De 6 à 7 heures, 5 m. 3 par seconde ; de 7 à 8, 3 m. 1 ; de 8 à 9, 2 m. 2 ; de 9 à 10, 3 m. 6 et de 10 à 11 heures, 5 m. 8.

Lors de la descente, la température était de +2°, et la visibilité bonne ; le ciel couvert de nimbus qui, à ce moment, ne donnèrent lieu à aucune précipitation ; à la même heure, à Nome, on notait de la brume. Au point de vue atmosphérique l’atterrissage à Teller offrait donc des conditions plus favorables qu’à Nome. Dans cette localité, il eût à coup sûr présenté de grosses difficultés, si même il avait été possible.

Eussions-nous évité une partie des dangers qui nous ont assaillis sur les côtes de l’Alaska, en mettant le cap vers Fairbanks ou quelqu’autre ville de l’intérieur, après avoir atteint la pointe Barrow ? Les circonstances atmosphériques étaient dans le centre du pays bien meilleures que sur le littoral, mais, pour y parvenir, nous aurions dû survoler une épaisse mer de nuages cachant de hautes montagnes ; cela eût été une entreprise hasardeuse. Lorsque l’on navigue au-dessus d’un banc de brume très dense, les observations deviennent impossibles, par suite, le ballon peut être déporté très loin du point sur lequel le cap a été mis. Doit-on, dans ces conditions, survoler un pays montagneux, et, la hauteur à laquelle on se tient est-elle faible, comme c’est le cas avec un aéronef, on risque d’entrer en collision avec une montagne que l’on croyait beaucoup plus loin. Pour ces raisons, à mon avis, étant donné l’état de l’atmosphère, il est fort heureux que nous ayons agi comme nous l’avons fait.

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