L'homme né de la guerre : $b témoignage d'un converti (Yser-Artois, 1915)
CHAPITRE VII
Incidents quotidiens. Vendredi saint : j’entre à l’église. Une messe aux batteries le Samedi saint. On m’annonce la mort d’un officier de marine. Quinze jours après, la nouvelle : c’était Dupouey. Exaltation immodérée de ma douleur. Au cimetière de Coxyde-Ville. Ma visite aux marins. Le milieu. De quoi il est mort. Révélations de l’aumônier : c’était un saint. De quelle ardeur il voulait fêter Pâques. Il l’a fêté au ciel. Mon transport.
Donc le temps a passé. Un mois encore. Nous n’avons pas changé de place. Sous l’œil des saucisses et des avions, la même vie. Non pas vide, tant s’en faut ! Ah ! si pleine au contraire que je dois renoncer à noter tous les incidents, accidents et événements, d’ordre extérieur, intérieur, particulier et général, qui s’y succèdent. On s’intéresse à tout, aux nuages démesurés qui sont si beaux sur la plate étendue des Flandres, aux propos des poilus, à leur vie, à leur cœur, aux travers de nos chefs et à leur héroïsme[21], aux détails curieux de la guérilla immobile qu’on mène dans le secteur, aux blessés et aux morts. Nous avons eu « un coup dur » comme on dit, à l’usine à gaz de Nieuport-Ville. Un de nos capitaines, un petit homme décidé, le calme et la volonté mêmes, a vu tomber à ses côtés le lieutenant R… et trois hommes ; lui-même, la mâchoire brisée, est en danger mortel. Notre vieux capitaine d’active, qui représentait la « bonté » a dû quitter aussi sa batterie ; il avait le cœur trop sensible. Mais le souci de la guerre domine tout ; entre D… et moi, c’est un sujet constant d’échanges. Et les Russes ? Et les Anglais ? Il y a Neuve-Capelle et il y a Przemysl… A quand notre grande offensive ? Un petit soldat belge qui vient souvent boire à la ferme nous amuse par sa candeur, ses récits bourrés de mensonge et son accent « wallon ». Entre temps, nous faisons la chasse aux espions, qui dans les environs pullulent. On ne s’ennuie jamais. Je sais que D… est bon chrétien, bon catholique. Mon esprit est si peu préoccupé de foi que, vivant tout le jour ensemble, jamais nous n’abordons la question. Et voici Pâques. Je continue à fréquenter la messe, en spectateur.
[21] Puissé-je peindre un jour toutes ces figures que j’aime !
Je me souviens que le Vendredi saint, le soleil était chaud ; que la brume de mer étalait une sorte de crêpe noir sur l’horizon de dunes. C’était le temps où l’ennemi tâchait d’écraser les écluses à coups de 420. J’avais été très irrité d’entendre, à l’enterrement du lieutenant R…, un aumônier de fusiliers-marins, habile à profiter des circonstances, sommer en quelque sorte nos soldats d’avoir à s’approcher des sacrements ; je jugeais l’exhortation déplacée. Le nouveau commandant (Je le surnommais dans mes notes — qu’il me pardonne — un Bidel mâtiné de Loyola !…) s’ingérait aussi, à tort selon moi, dans nos affaires de conscience ; il s’indignait de ne trouver en tout, dans l’une de nos batteries, que deux « poilus » disposés à faire leurs Pâques. Et pourquoi pas ? Un tel abus d’autorité, voilà le vrai moyen, pensais-je, de faire tort à une religion — que je respecte. Qu’elle respecte donc aussi la liberté des dissidents ! Il n’en est pas moins vrai que ce jour-là, passant devant l’église, je ne pus me tenir d’y entrer un moment. Le tabernacle était ouvert et vide ; il n’y avait pas de tombeau. C’était dans mon esprit (il fallait bien m’expliquer ma démarche) une visite de politesse que je rendais à l’ancien Dieu de mon pays.
Le Samedi saint, rien d’important à signaler, sinon quelques obus anodins sur notre village… Le lieutenant S… dont l’air de santé fait ma joie, passe chez nous en se rendant aux funérailles d’un jeune enseigne de vaisseau tué avant-hier à l’Yser-sud… Les Boches ont crevé les digues et l’inondation couvre déjà la route ; on travaille à la contenir. Le lieutenant H…, autre gosse, nous raconte la messe de communion qui eut lieu le matin à sa position de batterie. C’était au « bois triangulaire » — endroit sinistre — on avait installé une table en plein air entre deux caissons d’artillerie, et lui-même a servi l’office. Malgré sa dissipation, il a un visage candide ; j’aurais aimé de le voir en enfant de chœur. Tout l’état-major était là et le commandant B… a prononcé une allocution regrettable ; il s’est déclaré « bien heureux de commander à des chrétiens ». Pas aux autres alors ? J’écris dans mon carnet : « Ces gens-là ont ce qu’ils méritent ; ils perdent ce qu’ils croient servir. » A dîner, nous avons le cousin du lieutenant D…, qui est mitrailleur chez les Belges. A peine, cette nuit-là, si j’ai entendu un coup de fusil. — Il faudra pourtant retenir la date.
Après la grand’messe de Pâques (la musique a joué du Franck et, comme d’habitude, la Brabançonne), nous sortons par le cimetière en conversant. Tous nos officiers sont venus. On parle du marmitage quotidien de Ramscapelle, des exploits de Garros qui est à l’armée de Belgique ; je l’ai souvent rencontré autrefois. J’entends dire aussi qu’au cours de la nuit, un officier de marine, un encore ! est tombé devant l’ennemi, mais cette fois dans le secteur voisin. On me donne un nom vague… Si c’était Dupouey ? Je décide que non. On parle d’autre chose. Il fait tiède, mais gris. Le ciel est vide de canon. Si je me sens tout démonté, c’est que mon compagnon de chaque jour, le lieutenant D… doit quitter l’échelon pour la batterie. Il part demain. Pour me faire à son remplaçant (le pauvre garçon — que Dieu ait son âme !) il faudra quelque temps. Passons.
C’est de l’arrière que la nouvelle me revient, à quinze jours de là. Je suis plein de pressentiments quand je me lève. Vous connaissez cette mélancolie qu’aggrave le beau temps. Je tiens à être seul. J’erre l’après-midi, dans la direction de Boitschoute. Pour m’étourdir, je raconte aux amis que je retrouve dans la salle toute « ma retraite » après Charleroi. Arrivent les lettres ! Notre amie Marguerite d’H… dont la belle-sœur habite Lorient, m’annonce que la famille de Dupouey est dans les larmes : le capitaine est mort. Ce devait être le Samedi saint. Elle réclame des renseignements.
Quel choc ! On sent en soi un gouffre qui se creuse. On est penché dessus, on n’en voit pas le fond : on reste là, pris de vertige. Comment puis-je rire au dîner ? La bonne humeur du lieutenant Dr…, qui s’est joint à nous depuis peu, l’emporte encore. A peine rentré dans ma chambre, je fonds en pleurs.
Il est mort ! Il est mort sans que je le revoie ! sans que je sache même qu’il est mort ! Depuis bientôt quinze jours qu’il est mort, j’ai vécu comme s’il vivait ! Il est mort et je vis moi-même !
Qui ? Il ? — Cet ami de mon ami G… que j’ai rencontré trois fois dans ma vie ! J’ai même déjeuné avec lui une fois ! Cet officier vaillant, cet homme gai et grave, artiste et beau causeur, qui n’a fait que passer, sans me laisser un mot de confidence.
Il est mort près de moi, à quelques kilomètres, sans doute aux tranchées de l’Yser… et je ne l’ai pas relevé ! Mais j’ai continué de rire, de boire, de contempler tout ce que j’aime, de vivre et de me plaire à vivre, comme si de rien n’était ! Comme s’il ne m’était de rien ! — Que m’était-il ?
Ah ! sommes-nous inconscients à ce point du trésor caché de notre âme et ne savons-nous pas qui nous aimons ? mes larmes ne s’arrêtent pas ; mon désespoir est sans limites. Jamais je n’ai ainsi pleuré que sur ma pauvre mère. Non, jamais !
Questions après coup formulées. A ce moment de crise, je ne songe point à me les poser. Je ne m’étonne pas de ma douleur ; elle est maîtresse ; je trouve naturel de pleurer ainsi « l’inconnu ».
Nuit mauvaise ; demi-sommeil ; rêves bizarres : J’imagine de terribles mines aériennes barrant le ciel aux avions ennemis. Le matin, on m’apprend que notre commandant est décoré ; je suis injuste : « Tout pour ceux-là ! » Comment ne pas détester ceux qui restent, lorsque je vois les bons mourir ? C’était bien de Dupouey que l’on m’avait parlé à la sortie de la messe de Pâques. Il doit être enterré à Coxyde-Ville. J’y vais à pied.
Derrière le camp R… des paysans labourent. Je m’en veux d’avoir encore des regards pour la campagne et pour les hommes. A l’entrée du village, voici l’église neuve, la plus laide de la contrée, et son clocher trop effilé. Le cimetière est autour de l’église. Je n’ai pas de mal à trouver.
Entre la tombe du jeune enseigne Perroquin et du lieutenant d’artillerie Anquetin, la sienne. La certitude du fait accompli. Sur une croix de bois son nom et une date : 3 avril 1915. Mort au champ d’honneur. Le tertre argileux est caché par de grandes couronnes de perles et de fleurs fausses. Sur la plus grande, on lit : « A notre capitaine. » Tout d’un coup je songe à ses hommes, à ses « Jean le Gouin ». Une nouvelle vague de doux désespoir me submerge : je n’ai pas partagé leur deuil ! Je m’éloigne ; je reviens ; je ne sais plus m’arracher de sa tombe. J’avise des marins du 1er régiment venus rendre visite à la dépouille de leurs camarades qui sont nombreux ici. Ils ont bien entendu parler de Dupouey ; mais il y a longtemps déjà ; les morts vont vite : il a dû être touché à la relève par un éclat d’obus… C’est bon. Ai-je dit que ma sœur m’avait glissé dans une lettre une petite branche de buis, bénie aux tout derniers Rameaux ? je l’avais conservée sur moi. J’eus la pensée d’en détacher un brin déjà jauni que je fixai à la croix funéraire ; je n’avais rien d’autre à donner. J’arrêtai là un instant encore ma pensée, ah ! ma plus profonde pensée ! — était-ce là prier ?[22], et je sortis.
[22] Je trouve, dans une lettre que j’adressais à André G… (17 avril) cet aveu singulier : « Ai-je prié pour lui ? je le crois bien ou c’est tout comme… Dans l’exaltation où je suis, je suis capable de prier sans croire… de croire pour les autres, ne croyant pas pour moi. »
Voici ce que j’appris des compagnons de notre ami, lorsque je pus les joindre au cantonnement de la dune.
C’est par un temps brumeux, on enfonce au sable jusqu’aux genoux ; chaque pli de la dune est pareil : on s’égare… Je me traîne là comme en songe, haletant vers la vérité… Je trouve enfin la baraque en planches des officiers et, plus insouciante que jamais, la vie, qui déjà continue. Vais-je entrer ? Ils redescendent des tranchées ; ils ont tous leurs membres ; ils sont gais. Ils vont prendre du thé avec des gâteaux ; ils m’invitent et je me fais l’effet à leur table d’un croque-mort. Combien de minutes et de paroles daigneront-ils donner, pour me faire plaisir, à une mémoire si chère ? Ah ! ne les jugeons pas ; comprenons-les. Chez eux à chaque jour la mort fait brèche. Hier encore, l’enseigne de vaisseau Tarade a eu le bras emporté par un 150. Eh bien ! il plaisantait quand même ; il a refusé de partir avant d’avoir tendu « l’autre main » à son lieutenant. Cependant survient le commandant B…, haut comme une botte : il a l’œil vif, la barbe en pointe toute pailletée d’argent : un camarade ! il n’est pas de trop dans la fête… On boit, on potine, on plaisante. Tout le monde parle à la fois et uniquement pour parler. Je suis perdu. Je prends à part le lieutenant V…h… qui fut de notre repas de Coxyde et tout de suite la mâle gravité que j’ai connue reparaît sur son franc visage : je l’aime ainsi.
« Excusez-nous, dit-il, de vous avoir tenu dans l’ignorance ; nous n’avions plus tous nos moyens ! La chose eut lieu le samedi, vers dix heures du soir, avant la relève. « Il » faisait son tour en première ligne : « il » voulait comme d’habitude laisser la tranchée bien en ordre. Nous avions eu justement, ce jour-là, un bouclier arraché par une marmite : on venait de le réparer. Tandis que Dupouey l’examine, une balle aveugle tirée sur le créneau, le frappe en plein front et il tombe… Il ne reprit pas connaissance et, comme nous le transportions vers Nieuport-Ville, à mi-chemin il finit de mourir. Quel ami ! quel homme ! quel officier ! D’ailleurs, demandez à quiconque. Moi, je l’ai connu de plus près. Très malade depuis longtemps, il ne voulut jamais le reconnaître ; du côté de Dixmude, je l’ai vu faire étape avec toute sa charge au dos, sans sourciller… Brave comme pas un, ménager de ses hommes, point téméraire, il envisageait tous les risques. Mais il avait accepté son destin. »
Le lieutenant V…h… n’est pas causeur : ce qu’il dit est bref, simple et il le pense. Un jeune enseigne ajoute à haute voix, pour nous : « C’était une intelligence d’élite ! »
Je n’en obtiens pas plus. Même les plus intimes ont-ils pénétré jusqu’au fond, jusqu’à la source de cette force d’âme ? Je quête en vain le mot du précieux secret.
Il y a là un aumônier, petite figure pommelée, joues vermeilles et barbiche brune, qui semble fin et jovial plutôt que saint. C’est du moins mon impression : comme si Dieu n’avait pas donné le rire à l’homme pour signe de l’innocence du cœur ! Il est très entouré ; dans le tumulte des répliques, je perçois les taquineries dont les plus jeunes officiers le criblent. « Toujours mauvaise langue, monsieur l’aumônier ! » Il rit et se défend… Je voudrais pourtant lui parler : celui-là doit savoir ! Enfin on me présente ; c’est un autre homme qui me répond.
« Vous étiez ami de Dupouey ? (ami !… mon trouble et l’intérêt que je lui porte pourraient le faire croire — et l’aumônier le croit…) Ah ! monsieur, quelle perte sur nous ! Certes, nous devons le regretter. Mais peut-être vous étonnerai-je si je vous dis que sa mort nous console. Quelle perte ! mais quelle mort ! Quels regrets ! cher Monsieur, mais quel exemple ! J’ai visité beaucoup de consciences, c’est mon état ; j’ai connu beaucoup d’âmes et de belles âmes ; elles ne sont pas rares chez les marins ! jamais nulle part, la pareille. Dans les derniers mois de sa vie, j’ai assisté, je puis le dire, à sa transfiguration. Il montait chaque jour plus haut… il acquérait chaque jour un mérite… Il ne faisait plus un pas sur la terre, qui ne l’en détachât pour l’amener un peu plus près du ciel. Il songeait sans cesse à la mort : il la voyait marcher à sa rencontre, et plus elle approchait, moins il semblait la redouter. Non qu’il la pressât de venir ! si impatient qu’il en fût, il respectait la volonté céleste. Disons plutôt qu’il était arrivé à cet état parfait d’indifférence où vivre et mourir ne sont qu’un ; il se tenait à la disposition de Dieu. D’un mot : Il était prêt. Et qui peut se vanter de l’être ?
« La dernière fois que je l’ai vu, c’était avant de partir aux tranchées et la Semaine sainte commençait. Nous faisions les cent pas ensemble, allant, venant, prolongeant indéfiniment la causerie ; on eût dit qu’il ne voulait plus me quitter. Il ne cessait pas de parler, dans une sorte d’exaltation mystique et notez bien que ce n’était pas de la mort. En entrant dans les fêtes anniversaires de l’agonie et de la croix de son Sauveur, qu’il allait passer au feu, dans la boue, dans l’odeur des cadavres, il ne songeait qu’à Pâques, à la résurrection, au retour. Il pensait justement rentrer dans la nuit de Vigile, entre samedi et dimanche. Quelle joie il se promettait : « Ah ! la belle fête que la fête de Pâques ! s’écriait-il. Nous la célébrerons ensemble, n’est-ce pas, monsieur l’aumônier ? Et je vous servirai la messe ? Ce ne sera pas le père X…, ce sera moi ! Nous chanterons l’Alleluia, de toute notre voix, de toute notre âme ! Ah ! que ce sera beau ! » Il me quitta sur ces paroles. L’Alleluia, il devait le chanter au ciel. — Le Samedi saint, à dix heures, au moment précis de rentrer… ah ! quelle était sa joie sans doute ! enfin, il y était, il la tenait, sa fête… Mais vous savez ce qu’il advint. »
Après un moment de silence, tandis que mon cœur soulevé d’admiration et de joie — de joie ! — poussait un flot de larmes à mes yeux, l’aumônier ajouta :
« Dans cet instant, son allégresse était si forte, et le don de soi si complet, réclamait en échange une telle fête de Dieu, que Dieu ne put résister au plaisir de la lui donner toute entière. C’est ainsi, j’imagine, qu’il nous le prit. »
Que voulez-vous que mon ravissement objecte ? Comment ne pas accepter le miracle, si j’accepte la sainteté ?…
« Vous me semblez si ému, reprit l’aumônier, que je puis vous faire confiance. Ce n’est pas violer un secret que de vous lire, à vous, ce que m’écrivait ces jours-ci la compagne de Dupouey. Nous sommes assez haut, dès maintenant, pour la comprendre. Ils ne faisaient qu’une âme dans le mariage : elle l’admirait comme un saint… Voyons ! est-ce qu’on pleure un saint ? Lisez sa lettre. »
Je la lus à fond, d’un regard avide ; j’en incorporai tout le suc divin[23]… Heureux les cœurs pour qui la mort est le contraire du néant et dont l’amour passe la tombe !… comme ils renversent toutes nos humaines valeurs ! Je me résigne mal à celer au lecteur la révélation seconde qui acheva de mouvoir mon âme vers Dieu… Il comprendra : j’ai promis de me taire.
[23] « Tous deux nous avions fait le sacrifice. Quant au petit, il n’a plus de père, il n’a plus rien ; je le remets au Père… » (Cité par André G… dans la préface aux Lettres, d’après une lettre de moi.)
O faisceau de clartés ! Il n’y a plus là devant d’esprit fort. L’enthousiasme rompt ses digues. Un feu divin ruisselle et on ne lui fait pas sa part. Non ! sans défense ici, comme on est devant un chef-d’œuvre, on ne peut qu’ouvrir ses yeux et son cœur. Ainsi qu’à San-Marco de Florence naguère, devant la grande Crucifixion, je pleure, j’adore, je plie, par excès de bonheur, sous l’excès de beauté.
« Voyez-vous, murmure l’abbé, la vie de tous les jours ne convient pas aux grandes âmes ; la vie est par essence chose moyenne ; il faut ces immenses bouleversements pour que l’homme donne sa mesure. Qu’ils sont à plaindre ceux qui ne sont pas ici avec nous ! »
Au creux d’un repli de sable noirâtre, feutré d’alfa et de bruyère, un bataillon de fusiliers défile au loin, musique en tête. Ah ! ne parlons pas de douleur, de regrets, ni de mort ! Dans cette surhumaine ivresse qui ne connaît plus le péril, jusqu’où, Seigneur, n’irais-je pas ?