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D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"

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CHAPITRE XV
La navigation au-dessus du bassin polaire boréal.

Déclinaison et déviation. — Mesure de la dérive à bord d’un dirigeable. — Difficultés de cette observation. — Vitesse vraie et vitesse propre. — Correction de l’altitude. — Différentes méthodes de mesure de l’altitude. — Compas magnétiques du « Norge ». — Compas solaires. — Difficultés de la navigation aérienne.

Par le lieutenant de vaisseau de la marine royale norvégienne Hj. Riiser-Larsen.

Après le récit de notre raid au-dessus du bassin polaire boréal, il importe de rappeler brièvement les méthodes de navigation aérienne et les instruments qu’elles emploient.

Dans l’air comme en mer, ces méthodes sont différentes, selon que l’on navigue en vue ou hors de vue des côtes. Dans le premier cas, on détermine sa position par des relèvements terrestres, dans le second, par des observations astronomiques. Si le temps est clair, par suite, si la côte, la mer ou la banquise que l’on survole est visible, on peut naviguer, sans le secours d’observations astronomiques, à condition de noter soigneusement et constamment la vitesse et la dérive du ballon et de plus de connaître exactement la déclinaison et la déviation.

La déclinaison est, on ne l’ignore pas, l’angle formé par le méridien du lieu et la direction que prend l’aiguille aimantée en ce lieu. Cette direction est celle du Pôle magnétique fort éloigné du Pôle géographique ; exceptionnellement la déclinaison est nulle. Dans l’ignorance de cette circonstance, nombre de gens ont exagéré les difficultés que nous éprouverions à tenir une route, par suite ont considéré notre entreprise comme plus hasardeuse qu’elle ne l’était sous ce rapport.

« Vous atteignez le Pôle, disaient-ils. Très bien, mais alors, vos compas ne vous donneront plus aucune indication. Dans ces conditions, comment pourrez-vous vous diriger pour revenir dans le Sud ? »

Cette crainte n’était pas justifiée. Le Pôle magnétique se rencontre sur une île voisine de la côte nord du Canada, donc très loin de notre route ; en conséquence nos compas garderont toujours une certaine tendance à prendre une direction déterminée.

Par contre, le défaut d’observations de la déclinaison dans le bassin arctique pourra nous créer des difficultés. Considère-t-on une carte des isogones, c’est-à-dire une carte représentant les courbes unissant tous les points possédant la même déclinaison, on remarque l’irrégularité de ces courbes. Si, dans les régions du globe où des observations de déclinaison ont été effectuées, le tracé de ces lignes a été établi avec précision, dans le bassin arctique il a été dessiné à l’estime. De là, une source d’incertitude, à moins de pouvoir vérifier la direction du compas par des observations d’azimuth du soleil ; ce qui n’est possible que si le temps reste clair. En pareil cas, il faut admettre, de plus, que l’on connaît la déviation. Que signifie ce dernier terme, c’est ce que nous allons expliquer ?

A bord d’un navire, en raison d’influences magnétiques, les compas n’indiquent pas la direction du Pôle magnétique, mais éprouvent une déviation d’un côté ou de l’autre de cette direction. Cette perturbation est due soit à un état magnétique permanent des fers du navire, soit à une aimantation induite de certaines parties métalliques de ce même navire. Il est facile de calculer la déviation pour les compas de route ; mais elle reste une source d’erreur en raison de sa variation suivant la latitude. En Italie, où nos compas furent réglés, un petit aimant permanent était de moindre importance par suite de la forte composante horizontale du magnétisme terrestre. Sous les hautes latitudes, cette composante étant faible, cet aimant exercerait une influence proportionnellement plus grande. Comme la suite le montrera, nous subîmes cette perturbation. La même influence se manifeste également dans le magnétisme induit. Ainsi dans les poutrelles horizontales du dirigeable, il serait très énergique en Italie et faible dans l’extrême-nord. Au contraire, le magnétisme induit par la composante verticale dans les poutrelles verticales serait faible en Italie et énergique dans l’océan polaire. Le calcul des coefficients permet d’apprécier approximativement l’influence des différentes manifestations du magnétisme.

Les positions obtenues en naviguant à la montre et au compas, suivant une expression familière, constituent l’estime ; celles déterminées par des observations astronomiques sont nommées points observés. Si la vitesse, la dérive et la route ont été différentes de celles que l’on croyait avoir, le point observé diffère du point estimé. La différence entre ces deux points constitue l’erreur de l’estime. Contrôler constamment la vitesse, la dérive et la route est dit tenir une estime précise.

L’exactitude dans l’estime est encore plus nécessaire dans la navigation aérienne que dans la navigation maritime, les aéronefs obéissant aux déplacements du fluide dans lequel ils se meuvent, c’est-à-dire étant sujets à être dépalés par le vent.


En excursion aux environs de Nome. Alaska.

Il existe de nombreux instruments pour mesurer la dérive, tous basés sur le même principe. Nous avons employé, à bord du Norge, celui dont nous nous étions servis pendant notre raid en avion en 1925, et qui provient de la maison Goerz ; il faisait connaître à la fois la dérive et la vitesse. Cet instrument est le meilleur à ma connaissance pour la navigation de jour ; par contre, il ne peut être utilisé dans l’obscurité. Pendant notre vol au-dessus de l’Europe, nous avons fait usage la nuit d’un autre appareil. Durant cette partie du voyage, une estime très exacte n’était pas nécessaire, les pays que nous survolions nous fournissant de temps à autre des points de repère.

Le dérivomètre de Goerz était installé au-dessus d’une ouverture ménagée dans le parquet de la nacelle du pilote. Il se compose essentiellement d’une lunette montée sur un pivot portant un cercle mobile gradué. Pour mesurer la dérive, on amène le cercle devant la division 0 ; puis on vise des points sur le terrain survolé au moyen de la lunette, laquelle contient un fil diamétral. Si les points observés passant par ce fil suivent exactement sa direction, c’est qu’il ne se produit pas de dérive, par conséquent qu’il fait calme ou que le vent souffle exactement soit de l’avant, soit de l’arrière. Une mesure de vitesse fixera sur ce point. Les points observés ne suivent-ils pas la direction du fil diamétral, c’est que que le vent forme un angle avec la direction de la route et que le ballon subit une dérive. On tourne alors la lunette dans le sens du mouvement des aiguilles d’une montre ou en sens inverse jusqu’à ce que les points visés suivent exactement le fil diamétral, lequel indique la direction de la route suivie. On lit ensuite sur le cercle mobile l’angle formé par l’axe longitudinal du navire et la direction du fil, soit l’angle de la dérive. Si cet angle est petit et le vent faible, il suffit de gouverner contre le vent d’un nombre correspondant de degrés. La brise est-elle fraîche et par le travers, cette méthode ne sera pas suffisante. La direction du vent par rapport à la route sera changée, si on lofe ; l’angle de dérive par rapport à la nouvelle route ne sera plus alors le même qu’auparavant et l’on ne suivra pas exactement la route que l’on suppose suivre. Veut-on connaître du premier coup le vrai changement de route à opérer, on doit lofer et mesurer la vitesse vraie[18].

[18] On appelle vitesse vraie ou vitesse au sol, la distance linéaire que l’aérostat franchit dans une unité de temps, et vitesse propre la vitesse du dirigeable en air calme. Cette dernière vitesse est mesurée par un instrument basé sur celle du courant d’air le long des parois du ballon.

Connaissant l’angle de dérive, la vitesse vraie, et la vitesse propre on peut, à l’aide d’une règle à calcul jointe au dérivomètre, trouver l’angle exact dont la route doit être corrigée pour que, étant donné le vent régnant, on puisse tenir le cap désiré. Cette opération fait, en outre, connaître la direction et la force du vent.

Cette direction et cette force variant suivant l’altitude, il importe, si le ballon vient à s’élever ou à descendre, d’observer la dérive et la vitesse vraie, immédiatement après cette manœuvre. Ajoutons que, rarement sur de grandes distances, la brise demeure constante à la même altitude. Par suite, un dirigeable se déplaçant très rapidement, il est nécessaire de procéder pour ainsi dire constamment à des mesures de dérive et de vitesse, si l’on veut obtenir une route estimée exacte.

En raison de l’absence de bons points de repère, l’observation de la dérive au-dessus de la mer exige plus de temps qu’au-dessus de la terre ou au-dessus de la banquise. Si la surface de l’eau est agitée, on remarque que les crêtes blanches des vagues constituent des points fixes. Dès lors, on peut s’en servir pour mesurer la dérive, et même la vitesse, si elles sont étendues. Par mer calme, pour effectuer ces observations, nous jetions par-dessus bord de petites cartouches fumigènes fixées à des planchettes. Pendant notre traversée nocturne de la mer du Nord nous eûmes recours à ce procédé, leurs flammes formant points de repère.

Maintenant, quelques explications sur la mesure de la vitesse vraie avec l’appareil de Goerz.

Sa partie inférieure qui dépasse le plancher de la nacelle porte un prisme mobile sur un axe perpendiculaire à celui du dirigeable, qu’un engrenage met en relation avec une vis graduée au sommet de l’instrument. A angle droit du fil diamétral pour la mesure de la dérive dont il a été parlé plus haut, le prisme porte un second fil transversal à l’axe du navire. Selon la position du prisme on voit en avant, en arrière ou en-dessous de soi.

Veut-on procéder à une mesure de vitesse, on donne à l’instrument l’angle de dérive et on incline le prisme à +45°. Lorsque vous viserez au travers, la ligne de visée dirigée vers le sol passera à 45° sur l’avant de la verticale. Au moment où un accident de terrain se présente sur le fil diamétral, vous mettez en marche un compteur et replacez au 0 le prisme par lequel vous regardez verticalement en-dessous de vous. Lorsque l’accident de terrain passe de nouveau sur le fil diamétral, vous arrêtez le compteur. Vous obtenez ainsi le temps employé par le ballon pour couvrir une certaine distance angulaire sur le sol.

Des erreurs provenant de sources différentes peuvent entacher ces observations. Même si l’instrument a été vérifié et si pendant l’opération il est maintenu dans une position que les mouvements du ballon n’affectent pas, la valeur de la vitesse n’est pas certaine. Durant l’observation les pilotes gardent une grande stabilité de route ; mais après ils se relâchent, de sorte qu’en réalité la vitesse observée est supérieure à la vitesse de route. Par suite de l’effort on peut dire surhumain auquel nous avons été soumis pendant la traversée du bassin polaire en demeurant soixante-dix heures de suite aux volants, cette erreur a pu s’élever à 5 pour 100.

Selon la hauteur à laquelle on navigue, l’opération prend un certain temps, 30 secondes ou davantage ; aussi est-il possible que dans cet intervalle l’altitude du navire vienne à changer. En pareil cas, on doit faire état dans les calculs de l’altitude moyenne.

En outre, durant l’observation, des rafales peuvent survenir et affecter le résultat.

La principale source d’erreur provient de ce que l’altimètre ne donné pas toujours des indications exactes. Cet instrument se compose d’un anéroïde, qu’immédiatement avant l’appareillage, lorsque la nacelle repose sur le sol, on ramène à 0 ou à l’altitude du lieu. Tant que l’on survole une région où la pression barométrique est la même qu’au point de départ, l’altimètre fournit des données exactes. Mais, en général, il n’en va pas ainsi ; de là des erreurs pouvant être très importantes. Une variation de 9 mm. dans la pression engendre une erreur de 100 mètres dans la hauteur, par suite de 20 pour 100 dans la mesure de la vitesse.

Si l’on survole une région possédant des stations météorologiques et que leurs observations vous soient transmises par T. S. F., vous avez le moyen de corriger votre altitude. Cette ressource vous fait-elle défaut, voici une autre méthode.

Les observations de température faites à bord et les cartes du temps que l’on dresse également à bord donnent des indications sur les variations de la pression atmosphérique, et, dans certains cas favorables, sur l’ampleur de ces variations.

Par temps clair, un troisième procédé peut être employé. C’est de descendre assez bas pour que vous puissiez évaluer l’altitude du ballon à vue d’œil et avec un certain degré d’exactitude, ou mieux que l’on mesure avec précision cette altitude. Pour cela nous avions emporté un télémètre d’infanterie de 0 m. 70 de base. Cet instrument ne donne des résultats exacts que si le paysage renferme des lignes droites nettement marquées. En Italie et dans les autres pays d’Europe que nous avons survolés, de telles lignes se rencontrent fréquemment : voies de chemin de fer, bordures de trottoirs dans les rues ou de quais dans les ports. Aussi bien, pendant le voyage de Rome au Spitsberg, ce télémètre a-t-il été employé avec avantage. Au-dessus de la banquise je pensais m’en servir, en visant les bords des canaux qui la découpent. Malheureusement ces canaux ne s’étendent pas en ligne droite et ne présentent pas de bords nettement délimités ; par suite, cet instrument ne me fut d’aucune utilité.

Si le soleil se trouve haut sur l’horizon et s’il occupe une position telle que l’ombre du ballon se projette dans toute sa longueur sur la banquise, une quatrième méthode consiste à mesurer l’angle entre la partie avant et la partie arrière de l’ombre et l’angle entre la verticale et l’ombre. Ces deux données permettent le calcul de l’altitude. Dans le bassin polaire la faible hauteur du soleil, l’éloignement de l’ombre et son défaut de contours nets mirent obstacle à l’emploi de cette méthode.

Pour le même motif l’ombre ne peut servir à la mesure directe de la vitesse. Quand ce procédé est possible, voici comment on opère : on note sur un compteur l’intervalle de temps entre le passage de l’avant de l’ombre et celui de l’arrière sur un point choisi à l’avance. Pendant cet intervalle, le ballon a parcouru une distance égale à sa propre longueur. Je me servis de cette méthode pour vérifier les résultats fournis par le Goerz ; mais c’était un contrôle sujet à caution. Lorsque les contours de l’ombre ne sont pas nets, sa longueur ne correspond pas à celle du ballon. Dans ce cas, la valeur de la vitesse est trop forte. Les résultats obtenus par ces deux méthodes concordant assez bien, je les crus exacts et les utilisai pour l’estime. Mais je reconnus bientôt qu’ils étaient beaucoup trop élevés : les valeurs données par la méthode de l’ombre parce que les contours n’étaient pas nets, celles fournies par l’instrument parce que la pression barométrique avait varié. Chaque fois que j’observai une latitude, j’éprouvai une déception ; elle indiquait, en effet, que nous n’avions pas autant progressé que nous le pensions d’après les mesures de vitesse.

Au départ de l’Italie, nous avions à bord cinq espèces de compas. Trois étant inutilisables furent abandonnés en cours de route. A Pulham, nous embarquâmes un compas anglais de route apériodique. Comme compas étalon pendant le voyage au-dessus du bassin arctique, nous en employâmes un de marque anglaise du type apériodique et un second de la marque allemande Ludolp. Nous avions des instruments de même genre l’an passé à bord du N-25.

L’expérience de notre seconde campagne confirme les observations que celle de 1925 nous a suggérées. Il m’est impossible de dire quel est le meilleur de ces compas ; les deux types se complètent l’un l’autre dans les régions de l’extrême-nord, car ils ne donnent pas, en même temps, des indications erronées. La différence, c’est que le type apériodique revient lentement à la route, si sa rose s’en est trop écartée, et s’arrête sans oscillations, tandis que le type Ludolp revient rapidement vers sa position d’équilibre, mais après de longues oscillations. Les deux présentent donc des inconvénients, si l’on a peu de temps. Le type apériodique se mouvait si lentement que, croyant qu’il adhérait, je frappais sur le verre pour décoller la rose. Une autre fois, je fus tenté de donner un coup de poing sur le Ludolp, pour arrêter sa sarabande.

En général, les compas se comportèrent bien. Si j’accomplissais un troisième voyage dans l’Arctique, j’emporterais le même équipement. Les deux instruments n’éprouvant pas en même temps d’aberration, nous pouvions toujours nous fier à l’un ou à l’autre. A bord des aéronefs, les compas sont montés sur des suspensions à la cardan avec un système de bloquage.

Le compas de route était fort influencé par la chaîne du gouvernail de direction qui était très magnétique. Même à des latitudes méridionales, il éprouvait une variation de 5°, lorsque le gouvernail était porté d’un bord à l’autre. Dans le bassin arctique ce compas était donc très sujet à caution et devait être constamment comparé au compas étalon, lorsque l’absence de soleil empêchait d’employer le compas solaire. Cette circonstance apporta une notable addition à ma tâche ; jamais je n’entreprendrai une nouvelle exploration aérienne en dirigeable si les chaînes du gouvernail ne sont pas en fer non magnétique. Une fois, après avoir survolé le Pôle des Glaces, absorbé par d’autres observations, je négligeai de surveiller les compas ; résultat : nous fîmes un rond dans l’air.

Ceci dit, j’arrive à la description du compas solaire de Goerz que nous avons employé. C’est un périscope couplé à un mouvement d’horlogerie réglé de manière à le faire tourner de 360° pendant le temps moyen entre deux passages consécutifs du soleil au méridien supérieur. Tourne-t-on le périscope vers le soleil, son image réfléchie apparaîtra sur une plaque de verre, dont le centre est marqué par une croix. Si le compas est orienté vers le cap que l’on veut tenir, le pilote devra toujours maintenir l’image réfléchie sur ladite croix. Ce résultat est facile à obtenir, car il est beaucoup plus aisé de gouverner d’après un compas solaire que d’après un compas magnétique. On doit apporter à l’instrument une correction pour la déclinaison solaire, et une seconde si l’on vient à changer de latitude, l’axe du périscope devant demeurer parallèle à celui de la terre. Si ces corrections ne sont pas exécutées, l’image du soleil ne se réfléchira pas sur le fil horizontal de la croix, mais se déplacera parallèlement à ce fil, soit en dessus, soit en dessous, à une distance correspondant à l’erreur dans la correction. Cet instrument est si précis qu’il peut être employé à la détermination de la latitude. Le compas solaire était placé sur la paroi extérieure de la nacelle, en face du pilote de direction, sur un arc-boutant. Pour que l’instrument eût le champ libre suivant que le soleil se trouvait d’un côté ou de l’autre, il existait un arc-boutant de chaque bord. C’était à coup sûr la besogne la plus désagréable du navigateur de transporter ce compas d’un bord à l’autre. Il lui fallait, en effet, se pencher en dehors de la nacelle et manœuvrer de petites vis par une température glaciale et un vent de 80 kilomètres.

Pour les hauteurs solaires, je me servais d’un sextant de fabrication allemande, muni d’un horizon artificiel. Il était très maniable et donnait des résultats remarquablement précis.

Les chronomètres avaient été soumis pendant une longue période à de minutieuses comparaisons. A bord, ils étaient conservés dans une armoire possédant la même température que celle à laquelle ils avaient été soumis à terre. Pendant notre vol, leur marche fut contrôlée à l’aide des signaux horaires envoyés par les postes de T. S. F.

Jusqu’au 80° de latitude du côté du Spitsberg et jusqu’au 75° du côté de l’Amérique, nous nous servîmes de cartes établies sur la projection de Mercator, plus au nord, de cartes dressées sur la projection gnomonique. Nous avions, en outre, emporté une collection complète de cartes des côtes entourant le bassin polaire pour le cas où nous eussions été obligés de battre en retraite vers terre. Dans cette éventualité, Amundsen s’était procuré dans les différents services hydrographiques tous les documents publiés. Au cas où nous n’aurions pas atteint la côte septentrionale de l’Alaska, nous avions ainsi des éléments d’information pour choisir la meilleure route. Si un accident immobilisait le ballon, Amundsen avait décidé d’essayer de gagner l’île du Prince Patrick. En pareil cas, il se pourrait que des vents frais de nord-est nous entraînassent vers la côte septentrionale de Sibérie ; Wisting, qui venait de passer plus de trois ans dans cette partie du bassin polaire, serait alors pour nous un excellent guide.

Comme connaissance des temps, nous possédions le Nautical Almanach et le Norske Fiskerialmanak (Almanach du pêcheur norvégien). Ce dernier almanach est le seul donnant les azimuths jusqu’au 90° de latitude. Nous avions emporté également les éditions de 1927 pour le cas où nous aurions été forcés d’hiverner.

Afin de rendre accessible le passage suivant, quelques détails sur la navigation aérienne sont nécessaires. Une seule mesure angulaire sur un corps céleste ne donne pas la position de l’aéronef ou du bateau. Elle indique simplement que l’on se trouve sur un petit cercle, dont le centre est le point ayant au zénith l’astre observé et dont le rayon est égal à 90° moins la hauteur de l’astre. Ce cercle est dit le cercle du lieu. Il n’est pas nécessaire de le tracer. Dans la navigation ordinaire, l’erreur de l’estime n’est jamais très grande ; aussi suffit-il de calculer une tangente à ce cercle. Une seule observation indique simplement que l’on se trouve quelque part sur une droite de hauteur qui est cette tangente au cercle. Si l’on désire connaître sa position exacte, on doit, immédiatement après la première hauteur angulaire, observer un second astre à un relèvement différent du premier. L’intersection des deux droites indique la position du lieu.

Dans la journée, le seul astre visible est le soleil ; par suite, on doit attendre qu’il se soit suffisamment déplacé pour qu’une nouvelle observation donne une seconde droite de hauteur recoupant la première dans de bonnes conditions.

Dans l’intervalle des deux observations demeure-t-on immobile, la chose est simple ; se déplace-t-on, elle devient singulièrement plus compliquée.

Si pendant l’attente qui peut durer jusqu’à trois heures, on peut avoir une estime exacte, la position obtenue le sera également. Pour cela, on transportera la première droite de hauteur dans la direction de la route faite d’une longueur égale à la distance parcourue durant la période d’attente. L’intersection des deux droites de hauteur donne la position du lieu au moment de la seconde observation.

Lorsque la vitesse est relativement faible, comme c’est le cas dans la navigation maritime, l’erreur n’est jamais grande. Dans la navigation aérienne, la vitesse étant, au contraire, grande et difficile à contrôler, alors qu’une exactitude rigoureuse est souhaitable, ce procédé donne peu de satisfaction, en raison de la longueur de l’intervalle entre les deux observations. Je fais allusion à une navigation au-dessus d’une mer de nuages, quand on ne peut exécuter aucune mesure de vitesse et de dérive. Ainsi, pendant notre vol au-dessus de l’Alaska, nous ne pûmes effectuer aucune observation, tandis que le vent soufflait à raison de 80 kilomètres à l’heure environ. Si nous avions transporté la droite de hauteur, après la période d’attente, nous l’aurions tracée à plus de 200 kilomètres de sa véritable position. Dans une telle circonstance cette méthode ne saurait donc être employée.

Dans l’impossibilité d’obtenir une estime exacte, nous n’avons jamais cherché l’intersection des droites de hauteur. Nous calculions l’heure à laquelle le soleil passerait au méridien du lieu où nous nous trouvions, et, à ce moment, prenions une observation, qu’il fût midi ou minuit, à l’heure locale. Cette observation nous donnait une droite de hauteur est-ouest, soit la latitude. De la même manière, nous calculions l’heure à laquelle le soleil se trouverait exactement à l’est ou à l’ouest, nous obtenions ainsi une droite de hauteur nord-sud, soit la longitude. En outre, de ces heures, nous prenions également des observations, mais simplement à titre de renseignements.

Je dirai maintenant quelques mots du calcul d’une observation. Au nord du 85° de latitude, la différence entre l’angle horaire et l’azimuth est si faible que l’on peut réduire tout le calcul à une opération simple et rapide. On note l’heure ; l’on connaît alors le méridien sur lequel le soleil se trouve à ce moment, puis on soustrait la déclinaison de la hauteur mesurée. La différence est comptée du Pôle vers le soleil, si elle est positive, et, à partir du soleil, si elle est négative. A cette distance du Pôle, on trace une perpendiculaire au méridien, qui représente la droite de hauteur.

Au sud du 85° de latitude, cette méthode étant inexacte, j’employai celle de Saint-Hilaire (méthode des hauteurs). On calcule sa position estimée, puis la hauteur que le soleil aurait eue si l’on s’était trouvé en ce point. La différence entre cette hauteur calculée et celle observée est dite l’erreur de hauteur. On calcule ensuite la direction vraie du soleil au point estimé ; on la porte sur la carte et on construit la droite de hauteur perpendiculairement à cette direction, à une distance du lieu égale à la différence de hauteur. On obtient alors la droite correspondant à la hauteur observée, sur laquelle on doit se trouver.


Esquimaux de Teller (Alaska).

J’ai dit plus haut que, en règle générale, on ne peut se servir que du soleil pour les observations astronomiques. Exceptionnellement, il y a des périodes où la lune se montre en même temps que cet astre au-dessus de l’horizon. La lune est une visiteuse capricieuse, dont les apparitions sont courtes. Lorsqu’elle se montre dans le nord, elle manifeste un trop vif empressement à se diriger vers le sud. La date de notre vol ne correspondait pas à une de ses brèves visites. Pour les observations, nous ne pouvions donc nous servir que du soleil qui, à peine est-il besoin de le rappeler, demeurait toujours au-dessus de l’horizon. Au Pôle, le jour est continu pendant six mois et la nuit durant le même laps de temps. Théoriquement, on peut dire qu’au Pôle, depuis le commencement du monde, il a toujours été midi, car, en ce point, le soleil se trouve constamment au midi. Toutes les directions sont, en effet, sud. Il n’est pas inutile de rappeler ces circonstances astronomiques. Quelques jours avant notre départ du Spitsberg n’avons-nous pas reçu un télégramme d’un correspondant qui, en raison de sa situation, aurait dû être mieux informé, nous souhaitant un heureux voyage « à travers la nuit éternelle ». Dans le même ordre d’idées, je citerai un compliment poétique adressé à Amundsen, débutant par cette image : « Des froids du Pôle Nord aux ardeurs brûlantes du Pôle Sud. »

Ces explications sont certes un peu longues et tant soit peu techniques, mais elles étaient nécessaires pour que le lecteur pût comprendre comment nous avons pu nous diriger au-dessus du grand désert de la banquise polaire dans des conditions atmosphériques parfois très défavorables.

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