Journal et fragments : $b Publiés avec l'assentiment de sa famille par G. S. Trébutien
X
Le 9 janvier [1840]. — La fin de mon dernier cahier a coupé net M. Sainte-Beuve ; je reprends par vous et pour vous causerie et écriture, ce journal de sœur qui se continue au continuateur de Maurice, avec mes croyances, mes convictions, mes réflexions, qui en sont la conséquence, ma manière d’être et de sentir, ce de moi à vous et que vous ne voudriez pas autre, comme vous venez de me le dire, et comme je viens de le lire au soleil dans le bois de Sept-Fonts, à la place où j’allais m’asseoir avec Maurice. C’est là aussi que j’ai lu souvent de ses lettres, comme je viens de lire la vôtre, seule devant Dieu. Suivant la lecture et l’état de ces pauvres frères, je le prie ou bénis, et m’en retourne, repliant dans ma poche et en mon cœur cette bien-aimée écriture. La vôtre aujourd’hui ne m’a pas fait trop de mal ; vous paraissez moins abattu que de coutume, et ce mot : Je suis quelquefois religieux par raison, m’a fait plaisir. Espérons ! la foi au cœur peut venir, la croyance par sentiment, vous l’aurez peut-être. C’est un effet de la grâce, et on la demande pour vous ; à deux cents lieues de Paris, dans un désert, il est une âme qui demande à Dieu le salut d’une âme. Les affections qui nous tombent du ciel et y remontent sont bien fortes. C’est la charité qui soulèverait le monde pour un élu. Vous me comprendrez. Maurice m’occupait une grande partie du cœur ; lui ôté, Dieu s’avance dans cette place restée vide, et bientôt tout sera envahi, et tout en moi porté là-dessus, comme l’arche sur les eaux, tout ce qui s’est sauvé du déluge.
Le 10. — Presque résolue de ne pas écrire, jour de privations ; mais la vue de ce papier blanc me tente la main qui se laisse aller doucement là-dessus, et y marque une pose rare dans le calme. Lu la vie de saint Paul ermite, qui, après cent ans de solitude, demandait ce qui se passait dans le monde. Quelque jour, mais pas si tard apparemment, je pourrai faire la même question ; car je ne pense plus sortir d’ici, du fond de ce Cayla où Dieu m’a mise, où je me trouve bien, où je ne désire rien, où tout ce qu’il me faut m’arrive comme à Paul par le corbeau merveilleux, par quelque moyen inattendu et de providence. N’est-ce pas vrai tant pour la vie du cœur que pour l’autre ? J’ai toujours eu besoin d’amitié, et il m’en est venu comme du ciel de rares, d’introuvables, qu’on ne peut ni faire ni imaginer, et tout d’abord dans mon frère, ce cher Maurice que j’ai perdu. Louise datait d’avant. Celle-ci est pour moi d’un différent goût : fruit d’une autre saison. Je l’ai rencontrée à dix-sept ans. Son charme est à part, comme l’âge où nous nous sommes liées ; quoi qu’il soit survenu de triste, nous nous voyons à travers des fleurs. Rayssac, charmant paysage où je vois en bas la jeunesse ; à cela, Paris, les Coques contrastent en noir, et dans l’éloignement, sous la même vue, le Cayla avec une tombe. Tout pour moi maintenant finit là et s’y rattache. Voilà pourquoi je ne voudrais plus m’éloigner d’ici, pour toujours garder et regarder cette chère tombe. Mon regard cependant ne demeure pas tout là ; il monte au ciel, où est le meilleur de ce que je pleure, au ciel qu’on voit de partout, où de partout je pourrai voir où est Maurice. Ainsi, si Dieu m’appelait ailleurs, j’irais ; cette raison de cimetière ne m’empêcherait pas d’un devoir de charité, ou d’amitié, ou de vocation, où qu’il fût. Le chrétien est-il d’aucun lieu ?
Le 11. — O Marie, Marie ! quelle femme avec sa tendresse, sa vive et si délicate et si entendue façon d’amitié ! Je la retrouve avec ses charmes dans la boîte tant attendue, toute pleine d’objets choisis par elle pour moi. Que j’aime surtout la statuette de la Vierge, cette céleste envoyée m’apportant tant de pensées du ciel !
Le 19. — Hier, je vous ai écrit une longue et bien franche lettre, véritablement comme à lui-même, en parler de ma façon, comme il vient. Je ne saurais pas me changer, il y paraîtrait, n’ayant jamais dissimulé nulle chose. Et pourquoi, quand on n’a risque ni de déplaire, ni de se compromettre ? Je vous envoie mes pensées, ma vie en sûreté : confiance la plus grande qu’une femme puisse donner, qui met bien haut dans son estime celui en qui elle croit.
Six mois, six mois aujourd’hui de cette mort, de cette séparation ! Mon Dieu, que le temps est rapide ! il me semble que c’est d’hier. D’où vient cela, que tant d’événements, d’autres choses, soit douloureuses ou non, qui touchent à ce cher ami, me semblent dans un lointain infini : tels son dernier départ d’ici, mon arrivée à Paris, son mariage, et que sa mort soit toujours là récente, présente ? Je le vois : il y a six mois, et c’est comme s’il n’y avait rien du tout, tant on y touche par l’âme ! il n’y a ni temps ni espace pour l’âme, cela fait bien voir que nous sommes esprits. Oh ! tant mieux, tant mieux de n’être pas bornés par ce temps si court et si triste ! de n’être pas tout en ce corps de si peu de chose ! Convenons-en, la foi nous ouvre de belles perspectives. Mais quelle douleur de penser qu’il y en a qui ne feront que les apercevoir, sans y atteindre par la possession, par la jouissance en l’autre vie, hélas ! comme il adviendra à ces pauvres chrétiens de nom, hommes sans œuvres, sans pratique de foi ! C’est martyre d’avoir des amis de la sorte.
Le 21 janvier. — Pauvre Louis XVI ! J’étais enfant que je vénérais ce martyr, j’aimais cette victime dont j’entendais tant parler dans ma famille aux approches du 21 janvier. On nous menait au service funèbre à l’église, et je regardais fort le haut catafalque, trône lugubre du bon roi. Mon étonnement m’impressionnait de douleur et d’indignation ; je sortais pleurant cette mort et haïssant les méchants qui l’avaient faite. Que d’heures j’ai passées cherchant par quels moyens j’aurais pu sauver Louis XVI et la reine, et toute la malheureuse famille, si j’avais vécu de leur temps ! Tout calculé, cherché, combiné, rien de bon ne se présentait guère, et je laissais ces prisonniers fort à regret. Le beau petit dauphin surtout me faisait compassion, le pauvre enfant, entre des murs, ne pouvant plus jouer en liberté. Celui-là, je l’emportais, je le cachais ici au Cayla, et Dieu sait le bonheur de courir avec un prince dans nos champs ! Que de rêves au sujet de la triste famille !
Il y a deux sortes d’hommes qui m’inspirent répulsion : les régicides et les impies. Pour si débordé que soit un jeune homme, je l’estime toujours quelque peu, s’il est réservé sur la religion. J’ai vu avec une profonde satisfaction que, dans la correspondance de Malise Allen avec Georges, il ne se trouvait pas une plaisanterie incrédule. Oh ! que cela m’a consolée ! que d’espoir j’ai mis en ce bon côté restant ! Je ne me suis pas trompée du moins pour Georges ; quant à Malise, je ne sais, l’avenir nous l’apprendra. C’est encore un fameux pécheur, une sorte d’Augustin, que Dieu a à conquérir sur le monde.
Le 22. — Il y a des jours où l’âme se retourne plus que de coutume vers le passé, où elle revoit à tout moment ce qu’elle a perdu. Ces visions lui plaisent ; quoique tristes, on les conserve, on y demeure, on vit dans l’ombre de ce qu’on a aimé. Tout aujourd’hui je vois passer et repasser cette chère figure pâle ; cette belle tête pose en moi dans toutes ses poses, souriante, éloquente, souffrante, mourante ; surtout je me suis arrêtée, je ne sais pourquoi, à le voir chez l’abbé Legrand, vicaire de la paroisse, quand nous allâmes lui parler pour les arrangements du mariage. Je me trouve dans ce salonnet, décoré de croix, de saintes gravures, de beaux meubles et de beaux livres d’un goût pieusement exquis ; là, tout éclatante de paroles et d’air affairé ; Maurice dans le plein calme du visage et de la voix, sur un fauteuil, laissant tomber parfois quelques mots ; l’abbé causant avec distinction, tout surpris de plaisir quand, par hasard, je lui nomme l’abbé de Rivières, un de nos voisins, qu’il a connu à Saint-Sulpice. Je revois cela, et quand, abordant la question religieuse sur ce qui nous amenait, l’abbé toucha avec un tact parfait les préparations chrétiennes, Maurice répondit en homme qui comprend et qui croit. J’en fus touchée, l’abbé de même, peut-être avec surprise. Je remarquai tout, tout m’est resté. Je ferais tableau du jeune prêtre et du fiancé chrétien en ce moment. Maurice était parfait. Frère bien-aimé !
Le 23. — Pourquoi des larmes montent-elles ce matin ? pourquoi ce retombement dans la douleur et l’angoisse ? Demandez au malade pourquoi son mal lui revient ! il n’y a que suspension aux souffrances ; si j’étais près d’une église, je m’en irais les y apaiser, me perdre, m’absorber dans la communion. Dans cet acte de foi et d’amour est tout mon soutien, toute ma vie, même celle du corps peut-être. Dieu me prend en lui ; et que ne peut l’amour tout-puissant sur une âme qu’il possède ! La consoler d’abord, de ce qu’elle souffre en aimant.
Le 24. — Ces paroles sont bien mystiques, incompréhensibles peut-être à qui n’a pas le sens pieux d’un sacrement ineffable, d’un mystère d’amour divin, la plus étonnante chose de Dieu pour les hommes. Galimatias spirituel pour le monde, tout ce qu’on en pourrait dire ; mais ceci n’est pas pour le monde, et les solitaires peuvent mettre sur leur papier ce qu’ils veulent. C’est l’imprimerie cachée de mon âme qui se fait sur ce cahier, j’y trace tous ses caractères. Quelquefois je dis : « A quoi sert ? A qui serviront ces pages ? Ce n’était de prix que pour lui, Maurice, qui retrouvait là sa sœur. Que me fait de me retrouver ? » Mais si j’y trouve une distraction innocente, si je m’y fais une pause dans les fatigues du jour, si j’y mets pour les y mettre les bouquets de mon désert, ce que je cueille en solitude, mes rencontres et mes pensées, ce que Dieu me donne pour m’instruire ou pour m’affermir : oh ! il n’y a pas de mal sans doute. Et si quelque héritier de ma cellule trouve cela et trouve une bonne pensée, et qu’il la goûte et devienne meilleur, quand ce ne serait qu’un instant, j’aurai fait du bien. Je veux le faire. Sans doute, je crains de perdre le temps, ce prix de l’éternité ; mais est-ce le perdre de l’employer pour son âme et pour une autre ? Qu’ai-je à faire d’ailleurs qu’à coudre ou à filer ? Si mes doigts étaient utiles au ménage, je ne les mettrais pas ici, je n’ai jamais donné le devoir au plaisir. Mais puisque ma bonne sœur veut bien prendre sur elle ces soins matériels, qu’elle m’en décharge avec autant d’amitié que d’intelligence, puisqu’elle est Marthe, je puis bien être Marie. Oh ! le doux rôle de mon goût ! Quand quelquefois tout s’agite et bruit en la maison, et que j’entends cela du calme de ma chambrette, le contraste me fait délices ; dans mon haut reclusoir, je sens quelque chose des stylites sur leur colonne. Mais, discoureuse que je suis ! me voilà bien loin de mon premier mot, de mon idée sainte. Oh ! les courants de l’âme, qui les suivra ? On les remonte. Je retrouverai celui-ci quelque autre fois.
[Le 25.] — C’est bien fait pour l’écrire ! une lettre de ma chère Marie, sur mon chevet, à mon réveil ce matin. Aurore d’un beau jour, tant en moi qu’au dehors : soleil au ciel et dans mon âme : Dieu soit béni de ces douces lueurs qui ravivent parmi les angoisses ! Je sais bien que c’est à recommencer, mais on s’est reposé un moment et on marche avec plus de force ensuite. La vie est longue, il faut de temps en temps quelques cordiaux pour la course : il m’en vient du ciel, il m’en vient de la terre, je les prends tous, tous me sont bons, c’est Dieu qui les donne, qui donne la vie et la rosée ! Les lectures pieuses, la prière, la méditation fortifient ; les paroles d’amitié aussi soutiennent. J’en ai besoin : nous avons un côté du cœur qui s’appuie sur ce qu’on aime ; l’amitié, c’est quelque chose qui se tient bras à bras. Comme Marie me donne le sien tendrement, et que je me trouve bien là ! Ainsi nous irons jusqu’à la mort : Dieu nous a unies.
Le 26. — Il y a deux ans, ici, à la même place, dans la même chambre d’où il venait de sortir, je pleurais. Jamais sien départ ne m’avait tant brisé l’âme, c’était comme un pressentiment que ce serait le dernier. Lui aussi s’en fut plus affligé, plus retenu que de coutume. Ces six mois avec nous, étant malade et tant aimé, l’avaient fort rattaché ici. Cinq ans sans nous voir lui avaient fait perdre peut-être un peu de vue notre tendresse ; l’ayant retrouvée, il y avait remis toute la sienne ; il avait si bien renoué tous les liens de famille, en nous quittant, que la mort seule aurait pu les rompre. Il m’en avait donné l’assurance. Ses erreurs étaient passées, ses illusions de cœur évanouies ; par besoin, par goût primitif, il se ralliait à des sentiments de bon ordre. Je savais tout, je suivais ses pas ; du cercle de feu des passions (bien court pour lui), je l’ai vu passer dans celui de la vie chrétienne. Belle âme, âme de Maurice ! Dieu l’avait retirée du monde pour la retirer au ciel. Hélas ! que tout cela me revient, que j’en suis suivie, entourée, aujourd’hui, triste anniversaire de notre séparation ! De ce jour nos rapports intimes ont été brisés ou dehors : il s’en allait…
S’il fût resté ici, si ce fatal hiver se fût passé au Cayla, le pauvre jeune homme ne serait pas mort. L’air de Paris lui était mauvais évidemment, il retombait malade en arrivant ; puis tant de choses qui ont tourné à malheur ! Il s’est fait un enchaînement de circonstances, d’événements, qui l’ont conduit au cimetière, et cela sans qu’on ait su comment l’éviter. O fatalité ! si je croyais à la fatalité. Mais non, c’est Dieu qui nous mène, Dieu tout bon, quoique la nature gémisse, quoiqu’on soit tous malheureux, sans qu’on sache pourquoi. Comprenons-nous le mystère de rien ? Celui des souffrances me fait croire à quelque chose à expier et à quelque chose à gagner. Je le vois dans Jésus-Christ, l’homme de douleurs. Il fallait que le Fils de l’homme souffrît. Nous ne savons que cela dans les peines et calamités de la vie. La raison des choses est en Dieu. C’est le secret du gouvernement que le souverain se réserve. Se soumettre à ce qui advient, c’est unir notre volonté à la sienne, c’est la diviniser, c’est la porter aussi haut que l’homme puisse atteindre. Aussi je trouve dans l’acte de résignation chrétienne, qui peut sembler une acceptation passive, une sorte d’affaissement sous la nécessité ; j’y trouve, dis-je, le mouvement le plus sublime de l’âme. Il est tout de foi, il porte tout à coup de la terre au ciel. Si tous les affligés croyaient en Dieu, non d’une croyance du monde, mais d’une croyance de catéchisme, on ne verrait pas tant de suicides. Oh ! le suicide, qu’il me fait frémir !
Le 27. — Trois douces heures à écrire à Marie. Note du cœur. Je marque toutes ses lettres et les miennes pour retrouver les jours où nous avons causé, qui font époque. Je n’en ai pas de plus chères que ces épanchements d’amitié. Tout, hormis ce qui me touche à l’intime, passe en ma vie sans sensations. Tout m’est indifférent de ce qui est affaires, cours du monde, nouvelles ; quoi qu’il se passe sur la terre, je n’en suis plus. Ici ma présence, mon âme au ciel. Ce petit cahier est la seule chose pour laquelle je me détourne un peu de mes pensées d’habitude. Et encore est-ce pour les y reposer.
Aujourd’hui il se marie à Gaillac une de nos cousines qui nous voulait à sa noce ; mais c’est fait de noces ! Je ne saurais même dire combien cette invitation, cette vue de fêtes m’a attristée.
Le 28. — Saint François de Sales, celui que Rousseau appelait le plus aimable des saints, m’a fort occupée aujourd’hui. C’est sa fête que j’aime particulièrement, que je fais en mon cœur en lisant cette belle vie, en pensant aux choses qu’elle a faites, conversions, écrits, lutte de vingt ans contre la colère, douceur divine dans cette fougue, au point d’être comparé au Sauveur du monde, ineffables traits de charité, dires charmants tels que ce mot : « Il vaut mieux taire une vérité que de la dire de mauvaise grâce », tendresse de cœur débordante, compassion maternelle pour les pécheurs, enfin, mille choses célestes, mille perles qui couronnent le front de ce bienheureux, m’y attirent l’âme, me le font aimer, vénérer, invoquer d’une façon particulière. Le cœur au ciel a ses élus aussi, et ceux-là du moins ne font pas souffrir pour leur bonheur ! Il faut tout dire : à mes prédilections spirituelles pour ce saint il s’en joint une un peu humaine, les de M… sont alliés aux de Sales, Marie est parente de saint François, de sorte que l’amitié et la sainteté me font relique et s’enchâssent ineffablement au cœur l’une dans l’autre.
Le 1er février. — Du monde pendant deux jours ; cela passé, je remonte à ma solitude avec trois lettres d’amies et un regret de départ. Parmi ces visites se trouvait le confesseur de Maurice, ce bon M. Fieuzet, qui vient de temps en temps prier sur cette tombe et voir où nous en sommes en tristesse. C’est l’âme de prêtre la plus saintement tendre, qui porte sur le fond le plus doux l’austérité de son ministère, Évangile imprimé sur velours. Je fus bien consolée de le voir au lit de mort de Maurice. De quoi vais-je me souvenir ? Oh ! qu’un tel prêtre, qu’un saint prêtre m’assiste aussi dans mon agonie ! Ainsi mes cahiers s’emplissent de tristesse, de choses lugubres, de vues de mort : ma vie s’en va toute maintenant sur ce fond noir avec un peu de sérénité de ciel par-dessus.
Le 3. — On me presse d’aller à Gaillac. Non, je ne puis m’ôter d’ici ; ma vie se plaît toute petite au plus petit endroit possible, là où j’ai mes chers vivants et mes morts.
Le 4. — J’aurais bien une lettre à écrire, mais j’aime mieux tourner ma plume ici ; ici par goût, ailleurs par convenance, et la convenance est bien froide. Le cœur ne s’y plaît pas, il s’en détourne, s’en retire tant qu’il peut. Hormis les devoirs, je le laisse. La lettre, je la ferai ; c’est peu de chose d’ailleurs, et ce n’est pas grand effort de surmonter un court ennui. Il en est de si longs qu’il faut tenir jusqu’au bout. Les uns accoutument aux autres. Les petits combats mènent aux grands et y forment. Ces contre-goûts sont bons comme une amertume, ils font agir la volonté pour les prendre et fortifient ensuite. Si tout nous venait en douceur et plaisance, que serait-ce de nous à la fin, au choc terrible de la mort ? Il est bon de prévoir cela. De là vient que les solitaires, tous les saints, ces hommes qui entendent si bien l’âme, se vouent au sacrifice, se privent volontairement, se font mourir tous les jours rien qu’en cette vue qu’il faut mourir. Ils sortent aussi bien doucement de ce monde. On m’a parlé d’une jeune fille, religieuse à Alby, qui s’est mise à pleurer de joie quand elle a entendu les médecins dire entre eux qu’il n’y avait plus d’espérance.
Je ne sais pourquoi, du temps du choléra, je me faisais aussi comme un bonheur de mourir, j’enviais toutes les agonies. Cela m’impressionnait au point d’en parler à mon confesseur. Était-ce langueur de jeunesse, était-ce désir du ciel ? Je ne sais. Ce qui est sûr, c’est que c’est passé ou à peu près. Je me trouve vis-à-vis de la mort dans des sentiments de soumission, quelquefois de crainte, rarement de désir. Le temps nous change. Ce n’est pas en cela seul que je m’aperçois de l’âge. Quand j’aurai des cheveux blancs, je serai tout autre encore. O métamorphoses humaines, s’enlaidir, vieillir ! Pour se consoler de cela, on a besoin de croire à la résurrection ! Comme la foi sert à tout ! Oui, cette pensée de la résurrection pour tant de femmes qui se font un amour de leur corps, un bonheur de leur beauté, leur serait bonne à la fin de leurs charmes, et il peut se faire que plus d’une belle chrétienne s’en serve, de celles à qui vient grand chagrin du visage. Celle-là, par exemple, qui disait : « Ce n’est rien de mourir, mais de mourir défigurée ! » C’était l’insupportable pour elle. Pauvre femme ! J’en ris beaucoup alors ; à présent j’en ai compassion, je souffre de voir qu’on ne porte pas son âme plus haut que son corps. Qui sait ? Si j’étais jolie, peut-être ferais-je de même.
Le 5. — Quelle lecture, quelle amitié, quelle mort, quel rapprochement ! quelle impression j’en ai dans l’âme ! Je veux parler des derniers moments d’Étienne de La Boëtie que j’ai rencontrés au fond d’un livre de Montaigne. Sachant que ces deux hommes s’aimaient beaucoup, j’ai été touchée de savoir comment s’était faite leur séparation, et j’en ai le cœur dans les larmes. C’est si douloureux de voir mourir, surtout quand cette mort vous en rappelle une autre ! Que de traits saillants m’ont frappée dans cette vie sitôt faite, dans cette âme s’en allant jeune de ce monde, et si belle, si élevée, si chrétienne, si exquise de douceur et d’amitié ! Oh ! vraiment, j’ai trouvé Maurice aux beaux endroits, et vous et lui dans l’étroite union et si profonde de ces deux amis. Mais vous manquiez aux derniers moments du vôtre. Que j’ai eu regret à cela, et que la distance vous eût séparés à ces derniers jours ! Je veux vous dire comme ils se sont passés, car cela manque aux détails que je vous ai donnés de sa mort, tout comme à l’intérêt que vous portez à cette fin de vie.
Mais d’abord je veux laisser ici mémoire de ce qui se fait aujourd’hui sur cette tombe. Elle était nue encore, simplement gazonnée ; et, pour la couvrir comme il lui convient et nous la conserver à jamais, on y place une blanche pierre de marbre en obélisque surmonté d’une croix. La pauvre veuve a fait cet envoi, ce triste et dernier don d’amour, et mis elle-même l’inscription. Je n’ai rien vu encore. Oh ! j’y serai assez à temps ! Tous les dimanches n’irons-nous pas prier là tous, autour de notre pauvre Maurice ? Et vous, son frère aussi, ne viendrez-vous jamais vous y mettre à genoux ? Que je voudrais vous voir prier pour lui ! « Ce sont les meilleurs offices que les chrétiens puissent faire les uns pour les autres », disait cet Étienne de La Boëtie mourant à son ami Montaigne. Je ne doute pas que si Maurice pouvait se faire entendre, il ne vous dît de même. C’était, lui aussi, une âme croyante de son fond, une âme des anciens temps, sur laquelle le temps qui court avait pu passer par malheur, mais rien que passer. Vous le verrez par la suite.
Le 11. — Demeuré plusieurs jours sans écrire. Il m’en coûte de commencer ce douloureux récit, de parler de cette mort, quoique j’y pense sans cesse. Il est des souvenirs qui déchirent l’âme en sortant plus qu’en demeurant, ce me semble. Même la douleur se fait quelque chose de doux et dépose avec le temps au fond du cœur comme un limon sur lequel elle s’endort. Peu après cette mort, j’en parlais sans trop de peine ; à présent, quand on revient sur ce sujet, que nous y tombons par entretien en famille, une souffrance me prend l’âme.
Cette nuit, il a fallu faire garder ce mausolée, à cause de quelques paysans d’Andillac qui ne voulaient pas le laisser mettre. Ils trouvent que cela choque l’égalité de la mort et ont fait opposition violente, ayant l’autorité. Pauvre peuple souverain ! c’est ce qu’il faut en souffrir, c’est ce qu’il sait faire. Au temps passé, tous se seraient signés devant cette croix qu’ils parlent d’abattre aujourd’hui, au temps lumineux où nous sommes. Malheureux temps, où se perd le respect des choses saintes, où les plus petits s’enorgueillissent jusqu’à se révolter contre la triste élévation d’une tombe ! Le paysan dont l’esprit en est là ne vaut plus rien : fruit des lectures, en partie. Aussi, qu’il vaut bien mieux un chapelet qu’un livre dans la poche d’un laboureur !
Ce fut le 8 juillet, vingt jours après le départ de Paris, vers six heures du soir, que nous fûmes en vue du Cayla, terre d’attente, lieu de repos de notre pauvre malade. Sa pensée n’allait que là sur la terre, depuis longtemps. Je ne lui ai jamais vu de plus ardent désir, et toujours plus vif à mesure que nous approchions. On aurait dit qu’il avait hâte d’arriver pour être à temps d’y mourir. Avait-il pressenti sa fin ? Dans les premiers transports de sa joie, à la vue du Cayla, il serra la main d’Érembert, qui se trouvait près de lui. Il nous fit signe à tous comme d’une découverte, à moi qui n’eus jamais moins d’émotion, de plaisir ! Je voyais tout tristement dans ce triste retour, jusqu’à ma sœur, jusqu’à mon père, qui nous vinrent joindre à quelque peu de distance. Affligeante rencontre ! Mon père fut consterné ; Marie pleura en voyant Maurice. Il était si changé, si défait, si pâle, si branlant sur ce cheval assis à l’anglaise, qu’il ne semblait pas animé. C’était effrayant. Le voyage l’avait tué. Sans la pensée d’arriver qui le soutenait, je doute qu’il l’eût achevé. Vous en savez quelque chose, et ce qu’il a dû souffrir, pauvre cher martyr ! Mais je ne veux parler que d’ici. Lui embrassa son père et sa sœur sans se montrer trop ému. Il semblait dans une sorte d’extase dès la première vue du château ; l’ébranlement qu’il en eut fut unique, et dut épuiser toute sa faculté de sensation ; je ne lui ai plus vu l’air vivement touché de rien depuis cela. Cependant il salua affectueusement les moissonneurs qui coupaient nos blés, tendit la main à quelques-uns, et à tous les domestiques qui nous vinrent entourer.
Arrivés au salon : « Ah ! dit-il, qu’on est bien ici ! » en s’asseyant sur le canapé, et il se mit à embrasser mon père, qu’il n’avait pu atteindre que du bout des lèvres à cheval. Nous étions tous à le regarder content. C’était encore une joie de famille. Sa femme sortit pour quelque déballement ; je pris sa place auprès de lui, et le baisant au front, ce que je n’avais fait depuis longtemps : « Dis, mon ami, comme je te trouve bien ! Ici tu vas guérir vite. — Je l’espère… je suis chez moi. — Que ta femme aussi se regarde comme chez elle ; fais-le-lui comprendre, qu’elle est de la famille, et d’agir comme dans sa maison. — Sans doute, sans doute. » Je ne me souviens plus des autres choses que nous dîmes dans ces moments de seul à seul. Caroline descendit, on annonça le souper que Maurice trouva exquis. Il mangea de tout avec appétit. « Ah ! dit-il à Marie, que ta cuisine est bonne !… »
— Mon Dieu, que ce passé me tient au cœur ! Ma vie n’est que là. Je n’ai d’avenir que par la foi, de liens que ceux qui se rattachent à Maurice, et de lui au ciel.
La première de la famille j’ai vu le mausolée ce matin. Cela s’est ainsi rencontré ; mais, lui et moi, ne nous sommes-nous pas toujours rencontrés tout d’abord et mis à part ? Cela se continue, et le tête-à-tête, hélas ! sur un cimetière ! J’étais seule à genoux sur cette tombe, vis-à-vis de la blanche pierre où j’ai lu son nom et sa mort : Maurice. 19 juillet.
Mais revenons à sa vie, à ce qu’il m’en est resté de derniers et précieux souvenirs. Oh ! que n’ai-je écrit alors à mesure qu’il nous parlait et s’en allait ! Que n’ai-je fait un journal d’agonie, inestimable recueil dont celui-ci n’est que l’ombre ! Se rappeler n’est pas voir ; les plus vivants détails sont morts, quoique le cœur les conserve. Mais pensais-je à rien de lui qu’à lui ? Pensais-je même qu’il dût finir ? Et je le craignais cependant. Je ne me comprends plus quand je reviens à ces souvenirs.
Nous espérions beaucoup du climat, de l’air natal, de la chaude température de notre Midi. Le second jour de notre arrivée, il fit froid ; le malade s’en ressentit et eut des frissons. Ses bouts de doigts, son nez glacés, me firent craindre ; je vis bien qu’il n’y avait pas tout le mieux que nous espérions, qu’il ne guérirait pas si vite, puisque les accès revenaient. Il n’y eut pas de chaleur ensuite, et le médecin nous rassura. Ces médecins sont souvent trompés ou trompeurs. Nous décidâmes le malade à ne pas sortir de sa chambre le lendemain, attribuant le froid qu’il avait eu à quelque fraîcheur du salon. Comme il se laissait toujours faire, il se résigna, quoique contrarié, à ce qu’on voulut ; mais il s’ennuyait tant là-haut, et il fit tant de chaleur bientôt, que je l’engageai moi-même à redescendre. « Oh ! oui, me dit-il, ici je suis loin de partout. Il y a plus de vie là-bas avec tous, et puis la terrasse, je pourrai m’y promener. Descendons. » Cette terrasse surtout l’attirait pour y jouir du dehors, de l’air, du soleil, de cette belle nature qu’il aimait tant. Je crois que ce fut ce jour-là qu’il arracha des herbes autour du grenadier et piocha quelques pieds de belles-de-nuit ; aidé de sa femme, il tendit un fil de fer le long du mur sur un jasmin et des treilles. Cela parut l’amuser. « Ainsi chaque jour j’essayerai un peu mes forces », fit-il en rentrant. Il n’y revint plus. La faiblesse survint, les moindres mouvements le fatiguaient. Il ne quittait son fauteuil que par nécessité ou pour faire quelques pas à la prière de sa femme, qui essayait de tout pour le tirer de son atonie. Elle chantait, faisait de la musique, et le tout souvent sans effet. Du moins je ne me suis pas aperçue qu’il en eût quelque impression. Il demeurait le même à toutes choses, la tête penchée sur le côté du fauteuil, les yeux fermés.
Cependant il avait des mieux passagers, des espèces de soubresauts vers la vie. Ce fut dans un de ces moments qu’il se mit lui-même au piano et joua un air, pauvre air que j’aurai toujours dans le cœur ! Ce piano s’en est allé à Toulouse. Je l’ai vu partir avec le regret qu’y avait gravé Maurice. J’aurais voulu y noter ces mots : « Ici un jeune malade a chanté son dernier air. » Peut-être quelque main en passant sur ce clavier se serait arrêtée pour la prière. Chère âme de trépassé, je voudrais de partout lui tirer des secours ! Ce sont les meilleurs offices que les chrétiens puissent se faire. Je reviens à ce mot de foi de l’ami de Montaigne, qui revient si bien à mon cœur.
Je veux vous dire aussi comme ce cher frère m’a laissé sujet de consolation dans ses sentiments chrétiens. Ceci ne date pas de ses derniers jours seulement ; il avait fait ses pâques à Paris. Au commencement du Carême, il m’écrivait : « L’abbé Buquet est venu me voir ; demain, il revient encore pour causer avec moi comme tu l’entendais. » Cher ami ! oui, j’avais entendu cela pour son bonheur, et lui l’avait fait pour le mien, non en cédant par complaisance, mais en faisant par conviction : il était incapable du semblant d’un acte de foi. Je l’ai vu seul à Tours, dans sa chambre, lisant les prières de la messe un dimanche. Depuis quelque temps il se plaisait aux lectures de piété, et je me suis applaudie de lui avoir laissé sainte Thérèse et Fénelon, qui lui ont fait tant de bien. Dieu ne cessait de m’inspirer pour lui. Ainsi j’eus la pensée d’emporter pour la route un bon petit livre, pieux et charmant à lire, traduit de l’italien, le Père Quadrupani, qui lui fit grand plaisir. De temps en temps il m’en demandait quelque page : « Lis-moi un peu du Quadrupani. » Il écoutait avec attention, puis faisait signe quand c’était assez, se recueillait là-dessus, fermait les yeux et restait là à se pénétrer de ces douces et confortantes paroles saintes. Ainsi, chaque jour, au Cayla, nous lui avons lu quelques sermons de Bossuet et des passages de l’Imitation. A cela il voulut joindre quelques lectures de distraction, et nous commençâmes les Puritains de Scott, n’ayant rien de nouveau dans notre bibliothèque. Il en parcourut un volume avec quelque air d’intérêt, et puis laissa cela. Il était bientôt las de tout, nous ne savions que trouver pour lui faire plaisir. Les visites lui apportaient peu de distractions ; il ne causait qu’avec son médecin, homme d’esprit, qui par cela plaisait au malade et soutenait son attention. J’ai remarqué ces influences morales, et qu’au plus fort abattement, cette nature intelligente se relevait à tout contact de rapport. — Ainsi, la veille ou l’avant-veille de sa mort, n’en pouvant plus, il se prit à rire vivement à votre feuilleton si plaisamment spirituel : Il faut que jeunesse se passe, dont il fut charmé. Il en voulut deux fois la lecture : « Écris cela à d’Aurevilly, me dit-il, et que depuis longtemps je n’avais ri comme je viens de le faire. » Hélas ! et il n’a plus ri ! Vous lui avez donné le dernier plaisir d’intelligence qu’il ait eu. Tout lui était jouissance de ce qui lui venait de vous. L’amitié a été le plus doux et le plus fort de ses sentiments, celui qu’il a senti le plus à fond, dont il aimait le plus à parler, et qu’il a pris, je puis dire, avec lui, dans la tombe. Oh ! oui, il vous a aimé jusqu’à la fin. Je ne sais à quelle occasion, parlant de vous étant seuls, je lui dis : « Es-tu content, mon ami, que j’écrive à ton ami ? — Si je suis content ! » me fit-il avec le cœur dans la voix. Ce jour-là même, en le quittant, je vous envoyai son bulletin de santé.
Nous le trouvions bien faible ; cependant j’espérais toujours. J’avais écrit au prince de Hohenlohe. J’attendais un miracle. La toux s’était apaisée, l’appétit se soutenait ; la veille fatale, il dîna encore avec nous ; hélas ! dernier dîner de famille ! On servit des figues dont il eut envie, et que sur sa consultation j’eus la cruauté de lui interdire ; mais d’autres ayant approuvé, il en mangea une qui ne lui fit ni bien ni mal, et je fus sauvée sans préjudice de l’amertume de l’avoir privé de quelque chose. Je veux tout dire, tout conserver de ses derniers moments, bien fâchée de ne pas me souvenir davantage. Un mot qu’il dit à mon père m’est resté. Ce pauvre père revenait de Gaillac avec l’ardente chaleur, lui rapportant des remèdes. Dès que Maurice le vit : « Il faut convenir, dit-il en lui tendant la main, que vous aimez bien vos enfants. » Oh ! en effet, mon père l’aimait bien ! Peu après, le pauvre malade se levant avec peine de son fauteuil pour passer dans la chambre à côté : « Je suis bien bas », parlant comme à lui-même. Je l’entendis, cet arrêt de mort, de sa bouche, sans lui rien répondre, sans trop y croire peut-être ; mais j’en fus frappée. Le soir, on le porta avec son fauteuil dans sa chambre. Du temps qu’il se mettait au lit, je disais avec Érembert : « Il est bien faible, ce soir ; mais la poitrine est plus libre, la toux disparaît. Si nous pouvons aller au mois d’octobre, il sera sauvé. » C’était le 18 juillet, à dix heures du soir !
La nuit fut mauvaise. J’entendis sa femme lui parler, se lever souvent. Tout s’entendait de ma chambre, j’écoutais tout. Dès qu’il fut possible, j’entrai le matin pour le voir, et son regard me frappa. C’était quelque chose de fixe : « Qu’est-ce que cela augure ? dis-je au docteur qui vint bientôt. — C’est que Maurice est plus malade. — Ah ! mon Dieu ! » Érembert alla avertir mon père, qui accourut. Bientôt il sortit, et s’étant concerté avec le médecin, celui-ci annonça qu’il fallait penser aux derniers sacrements. M. le curé fut mandé, ainsi que ma sœur, qui se trouvait à l’église. Je ne sais si j’aurai tout présent. Mon père pria M. Facieu, le médecin, de préparer Caroline à la terrible nouvelle. Il la prit à part. J’allai la joindre bientôt et la trouvai tout en larmes ; j’entendis : « Je le savais. » Elle savait qu’il devait mourir ! « Depuis trois mois je me prépare au sacrifice. » Aussi ce coup de mort ne l’effraya pas, mais je la vis désolée.
« Ma pauvre sœur, lui dis-je en lui passant les bras au cou, voici le terrible moment ; mais ne pleurons pas, il faut l’annoncer au malade, il faut le préparer aux sacrements. Vous sentez-vous la force de remplir ce devoir, ou voulez-vous que je le fasse ? — Oui, faites-le, Eugénie, faites ! » Elle étouffait de sanglots. Je passai de suite au lit du malade, et, priant Dieu de me soutenir, je me penchai sur lui et le baisai au front, qu’il avait tout mouillé : « Mon ami, lui dis-je, je veux t’annoncer quelque chose. J’ai écrit pour toi au prince de Hohenlohe. — Oh ! que tu as bien fait ! — Tu sais qu’il a fait des miracles de guérison, notamment à Alby, dans une famille qui vient de m’en faire part. Dieu opère par qui il veut et comme il veut. C’est surtout le souverain médecin des malades. N’as-tu pas bien confiance en lui ? — Confiance suprême (ou pleine, je ne me souviens pas). — Eh bien, mon ami, demandons-lui en toute confiance ses grâces, unissons-nous en prières, nous à l’Église, toi dans ton cœur. On doit dire une messe où nous communierons : toi, tu pourrais communier aussi. Jésus-Christ allait trouver les malades, tu sais ? — Oh ! je veux bien ! oui, je veux m’unir à vos prières. — C’est très-bien, mon ami. M. le curé devait venir, tu vas te confesser. N’est-ce pas que tu n’as pas de peine à parler à M. le curé ? — Pas du tout. — Tu vas donc te préparer à ta confession. » Il demanda un livre d’examen, se fit faire toutes les prières qui précèdent la confession par sa femme. Je sortis ; j’allai lui préparer de la fécule au lait d’amande. Dans ce temps, M. le curé arriva. Le malade le pria d’attendre encore un peu, ne se trouvant pas, dit-il, assez préparé. On le voyait tout pénétré et recueilli. Hélas ! dernier recueillement de son âme ! Au bout de dix minutes à peu près, il fit appeler le prêtre, et demeura avec lui près d’une demi-heure, causant, nous fut-il dit, avec toute la lucidité et facilité d’esprit qu’il aurait eue étant bien portant. « Jamais je n’ai entendu confession mieux faite », nous dit M. le curé. Ce qui m’assure bien de ses dispositions, c’est ce qu’il fit comme M. le curé s’en allait. Il le rappela pour lui parler de M. de Lamennais et faire une haute et dernière rétractation de ses doctrines. Puis il ajouta : « M. le curé, je ne sais si je m’abuse, mais me croyez-vous bien malade ? Alors je recevrai l’extrême-onction. Pour communier, je voudrais le faire à jeun et attendre à demain. » Sur la réponse que les malades étaient dispensés du jeûne, il fut prêt à tout et se prépara aux derniers sacrements. Nous allions et venions, ma sœur et moi, pour les arrangements convenables dans cette chambre qui s’allait changer en église. Sa femme, avec la tristesse et la piété d’un ange, lui récitait les prières de la communion, qui sont si belles, et celles des mourants, si touchantes ; lui-même demanda celles de l’extrême-onction, calme et naturel comme pour une chose attendue.
Cependant il avait faim, il défaillait, et me demanda sa fécule, que je lui portai. Comme il suait beaucoup, je lui dis : « Mon ami, ne sors pas le bras, je te ferai manger comme un néné (enfant au berceau). » Un sourire vint sur ses lèvres, où je posai la cuiller, où je fis couler le dernier aliment qu’il ait pris. Ainsi j’ai pu le servir une fois encore, lui donner mes soins comme autrefois. Il m’a été rendu mourant. Je remarquai cela comme une faveur de Dieu accordée à ma tendresse de sœur, que j’ai rendu à ce cher frère les derniers services à l’âme et au corps, qu’il s’est rencontré que je l’ai disposé aux derniers sacrements, et que je lui ai préparé sa dernière nourriture : aliments des deux vies. Cela ne semble rien, n’est rien, en effet, pour personne ; je suis seule à le remarquer et à bénir la Providence de ces rapports repris avec mon cher Maurice avant de nous quitter. Triste et indéfinissable compensation à tant de mois d’amitié passive ! Avais-je tort de vouloir le servir ? Qui sait ?… Mais je veux achever ce douloureux mortuaire ; laissons le cœur de côté, qui n’en finirait pas de dire.
Quand le saint viatique arriva, le malade se trouvait mieux, ce me semblait ; ses yeux, rouverts, n’avaient pas cette fixité effrayante du matin, ni ses sens le même affaissement ; il parut moralement ravivé et en pleine jouissance de ses facultés tout le temps des saintes cérémonies. Il suivait tout de cœur, bien pieusement. Quand ce fut à l’extrême-onction, comme il ne sortait qu’une main, le prêtre ayant dit : « L’autre », il la présenta vivement. Il écouta de bien simples et touchantes paroles, et reçut le saint viatique avec toute l’expression de la foi. Il vivait encore, il nous entendait, il choisit entre de l’eau et de la tisane qu’on lui offrait à boire, serra la main à M. le curé, qui toujours lui parlait du ciel, colla ses lèvres à une croix que lui présentait sa femme, puis il s’affaiblit ; nous nous mîmes tous à le baiser, et lui à mourir. Vendredi matin, 19 juillet 1839, à onze heures et demie. Onze jours après notre arrivée au Cayla. Huit mois après son mariage.
La voilà cette fin de vie, si liée à la vôtre, telle que j’ai pu la retrouver pour vous dans mes larmes. Que n’étiez-vous là ! Que n’avez-vous assisté à la mort chrétienne de votre ami !
Le 27. — Enfin vous voilà ! comme disait Billy, le charmant enfant indien, quand il me voyait revenir. Il paraissait tout réjoui, comme je le suis de votre lettre, si tardive et si désirée. Ce n’était cependant qu’un silence un peu long qui me donnait tant de craintes funèbres. C’est que je crois si vite à la mort, à présent ! Me voilà donc bien rassurée. Mais qu’est-ce que nos impressions ? Je n’éprouve pas en certitude ce que j’ai senti dans le doute, un sentiment profond. Le plaisir chez moi ne descend pas comme la peine.
Douce journée aujourd’hui : j’attends encore mon père, absent depuis toute une semaine. Sa présence m’est nécessaire plus que jamais depuis que je me trouve plus que jamais seule au Cayla. En regardant du côté par où il doit venir, je pense à tant d’absents qui ne reviendront pas. J’en ai bien vu s’en aller par ce chemin. Il y a au bas de la colline une croix où, deux ans passés, nous nous sommes quittés avec mon cher Maurice. Je l’accompagnai jusque-là. Il s’y est longtemps conservé sur le terrain l’empreinte d’un pied de cheval, à l’endroit où Maurice s’arrêta pour me tendre la main. Je ne passe jamais par là que je ne regarde à cette marque effacée d’adieu près d’une croix.
Comme toute ma vie va à ce frère, comme tout ce qui a rapport à lui me pénètre ! Les sentiments uniques grandissent dans la solitude jusqu’à l’immensité. Comme ce marronnier qui s’étend seul là-bas dans la prairie, ils couvrent toute l’âme. Je ne sais si je ne ferais pas bien de sortir d’ici pour quelques jours. Les idées fixes, oh ! les idées fixes que tout nourrit et rappelle ! La vie est un devoir. Sous ce rapport religieux on y tient, et on doit vouloir sa conservation. Le dépérissement en serait un mal devant Dieu. Mais sans cela, sans le ciel que je vois, je me laisserais tomber ; mais j’aurais tort, bien tort comme chrétienne de m’abattre comme ceux qui vont sans soutien. Dieu n’est-il pas là qui nous dit : Je suis près de ceux qui souffrent ? Foi soutenante ! Oh ! que nous avons d’obligations à la foi ! Je la considère comme le seul vrai soutien de l’homme. D’autres choses en ont bien l’air ; mais ce sont appuis d’apparence, colonnes de vapeur.
De Montels, vieux château dans les montagnes.
Le 14 mars. — Ce que j’aime me suit partout : ce cahier a pris mon chemin, comme, hélas ! naguère un autre était venu ici au même lieu, lorsque j’allais voir Louise, mon amie, quelque peu avant mon départ pour Paris. Ainsi les pareilles choses reparaissent quelquefois dans la vie, sans qu’on pense à les ramener. Bien sûr, je ne comptais pas revenir ici. J’ai remarqué de ces consonnances du passé avec le présent, et celle-ci en contraste. J’étais venue en joie, je reviens en deuil ; j’avais un frère vivant, il est mort…
Je me plais à Montels : on y vit comme on veut, sans visites ni ennuis du monde ; on entre, on sort, on se promène, sans nul assujettissement ; puis la campagne est grande, toute diverse en paysages, en toupes de montagnes, douces, couvertes de châtaigniers ; cela plaît à voir et à parcourir. Si je devais quitter le Cayla, c’est ici que je voudrais demeurer. Pour faire de ce château une demeure agréable, il n’y aurait qu’à relever quelques ruines qui, même telles quelles, sont toutes remplies d’intérêt. Quel charme n’a pas ce vieux salon tout tapissé de vieux portraits de militaires, d’hommes de robe et d’église, de belles dames, comme on n’en voit plus, de mise et de beauté ? J’en ai remarqué une en toilette de bal à côté d’un capucin méditant sur une tête de mort. De tout temps les contrastes se sont touchés. Montels n’est plus autre chose partout, dans la demeure et ses habitants, dans cette chambre appelée chambre du cardinal pour avoir logé le cardinal de Bernis, toute pleine à présent de pommes de terre.
Je ne suis pas étonnée que ce bel esprit, qui se connaissait en jolies choses, eût choisi ce lieu pour sa maison de campagne, assez près et assez loin de la ville, paysage parfaitement dessiné pour des pastorales et des rêveries poétiques, si le cardinal rêvait encore. Qui sait ? Qui sait en quel temps et en quel état on cesse d’être poëte ? Celui-ci cependant, dans le cours de sa vie, se souvenant qu’il était prêtre, eut repentir de ses chansons légères et fit faire des recherches pour les détruire ; mais de la plume au vent ! Le mal ne s’arrête pas comme on veut. Les épîtres à Chloé et à la Pompadour sont restées, et nul ne sait, ou bien peu, que leur auteur a voulu les mettre en cendre. Je tiens cela de mon père dont le père avait connu l’Apollon cardinal.
Il y a encore ici dans un vieux tiroir une curieuse correspondance sentimentale du fameux La Peyrouse avec Mlle de Vézian, sa fiancée, devenue ensuite marquise de Sénégas, pendant sans doute que le marin courait les mers. Il faut que je demande, pour les voir, ces lettres à ma cousine. Précieuse découverte, débris du cœur de La Pérouse, aussi curieuse que celle de son vaisseau. Mais qui songe à cela ? Qui songe à chercher un grand homme dans son intime ?
Voilà comme Montels occuperait son petit coin dans l’histoire. Bien des lieux célèbres ont eu moins d’intérêt ; le tout, c’est de savoir le faire ressortir, cet intérêt ; et ce n’est pas, ce me semble, ce qui manque soit dans les hommes ou dans la nature. Que de trésors sous une mousse et, si je veux, dans cette chambre inélégante et glacée ! D’abord le soleil à mes pieds sous la table où je les chauffe dans ce grand carré lumineux qui me vient de la fenêtre à côté…
Description interrompue par le départ annoncé au beau milieu de ma page.
[Sans date.] — Que dire ? que répondre ? Que m’annoncez-vous qui se prépare pour Maurice ! Pauvre rayon de gloire qui va venir sur sa tombe ! Que je l’aurais aimé sur son front, de son vivant, quand nous l’aurions vu sans larmes ! C’est trop tard maintenant pour que la joie soit complète, et néanmoins j’éprouve je ne sais quel triste bonheur à ce bruit funèbre de renommée qui va s’attacher au nom que j’ai le plus aimé, à me dire que cette chère mémoire ne mourra pas. Oh ! le cœur voudrait tant immortaliser ce qu’il aime ! Je l’avais ouï dire, je le sens, et que ceci s’étend du ciel à la terre ; soit par amour ou par foi, soit pour ce monde, soit pour l’autre, l’âme repousse le néant. Maurice, mon ami, vit toujours, il s’est éteint, il a disparu d’ici-bas comme un astre meurt en un lieu pour se rallumer dans un autre. Que cette pensée me console, me soutient dans cette séparation ! que j’y rattache d’espérances ! Ce rayon qui va passer sur Maurice, je le vois descendre du ciel, c’est le reflet de son auréole, de cette couronne qui brille au front des élus, des intelligences sauvées. Celles qui se perdent n’ont rien devant Dieu qui leur reste, qui les marque, quelque signe de distinction que les hommes leur fassent, car toute gloire humaine passe vite. Je ne me réjouirais pas si je ne voyais que celle-là seule pour mon frère ; mais il est mort saintement, et j’accepte avec transport la glorification de son intelligence qui peut s’associer à la canonisation de son âme.
Je ne vous dis plus rien sur ce sujet infini, vous ayant écrit et dit mes sentiments et remercîments profonds, à vous, à M. Sainte-Beuve, à Mme Sand, pour la part que vous aurez chacun à cette publication du Centaure, cette belle œuvre inconnue de mon frère, à la mise en lumière de sa vie et de son talent.
Oh ! que vous me touchez de me dire que mes pensées, mes expressions, mes images tiennent beaucoup de Maurice, que nous étions, lui et moi, frère et sœur jumeaux d’intelligence ! Ressemblance la plus belle que vous puissiez me trouver et la plus douce pour moi[32]…
[32] Lignes effacées.
[Le 2 avril.] — Courant d’impressions et de pensées abandonné à l’endroit effacé, rentré dans l’âme et perdu pour ce papier. Dois-je le regretter ? Non, sans doute, mais ces refoulements, ces épanchements arrêtés, j’en voudrais connaître la cause. Il n’en était pas de même autrefois : la pensée, la vie coulait d’abondance, s’en allait à pleins bords, s’épandait en mille endroits, en mille façons, et maintenant cela s’arrête à un grain de sable, je me délaisse à tous moments, les petits riens font quelque chose : indice d’affaiblissement. Que serait-ce sans le soutien d’en haut qui me soulève si puissamment quelquefois ? Je serais toute et toujours abattue. Le monde, les conversations, la diversion sont de bien peu de secours dans cette langueur de l’âme. Je viens de l’essayer. Rien n’y fait radicalement, rien ne change le fond. Toute la puissance des distractions n’agit qu’à la surface, n’arrive qu’à faire naître quelque sourire au dehors.
Lu Waverley. Oh ! la déchirante mort d’un frère, l’horrible catastrophe à la fin ! J’en suis tout émue. Quoique fictions, ces sortes de choses pénètrent, font souffrir ; un conte m’a tiré des larmes, quoique j’en verse peu pour des contes ; mais Walter Scott est si intéressant et plein d’effet sur le cœur dans cette lugubre peinture remplie de traits attendrissants ! Que n’ai-je quelquefois des livres, ces parlants à l’âme, qui lui font tant d’impression ! Rien n’agit si puissamment sur moi que les lectures, rien ne me fait tant sentir, à présent que se perd le goût de toutes choses.
Et écrire, que me fait d’écrire ? Interrogation muette parfois, plus souvent pleine de réponses. Cependant je n’écris guère. Ce cahier même, je le néglige ; plusieurs jours se passent sans y rien laisser, et je n’y mets plus de date. Je n’ai plus de plaisir à retrouver d’époque ni rien dans ma vie si douloureuse de souvenirs. Ce qui m’avait charmée ou me charmerait me désole, parce que tout s’empreint de deuil. Peut-être un jour, avec le temps, cet état d’âme changera ; mais il n’est pas de diversion possible encore. Je viens d’essayer du monde, décidément le monde m’ennuie ; l’esprit qu’on y rencontre n’est pas de mon goût, le sot rire ne m’égaye pas. Je n’y puis prendre part, et aussi je puis dire comme disait Esther, je crois, qu’au milieu de la foule et des divertissements je ne laisse pas de me trouver seule. Savez-vous où je me plais, dans quel monde ? A l’église. Là je suis chez moi. Toute ma vie j’ai préféré une chapelle à un salon, les anges aux hommes, et ce parler intérieur avec Dieu à celui qui bruit au dehors. On n’est pas né en solitude, on n’est pas élevé, on n’a pas vécu entre ciel et terre, en plein air, près de la croix, pour sentir comme les autres, comme ceux qui reçoivent du monde leurs pensées et leurs affections. Rien ne m’est venu de là, rien ne m’en viendra sans doute. Ce n’est pas la peine ni mon vouloir de me tourner de ce côté.
Quel souvenir me prend ! A pareil jour j’ai perdu ma mère, à pareil jour j’ai quitté Maurice et Paris. Triste date du 2 avril ! La vie est toute coupée de douleurs. Les oiseaux n’ont pas de chagrin sans doute, du moins la grive qui chante tout aujourd’hui sous ma fenêtre. Joyeuse petite bête ! Je me suis mise à l’écouter bien des fois, à prendre plaisir à ces sifflements, gazouillements et salutations au printemps. Ces chants doux et réjouissants sous un genévrier, montant avec l’air dans ma chambrette, sont d’un effet que je ne puis dire. Valentino n’en approche pas pour le charme : Valentino où j’entendais pourtant quatre-vingts musiciens et du Beethoven. Préférer à cela une pauvre petite grive, quelle impertinence aux beaux-arts ! Décidément je suis une sauvage.
Oui, je me demandais, à ces concerts et à bien d’autres choses à Paris : Où donc est le ravissement qu’on t’avait promis ? Cependant je voyais, j’entendais des merveilles, et rien pour m’étonner ! Il n’y aura donc d’étonnement que dans le ciel ? Ce mécompte de sensations, d’où vient-il ? De notre fini et de notre infini, sans doute, de ce que l’âme qui est touchée sous les sens ne reçoit pas autant qu’elle perçoit. D’ailleurs, depuis Ève, toute curiosité satisfaite est désappointée.
[Sans date.] — Parcouru l’Histoire de Bossuet, toute pleine de grandeurs, de cette élévation du siècle de Louis XIV, personnifiée religieusement en cet homme de génie et de foi. C’est trop grand pour que j’en parle, mais l’impression de cette lecture sur moi est si belle et bonne que je le marque ; et puis que de souvenirs se rattachent à ces fragments d’éloquence qui nous reportent à la plus belle époque de la France, à la plus brillante cour du monde, et moi à mon enfance et à Maurice ! A treize ou quatorze ans, je dévorais les Oraisons funèbres qu’Érembert avait apportées du collége, sans les comprendre sans doute, sans autre attrait que ces pensées du ciel et de la mort, qui ont eu de bonne heure tant d’influence sur moi ; et puis, plus tard, Maurice m’a si souvent, si admirablement parlé des sermons de Bossuet, que nous avons lus ensemble, dont il m’avait noté des passages, le dernier livre religieux que je lui ai ouvert pendant sa maladie : tout cela m’a touchée en lisant cette histoire où j’ai vu revenir la mienne. Mousse sur un cèdre, un rien qui m’a donné à penser autant que le grand siècle. C’est le mien à moi, mes beaux jours passés de jeunesse, et Maurice, le roi de mon cœur. Peut-être y a-t-il de la faiblesse dans cette pente d’esprit vers le cœur, vers soi et tout ce qui tient à soi ; c’est amour-propre, égoïsme. J’en aurais peine si ce n’était le propre de la nature souffrante de lier le monde à sa douleur. D’ailleurs il n’en paraît rien au dehors, cela se fait dans l’âme, nul ne s’aperçoit de ce que je sens ni n’en souffre. Je ne m’épanche que devant Dieu et ici. Oh ! qu’aujourd’hui je fais d’efforts pour écarter la tristesse qui ne vaut rien, cette tristesse sans larmes, sèche, heurtant le cœur comme un marteau ! C’est la plus pénible à sentir, et cependant il faut porter celle-là comme une autre, et on la porte avec le même secours : la croix, avec Jésus triste à la mort au Jardin des Olives.
Les litanies de la tristesse, que j’ai faites dans un élan d’angoisses, trouveront ici leur place :
Le jour des Rameaux. — Aujourd’hui que tout verdit, fleurit et s’éjouit sous le soleil des Rameaux, quelque chose qui tient un peu de cela me vient dans l’âme. Je m’y livre, je me repose sur ces doux sentiments comme sur l’herbe d’un pré. Oh ! qu’il fait beau là dans ma solitude et mes pensées du jour, jour d’hosanna, d’hymnes, d’élans de foi et d’amour au Sauveur, le roi de gloire, le triomphateur du monde, qui s’avance monté sur un âne, amenant à sa suite non les peuples vaincus, mais les malades qu’il a guéris, les morts qu’il a ressuscités ! J’avais devant moi à l’église, parmi les enfants de chœur, un petit garçon dont la voix, la taille et les vives allures m’ont rappelé Maurice quand il balançait l’encensoir à Andillac. Cela, se mêlant aux émotions religieuses, me fait en ce moment un état d’âme où je me plais, que je laisse ici sur ce mémorandum, devant ce rameau bénit et garni de tant de pieux et doux souvenirs. Dans mon enfance, c’était un bouquet de gâteaux et de fruits que nous portions joyeusement à l’église. Qui avait le plus beau rameau était le plus heureux, et avait été le plus sage : charmant objet d’émulation pour les enfants qu’un arbrisseau couvert de doux manger, banquet flottant sous la verdure, donné par Jésus aux petits enfants qu’il aime et pour lui avoir chanté à pareil jour Hosanna dans le temple ! Que la religion a des côtés gracieux ! Qu’elle est aimable au premier âge !
Marie, Marie des C…, tout abattue, effrayée d’un redoublement de souffrances qui la tiennent au lit dans de tristes pressentiments. « Adieu, me dit-elle, non pas pour la dernière fois, j’espère, mais il n’en est guère de plus triste et de plus douloureux. » Faut-il que nous soyons à deux cents lieues ! Faut-il que je ne puisse aller joindre cette chère amie, que je vois tant souffrir dans sa solitude ! Mais mon père, mais mon frère me retiennent aussi fortement qu’elle me tire. J’ai l’âme écartelée. Mon Dieu, que l’amitié fait souffrir ! Tout pour moi se tourne de ce côté en souffrances, soit pour cette vie soit pour l’autre ; ou l’état d’âme ou l’état de santé de ceux que j’aime m’afflige. Érembert cependant m’a bien consolée aujourd’hui. J’ai un frère chrétien, qui remplit toutes les obligations de ce nom dans ce saint temps de Pâques.
A pareil temps, l’an dernier, comme Maurice pareillement m’occupait ! Ce souvenir se mêle à tout dans ma vie. J’ai passé cette nuit en songe avec lui, moitié vivant, moitié mort. Je le voyais, je lui parlais, mais ce n’était qu’un corps qui me disait que son âme était au ciel. O âme de Maurice, à Maurice tout entier, quand te verrai-je en effet ! Que d’élans vers ce lieu qui réunit le frère et la sœur, tous ceux que la mort avait séparés ! et d’autres fois que de craintes et tremblements devant cet autre monde où Dieu nous juge !
Mon âme pourtant n’a rien qui lui pèse, rien qui lui donne un remords. J’ai vécu heureusement loin du monde, dans l’ignorance de presque tout ce qui porte au mal ou le développe en nous. A l’âge où les impressions sont si vives, je n’en ai eu que de pieuses. J’ai vécu comme dans un monastère ; aussi ma vie doit être incomplète du côté du monde. Ce que je sais sous ce rapport me vient presque d’instinct, d’inspiration, comme la poésie, et m’a suffi pour paraître convenablement partout. Un certain tact m’avertit, me donne le sens des choses et des airs d’habitude là où je me trouve le plus souvent étrangère, comme dans les cercles. Mais je parle peu. J’ai l’esprit de comprendre bien plus que d’exprimer. Pour ceci il faut l’usage ; quand je converse, je sens que j’en manque, que l’à-propos ne vient pas, ni la pensée juste ; presque jamais je ne dis d’abord ce que je dirais ensuite. Les compliments me trouvent nulle ; la plaisanterie un peu moins, à cause sans doute qu’elle aiguillonne l’esprit. Dernièrement j’ai répondu par une bêtise à des démonstrations de politesse qui m’ont prise à l’improviste. C’était aussi de la part de quelqu’un qui m’intimide, un homme d’esprit qui me gêne, ce qui comprime le jet de la pensée. Chose étrange ! j’aborde sans embarras les premières intelligences ; je ne me sens pas plus intimidée devant M. Xavier de Maistre que devant son fauteuil, et je demeurerai liée près des gens les plus ordinaires, je perdrai mon assurance pour passer parmi des paysans qui me regardent, pour parler à mon confesseur. Il n’y avait que Maurice au monde avec qui je n’ai jamais été timide.
La veille de Pâques. — Oh ! quelle différence l’an dernier, à Paris ! Retour de profonds souvenirs. Ce soir-là il y avait eu consultation de docteurs, j’étais bien affectée. Nous étions à Valentino ; là fut remis ce paquet cacheté de noir ; là se trouvait cette pauvre Marie, singulière rencontre un soir d’adieu ! Ce concert finissait mon séjour à Paris, c’était le glas de ma mort au monde, que j’écoutais sonner avec je ne sais quelle douce et triste émotion, semblable un peu à celle que j’éprouve au souvenir de ces choses, de ces personnes qui me reviennent comme des ombres dans ma chambrette, à la même heure et moins harmonieusement qu’à Valentino. Le concert, c’est la pluie qui bat ma vitre, et tant de regrets qui me battent l’âme. J’ai senti, j’ai vu ce que je ne faisais que craindre : la mort, la séparation à jamais ! Que j’ai besoin de penser à la fête de demain ! Que cette résurrection est bonne ! Mon Dieu, puisqu’il faut voir mourir, qu’il est doux de croire qu’on verra revivre ! Puissent ces pensées de foi auxquelles je vais me livrer en écarter d’autres qui font foule et m’oppressent l’âme !
Le soir de Pâques. — O Pâques, Pâques fleuries, jour de renaissance, de reverdissement, de jubilations célestes ! Je ne sais que dire, qu’exprimer de cette fête du passage, si magnifiquement belle dans les temps anciens et nouveaux, qui a fait chanter l’In exitu, l’O Filii, et à moi tant de cantiques intérieurs quand j’ai vu ce matin Érembert à la table de communion. Encore un frère sauvé ! Il faut être sœur chrétienne pour sentir cela et cette sorte de bonheur qui vient d’espérer le ciel pour une âme qu’on aime, de la voir unie à Dieu, au souverain bien.
Le 20 avril. — Oh ! c’était bien un rossignol que j’ai entendu ce matin. C’était vers l’aurore et sur un réveil, de sorte qu’ensuite j’ai cru que j’avais rêvé ; mais je viens d’entendre encore, mon musicien est arrivé. Je note cela tous les ans, la venue du rossignol et de la première fleur. Ce sont des époques à la campagne et dans ma vie. L’ouverture du printemps si admirablement belle est ainsi marquée, et le retard ou l’avancement des saisons. Mes charmants calendriers ne s’y trompent pas, ils annoncent au juste les beaux jours, le soleil, la verdure. Quand j’entends le rossignol ou que je vois une hirondelle, je me dis : « L’hiver a pris fin », avec un plaisir indicible. Il y a pour moi renaissance hors de la froidure, des brouillards, du ciel terne, de toute cette nature morte. Je reverdis comme un brin d’herbe, même moralement. La pensée reparaît et toutes ses fleurs. Jamais poëme épique ne fut fait en hiver.
[Sans date.] — Adieu, grand’tante, que je viens de baiser morte ; adieu, dernier reste d’une génération d’aïeux, famille de Verdun, toute dans les tombes à présent, et si dispersée : à l’île de France, à l’île Bourbon, ailleurs, ici. Ma pauvre tante a pleuré sur tous les siens, père, mère, neveux, que la Révolution d’abord et la mort ensuite lui ont pris, et la voilà maintenant qui suit le nombreux convoi. Nous la suivrons de même ; hélas ! nous ne formons qu’une procession funèbre ici-bas, et quelle rapidité dans la marche ! On s’effraye d’y regarder, mais on avance en détournant la tête ou sans y penser. C’est bien triste, mais bien utile cependant. Les saints l’ont compris, ces hommes qui méditent sur une tête de mort pour se préserver de la corruption de la vie.
Mais d’où vient que ces pensées ne me touchent que peu, qu’agonies, morts, cercueils, dont je ne pouvais entendre parler, me sont objets ordinaires pour l’impression ? Quel frémissement j’éprouvais, rien qu’en voyant la maison ou la chambre d’un décédé ! et maintenant j’entre, je touche, je baise ; mais quel baiser, mon Dieu ! C’est le second que j’ai posé sur des joues qui glacent les lèvres, qui donnent le frisson dans tout le corps et des sensations de l’autre monde dans l’âme. J’ai appris cela de Maurice, j’ai appris la mort et tout ce qui suit. Depuis, rien ne m’étonne ni ne m’épouvante. On ne veut pas que j’aille à cet enterrement, mais j’y pourrais aller sans risques, rien ne m’y ferait mal. J’ai en moi l’habitude de pareilles choses. N’y eut-il pas un roi qui s’accoutuma au poison ? Eh bien, je prierai Dieu ici pour ma tante, du temps qu’on la met en terre. De partout, Dieu nous entend, et je puis facilement, si je veux, me figurer un cimetière.
[Sans date.] — M. de M… m’écrit que sa femme est trop faible pour m’écrire. Quelque peu bonne que soit cette nouvelle, j’en suis contente, tant je craignais d’apprendre pis, tant cette lettre des Rameaux m’effrayait. Enfin je me rassure, puisque ceci tourne au mieux. Mon Dieu, que je voudrais ne pas perdre cette chère amie ! O malheur des séparations ! Celle-ci y mettrait le comble. Une religieuse de Nevers qui repart m’offrirait une bonne occasion de voyage, si je pouvais sortir d’ici. Mais Érembert, mon père, tant de fortes raisons me retiennent. J’ai le cœur écartelé, tiré par le Cayla et les Coques, attaché presque également des deux parts. On aime cela et on en souffre. Il nous faudrait un centre d’affections, un quelque part où se trouvât tout ce qu’on aime, petit paradis sur terre, image de celui du ciel qui n’est qu’une société d’amour. Que j’ai souvent rêvé cela, et que le Cayla me plairait si j’y pouvais réunir mes élus, le petit nombre que j’ai dispersé par le monde, et que j’en distingue ! Si on me disait : « Qui sont-ils ? » Je dirais : « Mes choisis ne ressemblent à personne ; cherchez-les parmi ce qu’on voit le moins, parmi les natures rares. »
[Sans date.] — Si je n’ai rien mis ici depuis huit jours, c’est que je n’ai fait qu’écrire à Marie, écrire un journal intime, feuilles volantes d’amitié qui s’en iront joncher son lit un beau moment à sa surprise, et la pauvre malade aura plaisir à cela. Ce sont des riens, mais les riens du cœur ont leur charme. J’ajoute à cela des livres qu’elle m’avait prêtés et une carte de mon pays, de ces lieux qu’elle habite tant par l’âme. Je veux les lui faire voir, et je jouis d’avance de ce qu’elle va éprouver. Quant aux livres, j’ai peine à les renvoyer ; je ne me sépare qu’à regret de ce qui fut emporté au départ, pages empreintes d’adieux, de souvenirs de voyage, lues dans la diligence de Bourges à Tours, quand je me trouvai assez seule pour pouvoir lire. Si jamais je les revois, je les relirai encore en mémoire de ce passé, de cet état d’âme où je me trouvais en regrets, en tristesse, en craintes, en suspens entre la vie et la mort, roulant sur ce pauvre malade, que j’allais voir, les pensées les plus déchirantes, quelquefois les plus opposées ; car on ne peut s’empêcher d’espérer, quoiqu’on ne voie pas trop où se tient l’espérance. Marie, Marie, avec quels tristes pressentiments nous nous sommes quittées ! J’ai toujours en souvenir ce dernier regard qu’elle me fit à la fenêtre, enveloppée d’une mante noire. Elle m’apparut comme le deuil en personne…
Le 1er mai. — Quel que soit mon sans-intérêt aujourd’hui pour tout ce qui se fait sous le ciel, je veux néanmoins marquer ce premier mai, comme j’en ai l’habitude. C’était un autre jour pour moi qu’il ne l’est à présent, ce retour du plus beau mois de l’année. Tout est changé.
Poésie interrompue par la foudre. Quel bruit, quels éclats, quel accompagnement de pluie, de vent, d’éclairs, d’ébranlements ! rugissement, terribles voix d’orages ! Et cependant le rossignol chantait, abrité sous quelque feuille ; on aurait dit qu’il se moquait de l’orage ou qu’il luttait avec la foudre ; coup de tonnerre et coup de gosier faisaient charmant contraste que j’ai écouté, appuyée sur ma fenêtre ; j’ai joui de ce chant si doux dans ce bruit épouvantable.
Le 6 mai. — C’est pour retrouver la date d’une lettre du Nivernais, chères nouvelles qui font événement dans ma vie toute de cœur. Dans la suite des temps, dans quelques mois même, je serai bien aise de revoir un jour marqué d’émotions douces à fond triste, comme me les donne Marie. Cette fois-ci c’est sa mère, une mère adoptive pour moi, qui m’écrit et ne me touche pas mal en me parlant de sa fille, et de l’espérance, je ne sais comment venue, qu’elle a de me voir avec la sœur de Nevers ; mais la sœur est partie… Oh ! mon père ! il l’emporte encore sur Marie. Je le sens en ce moment qu’il a été question de le quitter. Que tout cela fait souffrir ! Et cependant c’est bonheur d’être aimé. Mais qu’est-ce qu’un bonheur qui touche aux larmes ?
Je n’ai pas vu l’Orient, mais je doute que ses belles nuits soient plus belles que celle qu’il fait à présent. Une admiration m’a surprise en ouvrant ma fenêtre avant de me coucher, suivant ma coutume de regarder l’état du ciel : qu’il est clair, transparent, étoilé avec ces demi-teintes de demi-lune, et…
[Sans date.] — Plusieurs jours depuis cette nuit, et entre ces deux lignes d’écriture. Comme le temps occupe peu d’espace ! Une fois passé, ce n’est rien. Dans ce peu d’espace on pourrait faire entrer un siècle. Je n’y vois rien, quoi qu’il soit venu dans l’histoire de ma vie, parce que tout reste au dedans, que je n’ai plus d’intérêt à rien raconter, ni moi ni autre chose. Tout meurt, je meurs à tout. Je meurs d’une lente agonie morale, état d’indicible souffrance. — Va, pauvre cahier, dans l’oubli avec ces objets qui s’évanouissent ! Je n’écrirai plus ici que je ne reprenne vie, que Dieu ne me ressuscite de ce tombeau où j’ai l’âme ensevelie. Maurice, mon ami ! il n’en était pas ainsi de moi quand je l’avais. Penser à lui me relevait au plus fort d’un abattement ; l’avoir en ce monde me suffisait. Avec Maurice, je ne me serais pas ennuyée entre deux montagnes.
Une lettre de mort, une mort de jeune fille, Camille de Boisset, sœur d’une de mes amies, la céleste Antoinette.
Depuis longtemps je n’avais trouvé d’aussi agréable lecture et plus de mon goût que celle que je viens de faire, et dans un livre dont le monde ne se doute guère, un Catéchisme, dont la seule introduction gagne l’esprit et le cœur, morceau le plus distingué entre tous les avant-propos, exquis avant-goût d’une œuvre exquise de foi, d’intelligence et d’amour. J’ai pressenti de suaves émotions et entrevu de beaux traits de lumière pour moi dans cette religieuse lecture, et je m’y livre. Je vais voir et connaître ma religion telle que je ne l’ai pas encore vue d’ensemble. Comme elle est infinie en merveilles et en admirations, à chaque nouvelle attention, à chaque regard on découvre pour l’aimer et l’admirer davantage. Le besoin de mon cœur me porte de ce côté, il n’est satisfait que par les choses divines. Ce fut de tout temps, mais plus encore quand les charmes qui restaient dans la vie et qui nourrissaient l’âme sont perdus. Heureux sommes-nous quand l’esprit de Dieu vient sur ce vide et y fait une création ! Il me semble que cela se fait en moi, que quelque chose de nouveau et qui n’est rien d’humain s’opère, transformation d’une autre vie, d’un autre monde où Dieu habite, où j’ai ma mère et Maurice. Oh ! que la mort nous ôte d’ici et nous en dégoûte ! J’ai vu quelque chose de pareil dans sainte Thérèse. Après la mort de son frère, elle écrivait : « J’ai quatre ans de plus que lui et je ne puis pas parvenir à mourir ! »
« … Quand la tige est parvenue à la hauteur et à la force convenables, on voit se former à sa partie supérieure un petit bouton. Ce bouton renferme tout ce qu’il y a de plus précieux dans la plante. Aussi nous allons voir de quels soins tendres et multipliés la Providence l’environne. Elle le couvre d’abord de trois ou quatre enveloppes bien unies, bien serrées, afin de le protéger contre le froid, la chaleur, les insectes, les vents et la pluie. La première de ces enveloppes est plus dure et offre plus de résistance ; la seconde surpasse en finesse et en beauté la mousseline et la soie ; enfin la troisième, qui touche à la graine, n’a rien qui lui soit comparable pour la délicatesse et la douceur. Elle est faite ainsi, afin de ne pas blesser la petite créature qu’elle renferme. A mesure que ce germe précieux grossit, les enveloppes s’élargissent ; enfin elles s’ouvrent, mais non pas entièrement ni tout d’un coup, afin de ne pas exposer le petit nourrisson au danger de périr. Quand il est assez fort, toutes ces petites enveloppes de mousseline, tous ces tendres duvets sont écartés, ainsi qu’on écarte les langes qui emmaillottent un enfant. »
Que c’est joli ! Cette admiration m’échappe, mais je veux prendre le charmant tableau tout entier :
« Ce germe précieux est destiné à donner naissance à de nouvelles plantes ; mais cette nouvelle naissance sera accompagnée d’une joie et d’une magnificence inexprimables. Lorsque l’enfant d’un roi vient au monde, on le reçoit dans un berceau doré, on le place dans des appartements richement décorés. Voilà ce que fait le bon Dieu pour l’enfant ou le fruit de la moindre plante. Des feuilles d’une douceur, d’une finesse, d’un moelleux inimitables, peintes des couleurs les plus belles, les plus variées et les plus agréables, lui servent de langes et de berceau. Autour de lui s’exhale le parfum le plus suave ; c’est au milieu de cette demeure plus riche que les Louvres des rois qu’il naît et qu’il grandit. Examinez tout cela de près, et, si vous pouvez, défendez à vos lèvres de dire avec le divin Sauveur : Je vous assure que Salomon dans toute sa magnificence ne fut jamais si richement habillé. »
Jamais fleur ne fut non plus si richement dépeinte, jamais si gracieuse description n’en fut faite. On croirait lire un nouveau Bernardin de Saint-Pierre, et ce n’est qu’un passage de catéchisme, de ce Catéchisme de persévérance dont je parlais, de l’abbé Gaume. Bon et bel ouvrage de l’époque, où, sous le plus simple titre, se trouve l’histoire complète de la religion racontée à des enfants de la façon la plus attachante. Rien que quelques aperçus m’ont charmée. Je vais me raviver l’âme à cette lecture.
Le 23 mai. — Enfin, je sais que cette chère publication du Centaure a paru. Des jeunes gens venus de Gaillac me l’ont appris. Depuis je ne pense qu’à cela, et au passé, hélas ! où moindre chose me ramène. Me l’enverrez-vous ? Qui sait ? Je suis injuste peut-être, mais votre silence est si durable et le cœur humain si changeant ! Et qu’y aurait-il d’étonnant que quelqu’un du monde vînt à oublier une pauvre amitié d’anachorète qui ne peut pas lui offrir beaucoup d’agrément ? Je n’ai d’autre titre que d’être la sœur de Maurice, et cela se peut effacer : le temps efface tout.
Ce matin visite aux champs pour les Rogations, au lever du soleil. Que c’est joli de parcourir à cette heure-là la campagne ! de se trouver au réveil des fleurs, des oiseaux, de toute une matinée de printemps, et qu’alors la prière est facile ! qu’elle s’en va doucement dans cet air embaumé, à la vue de si gracieuses et magnifiques œuvres de Dieu ! On est trop heureux de revoir un printemps. Dieu l’a voulu sans doute pour nous consoler du paradis terrestre. Rien ne me donne l’idée de l’Éden comme cette nature renaissante, ondoyante, resplendissante dans la belle fraîcheur de mai.
Arrêtée au village. Passé au cou d’un jeune homme malade la petite croix d’or que Maurice portait sur lui. Il l’a baisée avec des larmes, et cela lui fera du bien. La vue d’une croix est bonne quand on souffre. Je ne connais pas de meilleur calmant, et je le donne avec foi et amour.
[Sans date.] — Non, je n’écrirai pas mes émotions d’aujourd’hui, si diverses d’ailleurs. Oh ! que cela fait voir les mille facultés de l’âme, tant de sentiments et pensées ! l’arc-en-ciel a moins de couleurs, et cela en si peu de temps ! En quelques minutes, parfois, par combien de sensations je passe !
Le 28. — Encore une mort, encore un disparu de cette association d’amis qui se rattachait à Maurice : pauvres jeunes gens tous pleins de joie et d’avenir, tous réunis naguère à Paris, et maintenant deçà delà dans des tombes ! Oh ! que c’est désolant ! que de lamentations me viennent sur ces destructions lamentables et si rapides des hommes ! Hommes du monde, hélas ! plus à pleurer que d’autres, que j’ai vus, connus, appréciés, aimés par quelque endroit ! J’avais trouvé M. Bodimont fort dévoué à Maurice ; sa jolie petite femme (morte également) m’avait aussi gagnée d’intérêt, et tout cela, se rattachant à mes plus chers souvenirs, m’a frappée de tristesse en trouvant dans la Gazette, à l’article nécrologique, le nom de M. Bodimont. Il ne me manque plus que d’y rencontrer le vôtre, que je ne trouve plus nulle part.
Mon Dieu, ayez pitié de ces pauvres âmes d’amis !
[Sans date.] — Que c’est beau, que c’est beau ce Polyeucte, et ce Corneille ! quel vers :
Après cela et tant de belles et sublimes choses que les grands auteurs ont de tout temps puisées dans la religion, qu’on vienne nous dire si cette religion n’est point un beau songe, une image flatteuse ! « Quoi ! notre unique bien est-il une illusion ! Quoi ? ce christianisme descendu du ciel sur la terre avec le Fils de Dieu, promis par les prophètes, annoncé par les apôtres, vérifié par tant de miracles, confirmé par tant de martyrs, cette religion seule digne de Dieu, cette doctrine visiblement céleste qui a formé tant d’hommes merveilleux sur la terre, n’est-ce qu’un songe ? » Paroles de quelqu’un qui me reviennent.
Le 30. — « Chère Eugénie, votre cœur si aimant sera tristement affecté en lisant le récit des souffrances de votre amie. » Commencement d’une lettre toute remplie de douleurs, en effet, écrites et senties. Pauvre Marie ! qui n’a plus la force de me parler de ses souffrances. Je n’ai plus de son écriture, c’est sa mère qui m’écrit le désolant bulletin. Deuil sur deuil, angoisses sur angoisses, la vie n’est plus qu’un cours d’afflictions ; rien que des larmes, et encore n’ai-je pas en cela tout ce que je veux, car je voudrais tant ce Centaure. Ce matin, je comptais mes amitiés perdues, mortes de mort ou d’indifférence, et le nombre en est grand, quoique j’aie peu vu de monde.
Entre autres beaux effets du vent à la campagne, il n’en est pas qui soient beaux comme la vue d’un champ de blé tout agité, bouillonnant, ondulant sous ces grands souffles qui passent en abaissant et soulevant si vite les épis par monceaux. Il s’en fait, par le mouvement, comme de grosses boules vertes roulant par milliers l’une sur l’autre avec une grâce infinie. J’ai passé une demi-heure à contempler cela et à me figurer la mer, surface verte et bondissante. Oh ! que je voudrais réellement voir la mer, ce grand miroir de Dieu où se reflètent tant de merveilles !
Le 1er juin. — Visite rare, conversation distinguée. Il passe par intervalle quelque passant aimable au Cayla, le grand désert vide ou peuplé à peu près comme était la terre avant qu’y parût l’homme. On y passe des jours à ne voir que des moutons, à n’entendre que des oiseaux. Solitude qui n’est pas sans charme pour l’âme non liée au monde, désabusée du monde.
Le 5 juin. — Oh ! ceci se date, ce jour, cette Revue arrivée, ce moment où je vais lire enfin le Centaure ! Je l’ai là, je le tiens, je le regarde, j’hésite à l’ouvrir, ce recueil funéraire, pour lequel j’aurais donné mes yeux il y a un instant. Mon Dieu, que le cœur a des contraires !
Le 9. — Depuis quatre jours je suis sans bouger sous l’impression de ce Centaure, de ces lettres, de ces révélations si hautes ou si intimes, de ces mots du cœur si profonds et si tristes, de ces pressentiments si malheureusement réalisés d’une fin prochaine, de ces tant précieuses et douloureuses choses de Maurice que m’a apportées la Revue des Deux Mondes. Rien ne m’avait émue comme cette lecture, même de ce que je lis de Maurice. Serait-ce que ces écrits de lui, que je ne connaissais pas, renouvellent et accroissent en se montrant le sentiment de sa perte, ou que, présentés avec un charme qui en fait ressortir le prix, j’en suis plus touchée que de ce que j’avais vu sans cela ? Quoi qu’il en soit, je goûte une jouissance trempée de larmes, un bonheur à deux goûts, une possession plus pleine, mieux estimée et par cela plus triste que jamais de Maurice, dans ce beau Centaure et ces fragments intimes. Qu’il est pénétrant dans ses dires du cœur ! dans cette douce, délicate et si fine façon de parler douleur que je n’ai connue qu’à lui ! Oh ! Mme Sand a raison de dire que ce sont des mots à enchâsser comme de gros diamants au faîte du diadème. Ou plutôt, il était tout diamant, Maurice.
Bénis soient ceux qui l’estiment son prix, bénie soit la voix qui le loue, qui le porte si haut avec tant de respect et d’enthousiasme intelligent ! mais cette voix se trompe en un point, elle se trompe quand elle dit que la foi manquait à cette âme. Non, la foi ne lui manquait pas : je le proclame et je l’atteste par ce que j’ai vu et entendu, par la prière, par les saintes lectures, par les sacrements, par tous les actes de chrétien, par la mort qui dévoile la vie, mort sur un crucifix. J’ai bien envie d’écrire à George Sand, de lui envoyer quelque chose que j’ai dans l’idée sur Maurice, comme une couronne pour couvrir cette tache qu’elle lui a mise au front. Je ne puis supporter qu’on ôte ou qu’on ajoute le moindre trait à ce visage, si beau dans son vrai ; et ce jour irréligieux et païen le défigure.
Le 15. — Que me vient-il de Paris pour Maurice ? pour lui qui ne se doutait point de gloire, qui n’en voulait pas. Mais je l’accepte en sa mémoire et pour sa mémoire. Voici ce qu’un comte de Beaufort vient de m’offrir : la publication d’une notice dans la Revue de Paris, qui fera regard à celle de la Revue des Deux Mondes, dans toute la beauté et pureté de ressemblance chrétienne. Mme Sand fait de Maurice un sceptique, un grand poëte à la façon de Byron, et cela m’affligeait de voir présenter sous ce faux jour le nom de mon frère, un nom resté pur de ces déplorables erreurs. Je voulais écrire pour rendre hommage à la vérité, et voilà qu’une voix s’élève. Dieu soit béni ! je n’ai qu’à donner notre approbation qu’on demande. Nous la donnerons avec joie.
Vendredi 19 juin. — Onze mois juste (et un vendredi !) de sa mort. Quel jour et comme je l’ai passé ! Après la prière, cette élévation de l’âme vers Dieu et vers lui, je n’ai fait que remuer ses papiers, ses lettres, ses poésies, chères et saintes reliques, que je n’osais pas toucher d’abord et dans lesquelles j’ai trouvé ensuite je ne sais quoi à ne pouvoir m’en détacher. D’abord des larmes et puis comme un enivrement de ce passé rouvert, goûté, bu à longs traits de cœur. Oh ! quel triste charme à cela ! et qu’ai-je rencontré dans ce carton funèbre en l’ouvrant sur un tas de choses ? Ces lignes, ces lignes frappantes de rapport et laissées là, il y a deux ans !
« Je ne demande point où tu reposes, je ne chercherai pas ta tombe. Nous avons connu les plus beaux jours de la vie, les plus funestes n’appartiennent plus qu’à moi.
« Si je pouvais pleurer comme je pleurais autrefois, j’aurais sujet de verser des larmes en pensant que je n’ai pu veiller auprès de ton lit…
« Combien je préfère à tous les objets aimables le souvenir que je garde de toi !… »
Hélas ! d’où donc avais-je tiré ces choses qui renfermaient une si cruelle vérité, il y a bien sept ou huit ans de date ? Ne dirait-on pas que notre âme entend de loin venir le malheur, tant ces pensées et d’autres que je trouve dans le passé se rapportent à ma perte, à ce cher Maurice. Mon Dieu !
C’est pour lui que j’ai fait ce triste inventaire, pour rendre à sa mémoire ce soin pieux dans ce qu’il m’a laissé. Jusqu’ici je n’avais mis à part que ses dernières lettres, et j’y veux mettre tout, comme une chose sainte.
Le 1er juillet. — Entendu la première cigale. Quel plaisir c’eût été de l’entendre à pareil jour, l’an dernier, avec Maurice à ma fenêtre ! Mais nous étions sur la route de Bordeaux dans la chaleur, la poussière et les angoisses.
L’inattendu et charmant billet de M. Sainte-Beuve ! cet auteur exquis dont je reçois l’écriture vivante. C’eût été bonheur autrefois, mais à présent tout porte amertume et tourne aux larmes. Il en est ainsi de ce billet et de tant d’autres choses que je dois à la mort de Maurice. Toutes mes relations, toute ma vie presque se rattachent à un cercueil.
Le 8. — Nous arrivions au Cayla à sept heures du soir, un an passé.
[Sans date.] — Depuis quelque temps, je néglige fort mon Journal ; je m’en étais déprise presque, je m’y reprends aujourd’hui, non pour rien d’intéressant à y mettre, mais par simple retour à une chose aimée ; car je l’aime, ce pauvre recueil, malgré mes délaissements. Il se rattache à une chaîne de joies, à un passé qui me tient trop au cœur pour ne pas tenir à ce qui en fait suite. Ces pages donc seront continuées. Je les laisse et je les reprends, ces chères écritures, comme les pulsations dans la poitrine, toujours, mais suspendues quelquefois par les oppressements.
Le petit cours de mes jours va donc reprendre au naturel. Pour le moment, j’y note une visite, de celles que je voudrais quelquefois pour diversion agréable. Quoique ce soit un jeune homme bien jeune, on peut causer avec lui, parce qu’il a lu, vu le monde, et qu’il a dans l’esprit une douceur et un aplomb de jugement que j’aime pour discourir diversement de diverses choses. Nous n’avons pas la même façon de voir, et mon âge me permettant d’exprimer et de soutenir la mienne, je me plais à le contredire, par plaisir et par conviction ; car ce que je dis, je le pense.
Si quelque chose est doux, suave, inexprimable en calme et en beauté, c’est bien certainement nos belles nuits, celle que je viens de voir de ma fenêtre, qui se fait sous la pleine lune, dans la transparence d’un air embaumé, où tout se dessine comme sous un globe de cristal.
[Sans date.] — Il y a dans la Bretagne, non loin de la Chênaie, une campagne appelée le Val de l’Arguenon, profonde solitude au bord de l’Océan, où Maurice a demeuré. Il s’en fut là, à la chute de M. de Lamennais, et y vécut en ami chez un ami, le bon et aimant Hippolyte de La Morvonnais. J’aurai toujours souvenir et reconnaissance infinie de cet accueil et attachement distingué, et de je ne sais quelle touchante sympathie que m’avaient vouée et exprimée cet ami de Maurice et sa charmante femme. Nous avons eu quelque temps des relations suivies avec cette famille et qui se sont continuées avec M. Hippolyte lorsqu’il eut perdu sa femme. Après un long silence de deux ans, il m’arrive aujourd’hui une lettre comme celles d’autrefois, et de plus, hélas ! toute pleine de Maurice mort. Vous dire comme cela m’a touchée, ce témoignage du cœur, cette sorte de résurrection d’un ami sur la tombe de son ami ! Aussi je lui répondrai, je lui dirai pourquoi je ne lui ai plus écrit, pourquoi je lui ai laissé annoncer cette mort par un journal, car c’est ainsi qu’il a su la perte que nous avons faite. Je ne me pardonnerais pas cela, si je n’avais de trop bonnes raisons d’excuses, une fatalité qui a fait que mes dernières lettres ou les siennes se sont perdues. C’est la Revue des Deux Mondes qui a porté cette mort, ce deuil à l’Arguenon, pauvre douce campagne toute remplie de Maurice…
Nous allons voir cela dans une publication de M. Hippolyte, et qu’il dit qu’il m’envoie avec une autre ; mais je n’ai rien reçu que sa lettre, qui est assez pour la pauvre sœur de Maurice. Celui-là aussi m’avait appelée sa sœur : fraternité lointaine, inconnue, mais il devait venir et m’amener Marie, sa petite fille, que Maurice avait baisée, caressée au berceau et sur les genoux de sa mère, charmante enfant, disait-il. Enfant qui m’a préoccupée à côté de sa mère vivante et morte, que je me faisais un charme de tenir ici sur mes genoux, rêves et sentiments que cette lettre réveille. J’avais écrit à cet ami à la prière de Maurice, car de moi-même jamais je n’aurais eu l’idée de continuer avec lui une correspondance brisée par la mort de sa pauvre jeune femme. Reprendrons-nous à présent que moins que jamais je veux des correspondances ? Mais c’est un ami de Maurice, qui l’a secouru dans le malheur, qui a su l’estimer son prix, qui lui fut bon de dévouement et de foi, dans des jours mauvais pour l’âme. C’en est assez, sans compter ce qu’il fait encore, un article pour Maurice dans l’Université catholique. Oh ! c’en est assez pour que je réponde et avec effusion à cette dernière lettre. Il est dans mon cœur et dans ce que Dieu m’enseigne de reconnaître jusqu’aux bonnes intentions des hommes.
Le 18. — Dernier jour qu’il a passé sur la terre.
Le 19, à onze heures du matin. — Douloureux coups de cloche que je viens d’entendre, au même instant, à la même heure où son âme quitta ce monde, au même son lugubre et tout comme si cette cloche eût sonné pour lui à présent. C’était pour une autre mort ce glas, de retour au même jour, au même instant, que j’entends dans mon âme tout ce matin. Mon Dieu, quel anniversaire ! quel souvenir vif et présent de cette mort, de cette chambre, chapelle ardente et lugubre, de ce lit entouré de larmes et de prières, de cette figure pâle, de cet in manus tuas, Domine, dit et redit si haut ! Maurice ! Dieu aura entendu et reçu au ciel ton âme qui demandait le ciel. — Oh ! adieu encore, et aussi amèrement qu’alors ; le temps et la mort t’ont transposé, mais non changé dans mon cœur. Toujours là, frère bien-aimé ! autrefois pour mon bonheur, à présent pour mes larmes, qu’autant que possible je transforme en prières. C’est le meilleur témoignage d’amour que les chrétiens puissent donner. Ce jour donc ne sera qu’un pieux recueillement dans la mort ; dans cette vie au-dessus de celle où nous sommes, bien cachée, bien mystérieuse, impénétrable, mais réelle, mais révélée et établie sur la foi, sur la foi, la base de ce que nous espérons et la conviction de ce que nous ne voyons pas. Bienheureux ceux qui croient ! que je voudrais que tous pussent croire, que je le voudrais ! et que d’adorables mystères fussent adorés de tous les hommes ! Les vérités révélées ont la propriété des abîmes : elles sont sans fond et sans lumière, c’est ce qui fait le mérite de la foi. Mais on y est conduit par des routes sûres et lumineuses, qui sont la parole de Dieu et les témoignages rendus à cette parole. C’est ce qui fait que la soumission aux vérités de la foi est une obéissance solide et raisonnable. Quand on considère ces choses saintes, on les voit ainsi.