D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"
CHAPITRE XVI
La T. S. F. à bord du Norge.
Description des appareils de T. S. F. installés sur le Norge. — Fonctionnement de la T. S. F. pendant le vol au-dessus du bassin arctique. — Les méfaits du givre.
Par le capitaine de vaisseau B.-L. Gottwaldt, de la marine royale norvégienne.
En préparant l’équipement du poste radiotélégraphique du Norge, nous avions admis comme principe que l’émetteur devait être assez puissant pour rester en communication, dans des circonstances atmosphériques ordinaires, avec les stations côtières jusqu’à une distance de 1.500 kilomètres pendant le jour, en se servant d’un émetteur à valve approprié ayant une longueur d’onde de 600 à 1.500 mètres. Dès lors, la distance entre le poste de Nome en Alaska, et celui de Green Harbour, au Spitsberg étant d’un peu plus de 4.000 kilomètres, si tout fonctionnait à souhait, seulement sur un espace de 1.000 kilomètres au delà du pôle Nord nous ne serions pas certains de pouvoir communiquer avec le monde extérieur.
L’appareil récepteur devait posséder une grande sensibilité et être capable de recevoir des ondes de 300 à environ 2.500 mètres, afin de pouvoir capter, non seulement les messages des navires et des postes côtiers, mais encore les signaux horaires et les émissions météorologiques des stations à grande puissance.
Pendant notre vol du Spitsberg à l’Alaska, le poste à grande puissance de Stavanger (L. C. M.) dans la Norvège méridionale nous envoya de nombreuses informations empruntées aux émissions météorologiques faites par les divers pays d’Europe et de l’Amérique du Nord et un signal horaire spécial deux fois par jour, à 6 heures et à 18 heures (temps moyen de Greenwich). En outre des appareils émetteurs et récepteurs, le Norge était muni d’un dispositif goniométrique système Marconi avec deux grands cadres fixes et un radiogoniomètre. Ce radiogoniomètre était construit pour une longueur d’onde de 600 à 18.000 mètres, de telle sorte que l’on pût prendre des relèvements non seulement sur les postes côtiers, mais encore sur les stations radiotélégraphiques à grande puissance en cas de besoin. Ces relèvements ont été très utiles à notre navigateur. Les appareils indiquaient les directions avec une erreur de seulement 1°, mais les brusques mouvements du dirigeable, la paresse des compas, permettaient difficilement d’exécuter les relèvements avec précision.
Le générateur électrique qui produisait de l’énergie à haute et à basse tension était actionné par une hélice montée sur un arc-boutant placé à tribord de la nacelle du pilote. Par des engrenages et un arbre de transmission la force produite était transmise au générateur installé dans l’intérieur de la nacelle. Afin de pouvoir actionner ce générateur, en cas de descente forcée, nous avions un moteur à pétrole Douglas, à deux cylindres avec refroidissement par l’air, de la force de 3 CV, pouvant être couplé avec la dynamo. Pour dresser l’antenne de fortune composée d’un mince câble d’aluminium de 150 mètres de long, nous avions un cerf-volant capable de lever 3 à 4 kilos par un vent de 5 mètres.
Le poste radiotélégraphique à bord du Norge, placé dans la nacelle du pilote, mesurait 2 mètres en longueur et en hauteur et un de large. Il était éclairé à tribord par deux larges fenêtres. Dans sa partie avant était fixée une table de télégraphiste ; au-dessus se trouvait l’émetteur. Des tablettes à bâbord portaient les appareils de réception, ainsi que le radiogoniomètre et ses accessoires. La self d’antenne du récepteur, le variomètre et la bobine de réaction étaient disposés sous la table, près du pied gauche de l’opérateur, et, derrière lui, l’isolateur de l’entrée de poste, monté sur le plancher. A la cloison de tribord était accroché le tableau des charges.
Dans les coins, sur le plancher étaient placées les batteries à haute tension et les accumulateurs. Pour s’asseoir, l’opérateur ne disposait que d’une minuscule chaise pliante ; s’asseoir c’est beaucoup dire, surtout lorsqu’il portait l’épaisse tenue de vol ; il lui fallait, en outre, un certain temps pour trouver sur ce siège une position, sans recevoir dans les genoux ou dans les coudes des étincelles de haute tension des divers circuits oscillant autour de lui. Le générateur était installé tout à fait à l’arrière et en dehors du poste ; il était, comme nous l’avons dit plus haut, relié à l’hélice par un engrenage et un arbre de transmission. L’hélice était en bois dur et à quatre branches ; à 1.800 tours elle donnait une puissance de 3 CV, environ. A pleine vitesse le générateur produisait environ 400 watts du côté 3.500 volts et environ 140 watts du côté 14 volts. L’émetteur était relié directement à l’antenne par le dispositif Hartly, avec une alimentation en parallèle des lampes et une réaction inductive entre le circuit de la grille et celui de la plaque. Les oscillations étaient produites par deux valves de 250 watts montées en parallèle. Le manipulateur était placé dans le circuit de la résistance de la grille et le transmetteur pouvait émettre des signaux en ondes entretenues (C. W.) ou des signaux en ondes entretenues modulées (ondes interrompues) (I. C. W.) ; dans ce but un petit interrupteur mis en marche par les moteurs était placé en série avec le manipulateur. La self d’antenne se composait d’une grande bobine cylindrique de fil de cuivre épais et poli, avec des prises pour le couplage de l’onde et de l’antenne. Comme antenne, nous avons employé un câble en bronze phosphoreux, long de 100 mètres et ayant 2 millimètres de diamètre, dont la partie inférieure était lestée d’un poids en plomb. Ce câble était manœuvré rapidement au moyen d’un treuil muni de crans d’arrêt. L’énergie livrée au réseau aérien atteignait au maximum 200 watts. Les filaments des lampes émettrices recevaient le courant d’un petit accumulateur à 12 volts que le générateur maintenait constamment chargé. L’émetteur était réglé sur 600, 900 et 1.400 mètres ; il était employé le plus souvent sur 1.400 mètres, parfois sur 900. A 1.400 mètres, on avait à pleine charge 5 3/4 d’ampère dans l’antenne, à 900 mètres environ 6 1/4 ampères et à 600 mètres environ 6 ampères 3/4 en émission entretenue. Pour ne pas être gênés par les émissions des navires et par la correspondance sur 900 mètres entre avions, nous avons presque toujours employé l’onde de 1.400 mètres ; elle nous a donné d’excellents résultats, quant à la portée et à la continuité dans le travail.
L’appareil de réception se composait d’un ensemble de deux circuits spéciaux avec des bobines interchangeables. A cet ensemble était connecté un amplificateur à 7 lampes avec filtre à basse fréquence et un double amplificateur à basse fréquence. On avait, en outre, un oscillateur local séparé pour la réception des signaux émis par des stations travaillant en oscillations entretenues. Tous les amplificateurs pouvaient être branchés au radiogoniomètre et employés pour les relèvements radiogoniométriques. Les cadres extérieurs de l’appareil se composaient de deux tours de câble soigneusement isolé qui était enroulé autour du ballon, en avant de la cabine du pilote. Ces cadres étaient disposés à 45° par rapport au plan diamétral de l’aéronef et à 90° l’un par rapport à l’autre. La surface circonscrite par chaque tour de câble couvrait environ 600 mètres carrés ; aussi bien l’appareil de relèvement possédait une grande capacité et une grande précision. La charpente métallique du ballon fonctionnait comme contrepoids pour l’émetteur comme pour le récepteur. Toutes les pièces métalliques, toutes les haussières, les soupapes étaient soigneusement réunies par des fils de cuivre, de manière qu’aucune de leurs parties ne restât isolée, afin d’éviter la production d’étincelles. Que ces dispositions aient fonctionné convenablement, cela est démontré par le fait que souvent nous envoyions des émissions à plein rendement, alors que les soupapes à gaz étaient ouvertes et cela sans aucun inconvénient. Je dois reconnaître qu’une pareille pratique ne saurait être appliquée couramment.
Après cette rapide description des appareils, voici maintenant quelques notes sur le fonctionnement de la T. S. F. à bord du Norge pendant le vol au-dessus du bassin arctique.
L’expédition quitta la baie du Roi le 11 mai, à 8 h. 55. Une fois en route, nous sommes restés en communication jusqu’à minuit avec le petit poste de Ny Aalesund (1 kilowatt 1/2) (nous en étions alors éloignés d’environ 1.400 kilomètres), ensuite jusqu’au 12, 7 heures, avec celui plus puissant de Green Harbour (10 kilowatts). A ce moment la distance qui nous en séparait s’élevait à 1.900 kilomètres.
Entre la baie du Roi et le Pôle, et même au delà de ce point, nous envoyâmes une longue série de télégrammes destinés à la presse et divers autres messages, et reçûmes de nombreuses communications. Pour activer l’écoulement de notre correspondance, les postes de Röst et de Vardö dans le nord de la Norvège écoutaient nos signaux ; ils réussirent à capter nos émissions, après même que nous eûmes dépassé le Pôle, soit lorsque nous nous trouvions à 2.300 ou 2.500 kilomètres de ces stations.
Dans la matinée du 12 mai, le Norge entra dans une mer de nuages à l’état de surfusion. Ainsi qu’il a été raconté dans les chapitres précédents, cette brume détermina un abondant dépôt de givre sur les nacelles, les cordages, lequel menaça la sécurité de l’aérostat. Dès que ce phénomène commença à se manifester, une couche de glace épaisse de 0 m. 125 recouvrit l’antenne et le poids ; dès lors toute réception et tout envoi de messages devint impossible. Ayant réussi, au prix de pénibles efforts, à rentrer l’antenne, nous la débarrassâmes de son revêtement glacé, un long travail en pure perte ; en effet, à peine eûmes-nous dressé de nouveau le câble qu’il fut aussitôt après enrobé de glace. Tant que ces dépôts de givre persistèrent, toute communication fut interrompue. De la glace recouvrit également les pales de l’hélice du générateur ; de ce fait, la vitesse de la machine diminua notablement ; en même temps l’appareil éprouva des chocs si violents qu’ils menacèrent de briser le générateur et l’émetteur. Nous échappâmes heureusement à pareil accident, mais notre récepteur sortit de l’aventure hors d’usage. L’émetteur continua, au contraire, à fonctionner, excepté lorsque plus tard les circonstances devinrent complètement anormales.
Ce fut le 12, à 21 heures, que le dernier bulletin météorologique émis par Stavanger nous parvint. Tout près de la côte d’Amérique nous entendîmes encore cette station.
Dans la nuit du 12 au 13 mai, en approchant de l’Alaska, nous essayâmes, sans succès, d’entrer en communication avec les postes de la pointe Barrow, de Nome, de Fairbanks, distants d’environ 1.200 kilomètres.
Le long de la côte nord d’Amérique et au-dessus du détroit de Bering, de nouveau nous fûmes enveloppés par des brumes à l’état de surfusion et eûmes à lutter contre le givre. Deux fois notre antenne se rompit sous le poids de la glace qui l’enveloppait. Nous en dressâmes aussitôt une nouvelle. Ce ne fut pas sans grands risques. Nous volions alors très bas, au ras de terre pour ainsi dire ; par suite le poids venait à chaque instant frapper le sol rocheux ; s’il venait à être arraché, il pouvait arriver qu’il fût projeté ensuite contre une des hélices du ballon et que ce choc causât une grave avarie à cet organe essentiel. Par prudence, pendant toute cette partie du voyage, l’antenne fut donc rentrée.
A de fréquentes reprises nous essayâmes sans succès de communiquer avec les postes de l’Alaska, Nome, Fairbanks, Saint-Paul, Cordova, Yakutat et avec ceux de la Sibérie orientale, Anadyr et Sredné Kolymsk. Aussi souvent que cela était possible, nous lancions un message annonçant que le Norge était en route et priant le poste qui recevrait cette nouvelle de la transmettre à Nome ou à Fairbanks. Pour cela nous employâmes des longueurs d’onde de 600, 900 et 1.400 mètres, et tantôt des ondes entretenues, tantôt des ondes entretenues modulées. Ces messages furent entendus par plusieurs postes, mais ils ne purent à leur tour informer Nome et Fairbanks.
Nous réussîmes à maintenir en état notre radiogoniomètre. Dans l’après-midi du 13, ayant entendu Nome, nous pûmes prendre un relèvement sur ce poste et contribuer par ce moyen à déterminer notre position, mais nous ne pûmes réussir à entrer en relation avec cette station. Quatorze heures plus tard nous descendions à Teller.