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La mort de Philæ

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LE TOUT GRACIEUX LUNCHEON

Au grand resplendissement de onze heures du matin, nous traversons les champs d'Abydos, venant des bords du Nil, comme jadis tant de pèlerins antiques, pour nous rendre aux sanctuaires d'Osiris, qui sont au delà des vertes plaines, à l'orée du désert.

Trois ou quatre lieues, sous le ciel limpide et le soleil de feu blanc, parmi des blés ou des luzernes dont le vert admirable est piqué de fleurettes pareilles à celles de nos climats. Des centaines de petits oiseaux nous chantent éperdument la joie de vivre; ce soleil rayonne et chauffe avec magnificence; ces blés fougueux ont déjà des épis; on dirait la grande fête de nos jours de mai; on oublie que c'est février, que c'est encore l'hiver,—l'hiver lumineux de l'Égypte. Çà et là, dans le déploiement des champs tranquilles, apparaissent des villages enfouis sous des arbres très feuillus, sous des acacias qui, de loin, ressemblent aux nôtres; il y a bien là-bas, murant les fertiles campagnes, la chaîne de Libye, trop rose peut-être et trop désolée; mais c'est égal, comme ce sont des moineaux et des alouettes qui font ici la gaie musique champêtre, on est à peine dépaysé; rien ne prépare l'esprit à ces vieux temples osiriens qui, paraît-il, vont tout à l'heure surgir.

Tout ce qu'il évoque pourtant, ce nom seul d'Abydos!… Rien que se dire: «Abydos est là tout près et j'y arriverai dans un moment», rien que cela transforme les aspects de ces simples sillons verts, rend presque imposante cette région d'herbages,—où le bourdonnement des mouches va croissant dans l'air surchauffé, tandis que le chant des oiseaux s'apaise et s'endort aux approches de midi.

Nous cheminions depuis un peu plus d'une heure parmi la verdure de ces jeunes blés étendus en tapis, quand, après les maisonnettes et les arbres d'un village, un monde tout autre se démasque soudain; toujours ce monde d'éblouissement et de mort qui enveloppe si étroitement l'Égypte habitée: le désert!

Il est là, le désert Libyque, et comme chaque fois que nous l'avons abordé venant des rives du vieux fleuve, nous sommes en contre-bas de lui. Il commence sans transition, absolu et terrible, aussitôt que finit le velours touffu du dernier champ, l'ombre fraîche du dernier acacia; ses sables ont l'air de dévaler jusqu'à nous, en une coulée immense, depuis ces montagnes trop étranges que nous apercevions de la plaine heureuse et qui trônent là-bas en souveraines sur tout ce néant.

La ville d'Abydos, aujourd'hui anéantie sans avoir laissé de vestiges, s'élevait jadis où nous sommes, au seuil des solitudes; mais ses nécropoles plus vénérées que celles de Memphis, ses temples trois fois saints étaient un peu au-dessus, dans les sables merveilleusement conservateurs qui les ont ensevelis sous leurs petites ondes patientes, pour en garder de presque intacts jusqu'à nos jours.

Le désert! Dès qu'on a posé le pied sur ce sol un peu mouvant, qui étouffe le bruit des pas, il semble que l'atmosphère aussi vient de subitement changer; elle se fait brûlante et altérante, comme si des brasiers s'étaient allumés dans les entours.

Et tout ce domaine de la clarté et de la sécheresse est, jusqu'en ses lointains, nuancé, zébré de ses habituels tons bruns, fauves ou jaunes. La morne réverbération des choses proches augmente jusqu'à l'excès la chaleur et la lumière; l'horizon tremble sous de petites vapeurs de mirage qui simulent de l'eau remuée par des souffles. Dans les arrière-plans, qui montent par degrés jusqu'aux pieds de la chaîne Libyenne, partout s'étagent des éboulis de pierres ou de briques; des ruines, presque sans forme, émergent à peine des sables, mais indiquent leurs présences sans nombre, suffisent à donner le sentiment que c'est ici un très vieux sol, travaillé jadis par les hommes pendant des siècles que l'on ne sait plus. Et, au premier coup d'œil, on les devine si bien là-dessous, les catacombes, les hypogées, les momies!

Ces nécropoles d'Abydos, quelle fascination jadis elles ont exercée, et pendant des millénaires, sur ce peuple, précurseur des peuples, qui habitait la vallée du Nil! C'est que, d'après l'une des plus antiques traditions humaines, la tête d'Osiris, seigneur de l'autre monde, reposait au fond d'un de ces temples, qui sont aujourd'hui écroulés sous les sables. Or les hommes, dès que leur pensée a commencé de sortir de la nuit originelle, ont été hantés par cette conception qu'il y a des voisinages secourables aux pauvres cadavres couchés sous terre, qu'il y a des lieux sacrés où il est plus prudent de se faire enfouir si l'on veut être prêt quand sonnera le réveil. Donc, en la vieille Égypte, chacun à l'heure de la mort tournait ses regards vers ces pierres et ces sables, dans un souhait ardent de pouvoir y dormir près du débris de son Dieu. Ceux qui n'obtenaient point d'y prendre place, tant les entours étaient déjà encombrés de dormeurs, imaginaient d'y faire au moins planter une humble stèle rappelant leur nom, ou bien recommandaient qu'on y déposât pour quelques semaines leur momie, sauf à la remporter après,—et des cortèges funèbres d'aller et retour traversaient sans cesse les blés qui séparent le Nil du désert. Abydos, dans le triste rêve humain où domine l'attente de la destruction, Abydos a précédé de beaucoup de siècles la vallée de Josaphat des Hébreux, les cimetières autour de La Mecque des musulmans et les saints caveaux sous nos plus vieilles cathédrales… Abydos! il n'y faudrait marcher qu'avec mélancolie et en silence, à cause de tant de milliers d'âmes qui jadis se sont orientées vers ce lieu, les mains tendues, à l'heure d'Épouvante…

Il est tout près, le premier grand temple, celui que le roi Sethos éleva pour cet inconnaissable prince de l'autre monde qui en son temps s'appelait Osiris. A peine quelque deux cents mètres, dans l'éblouissement de ce désert, et on y arrive; on est saisi d'y être, car rien n'en dénonçait l'approche, les sables d'où il a été exhumé, et qui l'ensevelissaient depuis deux mille ans, s'élevant encore alentour jusqu'aux frises. Une grille de fer, où veillent deux grands bédouins en robe noire, et aussitôt après, l'ombre des pierres énormes: on est chez le dieu, dans la forêt des lourdes colonnes osiriennes, au milieu d'un monde de personnages à haute coiffure qui sont inscrits en bas-relief sur tous les piliers, sur toutes les murailles et qui semblent s'appeler de la main les uns les autres, échanger entre eux mille signes de mystère, de silence et d'éternité…

Mais qu'est-ce que ce bruit dans le sanctuaire? On dirait que c'est plein de monde là-bas… Derrière la seconde rangée de colonnes, des gens parlent à tue-tête, avec l'accent britannique; je crois même qu'on entend des verres se choquer, et des fourchettes tapoter de la vaisselle…

Oh! pauvre, pauvre temple, ce qui s'y passe!… Non, c'est plus insultant qu'être mis à sac par les barbares: subir cet excès de grotesque dans la profanation! Il y a là joyeuse et gaillarde tablée d'une trentaine de couverts, et les convives des deux sexes appartiennent à cette humanité spéciale qui fréquente chez Thos Cook and Son (Egypt limited). Des casques de liège et de classiques lunettes vertes. On boit du soda, du whisky; on mange à longues dents des viandes, qu'enveloppèrent des papiers graisseux dont les dalles restent jonchées. Et les dames surtout, oh! les dames, quels épouvantails à moineaux.—Or, c'est ainsi tous les jours, tant que dure la «season», nous apprennent les gardes bédouins en robe noire. Un luncheon chez Osiris fait partie du programme of pleasure trips. Chaque midi, une bande nouvelle arrive, sur d'irresponsables et infortunés bourricots; quant aux tables, aux assiettes, elles se tiennent à demeure dans le vieux temple!

Sauvons-nous vite et, si possible, avant que le spectacle ait marqué dans notre mémoire.

Mais hélas! même quand nous sommes dehors, isolés de nouveau sur l'étendue des sables étincelants, nous ne pouvons plus rien prendre au sérieux: Abydos, le désert, tout a cessé d'exister; le visage de ces dames nous hante, et leurs chapeaux, et des regards qu'elles nous ont jetés par-dessus leurs lunettes solaires… La laideur Cook, on m'en avait donné une fois cette raison, satisfaisante à première vue: «Le Royaume-Uni, jaloux à juste titre de la beauté de ses filles, les soumettrait à un jury lorsque leur vient l'âge de puberté; à celles qui sont classées trop laides pour se transmettre, il accorderait une bourse sans limite chez Thos Cook and Son, les vouant ainsi à un perpétuel voyage qui ne leur laisserait pas le loisir de songer à certaines bagatelles de la vie.» L'explication m'avait séduit d'abord. Mais un examen plus attentif des bandes qui infestent la vallée du Nil m'a permis de constater que toutes ces Anglaises y sont d'un âge notoirement canonique; donc la catastrophe de la procréation, si tant est qu'elle ait pu se produire chez elles, doit remonter à des époques bien antérieures à leur enrôlement. Et je demeure perplexe…

Sans conviction maintenant, nous nous sommes acheminés vers un autre temple, garanti solitaire. En effet, le soleil y darde, souverainement seul, au milieu d'un hautain silence, et, ici, l'Égypte, le passé commencent à nous ressaisir.

Toujours pour Osiris, dieu du céleste réveil dans les nécropoles d'Abydos, Ramsès II avait érigé ce sanctuaire. Mais les sables ont eu beau l'envelopper de leur linceul, ils n'ont pu nous en conserver que la base plus enfouie, les hommes s'étant acharnés à le détruire par le faîte[6]; ses ruines, aujourd'hui protégées pourtant et déblayées, ne s'élèvent plus qu'à trois ou quatre mètres du sol. Dans les bas-reliefs, la plupart des personnages n'ont que les jambes et la moitié du torse; avec le haut des murailles s'en sont allées leurs têtes et leurs épaules; mais il semble qu'ils aient gardé la vie: leurs gesticulements, la mimique excessive de leurs attitudes de décapités sont plus étranges et plus saisissants peut-être que s'ils avaient encore un visage. Ce qu'ils ont gardé surtout de prodigieux, c'est l'éclat de leurs antiques peintures, les teintes fraîches de leurs costumes, leurs robes d'un bleu-turquoise ou lapis, ou d'un vert-émeraude, ou d'un jaune d'or; un badigeon naïf, mais devant lequel on reste confondu parce qu'il n'a pas bronché depuis trente-cinq siècles: tout ce que faisaient ces gens-là risquait d'être éternel. Pourtant des nuances aussi vives ne se retrouvent guère dans les autres monuments pharaoniques, et, ici, elles frappent d'autant plus que les fonds sont demeurés blancs; malgré ses portiques en granit bleuté, en granit noir, en granit rose, le temple a toutes ses murailles en un fin calcaire d'une blancheur rare, et en pur albâtre pour le saint des saints.

[6] Naguère un industriel, établi aux environs pour fabriquer de la chaux, ayant jugé friables à point les calcaires si fins des murailles, usa de ce temple comme d'une carrière et, pendant des années, les bas-reliefs sans prix servirent d'aliment aux meules de son usine.

Par-dessus ces murs tronqués, aux si belles, si gaies et claires couleurs, le désert apparaît, et il est tout bruni par le contraste; par-dessus ces tableaux, où les personnages n'ont plus de tête, on voit la grande montée fauve des sables et des pierrailles, qui s'en va, comme d'un colossal balancement de houle, baigner là-bas les pieds de la chaîne libyque. Vers le nord des solitudes et vers l'ouest, d'informes éboulements de blocs couleur basane se succèdent dans les sables, jusqu'où finit, d'une ligne nette sur le ciel, l'éblouissant lointain. A part ce temple de Ramsès où nous sommes, et, dans notre voisinage, celui de Sethos où sévit l'entreprise Cook, il n'y a plus alentour que des ruines émiettées, pulvérisées sans recours possible; mais elles imposent pourtant le recueillement, ces ruines finissantes, car elles sont les débris du temple sans âge où dormait la tête du dieu, les débris des sépultures du Moyen et de l'Ancien Empire; elles indiquent encore tout le développement des nécropoles d'Abydos, si vieilles que l'on se sent comme pris de vertige dès que l'on veut songer à leurs origines…

Ici, comme à Thèbes, comme à Memphis, on ne les rencontre que parmi le sable et les roches desséchées, ces tombeaux des Égyptiens: le grand peuple ancêtre, qui eût frémi de l'ombre de nos arbres noirs et de la pourriture de nos humides caveaux, tenait à déposer magnifiquement ses embaumés au milieu de cette lumineuse et immuable splendeur de mort qui s'appelle le désert.

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Ah! mon Dieu, qu'est-ce qui va se passer encore chez ce malheureux Osiris? Voici que des bédouins amènent à coups de bâton, vers la demeure voisine que lui dédia Sethos, une troupe de bourricots! Sans doute le lunch est achevé, et la bande va repartir, à l'heure militaire du programme. Observons, en gardant une distance prudente.

En effet, ils se remettent tous en selle, les cooks, les cookesses, et déployant, non sans quelque intention de majesté, des parasols en coton blanc, ils prennent la direction du Nil. Ils disparaissent; la place nous appartient.

Quand nous osons rentrer enfin dans ce premier sanctuaire, où ils avaient abondamment lunché à l'ombre, les gardiens sont là, qui s'empressent à balayer les épluchures, les papiers sales. Et, pour le luncheon de demain, ils serrent la douteuse vaisselle dans des coffres à demeure, où se lisent en grosses lettres de gloire les noms des véritables souverains de l'Égypte moderne: «Thos Cook and Son (Egypt limited)».

Tout cela heureusement se remise dans le premier hypostyle. Rien ne déshonore les salles profondes, où le silence vient de retomber, le grand silence des midis du désert.

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De ce temple, on s'émerveillait déjà, sous l'empereur Tibère, comme d'une relique du passé le plus lointain et nébuleux. Le géographe Strabon écrivait à cette époque: «C'est un palais admirable bâti à la façon du Labyrinthe, sauf qu'il a moins de galeries.» Il en a pourtant déjà beaucoup, de galeries, et on s'y promène en s'égarant comme dans un dédale. Sept chapelles, consacrées à Osiris et à différents dieux ou déesses de sa suite; sept travées, sept portes pour les processions des rois et des foules; et, sur les côtés, tant d'autres salles, couloirs, chapelles secondaires, chambres sombres, portes perdues! La très primitive colonne, inspirée des roseaux, que l'on a nommée en architecture la colonne-plante et qui imite une monstrueuse tige de papyrus, a poussé ici en futaie serrée, pour soutenir les pierres des plafonds bleus, semés d'étoiles à l'image du ciel de ce pays. En plusieurs places, elles manquent, ces pierres-là, et laissent des vides largement ouverts sur le ciel véritable d'en haut; en vain elles étaient massives comme pour des durées infinies, les soleils de tant de siècles les ont patiemment fendues, et ensuite leur propre poids les a précipitées; la lumière maintenant, par ces brèches, entre donc à flots jusque dans les chapelles où les hommes de jadis avaient voulu de saintes ténèbres.

Malgré ce désastre des plafonds, c'est ici un des sanctuaires les plus intacts de la vieille Égypte; les sables, toujours si doucement ensevelisseurs, y ont réussi à miracle leur œuvre conservatrice. On dirait sculptés d'hier les innombrables personnages qui, sur les murs, autour des colonnes plantées en forêt, partout, gesticulent, continuent avec animation leur causerie éternelle, à la muette, par signes de leurs bras et de leurs longues mains. Le temple entier, avec ces trouées qui l'éclairent, est plus beau peut-être qu'au temps des Pharaons. Au lieu de l'obscurité d'autrefois, une transparente pénombre alterne à présent avec de grands rayons en gerbes, qui inondent çà et là de lumière frisante les sujets des bas-reliefs si longtemps enfouis, détaillent leurs attitudes, leurs muscles, leurs couleurs à peine altérées, les retrempent de vie et de jeunesse. Pas un pan de muraille, dans ce lieu immense, qui ne soit couvert de divinités, surchargé d'hiéroglyphes et d'emblèmes. Osiris à haute coiffure, la belle Isis casquée d'un oiseau, Anubis à tête de loup-de-désert, Horus à tête d'épervier et Thoout ibiocéphale sont là mille fois répétés, toujours accueillant avec des gestes étranges les rois et les prêtres qui leur rendent hommage.

Les corps presque nus, à larges épaules et à fine taille, ont une sveltesse, une grâce infiniment chastes, et les traits des visages sont d'une pureté exquise. C'étaient déjà des artistes très préparés, ceux qui ciselaient ces têtes charmantes aux longs yeux pleins de l'antique rêve; mais par une lacune qui nous confond, ils ne savaient encore les inscrire que de profil; de profil aussi, toutes les jambes, tous les pieds, tandis que les torses par contre restent invariablement de face: il a donc fallu aux hommes bien des siècles d'étude avant de comprendre la perspective qui nous paraît si simple, le raccourci des figures, et d'être capables d'en donner l'impression sur une surface plane!…

Plusieurs de ces tableaux représentent le roi Sethos, dessiné sans doute d'après nature, car on retrouve là presque les traits de sa momie, si calme et si belle, exhibée de nos jours au musée du Caire. A ses côtés se tient dévotement son fils, le prince royal Ramsès (plus tard Ramsès II, le grand Sésostris des Grecs); on lui a donné l'air tout candide, et il porte cette boucle de cheveux sur le côté qui était la coiffure de l'enfance;—lui aussi a sa momie sous les vitrines du musée, et quand on a vu ce débris édenté, sinistre, qui atteignait déjà près de cent ans d'âge lorsque la mort le livra aux embaumeurs de Thèbes, on n'arrive pas à se persuader qu'il ait pu être jeune, coiffé d'une boucle noire, qu'il ait pu jouer, être un enfant…

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Nous pensions en avoir fini avec les cooks et les cookesses du luncheon. Mais hélas! nos chevaux, plus rapides que leurs ânes, les rattrapent au retour, parmi les blés verts d'Abydos, et un embarras dans le chemin étroit, une rencontre de chameaux chargés de luzerne, nous immobilise un instant, tous pêle-mêle. A me toucher, il y a un amour de petit âne blanc qui me regarde, et d'emblée nous nous comprenons, la sympathie jaillit réciproque. Une cookesse à lunettes le surmonte, oh! la plus effroyable de toutes, osseuse et sévère; par-dessus son complet de voyage, déjà rébarbatif, elle a mis un jersey pour tennis, qui accentue les angles, et sa personne semble incarner la respectability même du Royaume-Uni. On trouverait d'ailleurs plus équitable—tant sont longues ses jambes dénuées de tout intérêt pour le touriste—que ce fût elle qui portât l'âne.

Il me regarde avec mélancolie, le pauvre petit blanc, dont les oreilles sans cesse remuent, et ses jolis yeux si fins, si observateurs de toutes choses, me disent à n'en pas douter:

—Elle est bien vilaine, n'est-ce pas?

—Mon Dieu, oui, mon pauvre petit bourricot. Mais songe un peu, fixée à ton dos comme elle est là, tu as au moins sur moi l'avantage de ne plus la voir.

Pourtant ma réflexion, bien que judicieuse, ne le console pas, et son regard me répond qu'il se sentirait bien plus fier de porter, comme beaucoup de ses camarades, un simple paquet de cannes à sucre.

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