D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"

CHAPITRE IV
Construction de l’aérodrome au Spitsberg.

Éclairage des chantiers pendant la nuit polaire. — Approvisionnement en eau. — Achèvement de la charpente du hangar. — Préparation du béton par les froids polaires. — Transport du matériel au Spitsberg. — Couverture du hangar.

Par le lieutenant Joh. Höver.

Construire un aérodrome sur une terre polaire, et cela en plein hiver, constitue une entreprise unique en son genre ; aussi bien nous semble-t-il intéressant d’entrer dans quelques détails à ce sujet.

Disons d’abord que pendant leur séjour de six mois sur les bords de la baie du Roi, les ouvriers ne souffrirent en quoi que ce soit et ne manquèrent de rien. Aujourd’hui, un hivernage au Spitsberg ne présente pas de danger ; chaque année, des femmes et des enfants appartenant à la population ouvrière des charbonnages résident dans l’archipel pendant la nuit polaire et n’en éprouvent aucun inconvénient.

Aussitôt l’épi de la voie ferrée prolongé jusqu’à l’emplacement du hangar, le transport des matériaux apportés par l’Alekto commença. Il fut mené rondement ; une semaine durant, jour et nuit, des rames de deux à quatre wagons ne cessèrent de rouler. Après quoi, on construisit un atelier pour le montage des fermes du hall.

En même temps, des dispositions sont prises pour éclairer les chantiers. Depuis plusieurs jours, la nuit polaire enveloppe Ny Aalesund et pendant quatre mois ce sera l’obscurité complète. Pour parer à cette situation, l’expédition s’est assuré une grande partie de la production de l’usine électrique appartenant au charbonnage. En conséquence, on n’a plus qu’à installer une canalisation. En quelques jours 5.000 mètres de fil sont posés et des rangs de lampadaires dressés autour des sites du hangar et du mât et la lumière fut.

Dans un chantier, l’eau n’est pas moins nécessaire que la lumière. Or, pendant l’hiver, dans les régions polaires, elle n’existe qu’à l’état solide, et pour s’en procurer, on n’a d’autre ressource que de faire fondre de la glace ou de la neige. Nos gens n’eurent pas besoin de recourir à ce procédé ! Près de Ny Aalesund se trouve un lac qui, même par les plus grands froids, ne gèle jamais jusqu’au fond, en raison de la présence d’une source chaude dans sa cuvette. L’été précédent, une conduite avait été installée entre ce bassin et le village. Afin que l’eau ne gelât pas dans les tuyaux, on les avait enveloppés d’un double manchon de lichen et de foin, et, sur toute leur longueur, on avait posé un fil par lequel on faisait passer un faible courant électrique. Grâce à ce dispositif, l’approvisionnement en eau fut assuré pendant tout l’hiver.

Malgré les précautions prises, la tâche des ouvriers restait fort pénible. Songez qu’ils avaient à manier des planches larges de 0 m. 20, épaisses de 0 m. 03, recouvertes de glace et de neige. Ajoutez à cela qu’après chaque tempête et chaque chute de neige, il fallait passer de longues heures à déblayer les matériaux de la couche qui les recouvrait. Grâce au zèle de tous, les constructions n’en avancèrent pas moins rapidement.

Le sol sur lequel le hall devait être érigé présentait une légère pente. Le temps faisant défaut pour l’aplanir, on établit un plancher horizontal sur des poutres entretoisées. Ce pénible travail ayant été terminé vers la Noël, aussitôt après on commença l’érection des piliers.

L’ensemble de la construction se composait de 46 demi-fermes ou piliers faisant office de fermes, hauts de 31 m. 40. Ils furent préparés en deux morceaux et montés ensuite.

Tantôt éclatait une tempête, tantôt le thermomètre descendait à 35° sous zéro. Au début de février, une tourmente ensevelit le chantier sous une telle épaisseur de neige, que le toit de l’atelier haut de 7 mètres au-dessus du sol disparut pour ainsi dire. Mais aucune intempérie n’arrêta nos hommes ; aucun contretemps n’eut raison de leur ardeur au travail, et le 15 février ils achevaient la charpente du hangar. Pour fêter cet événement, le pavillon national fut hissé au sommet du hall, aux acclamations de toute l’assemblée. Un nombre donnera une idée représentative de l’effort accompli dans les conditions que nous venons de décrire : mises bout à bout, les planches employées dans cette construction atteindraient une longueur de 25 kilomètres !

Tandis que les charpentiers dressaient le hangar, les cimentiers établissaient les fondations du mât d’amarrage. Elles consistaient en trois massifs de ciment armé de 40 tonnes, surmontés d’une tête de boulon à œil. Dans ces têtes de boulon seraient engagés les trois sommets du triangle équilatéral de 6 mètres de côté formant le pied de l’appareil. Le sol étant profondément gelé, la mine fut nécessaire pour creuser les excavations destinées à recevoir les blocs en question. Chaque explosion ne procurant qu’un gain modique, de nombreux fourneaux durent être forés avant d’attendre la profondeur désirée. En vérité ce fut une œuvre remarquable de patience.

Les matériaux nécessaires à la préparation du béton armé étaient heureusement abondants et à proximité. Une plage située à quelques centaines de mètres du chantier fournissait un excellent sable et les énormes amas de déblais provenant de la mine, les gravillons. Comment a-t-on réussi à couler du béton par des froids de 20 à 30°, c’est ce que nous allons expliquer. Pour sa préparation, on employait de l’eau provenant des chaudières de l’usine électrique. Versée bouillante dans des bacs ayant une capacité de 2 mètres cubes, elle était transportée sur un traîneau au chantier où, après ce trajet, elle arrivait encore suffisamment chaude. D’autre part, le sable et les cailloux étaient échauffés sur des feux de charbon. Le combustible ne manquait pas ; 30.000 tonnes de houille étaient entassées sur le carreau de la mine. Enfin, pour assurer la prise, les fondations du mât furent recouvertes d’un baraquement soigneusement clos. Grâce à ces précautions, 200 mètres cubes de béton purent être préparés avec succès au cours de l’aménagement de l’aéroport.


Le « Norge » au mât d’amarrage d’Oslo.

Dès la Noël, on commença la construction des seize gros blocs d’ancrage sur lesquels des haubans fixés aux fermes du hangar seraient frappés. Ce dispositif avait été adopté pour augmenter la résistance de la charpente aux coups de vent.

Tous ces différents travaux terminés, les ouvriers jouirent d’une semaine de repos ; ils l’avaient bien gagnée.

Pour que l’aérodrome pût recevoir le ballon, il ne restait plus qu’à couvrir de toile le hangar et à dresser le mât d’amarrage. Or ces matériaux n’arrivèrent qu’à la fin de mars par suite de retards dans les transports.

Le 9 mars seulement, le vapeur Cygnos mouilla à Trondhjem, apportant d’Italie les pièces de rechange du ballon, les cylindres d’hydrogène, les deux mâts destinés au Spitsberg et à Vadsö, bref tout le matériel aéronautique. Aussitôt le navire à quai, on transborda sa cargaison sur le Hobby qui devait l’amener à la baie du Roi, opération qui ne laissa pas d’être délicate. Les parties inférieures des poutrelles d’angle des mâts étaient longues de 5 mètres et pesaient une tonne et demie. La manutention de pareilles charges sur un bateau de faible tonnage présenta de sérieuses difficultés. On eut ensuite à charger 140 caisses, dont le poids variait de 50 à 650 kilogrammes ; les plus légères contenaient les soupapes à gaz, les plus lourdes les moteurs et les gouvernails de rechange. Notons que, dans ces derniers colis, les emballages pesaient huit fois plus que les appareils eux-mêmes. Le Hobby emporta, en outre, 900 cylindres d’hydrogène, soit 144 tonnes ; chaque cylindre contenait 100 litres de gaz sous une pression de 100 atmosphères, correspondant à deux mètres cubes de gaz à la pression d’une atmosphère. On embarqua, de plus, de l’huile, de l’essence, enfin la couverture du hangar, 10.000 mètres carrés de toile de fabrication française.

Le 24 mars, le Hobby entrait dans la baie du Roi, entièrement libre de glace comme en plein été. Dès l’arrivée du navire, les chantiers de Ny Aalesund prirent une nouvelle activité.

On commença par tendre la toile sur la charpente du hall ; pour cela, elle avait été divisée en 44 pièces de 30 mètres de haut sur 5 de large, correspondant à l’intervalle existant entre deux travées. L’amarrage de toutes ces toiles exigea, cela va sans dire, des kilomètres de corde. L’installation de la porte ou plutôt du rideau fut plus compliquée. Si le rideau tombait perpendiculairement, il subirait une pression formidable, lorsque le vent soufflerait en tempête, et, de ce fait, l’édifice éprouverait un ébranlement. Afin de remédier à cet inconvénient, au moyen de câbles la toile fut tendue en avant de la porte, de manière à ce qu’elle prît la forme d’une demi-pyramide, dont le sommet se trouvait à environ 25 mètres de l’entrée. Grâce à ce dispositif, le vent n’exerçait plus de pression normale sur la toile et se trouvait rejeté sur les côtés.

La manœuvre du rideau était obtenue par deux treuils, placés l’un à droite, l’autre à gauche de la porte, agissant sur des jeux d’anneaux glissant sur les montants.

En même temps que l’on mettait en place la couverture du hall, on s’occupait du mât d’amarrage. En une semaine, l’ingénieur Luné réussit à le dresser. Après avoir monté l’appareil sur le sol, il engagea deux de ses pieds dans les boulons à œil fixés aux deux blocs antérieurs de la fondation et, sur la charnière ainsi obtenue, le mât fut levé d’une seule pièce au moyen de treuils et de palans. Notez qu’il mesurait une hauteur de 35 mètres et atteignait un poids de 14 tonnes, et vous vous rendrez compte de la délicatesse de l’opération.

Ainsi, au début d’avril, l’aérodrome du Spitsberg se trouvait dans un état d’avancement très satisfaisant.

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