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D'Europe en Amérique par le pôle nord : $b voyage du dirigeable "Norge"

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AVANT-PROPOS

A quelle pensée Amundsen a-t-il obéi en se lançant en dirigeable au-dessus des immensités glacées qui entourent le Pôle Nord ? Quel intérêt présente cette téméraire entreprise ? Il importe de l’expliquer au seuil de ce récit.

Pour cela, un peu de géographie est indispensable. Rappelons donc que la calotte arctique du globe est occupée par une vaste cuvette océanique, au milieu de laquelle se rencontre le sommet boréal de l’axe de rotation terrestre et que cette cuvette est entièrement et en toutes saisons remplie d’épaisses banquises. Quel obstacle ces amas de glace opposent à la pénétration, l’histoire de l’exploration polaire le démontre lumineusement. Des centaines de navires qui ont tenté de se frayer un passage vers l’extrême nord, un seul, le Fram de Nansen, a réussi à parcourir un secteur étendu de cet océan congelé, et, des centaines de pionniers partis à l’assaut du Pôle arctique, en cheminant à pied sur la banquise, un seul, Peary, a touché le but et deux autres en ont approché à 400 kilomètres, Nansen et l’amiral italien Cagni, le second de l’expédition du duc des Abruzzes. Quatre itinéraires à travers d’aussi vastes espaces, autant dire que la cuvette boréale est demeurée inconnue. Avec le continent qui entoure le Pôle Sud, c’est la dernière grande tache blanche que les cartes du monde gardent encore. Aussi bien, se demande-t-on, si au delà de la guirlande de vastes terres qui en dessinent les bords, au delà du Grönland, du Spitsberg, de la terre François-Joseph, des archipels de la Nouvelle-Sibérie et de l’Amérique boréale, l’Océan arctique ne renferme pas des îles demeurées mystérieuses derrière les glaces qui en défendent l’accès. Au nord de l’Europe et de la Sibérie, cela n’est guère vraisemblable, étant donné les énormes profondeurs découvertes par Nansen dans cette partie du bassin polaire. Par contre, il y a doute pour la région située au delà du détroit de Bering et de la côte septentrionale de l’Alaska.

De l’étude des marées dans ce secteur, un spécialiste a conclu à l’existence d’une grande terre entre le Pôle et la côte nord-ouest de l’Amérique, tandis qu’en s’appuyant sur les manifestations de ce même phénomène un savant norvégien soutient une opinion diamétralement opposée. Ces hypothèses, impossible de les vérifier par l’observation. Nulle part, dans le monde arctique les banquises ne sont aussi compactes qu’au delà du détroit de Bering. De l’entrée septentrionale de ce goulet jusqu’au Pôle, sur des centaines et des centaines de kilomètres, dans tous les sens, les glaces demeurent serrées, agglomérées en un gigantesque embâcle. C’est le maximum de glaciation marine existant dans l’hémisphère boréal, le Pôle des Glaces suivant l’expression adoptée aujourd’hui pour faire ressortir cette situation extraordinaire.

Pénétrer dans cette région inaccessible par la voie des airs, la seule qui soit ouverte, afin de pouvoir se rendre compte de sa nature, tel a été le dessein d’Amundsen. Pour le réaliser, il envisagea d’abord l’emploi de l’avion, et, afin d’expérimenter ce moyen de locomotion dans la zone arctique, le 21 mai 1925, avec deux appareils, il s’envolait du Spitsberg vers l’extrême Nord. Quelles péripéties dramatiques marquèrent ce raid mémorable, nos lecteurs en ont certainement gardé le souvenir. Obligée d’amerrir au milieu de la banquise, ce fut miracle que l’expédition ne se perdît pas corps et biens en arrivant sur la glace ; ce fut miracle beaucoup plus grand qu’elle réussît ensuite à prendre son vol pour revenir au Spitsberg[1]. Si Amundsen n’avait pu pénétrer vers le nord aussi loin qu’il l’avait espéré, cette campagne avait été en revanche pour lui fertile en enseignements. Elle lui avait démontré qu’avec ses multiples hérissements de monticules et de blocs, la banquise ne constitue un terrain propice ni aux départs ni aux atterrissages. En conséquence, au lieu de se servir d’avion, il résolut d’employer un dirigeable pour pénétrer au milieu de l’inconnu polaire. Cette fois, le succès a récompensé l’audace du célèbre explorateur. En trois jours, il a survolé tout le bassin arctique depuis le Spitsberg jusqu’au détroit de Bering, en passant par le Pôle, mais au prix de quels dangers ! Dans les airs, Amundsen pensait n’avoir plus à combattre la glace ; il avait compté sans le givre ; des heures et des heures il lui a fallu lutter contre cet ennemi sournois et peu s’en fallut qu’il n’amenât une catastrophe. C’est le récit de cette audacieuse randonnée aérienne que nous offrons, aujourd’hui, au public ; fécond en épisodes dramatiques, il présente l’intérêt d’un roman d’aventures, en même temps qu’il renferme une émouvante leçon d’énergie et de volonté.

[1] Expédition Amundsen-Ellsworth : En Avion vers le Pôle Nord, par Roald Amundsen. Traduit du norvégien et adapté par Charles Rabot. Paris, Albin Michel.

Charles Rabot.

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